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Décisions

CJCE, 19 mars 1998, n° C-1/96

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

The Queen

Défendeur :

Minister of Agriculture, Fisheries and Food, ex parte Compassion in World Farming Ltd

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rodríguez Iglesias

Présidents de chambre :

MM. Gulmann, Ragnemalm, Wathelet

Avocat général :

M. Léger

Juges :

MM. Mancini, Moitinho de Almeida, Kapteyn, Murray, Edward, Puissochet, Hirsch, Jann, Sevón

Avocats :

Mes Rose, Masters

CJCE n° C-1/96

19 mars 1998

LA COUR,

1 Par ordonnance du 12 décembre 1995, parvenue à la Cour le 2 janvier 1996, la High Court of Justice, Queen's Bench Division, a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, deux questions préjudicielles sur l'interprétation des articles 34 et 36 du traité CE et sur la validité de la directive 91-629-CEE du Conseil, du 19 novembre 1991, établissant les normes minimales relatives à la protection des veaux (JO L 340, p. 28, ci-après la "directive").

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant la Royal Society for the Prevention of Cruelty to Animals (ci-après la "RSPCA") et le Compassion in World Farming Ltd (ci-après le "CIWF") au Minister of Agriculture, Fisheries and Food (ministre de l'Agriculture, de la Pêche et de l'Alimentation, ci-après le "ministre") à propos du refus de ce dernier de limiter, sur le fondement de l'article 36 du traité, l'exportation vers d'autres États membres des veaux de boucherie.

Les dispositions du droit international

La convention européenne sur la protection des animaux dans les élevages

3 La convention européenne sur la protection des animaux dans les élevages (ci-après la "convention") a été adoptée le 10 mars 1976, dans le cadre du Conseil de l'Europe. Elle a été approuvée au nom de la Communauté économique européenne en vertu de l'article 1er de la décision 78-923-CEE du Conseil, du 19 juin 1978 (JO L 323, p. 12).

4 L'article 3 de la convention prévoit que "Tout animal doit bénéficier d'un logement, d'une alimentation et des soins qui - compte tenu de son espèce, de son degré de développement, d'adaptation et de domestication - sont appropriés à ses besoins physiologiques et éthologiques, conformément à l'expérience acquise et aux connaissances scientifiques".

5 En vertu de l'article 4, paragraphe 1, de la convention, la liberté de mouvement propre à l'animal, compte tenu de son espèce et conformément à l'expérience acquise et aux connaissances scientifiques, ne doit pas être entravée de manière à lui causer des souffrances ou des dommages inutiles. Aux termes du paragraphe 2 de cette même disposition, lorsqu'un animal est continuellement ou habituellement attaché, enchaîné ou maintenu, il doit lui être laissé un espace approprié à ses besoins physiologiques et éthologiques, conformément à l'expérience acquise et aux connaissances scientifiques.

6 Conformément à l'article 9, paragraphe 1, de la convention, des recommandations aux parties contractantes sont élaborées et adoptées sous la responsabilité d'un comité permanent en vue de l'application des principes de la convention.

La recommandation concernant les bovins

7 La recommandation de 1988 concernant les bovins (ci-après la "recommandation") a été adoptée par le comité permanent le 21 octobre 1988 et s'applique, en vertu de son article 1er, paragraphe 1, à tous les bovins dans les élevages.

8 L'article 6, paragraphe 3, premier alinéa, de la recommandation dispose que les logements pour les bovins à l'attache ou dans des box devraient être conçus de manière à toujours laisser aux animaux une liberté de mouvement suffisante pour faire leur toilette sans difficulté et leur ménager suffisamment d'espace pour se coucher, se reposer, adopter des postures pour dormir ou s'étirer à leur aise et se relever.

9 L'article 10 prévoit que tous les animaux doivent avoir un accès approprié à une alimentation adéquate, nutritive, hygiénique et équilibrée chaque jour, et à de l'eau en quantité et de qualité adéquates, de façon à conserver toute leur santé et leur vigueur et à satisfaire leurs besoins comportementaux et physiologiques. Une quantité suffisante de fourrage grossier devrait leur être fournie chaque jour.

