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Décisions

CJCE, 2e ch., 30 mai 2002, n° C-296/00

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Prefetto Provincia di Cuneo

Défendeur :

Silvano Carbone

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Colneric

Avocat général :

M. Geelhoed

Juges :

MM. Schintgen, Skouris

CJCE n° C-296/00

30 mai 2002

LA COUR (deuxième chambre),

1. Par ordonnance du 18 avril 2000, parvenue à la Cour le 1er août suivant, la Corte suprema di cassazione a, en vertu de l'article 234 CE, demandé une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des règlements (CE) n° 519-94 du Conseil, du 7 mars 1994, relatif au régime commun applicable aux importations de certains pays tiers et abrogeant les règlements (CEE) n° 1765-82, (CEE) n° 1766-82 et (CEE) n° 3420-83 (JO L 67, p. 89), et n° 3285-94 du Conseil, du 22 décembre 1994, relatif au régime commun applicable aux importations et abrogeant le règlement (CE) n° 518-94 (JO L 349, p. 53).

2. Cette demande a été formulée dans le cadre d'un litige opposant le Prefetto Provincia di Cuneo à M. Carbone, agissant en qualité d'administrateur unique de la société Expo Casa Manta Srl (ci-après "Expo Casa Manta"), au sujet de la confiscation administrative de 20 appareils téléphoniques sans fil non homologués.

Cadre juridique

Dispositions communautaires

3. L'article 9, paragraphe 2, du traité CE (devenu, après modification, article 23, paragraphe 2, CE) dispose:

"Les dispositions du chapitre 1, section 1, et du chapitre 2 du présent titre [, relatives à l'élimination des droits de douane et des restrictions quantitatives entre les États membres,] s'appliquent aux produits qui sont originaires des États membres, ainsi qu'aux produits en provenance de pays tiers qui se trouvent en libre pratique dans les États membres."

4. Selon l'article 10, paragraphe 1, du traité CE (devenu, après modification, article 24 CE):

"Sont considérés comme étant en libre pratique dans un État membre les produits en provenance de pays tiers pour lesquels les formalités d'importation ont été accomplies et les droits de douane et taxes d'effet équivalent exigibles ont été perçus dans cet État membre, et qui n'ont pas bénéficié d'une ristourne totale ou partielle de ces droits et taxes."

5. Le règlement n° 519-94 dispose en son article 1er, paragraphe 2:

"L'importation dans la Communauté des produits visés au paragraphe 1 est libre et n'est donc soumise à aucune restriction quantitative, sans préjudice:

- des mesures pouvant être prises en vertu du titre V,

- des contingents visés à l'annexe II."

6. Le titre V dudit règlement concerne des mesures de sauvegarde et l'annexe II de celui-ci certains produits originaires de Chine.

7. L'article 1er, paragraphe 2, du règlement n° 3285-94 dispose:

"L'importation dans la Communauté des produits visés au paragraphe 1 est libre et n'est donc soumise à aucune restriction quantitative, sans préjudice des mesures de sauvegarde pouvant être prises en vertu du titre V."

8. Le titre V dudit règlement se réfère à des mesures de sauvegarde.

9. L'article 19, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 519-94 et l'article 24, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 3285-94 - qui relèvent, dans leur règlement respectif, du titre VI consacré aux dispositions finales - énoncent:

"Sans préjudice d'autres dispositions communautaires, le présent règlement ne fait pas obstacle à l'adoption ou à l'application par les États membres:

i) d'interdictions, de restrictions quantitatives ou de mesures de surveillance justifiées par des raisons de moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique, ou de protection de la propriété industrielle et commerciale;

ii) de formalités spéciales en matière de change;

iii) de formalités introduites en application d'accords internationaux conformément au traité."

Dispositions nationales

10. L'article 398 du décret du président de la République n° 156, du 29 mars 1973, portant approbation du texte unique des dispositions législatives en matière postale, de services bancaires postaux et de télécommunications (GURI n° 113, du 3 mai 1973, supplément ordinaire), dans la version résultant de la loi n° 209, du 22 mai 1980 (GURI n° 155, du 7 juin 1980, ci-après le "Code des postes"), dispose:

"Il est interdit de construire ou d'importer sur le territoire national, à des fins commerciales, d'utiliser ou d'exploiter, à quelque titre que ce soit, des appareils ou des installations électriques, radioélectriques ou des lignes de transmission d'énergie électrique non conformes aux règles établies afin de prévenir et d'éliminer les perturbations occasionnées aux émetteurs et récepteurs de radio.

