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Décisions

CJCE, 5e ch., 3 décembre 1998, n° C-67/97

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Ditlev Bluhme

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Puissochet

Avocat général :

M. Fennelly

Juges :

MM. Moitinho de Almeida, Gulmann, Sevón, Wathelet

Avocats :

Mes Uffe Baller, Quadri

CJCE n° C-67/97

3 décembre 1998

LA COUR (cinquième chambre),

1 Par ordonnance du 3 juillet 1995, parvenue à la Cour le 17 février 1997, le Kriminalret i Frederikshavn (tribunal correctionnel de Frederikshavn) a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, plusieurs questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 30 du même traité et de l'article 2 de la directive 91-174-CEE du Conseil, du 25 mars 1991, relative aux conditions zootechniques et généalogiques régissant la commercialisation d'animaux de race et modifiant les directives 77-504-CEE et 90-425-CEE (JO L 85, p. 37, ci-après la "directive").

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'une procédure pénale engagée contre M. Bluhme, poursuivi pour avoir enfreint la réglementation nationale interdisant de détenir, sur l'île de Laesø, des abeilles autres que celles appartenant à la sous-espèce Apis mellifera mellifera (abeille brune de Laesø).

3 L'article 1er de la directive prévoit:

"Aux fins de la présente directive, on entend par `animal de race' tout animal d'élevage couvert par l'annexe II du traité dont les échanges n'ont pas encore fait l'objet d'une réglementation communautaire zootechnique plus spécifique et qui est soit inscrit, soit enregistré dans un registre ou dans un livre généalogique tenu par une organisation ou une association d'éleveurs reconnue."

4 L'article 2 de la directive dispose:

"Les États membres veillent à ce que:

- la commercialisation d'animaux de race et de leurs spermes, ovules ou embryons ne soit pas interdite, restreinte ou entravée pour des raisons zootechniques ou généalogiques,

- en vue d'assurer que l'exigence prévue au premier tiret soit satisfaite, les critères d'agrément et de reconnaissance des organisations ou associations d'éleveurs, les critères d'inscription ou d'enregistrement dans les registres et les livres généalogiques, de même que les critères d'admission à la reproduction d'animaux de race, à l'utilisation de leurs spermes, ovules ou embryons, ainsi que le certificat à exiger lors de leur commercialisation, soient établis de manière non discriminatoire, dans le respect des principes établis par l'organisation ou l'association qui détient le registre ou le livre généalogique d'origine de la race.

Dans l'attente de la mise en œuvre des éventuelles modalités d'application prévues à l'article 6, les législations nationales restent applicables dans le respect des dispositions générales du traité."

5 L'article 6 de la directive prévoit que les modalités d'application de la directive sont arrêtées selon la procédure dite du "comité". De telles modalités d'application n'ont pas été adoptées en ce qui concerne les abeilles.

6 Au Danemark, l'article 14 bis de la loi n° 115, du 31 mars 1982, relative à l'apiculture (lov om biavl), introduit par la loi n° 267, du 6 mai 1993, habilite le ministre de l'Agriculture à arrêter des dispositions visant à protéger certaines races d'abeilles dans certaines zones qu'il définit et notamment des dispositions relatives à l'éloignement ou à l'élimination des essaims d'abeilles qui sont à considérer comme indésirables pour des raisons de protection. Adopté en vertu de cette habilitation, l'arrêté relatif à l'apiculture sur l'île de Laesø (bekendtgørelse om biavl på Laesø, n° 528, du 24 juin 1993, ci-après l'"arrêté") interdit, en son article 1er, de détenir, à Laesø et sur certaines îles environnantes, des abeilles butineuses n'appartenant pas à la sous-espèce Apis mellifera mellifera (abeille brune de Laesø).

7 Cet arrêté prévoit également, en son article 2, l'éloignement ou la destruction de ces autres essaims ou le remplacement de la reine de ces essaims par une reine appartenant à la sous-espèce de l'abeille brune de Laesø. En vertu de l'article 6, il est interdit d'importer à Laesø et dans les îles environnantes des abeilles domestiques vivantes, quel que soit leur stade de développement, ainsi que des substances sexuelles d'abeilles domestiques. L'article 7 de l'arrêté dispose enfin que l'État indemnise pleinement toute perte dûment prouvée résultant de la destruction d'un essaim faite en application de l'arrêté.