10 Conformément à son article 20, la recommandation ne sera pas directement applicable dans le droit interne des parties et sa mise en œuvre s'effectuera selon les modalités que chaque partie estimera appropriées, à savoir le cadre de sa législation ou de sa pratique administrative.

L'annexe C de la recommandation

11 L'annexe C de la recommandation, qui prévoit des dispositions spéciales pour les veaux, a été adoptée le 8 juin 1993 par le comité permanent. Conformément à son point 4, les dimensions du box ou de la stalle individuels doivent être appropriées à la taille de l'animal à la fin de son séjour dans ce box ou dans cette stalle.

12 Le point 8 de l'annexe C prévoit que l'éleveur devrait s'assurer que le veau nouveau-né reçoive une quantité suffisante de colostrum de sa mère ou d'une autre source appropriée. Les veaux âgés de plus de deux semaines doivent avoir accès à un régime alimentaire appétant, digeste, nutritif et contenant suffisamment de fer et de fourrage, approprié à leur âge, leur poids et à leurs besoins biologiques afin de rester en bonne santé et vigoureux et de leur permettre d'avoir un comportement normal et un développement normal du rumen. Tous les veaux doivent recevoir une alimentation liquide au moins deux fois par jour pendant les quatre premières semaines et, dans tous les cas, jusqu'à ce qu'ils mangent des quantités adéquates d'une nourriture solide appropriée.

Les dispositions du droit communautaire

Le règlement n° 805-68

13 Conformément à l'article 1er du règlement (CEE) n° 805-68 du Conseil, du 27 juin 1968, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine (JO L 148, p. 24), cette organisation commune comporte un régime des prix et des échanges et régit, notamment, les animaux vivants de l'espèce bovine des espèces domestiques.

14 L'article 22, paragraphe 1, deuxième tiret, du même règlement dispose que toute restriction quantitative ou mesure d'effet équivalent est interdite dans le commerce intérieur de la Communauté.

La directive

15 L'article 3, paragraphe 1, deuxième tiret, et paragraphe 4, de la directive est rédigé comme suit:

"1. Les États membres veillent à ce que, à compter du 1er janvier 1994 et pour une période transitoire de quatre ans, toutes les exploitations nouvellement construites ou reconstruites et/ou mises en service pour la première fois après cette date répondent au moins aux exigences suivantes:

...

- lorsque les veaux sont logés en box individuels ou attachés dans des stalles, les box ou stalles doivent avoir des parois ajourées et leur largeur ne doit pas être inférieure soit à 90 centimètres plus ou moins 10 %, soit à 0,80 fois la hauteur au garrot.

...

4. La durée d'utilisation des installations construites:

- avant le 1er janvier 1994 et qui ne satisfont pas aux exigences du paragraphe 1 ... n'excède en aucun cas le 31 décembre 2003,

- pendant la période transitoire, conformément au paragraphe 1, n'excède en aucun cas le 31 décembre 2007, sauf si elles sont mises en conformité à cette date aux exigences de la présente directive."

16 L'article 4, paragraphe 1, de la directive dispose que les États membres veillent à ce que les conditions relatives à l'élevage des veaux soient conformes aux dispositions générales fixées à l'annexe de ladite directive.

17 Conformément à l'article 11, paragraphe 2, de la directive, à compter de la date fixée au paragraphe 1 en ce qui concerne la protection des veaux, à savoir le 1er janvier 1994, les États membres peuvent, dans le respect des règles générales du traité, maintenir ou appliquer sur leur territoire des dispositions plus strictes que celles prévues par la directive.

18 Le point 7 de l'annexe de la directive dispose que les locaux de stabulation doivent être conçus de manière à permettre à chaque veau de s'étendre, de se reposer, de se relever et de faire sa toilette sans difficulté, ainsi que de voir d'autres veaux.

19 En vertu du point 11 de la même annexe, tous les veaux doivent avoir accès à une alimentation appropriée à leur âge et à leur poids et tenant compte de leurs besoins comportementaux et physiologiques, pour favoriser un bon état de santé et leur bien-être. En particulier, afin d'assurer aux veaux un bon état de santé et de bien-être ainsi qu'un bon taux de croissance et de répondre à leurs besoins comportementaux, leur alimentation devra contenir suffisamment de fer ainsi que, en principe, un minimum d'aliments secs contenant des fibres digestibles.

