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CJCE, 1re ch., 28 mars 1979, n° 179-78

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Procureur de la République, Administration des douanes françaises

Défendeur :

Rivoira (Consorts), Giovanni Rivoira & Figli (SNC)

CJCE n° 179-78

28 mars 1979

LA COUR,

1. Attendu que, par jugement du 5 juin 1978, parvenu au greffe de la Cour le 25 août suivant, le Tribunal de grande instance de Montpellier, deuxième chambre correctionnelle, a saisi, en vertu de l'article 177 du traité CEE, la Cour de justice de deux questions préjudicielles;

2. Que ces questions sont posées dans le cadre de poursuites intentées par le Procureur de la République et l'Administration des douanes contre les consorts Rivoira;

3. Qu'en décembre 1970 et décembre 1971, ces derniers ont importé en France divers lots de raisins de table originaires de l'Espagne et expédiés en Italie, où ces raisins se trouvaient en libre pratique;

4. Qu'à l'importation en France, lesdits lots étaient accompagnés du certificat de l'Istituto Nazionale per il Commercio Estero attestant la conformité de la marchandise avec les normes de qualité et indiquant comme origine l'Italie;

5. Qu'à la date de l'importation, le contingent bilatéral fixé par la France pour le raisin importé d'Espagne était épuisé;

6. Qu'à la suite d'un contrôle effectué par l'Administration des douanes françaises, les consorts Rivoira ont été prévenus d'importation de marchandises prohibées, au moyen d'une fausse déclaration d'origine et sur la base de documents faux ou inexacts;

7. Que les consorts Rivoira, ayant été condamnés par défaut au paiement d'amendes, ils ont fait opposition, ce qui a conduit la juridiction nationale à poser les questions préjudicielles suivantes:

'1) Si, d'après les dispositions communautaires applicables dans les années 1970 et 1971, le fait que la France avait fixé d'une façon légitime un contingent bilatéral pour le raisin espagnol importé en France entre le 1er juillet et le 31 décembre de chacune de ces années donnait à la France le droit d'interdire pour les mêmes périodes l'importation du même raisin espagnol en provenance de l'Italie où celui-ci se trouvait en libre pratique sans que la France ait auparavant demandé et obtenu l'autorisation de la Commission de la CEE de Bruxelles sur la base de l'article 115 du traité.

2) En cas de réponse négative à la question n° 1, si le fait que le raisin espagnol ait été importé en France de l'Italie dans les périodes susmentionnées était déclaré comme italien donnait à la France le droit de considérer cette déclaration comme une violation à la loi douanière française avec application des sanctions pénales prévues par le Code des douanes pour les fausses déclarations qui sont faites pour exécuter les importations interdites'

Sur la première question

8. Attendu que par arrêt du 30 novembre 1977 rendu dans l'affaire 52-77 (Cayrol-Rivoira), Recueil p. 2261, la Cour, interprétant l'article 1 du règlement n° 2513-69 du Conseil du 9 décembre 1969 relatif à la coordination et à l'unification des régimes d'importation des fruits et légumes appliqués par chaque Etat membre à l'égard des pays tiers (JO N L 318, p. 6) et les articles 1 et 11 de l'annexe I de l'accord entre la CEE et l'Espagne, qui a fait l'objet du règlement n° 1524-70 du Conseil du 20 juillet 1970 (JO N L 182, p. 1), a dit pour droit que les Etats membres pouvaient en 1970 et 1971 continuer à appliquer au raisin de table originaire de l'Espagne les restrictions quantitatives préexistantes au règlement n° 2513-69 pendant la période de l'année allant du 1er juillet au 31 décembre;

9. Qu'il résulte, cependant, du texte de l'article 1, paragraphe 1, du règlement n° 2513-69 que cette faculté des Etats membres était limitée à l'importation directe en provenance des pays tiers des produits concernés;

10. Que ledit article 1 n'aurait pu couvrir l'application par un Etat membre de restrictions ou interdictions à l'importation en provenance d'autres Etats membres de produits en libre pratique dans la Communauté, parce qu'une telle portée aurait constitué une dérogation aux règles fondamentales du traité relatives à la libre circulation des marchandises;