8 M. Bluhme, qui est poursuivi pour avoir, en violation de l'arrêté, détenu à Laesø des abeilles n'appartenant pas à la sous-espèce Apis mellifera mellifera (abeille brune de Laesø), considère, notamment, que l'article 30 du traité s'oppose à la réglementation nationale.

9 Estimant que la solution du litige dont il était saisi dépendait de l'interprétation du droit communautaire, le Kriminalret a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions suivantes:

"I En ce qui concerne l'interprétation de l'article 30 du traité CE:

1) L'article 30 du traité peut-il être interprété en ce sens qu'un État membre est en droit, sous certaines conditions, d'instaurer des règles interdisant de détenir, et donc d'importer, une quelconque espèce d'abeilles autre que des abeilles de l'espèce Apis mellifera mellifera (abeille brune de Laesø) dans une certaine île du pays en question, en l'occurrence et à titre d'exemple, une île de 114 km2 dont une moitié se compose de villages, de petits ports de mer, et est exploitée à des fins touristiques ou agricoles, alors que l'autre moitié se compose d'étendues non cultivées, à savoir de plantations, de landes de bruyères, de prairies, de prés salés, de grèves et de dunes proprement dites, et qui comptait au 1er janvier 1997 une population de 2 365 personnes, étant entendu que les possibilités d'exercer une activité professionnelle y sont généralement limitées et que l'apiculture constitue l'une des rares possibilités d'exercice d'une activité professionnelle en raison de la flore particulière de l'île et de la forte proportion d'étendues non cultivées et exploitées de manière extensive?

2) Si un État membre peut instaurer de telles règles, la Cour est invitée à décrire de façon générale les conditions à cet égard. Concrètement:

a) Un État membre peut-il instaurer des règles telles que celles décrites dans le cas de figure sous 1), en tant que ces règles s'appliquent uniquement à une île du genre de celle décrite, et donc sont assorties d'un effet limité du point de vue géographique?

b) Un État membre peut-il instaurer des règles telles que celles décrites dans le cas de figure sous 1) si les règles sont justifiées par le souhait de protéger la race d'abeilles Apis mellifera mellifera, ce qui, de l'avis de l'État membre, peut se faire en excluant toutes les autres races d'abeilles du territoire de l'île?

Dans l'instance qui sous-tend la demande de décision à titre préjudiciel, le défendeur au principal a contesté

- l'existence, en tout état de cause, de la race d'abeilles Apis mellifera mellifera, les abeilles que l'on trouve actuellement à Laesø étant un croisement de plusieurs races d'abeilles,

- le fait que les abeilles brunes que l'on trouve à Laesø soient uniques en leur genre, alors qu'on en trouve en de nombreux endroits au monde,

- la prétendue menace de disparition qui pèserait sur les abeilles dont il s'agit.

Dans le cadre de la réponse à la présente question, il est donc demandé à la Cour de dire s'il suffit que l'État membre estime opportun ou nécessaire d'instaurer les règles dont s'agit en tant que mesures de préservation de la population d'abeilles considérée ou faut-il en outre considérer comme autres conditions l'existence même de la race d'abeilles et/ou le caractère unique de celle-ci et/ou l'existence d'une menace de disparition si l'interdiction d'importation n'est pas valide ou ne peut pas être appliquée?

c) Si les motifs décrits sous a) ou b) ne peuvent, chacun séparément, légitimer l'instauration de telles règles, une combinaison des motifs sus-indiqués, sous a) ou b), pourrait-elle avoir un tel effet?

II En ce qui concerne la directive 91-174-CEE du Conseil, du 25 mars 1991, relative aux conditions zootechniques et généalogiques régissant la commercialisation d'animaux de race et modifiant les directives 77-504-CEE et 90-425-CEE:

1) Dans quels cas une abeille est-elle considérée comme un animal de race au sens de l'article 2 de la directive? Une abeille jaune est-elle, par exemple, un animal de race?

2) Qu'est-ce qu'une raison zootechnique (article 2 de la directive)?

3) Qu'est-ce qu'une raison généalogique (article 2 de la directive)?

4) La directive doit-elle être entendue en ce sens que, nonobstant la directive, un État membre peut interdire l'importation et l'existence de toutes les races autres que la race Apis mellifera mellifera dans une île telle que celle décrite sous I, question 1)?