Les dispositions du droit national

20 Le système de cages à veaux est interdit au Royaume-Uni depuis le 1er janvier 1990 en vertu des Welfare of Calves Regulations 1987 (règlements relatifs au bien-être des veaux, SI 1987 n° 2021).

21 L'interdiction actuellement en vigueur résulte des Welfare of Livestock Regulations (règlements relatifs au bien-être du bétail, SI 1994 n° 2126) et des Welfare of Livestock Regulations (Northern Ireland) (règlements relatifs au bien-être du bétail, Irlande du Nord, SR 1995 n° 172).

Les antécédents du litige au principal

22 Il ressort de l'ordonnance de renvoi qu'entre 500 000 et 600 000 veaux de boucherie ont été exportés annuellement du Royaume-Uni vers d'autres États membres au cours des années antérieures à 1995. Une proportion importante de ces veaux ont ensuite été élevés dans un système de production dénommé "système de cages à veaux", une cage à veaux désignant une structure analogue à un box, utilisée pour loger un seul veau de boucherie.

23 La juridiction de renvoi indique que les conditions d'élevage dans le cadre dudit système ne sont pas conformes aux prescriptions relatives à la largeur minimale des cages à veaux et à la composition de l'alimentation des veaux de boucherie énoncées dans la convention et la recommandation. En effet, à l'âge d'une à deux semaines, les veaux seraient placés dans des structures individuelles analogues à des box et y resteraient jusqu'au moment où ils en seraient retirés pour être abattus, environ cinq mois plus tard.

24 En revanche, il n'est pas contesté que les conditions d'élevage sont conformes aux prescriptions de la directive, compte tenu des dérogations qu'elle autorise à titre temporaire.

25 Il ressort également de l'ordonnance de renvoi que l'exportation de veaux vivants à destination d'autres États membres utilisant le système des cages à veaux est un sujet qui préoccupe considérablement l'opinion publique au Royaume-Uni.

26 La RSPCA et le CIWF sont des organismes dont l'objet est la défense du bien-être des animaux et qui ont notamment un intérêt dans la prévention de la cruauté envers les animaux d'élevage. Ils se sont adressés au ministre en lui demandant d'interdire ou de restreindre l'exportation de veaux en vue de leur élevage dans des cages à veaux. Ils ont fait valoir que le Gouvernement du Royaume-Uni dispose d'un pouvoir discrétionnaire, en vertu du droit communautaire, pour restreindre l'exportation de veaux de boucherie à destination d'autres États membres susceptibles d'utiliser le système d'élevage décrit ci-dessus, en violation des normes en vigueur au Royaume-Uni, ainsi que des normes internationales prévues par la convention, auxquelles tous les États membres et la Communauté ont accepté d'adhérer.

27 Le 22 mai 1995, le ministre a répondu aux demandeurs au principal que le Royaume-Uni n'avait aucun pouvoir pour limiter l'exportation des veaux de boucherie et a déclaré que, en tout état de cause, pour des raisons politiques, il n'était pas disposé, même s'il en avait le pouvoir, à édicter une interdiction.

28 Par conséquent, la RSPCA et le CIWF ont introduit une demande de contrôle juridictionnel d'un acte administratif ("judicial review") devant la High Court. Par la suite, la RSPCA a cessé d'être partie au litige devant la High Court en vertu d'une ordonnance rendue par cette juridiction le 8 mai 1997, qui a été communiquée à la Cour le 21 mai 1997.

Les questions préjudicielles

29 Dans le cadre de cette demande de contrôle juridictionnel, la juridiction de renvoi a jugé que, pour résoudre le litige opposant les parties, il était nécessaire de surseoir à statuer et de soumettre à la Cour les deux questions préjudicielles suivantes:

"Lorsque les circonstances énumérées ci-après sont réunies:

a) Tous les États membres sont parties à la convention européenne sur la protection des animaux dans les élevages, élaborée en 1976 (ci-après la `convention'), et approuvée par la décision 78-923-CEE du Conseil du 19 juin 1978 (JO 1978, L 323, p. 12);

b) la recommandation de 1988 concernant le bétail (ci-après la `recommandation') a été adoptée par le comité permanent institué en application de la convention et est entrée en vigueur dans les conditions prévues par cette dernière;

c) les normes établies par - et prises en application de - la convention comportent des stipulations relatives à la largeur minimale des cages à veaux et à la composition de l'alimentation des veaux de boucherie;

d) la directive 91-629-CEE du Conseil fixe des normes minimales obligatoires pour la protection des veaux inférieures à certains égards, y compris la largeur des cages à veaux et la composition de l'alimentation des veaux, à celles établies par - et prises en application de - la convention;

e) la directive autorise les États membres à maintenir ou à appliquer sur leur territoire des dispositions pour la protection des veaux plus strictes que celles prévues dans cette directive;

f) les veaux de boucherie sont exportés d'un État membre A vers certains autres États membres (les États B) qui ont mis en œuvre la directive et/ou la respectent, mais qui n'ont pas mis en œuvre les normes mentionnées au paragraphe c) ci-dessus, et/ou ne les respectent pas, bien que l'État membre A les ait mises en œuvre et les respecte;

g) l'exportation de veaux en vue de leur élevage dans des conditions contraires à la convention est considérée, dans l'État membre d'exportation, comme cruelle et immorale par des organisations dont l'objet est le bien-être des animaux et par une partie importante de l'opinion publique, soutenues par des experts en matière vétérinaire dont l'avis fait autorité:

1) L'État membre A peut-il se fonder sur l'article 36 du traité CE et, en particulier, sur les raisons de moralité publique, d'ordre public et/ou de protection de la santé et de la vie des animaux que cet article comporte, pour justifier toute restriction à l'exportation de veaux vivants en provenance dudit État en vue de les soustraire aux méthodes d'élevage en cages à veaux utilisées dans les États membres B?

2) Si des dispositions de la directive, à supposer qu'elles soient valides, avaient pour effet d'imposer une réponse négative à la première question, ces dispositions sont-elles alors valides?"

Sur la validité de la directive

30 Par sa seconde question, qu'il convient d'examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi demande en substance si la directive est invalide pour autant qu'elle ne serait pas conforme aux dispositions de la convention et de la recommandation.

31 En ce qui concerne la convention, il y a lieu d'abord d'observer que, à partir de son entrée en vigueur, elle fait partie intégrante de l'ordre juridique communautaire.

32 Cependant, le libellé même des dispositions citées aux points 3 à 6 du présent arrêt fait apparaître que les parties contractantes disposent d'un pouvoir discrétionnaire considérable dans le choix des modalités aptes à mettre en œuvre la convention.

33 Ainsi que M. l'Avocat général l'a relevé au point 132 de ses conclusions, le souci exprimé par la convention de sensibiliser les parties contractantes au maintien de conditions d'élevage respectueuses du bien-être des animaux dans les domaines vitaux ne se traduit pas par la définition de normes dont l'inobservation par la directive pourrait affecter sa validité.

34 En effet, le texte même de ces dispositions fait apparaître qu'elles ont une valeur indicative et qu'elles se bornent à prévoir l'élaboration de recommandations aux parties contractantes en vue de l'application des principes qu'elles énoncent.

35 S'agissant de la recommandation, d'une part, il résulte expressément de son article 20 qu'elle n'est pas directement applicable dans le droit interne des parties et que sa mise en œuvre s'effectue selon les modalités que chaque partie estime appropriées, à savoir dans le cadre de sa législation ou de sa pratique administrative.

36 D'autre part, quand bien même les dispositions de la recommandation, ainsi que de son annexe concernant le logement des bovins et leur alimentation, seraient plus précises que celles de la convention, il n'en reste pas moins qu'un texte de ce genre ne comporte pas de prescriptions juridiquement contraignantes pour les parties contractantes et donc pour la Communauté.

37 Il y a donc lieu de répondre à la seconde question que l'examen de la directive n'a pas révélé d'éléments de nature à affecter sa validité.