Lesdites règles fixant aussi la méthode de vérification de la conformité sont publiées par arrêté du ministre des Postes et des Télécommunications, en accord avec le ministre de l'Industrie, du Commerce et de l'Artisanat, conformément aux directives des Communautés européennes.

La mise sur le marché et l'importation à des fins commerciales des matériels visés au premier alinéa sont soumises à la délivrance d'un certificat, d'une attestation ou d'un document de conformité ou à la présentation d'une déclaration de conformité selon des modalités à établir par l'arrêté visé au deuxième alinéa.

L'arrêté du ministre des Postes et des Télécommunications, pris en accord avec le ministre de l'Industrie, du Commerce et de l'Artisanat, désigne les organismes ou les sujets qui délivrent les attestations ou les certificats de conformité prévus à l'alinéa précédent."

11. L'article 399 du Code des postes prévoit:

"Quiconque enfreint les dispositions visées à l'article 398 se voit infliger une amende administrative d'un montant de 15 000 à 300 000 ITL. Si le contrevenant est un fabricant ou un importateur d'appareils ou d'installations électriques ou radioélectriques, l'amende administrative varie de 50 000 à 1 000 000 ITL sans préjudice de la confiscation des produits et appareils non conformes au certificat de conformité visés à l'article 398."

Le litige au principal

12. Le 9 mars 1995, la guardia di finanza a saisi 20 appareils téléphoniques sans fil non homologués qu'Expo Casa Manta détenait à des fins de commercialisation en violation des articles 398 et 399 du Code des postes. La saisie a été transformée par la suite en une confiscation administrative par mesure du Prefetto Provincia di Cuneo.

13. En sa qualité d'administrateur unique d'Expo Casa Manta, M. Carbone a intenté une action contre ladite mesure. Le Pretore di Salluzzo (Italie), saisi de l'affaire, a fait droit au recours et annulé la mesure de confiscation, au motif que les règlements nos 519-94 et 3285-94, qui libéralisent notamment l'importation des appareils téléphoniques sans fil, auraient levé l'interdiction, énoncée à l'article 398 du Code des postes, de détenir des appareils non homologués à des fins de commercialisation.

14. Le Prefetto Provincia di Cuneo a introduit un recours en cassation contre cette décision du Pretore. Il a fait valoir qu'elle constituait une application erronée de l'article 19, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 519-94 et de l'article 24, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 3285-94, en ce que ces règlements, s'ils avaient bien éliminé toute restriction à l'importation des appareils en cause au principal, n'avaient cependant aucune incidence sur la réglementation nationale concernant leur commercialisation, qui restait donc interdite.

15. La Corte suprema di cassazione devant déterminer, aux fins de la solution du litige pendant devant elle, si ces deux règlements avaient libéralisé seulement l'importation ou à la fois l'importation et la commercialisation des produits en cause au principal, elle a sursis à statuer et renvoyé l'affaire à la Cour "pour l'interprétation des règlements communautaires nos 519-94 et 3285-94".

Arguments formulés dans les observations présentées à la Cour

16. Le Gouvernement italien fait valoir que les articles 19 du règlement n° 519-94 et 24 du règlement n° 3285-94 réservent aux États membres la possibilité d'adopter et d'appliquer des interdictions "justifiées par des raisons de moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux".

17. Or, en l'espèce au principal, la saisie et la confiscation des appareils téléphoniques sans fil auraient été ordonnées en vue d'éviter des interférences dans les fréquences radio attribuées aux forces de l'ordre italiennes, de sorte que lesdites mesures seraient conformes à ces règlements communautaires.

18. Le Gouvernement italien soutient que, dès lors, il ne doit pas être répondu à la question d'interprétation soulevée par la Corte suprema di cassazione. Le litige au principal pourrait être tranché au niveau national en déterminant correctement les faits de la cause, ce qui ne relèverait pas de la compétence de la Cour.

19. À titre subsidiaire, ce Gouvernement fait valoir que les règlements nos 519-94 et 3285-94 ont éliminé les restrictions à l'importation des appareils en cause au principal provenant des pays tiers, mais qu'ils n'ont pas supprimé l'obligation d'homologuer ces appareils avant leur mise dans le commerce.