Au cas où un État membre est en droit de le faire sous certaines conditions, il est demandé à la Cour de décrire ces conditions."

Sur la partie II des questions

10 Par ses questions, la juridiction de renvoi demande en substance à la Cour de procéder à l'interprétation des articles 1er et 2, premier alinéa, de la directive.

11 Il convient cependant de relever que, ainsi que l'ont à juste titre indiqué tant le Gouvernement danois que la Commission, aucune modalité d'application relative aux abeilles n'a été adoptée conformément à la procédure prévue à l'article 6 de la directive.

12 Dès lors, en vertu de l'article 2, second alinéa, de la directive, les législations nationales restent applicables dans le respect, toutefois, des dispositions générales du traité.

13 C'est donc à l'aune des articles 30 et 36 du traité CE qu'une réglementation telle que celle en cause au principal doit être examinée.

Sur la partie I des questions

14 Par ses questions, la juridiction de renvoi demande en substance si une réglementation nationale interdisant de détenir sur une île telle que l'île de Laesø une quelconque espèce d'abeilles autre que des abeilles de la sous-espèce Apis mellifera mellifera (abeille brune de Laesø) constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative au sens de l'article 30 du traité et si, dans l'affirmative, une telle réglementation peut être justifiée au titre de la protection de la santé et de la vie des animaux.

Sur l'existence d'une mesure d'effet équivalent

15 M. Bluhme ainsi que la Commission considèrent qu'une interdiction de détenir sur l'île de Laesø des abeilles n'appartenant pas à l'espèce des abeilles brunes de Laesø comporte une interdiction d'importer, en sorte qu'elle constitue une mesure d'effet équivalent contraire à l'article 30 du traité. M. Bluhme considère que la réglementation au principal s'oppose en fait à l'importation sur l'île de Laesø des abeilles en provenance des États membres. A cet égard, la Commission précise que l'article 30 est également applicable aux mesures qui ne concernent qu'une partie du territoire d'un État membre.

16 En revanche, les gouvernements danois, italien et norvégien prétendent que la création d'une zone de race pure d'une espèce donnée dans un secteur géographique délimité à l'intérieur d'un État membre n'affecte pas le commerce entre États membres. Les gouvernements danois et norvégien précisent, en outre, que l'interdiction d'importer, sur l'île de Laesø, des abeilles autres que les abeilles brunes de Laesø ne constitue pas une discrimination à l'égard d'abeilles originaires des autres États membres, n'a pas pour objet de régir les échanges entre les États membres et a sur les échanges une incidence trop hypothétique et incertaine pour être considérée comme étant de nature à les entraver.

17 Le Gouvernement danois fait en outre valoir que, dans la mesure où elle ne concerne pas l'accès des abeilles au marché danois en tant que marchandises mais se contente de régir les conditions de détention des abeilles à l'intérieur de cet État membre, la réglementation nationale échappe au champ d'application de l'article 30 du traité.

18 A cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative toute mesure susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement le commerce intracommunautaire (arrêt du 11 juillet 1974, Dassonville, 8-74, Rec. p. 837, point 5).

19 En ce qu'elle comporte, en son article 6, une interdiction générale d'importer à Laesø et sur des îles avoisinantes des abeilles vivantes et des substances sexuelles d'abeilles domestiques, la réglementation en cause au principal interdit également leur importation d'autres États membres, en sorte qu'elle est susceptible d'entraver le commerce intracommunautaire. Dès lors, elle constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative.

20 Cette conclusion ne saurait être infirmée par le fait que la mesure en cause au principal ne s'applique qu'à une partie du territoire national (voir, à cet égard, arrêts du 25 juillet 1991, Aragonesa de Publicidad et Publivía, C-1-90 et C-176-90, Rec. p. I-4151, point 24, et du 15 décembre 1993, Ligur Carni e.a., C-277-91, C-318-91 et C-319-91, Rec. p. I-6621, point 37).