Sur la possibilité d'invoquer l'article 36 du traité

38 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande si un État membre qui a mis en œuvre la recommandation élaborée en vue de l'application des principes de la convention peut se fonder sur l'article 36 du traité et, en particulier, sur les raisons de moralité publique, d'ordre public ou de protection de la santé et de la vie des animaux que cette disposition comporte pour justifier des restrictions à l'exportation de veaux vivants en vue de soustraire ces derniers aux méthodes d'élevage en cages à veaux utilisées dans d'autres États membres qui ont mis en œuvre la directive, mais qui n'appliquent pas ladite recommandation.

39 Il convient d'abord de souligner qu'une mesure d'interdiction ou une restriction frappant les exportations de veaux sur pied à partir d'un État membre et à destination d'autres États membres constitue une restriction quantitative à l'exportation, contraire à l'article 34 du traité.

40 Le CIWF ne conteste pas cette constatation, mais soutient qu'une telle restriction serait justifiée au regard de l'article 36 du traité et, par conséquent, compatible avec le droit communautaire.

41 A titre liminaire, il y a lieu de relever que, en présence d'un règlement portant organisation commune des marchés dans un domaine déterminé, les États membres sont tenus de s'abstenir de toute mesure qui serait de nature à y déroger ou à y porter atteinte (voir, notamment, arrêt du 25 novembre 1986, Forest, 148-85, Rec. p. 3449, point 14). Sont également incompatibles avec une organisation commune de marchés les réglementations qui font obstacle à son bon fonctionnement, même si la matière en question n'a pas été réglée de façon exhaustive par l'organisation commune de marchés (voir, en ce sens, arrêts du 25 novembre 1986, Cerafel, 218-85, Rec. p. 3513, point 13, et du 27 novembre 1997, Danisco Sugar, C-27-96, non encore publié au Recueil, point 24).

42 Or, conformément à l'article 1er du règlement n° 805-68, les animaux vivants de l'espèce bovine des espèces domestiques relèvent d'une organisation commune des marchés et doivent, en vertu de l'article 22, paragraphe 1, deuxième tiret, du même règlement, pouvoir circuler librement entre les États membres, les restrictions quantitatives et mesures d'effet équivalent étant interdites dans le commerce intérieur de la Communauté.

43 En outre, la Cour a déjà précisé que sont notamment incompatibles avec les principes d'une organisation commune des marchés toutes dispositions ou pratiques nationales susceptibles de modifier les courants d'importation ou d'exportation par le fait de refuser aux producteurs d'opérer librement les achats et les ventes, à l'intérieur de l'État où ils sont établis ou dans tout autre État membre, dans les conditions déterminées par la réglementation communautaire (arrêt du 29 novembre 1978, Pigs Marketing Board, 83-78, Rec. p. 2347, point 58).

44 En l'espèce, ainsi que le Gouvernement du Royaume-Uni l'a relevé, une interdiction de l'exportation des veaux aurait un effet sur la structure des marchés et, en particulier, un impact considérable sur la formation des prix du marché qui feraient obstacle au bon fonctionnement de l'organisation commune de marchés.

45 Certes, la Cour a dit pour droit, dans l'arrêt du 1er avril 1982, Holdijk e.a. (141-81 à 143-81, Rec. p. 1299), que, en l'état actuel du droit communautaire, celui-ci ne s'oppose pas à ce qu'un État membre maintienne ou introduise des règles unilatérales relatives aux normes qui doivent être observées pour l'aménagement des emplacements de veaux à l'engrais en vue de protéger les animaux et qui s'appliquent indistinctement aux veaux destinés au marché national et aux veaux destinés à l'exportation.

46 Toutefois, cet arrêt portait sur des mesures qu'un État membre n'appliquait que sur son propre territoire. Par ailleurs, il a été rendu avant que le législateur communautaire n'adopte la directive et se fonde expressément sur l'absence, dans les dispositions portant organisation commune des marchés, de toute disposition assurant la protection des animaux dans les élevages (voir arrêt Holdijk e.a., précité, point 13).