20. La Commission remarque, à titre liminaire, que la juridiction de renvoi a omis de donner certains renseignements factuels essentiels, comme le pays de provenance des appareils en cause au principal et leur classe tarifaire, qui auraient été nécessaires pour mieux comprendre la question de droit soumise à la Cour. Cette juridiction n'aurait pas non plus clairement défini sa question. Toutefois, les éléments fournis à la Cour seraient suffisants pour permettre à celle-ci de donner une réponse utile en vue du règlement du litige au principal.

21. En ce qui concerne la portée des règlements nos 519-94 et 3285-94, la Commission soutient qu'ils ont trait seulement à la libéralisation des importations de marchandises en provenance de pays tiers à l'intérieur du territoire communautaire et qu'ils n'ont aucune incidence sur la commercialisation ultérieure de marchandises sur ce territoire, qui relèverait donc des réglementations nationales ou des autres règles communautaires applicables.

22. Les règlements nos 519-94 et 3285-94 auraient pour seul objectif d'accroître l'uniformité des régimes applicables aux importations en supprimant les exceptions et les dérogations qui résultent des mesures nationales de politique commerciale en vigueur avant leur adoption, notamment les restrictions quantitatives maintenues par les États membres en vertu des règlements antérieurs. Ils poursuivraient le même objectif d'élimination des restrictions quantitatives à l'importation que l'article XI de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (ci-après le "GATT de 1994"), [qui figure à l'annexe I A de l'accord instituant l'Organisation mondiale du commerce (ci-après l'"OMC"), approuvé au nom de la Communauté européenne par la décision 94-800-CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l'Uruguay (1986-1994) (JO L 336, p. 1)].

23. Par les articles 398 et 399 du Code des postes, le législateur italien aurait entendu s'assurer que tous les appareils ou installations électriques ou radioélectriques et toutes les lignes de transmission d'énergie électrique sont conformes aux règles fixées en vue de prévenir et d'éliminer les perturbations subies par les émetteurs et les récepteurs de radio.

24. Selon la Commission, compte tenu du fait que ces règles sont applicables tant aux produits nationaux qu'aux produits importés, on ne peut soutenir qu'elles sont contraires au droit communautaire.

Sur la recevabilité

25. Les informations fournies par la juridiction de renvoi donnent à la Cour une connaissance du cadre factuel et réglementaire du litige au principal qui est suffisante pour qu'elle puisse interpréter les règles communautaires pertinentes au regard de la situation faisant l'objet de ce litige. Quoiqu'elle n'ait pas été explicitement formulée, la question d'interprétation sur laquelle la Cour est appelée à se prononcer résulte de la motivation de l'ordonnance de renvoi.

26. En ce qui concerne la nécessité d'une décision à titre préjudiciel pour le règlement du litige au principal, il appartient au juge national de l'apprécier. Conformément à une jurisprudence constante, dès lors que les questions posées portent sur l'interprétation du droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir, notamment, arrêts du 13 mars 2001, PreussenElektra, C-379-98, Rec. p. I-2099, point 38; du 17 mai 2001, TNT Traco, C-340-99, Rec. p. I-4109, point 30, et du 6 décembre 2001, Clean Car Autoservice, C-472-99, non encore publié au Recueil, point 13). Aucune des exceptions à cette règle dégagées par ladite jurisprudence ne trouve à s'appliquer en l'occurrence. Notamment, il n'apparaît pas de manière manifeste que l'interprétation du droit communautaire sollicitée n'a aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal.

27. Il s'ensuit que la demande préjudicielle est recevable.

Sur la question préjudicielle

28. La juridiction de renvoi demande, en substance, si les règlements nos 519-94 et 3285-94 ont une incidence sur la réglementation d'un État membre quant à la mise sur le marché des produits importés de pays tiers.

29. Lesdits règlements ont été adoptés dans le cadre de la politique commerciale commune, ainsi qu'il ressort de leur base juridique, à savoir l'article 113 du traité CE (devenu, après modification, article 133 CE). Tandis que le règlement n° 519-94 porte sur les importations de pays à commerce d'État, le règlement n° 3285-94 a trait aux importations de pays qui sont membres de l'OMC.