21 En outre, contrairement à ce qu'a soutenu le Gouvernement danois, selon lequel l'interdiction de détenir certaines abeilles sur l'île de Laesø doit être considérée comme étant une réglementation en matière de modalités de vente au sens de l'arrêt du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard (C-267-91 et C-268-91, Rec. p. I-6097), il convient de souligner que la réglementation en cause au principal porte, au contraire, sur les caractéristiques intrinsèques des abeilles. Dans ces conditions, son application aux faits de l'espèce ne saurait concerner une modalité de vente au sens de l'arrêt Keck et Mithouard, précité (arrêt du 26 juin 1997, Familiapress, C-368-95, Rec. p. I-3689, point 11).

22 Enfin, ainsi que l'a relevé M. l'avocat général au point 19 de ses conclusions, dès lors que l'arrêté interdit l'importation d'abeilles en provenance d'un autre État membre sur une partie du territoire danois, il a un impact direct et immédiat sur les échanges, et non des effets trop aléatoires et trop indirects pour que l'obligation qu'il édicte ne puisse être regardée comme étant de nature à entraver le commerce entre États membres.

23 Il s'ensuit qu'une réglementation nationale interdisant de détenir sur une île telle que l'île de Laesø une quelconque espèce d'abeilles autre que des abeilles de la sous-espèce Apis mellifera mellifera (abeille brune de Laesø) constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative au sens de l'article 30 du traité.

Sur la justification d'une réglementation telle que celle au principal

24 M. Bluhme considère qu'aucune cause de justification ne peut être invoquée au bénéfice de la réglementation en cause au principal, d'autant plus qu'il n'existe pas, selon lui, de sous-espèce Apis mellifera mellifera (abeille brune de Laesø) génétiquement distincte et propre à l'île de Laesø. En outre, une telle réglementation ne relevant pas de la police sanitaire, elle ne pourrait pas être justifiée en vertu de la directive 92-65-CEE du Conseil, du 13 juillet 1992, définissant les conditions de police sanitaire régissant les échanges et les importations dans la Communauté d'animaux, de spermes, d'ovules et d'embryons non soumis, en ce qui concerne les conditions de police sanitaire, aux réglementations communautaires spécifiques visées à l'annexe A section I de la directive 90-425-CEE (JO L 268, p. 54).

25 Le Gouvernement danois estime que, à supposer que l'interdiction édictée par l'arrêté soit considérée par la Cour comme étant une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative, il s'agit d'une mesure indistinctement applicable aux abeilles quel que soit l'État de provenance qui est justifiée par l'objectif de protection de la diversité biologique, laquelle a été, notamment, reconnue par la directive 92-43-CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO L 206, p. 7), ainsi que par la convention sur la diversité biologique signée à Rio de Janeiro le 5 juin 1992, approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 93-626-CEE du Conseil, du 25 octobre 1993 (JO L 309, p. 1, ci-après la "convention de Rio"). Il précise, à cet égard, que l'abeille de la sous-espèce Apis mellifera mellifera (abeille brune de Laesø) est en voie de disparition et qu'elle ne peut être préservée que sur l'île de Laesø, en sorte que la mesure adoptée est nécessaire pour éviter la disparition de cette espèce et qu'elle est proportionnée à l'objectif poursuivi. Par ailleurs, l'arrêté n'affecterait pas la possibilité d'exercer l'apiculture sur l'île, mais se contenterait de réglementer la race d'abeilles pouvant être utilisée.

26 Le Gouvernement danois fait, enfin, état de nombreuses études scientifiques établissant le caractère particulier de cette abeille par rapport aux autres races.

27 A titre principal, le Gouvernement norvégien estime que la réglementation danoise est justifiée au titre de la protection de l'environnement, conformément à l'article 30 du traité et à l'arrêt du 20 février 1979, Rewe-Zentral, dit "Cassis de Dijon" (120-78, Rec. p. 649, point 8).

28 A titre subsidiaire, il considère, tout comme le Gouvernement italien et la Commission, que la préservation d'une espèce rare et menacée relève de la protection de la santé et de la vie des animaux, visée à l'article 36 du traité.

29 Selon le Gouvernement norvégien, la création de zones de race pure est la seule permettant de préserver l'abeille brune de Laesø.

30 La Commission précise que le même motif de justification devrait être retenu dans l'hypothèse où l'espèce ne serait pas rare et menacée, mais que des motifs scientifiques rendraient souhaitable un élevage en race pure.