11. Que seul l'article 115 du traité donne à la Commission le pouvoir d'autoriser les Etats membres à prendre des mesures de protection, notamment sous la forme de dérogations au principe de la libre circulation des marchandises, des produits originaires d'états tiers et mis en libre pratique dans l'un des Etats membres;

12. Qu'en dehors des conditions de fond et de procédure prévues par l'article 115, un Etat membre ne saurait soumettre à l'exigence d'une licence d'importation l'introduction dans son territoire de marchandises mises en libre pratique dans un autre Etat membre;

13. Attendu qu'il s'ensuit qu'il faut répondre qu'un Etat membre ne pouvait, en 1970 et 1971, interdire l'importation des raisins de table originaires de l'Espagne, mais en provenance d'un autre Etat membre, où ce produit se trouvait en libre pratique, sans auparavant avoir demandé et obtenu l'autorisation de la Commission, conformément à l'article 115 du traité;

Sur la seconde question

14. Attendu que, pour autant que cette question devrait être comprise comme un complément de la première question, il y aurait lieu de répondre que la sanction pénale d'une mesure de restriction appliquée à l'importation dans un Etat membre de produits mis en libre pratique dans un autre Etat membre est aussi incompatible avec le droit communautaire que cette restriction elle-même;

15. Attendu, cependant, qu'il est possible de comprendre la question comme tendant à savoir si le droit communautaire s'oppose à l'application des sanctions pénales prévues contre des fausses déclarations, lorsqu'il est constant que ces fausses déclarations ont eu lieu à l'occasion d'une importation qui, par elle-même, ne pouvait pas faire l'objet d'une prohibition ou restriction;

16. Attendu qu'à l'époque où se sont passés les faits litigieux, les Etats membres étaient en droit de demander, à l'importation de produits mis en libre pratique dans un autre Etat membre, la production de certains documents afin d'établir l'origine de ces produits ou de connaître les mouvements des marchandises;

17. Qu'une telle demande n'est pas incompatible avec l'interdiction, à l'article 30 du traité, de toute mesure d'effet équivalant à des restrictions quantitatives à l'importation;

18. Que, cependant, - ainsi qu'il a été dit pour droit dans l'arrêt du 15 décembre 1976, rendu dans l'affaire 41-76 (Donckerwolcke-procureur de la République), Recueil p. 1921 - une telle exigence tomberait sous la prohibition de l'article 30, s'il était demandé à l'importateur de déclarer, au sujet de l'origine, autre chose que ce qu'il connaît ou peut raisonnablement connaître, ou si l'omission ou l'inexactitude de la déclaration était frappée de sanctions disproportionnées à la nature de l'infraction;

19. Que notamment l'application 'des sanctions pénales prévues par le Code des douanes pour les fausses déclarations qui sont faites pour exécuter les importations interdites' ne saurait avoir lieu sans tenir compte du fait qu'en l'occurrence il ne s'agissait pas d'importations interdites;

20. Attendu qu'il y a donc lieu de répondre que, si le fait que le raisin espagnol importé en France de l'Italie a été déclaré comme originaire de l'Italie peut, le cas échéant, donner lieu à des sanctions pénales prévues contre les fausses déclarations, il serait disproportionné d'appliquer, sans distinction, les sanctions pénales prévues pour les fausses déclarations faites en vue d'effectuer des importations interdites;

Sur les dépens

21. Attendu que les frais exposés par la Commission et le Gouvernement français, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement;

22. Que la procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens;

Par ces motifs,

LA COUR (première chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunal de grande instance de Montpellier par jugement du 5 juin 1978, dit pour droit:

1) Un Etat membre ne pouvait, en 1970 et 1971, interdire l'importation des raisins de table originaires de l'Espagne, mais en provenance d'un autre Etat membre, où ce produit se trouvait en libre pratique, sans auparavant avoir demandé et obtenu l'autorisation de la Commission conformément à l'article 115 du traité.

2) Si le fait que le raisin espagnol importé en France de l'Italie a été déclaré comme originaire de l'Italie peut, le cas échéant, donner lieu a des sanctions pénales prévues contre les fausses déclarations, il serait disproportionné d'appliquer, sans distinction, les sanctions pénales prévues pour les fausses déclarations faites en vue d'effectuer des importations interdites.