30. Il résulte des considérants de ces deux règlements que leur objectif est la libéralisation de l'importation dans la Communauté de biens en provenance de pays tiers. Ainsi, le quatrième considérant du règlement n° 519-94 indique que, pour parvenir à une uniformité accrue du régime à l'importation, il y a lieu de mettre fin aux exceptions et dérogations résultant des mesures nationales restantes en matière de politique commerciale. Le troisième considérant du règlement n° 3285-94 rappelle l'accord instituant l'OMC ainsi que le GATT de 1994 et l'accord sur les sauvegardes figurant également dans son annexe I A. À la lumière de ces nouvelles règles multilatérales, il convient, selon le sixième considérant du règlement n° 3285-94, de mieux préciser et, si nécessaire, de modifier le régime commun applicable aux importations, notamment en matière d'application des mesures de sauvegarde. Le cinquième considérant du règlement n° 519-94 et le septième considérant du règlement n° 3285-94 énoncent que la libéralisation des importations, c'est-à-dire l'absence de toute restriction quantitative, constitue le point de départ du régime commun applicable aux importations.

31. La mise sur le marché constitue une phase postérieure à l'importation. De même qu'un produit légalement fabriqué dans la Communauté ne peut être mis sur le marché en raison de cette seule circonstance, l'importation légale d'un produit n'implique pas que celui-ci est automatiquement admis sur le marché.

32. Un produit en provenance d'un pays tiers pour lequel les exigences posées par l'article 10, paragraphe 1, du traité sont satisfaites est considéré comme étant en libre pratique. Il est dès lors assimilé, selon l'article 9, paragraphe 2, du traité, aux produits qui sont originaires des États membres pour ce qui concerne l'élimination des droits de douane et des restrictions quantitatives entre les États membres (voir arrêt du 15 décembre 1976, Donckerwolcke et Schou, 41-76, Rec. p. 1921, points 16 et 17). Dans la mesure où il n'existe pas une réglementation communautaire harmonisant les conditions de commercialisation des produits concernés, l'État membre où ils sont introduits en libre pratique peut s'opposer à leur mise sur le marché s'ils ne remplissent pas les conditions fixées à cet effet par le droit national.

33. Les règlements nos 519-94 et 3285-94 ne contiennent pas de dispositions relatives à la mise sur le marché des produits qu'ils visent. À la différence de la directive 1999-5-CE du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 1999, concernant les équipements hertziens et les équipements terminaux de télécommunications et la reconnaissance mutuelle de leur conformité (JO L 91, p. 10), adoptée sur le fondement de l'article 100 A du traité CE (devenu, après modification, article 95 CE) postérieurement aux faits du litige au principal, ils ne prévoient aucunement l'harmonisation des prescriptions nationales applicables en la matière.

34. Lorsque les règlements nos 519-94 et 3285-94 précisent, en leurs articles 19, paragraphe 2, sous a), et 24, paragraphe 2, sous a), respectivement, qu'ils ne font pas obstacle à l'adoption ou à l'application par les États membres d'interdictions, de restrictions quantitatives ou de mesures de surveillance justifiées par des raisons de moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique, ou de protection de la propriété industrielle et commerciale, cette réserve a trait à l'importation et non à la mise sur le marché des produits visés. Lesdites dispositions portent sur l'aspect externe du Marché commun. Elles permettent à cet égard des dérogations comparables à celles prévues à l'article 36 du traité CE (devenu, après modification, article 30 CE), qui concerne l'aspect interne du Marché commun.

35. Compte tenu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la juridiction de renvoi que les règlements nos 519-94 et 3285-94 n'ont aucune incidence sur la réglementation d'un État membre quant à la mise sur le marché des produits importés de pays tiers.

Sur les dépens

36. Les frais exposés par le Gouvernement italien et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (deuxième chambre),

Statuant sur la question à elle soumise par la Corte suprema di cassazione, par ordonnance du 18 avril 2000, dit pour droit:

Le règlement (CE) n° 519-94 du Conseil, du 7 mars 1994, relatif au régime commun applicable aux importations de certains pays tiers et abrogeant les règlements (CEE) n° 1765-82, (CEE) n° 1766-82 et (CEE) n° 3420-83, ainsi que le règlement (CE) n° 3285-94 du Conseil, du 22 décembre 1994, relatif au régime commun applicable aux importations et abrogeant le règlement (CE) n° 518-94, n'ont aucune incidence sur la réglementation d'un État membre quant à la mise sur le marché des produits importés de pays tiers.