31 S'agissant de la question relative à l'existence d'une sous-espèce d'abeille Apis mellifera mellifera (abeille brune de Laesø) en voie de disparition, la Commission considère qu'il s'agit d'une question de preuve qui relève, par conséquent, de la compétence de la juridiction de renvoi. Elle précise que l'interdiction ne doit pas s'étendre à la détention d'abeilles brunes de l'espèce Apis mellifera mellifera en provenance d'autres États membres ou de pays tiers s'il n'existe pas de raison valable pour justifier une telle restriction et rappelle qu'une interdiction d'une telle nature ne saurait être un moyen de discrimination arbitraire ni avoir pour but de protéger certains intérêts professionnels.

32 Enfin, s'agissant du Gouvernement italien, il relève qu'il existe de nombreuses sous-espèces de l'Apis mellifera mellifera, identifiées en tant que races, et, au sein de ces dernières, en tant qu'écotypes, représentant le produit d'un processus naturel d'adaptation aux conditions d'environnement des différents territoires.

33 A cet égard, il y a lieu de considérer que les mesures de préservation d'une population animale indigène qui présente des caractéristiques distinctes contribuent à maintenir la biodiversité en garantissant la subsistance de la population concernée. Ce faisant, elles visent à protéger la vie de ces animaux et sont susceptibles d'être justifiées en vertu de l'article 36 du traité.

34 En vue de cette conservation de la biodiversité, il est indifférent que l'objet de la protection soit une sous-espèce à part, une race distincte au sein d'une espèce quelconque ou une simple souche locale, dès lors qu'il s'agit de populations présentant des caractéristiques les distinguant des autres et jugées, par conséquent, dignes de protection soit pour les mettre à l'abri d'un éventuel danger d'extinction plus ou moins imminent, soit, en l'absence même d'un tel risque, pour un intérêt scientifique ou autre à la préservation de la population pure à l'endroit concerné.

35 Il convient cependant de vérifier si la réglementation nationale était nécessaire au regard de son objectif de protection et proportionnée par rapport à celui-ci, ou s'il aurait été possible de parvenir au même résultat par des mesures moins contraignantes (arrêt du 8 février 1983, Commission/Royaume-Uni, 124-81, Rec. p. 203, point 16).

36 La conservation de la biodiversité au moyen de la création de zones dans lesquelles une population bénéficiera d'une protection spéciale, méthode reconnue par la convention de Rio, notamment en son article 8, sous a), est d'ailleurs déjà mise en œuvre dans le droit communautaire [en particulier les zones de protection spéciale prévues à la directive 79-409-CEE du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO L 103, p. 1), ou les zones spéciales de conservation prévues à la directive 92-43].

37 S'agissant de la menace d'une disparition de l'abeille brune de Laesø, il est incontestable qu'elle est réelle en cas de croisement avec des abeilles jaunes en raison du caractère récessif des gènes de l'abeille brune. L'instauration, par la réglementation nationale, d'une zone de protection à l'intérieur de laquelle il est interdit de détenir des abeilles autres que des abeilles brunes de Laesø, et ce aux fins d'assurer la subsistance de ces dernières, constitue donc une mesure appropriée au regard de l'objectif poursuivi.

38 Il y a lieu dès lors de répondre qu'une réglementation nationale interdisant de détenir sur une île telle que l'île de Laesø une quelconque espèce d'abeilles autre que des abeilles de la sous-espèce Apis mellifera mellifera (abeille brune de Laesø) doit être considérée comme étant justifiée, en vertu de l'article 36 du traité, par la protection de la santé et de la vie des animaux.

Sur les dépens

39 Les frais exposés par les gouvernements danois, italien et norvégien, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par le Kriminalret i Frederikshavn, par ordonnance du 3 juillet 1995, dit pour droit:

1) Une réglementation nationale interdisant de détenir sur une île telle que l'île de Laesø une quelconque espèce d'abeilles autre que des abeilles de la sous-espèce Apis mellifera mellifera (abeille brune de Laesø) constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative au sens de l'article 30 du traité CE.

2) Une réglementation nationale interdisant de détenir sur une île telle que l'île de Laesø une quelconque espèce d'abeilles autre que des abeilles de la sous-espèce Apis mellifera mellifera (abeille brune de Laesø) doit être considérée comme étant justifiée, en vertu de l'article 36 du traité CE, par la protection de la santé et de la vie des animaux.