47 S'agissant ensuite du recours à l'article 36 du traité, s'il est vrai que cette disposition permet de maintenir des restrictions à la libre circulation des marchandises justifiées par des raisons de moralité publique, d'ordre public ou de protection de la santé et de la vie des animaux, lesquelles constituent des exigences fondamentales reconnues par le droit communautaire, il n'en reste pas moins qu'un tel recours n'est plus possible lorsque des directives communautaires prévoient l'harmonisation des mesures nécessaires à la réalisation de l'objectif spécifique que poursuivrait le recours à l'article 36 (voir, notamment, arrêt du 23 mai 1996, Hedley Lomas, C-5-94, Rec. p. I-2553, point 18). Dans un tel cas, les contrôles appropriés doivent être effectués et les mesures de protection prises dans le cadre tracé par la directive d'harmonisation (voir arrêt du 5 octobre 1994, Centre d'insémination de la Crespelle, C-323-93, Rec. p. I-5077, point 31). A cet égard, les États membres doivent se témoigner une confiance mutuelle en ce qui concerne les contrôles effectués sur leur territoire respectif (voir, en dernier lieu, arrêt Hedley Lomas, point 19).

48 Il convient dès lors de vérifier si ladite directive prévoit l'harmonisation des mesures nécessaires à la protection de la santé des veaux, à savoir l'objectif primaire que poursuivrait le recours à l'article 36.

49 Comme la Cour l'a souligné dans sa jurisprudence, il y a lieu, pour l'interprétation des dispositions de droit communautaire, de tenir compte non seulement des termes de celles-ci, mais également de leur contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elles font partie (voir, notamment, arrêt du 19 octobre 1995, Hönig, C-128-94, Rec. p. I-3389, point 9).

50 S'agissant d'abord des termes de la directive, l'article 3, paragraphe 1, établit des normes relatives à l'espace minimal du logement des veaux. De surcroît, conformément à l'article 4 de la même directive, les États membres veillent à ce que les conditions relatives à l'élevage des veaux soient conformes aux dispositions générales fixées à l'annexe de la directive, notamment les normes minimales applicables au logement ainsi qu'à l'alimentation, qui figurent aux points 7 et 11.

51 Ensuite, pour ce qui est du contexte de la directive, il ressort de ses deux premiers considérants que l'existence de ces dispositions contenant des prescriptions minimales relatives à la protection des veaux trouve son fondement dans une résolution du Parlement européen, du 20 février 1987, sur une politique visant à assurer le bien-être des animaux d'élevage (JO C 76, p. 185), et dans la décision 78-923.

52 Enfin, quant à la finalité de la directive, il ressort de ses cinquième et sixième considérants que celle-ci s'inspire de la nécessité, d'une part, d'éliminer les différences qui, en faussant les conditions de concurrence, "interfèrent avec le bon fonctionnement de l'organisation du marché commun des veaux et des produits dérivés" et, d'autre part, "d'établir les normes minimales communes relatives à la protection des veaux d'élevage et d'engraissement pour garantir le développement rationnel de la production". Par ailleurs, le septième considérant indique que l'objectif de la période intérimaire est simplement de permettre à la Commission de poursuivre activement les recherches scientifiques sur le ou les meilleurs systèmes d'élevage permettant d'assurer le bien-être des veaux.

53 Ainsi, le législateur communautaire a cherché à concilier l'intérêt de la protection des animaux et celui du bon fonctionnement de l'organisation du marché commun des veaux et des produits dérivés.

54 Il résulte donc à la fois du texte de la directive, de son contexte et des objectifs qu'elle poursuit que la directive établit des normes minimales communes pour la protection des veaux confinés à des fins d'élevage et d'engraissement.

55 Toutefois, le CIWF soutient que le large pouvoir discrétionnaire reconnu aux États membres leur permettant d'accorder des dérogations portant sur des périodes très longues, conformément à l'article 3, paragraphe 4, de la directive, indique que la directive n'est pas une mesure d'harmonisation complète excluant le recours à l'article 36.

56 A cet égard, il y a lieu de constater que, en adoptant la directive, le législateur communautaire a fixé, de manière exhaustive, des normes minimales communes précédemment décrites.

57 En outre, les États membres sont obligés de mettre en œuvre ces normes sur leur territoire, selon un calendrier précis, afin d'assurer le bien-être des veaux d'élevage. Les dérogations admises à titre temporaire sont elles-mêmes prévues de manière exhaustive par la directive.

58 On ne saurait objecter à cela que, en vertu de l'article 11, paragraphe 2, de la directive, les États membres peuvent, dans le respect des règles générales du traité, maintenir ou appliquer sur leur territoire des dispositions plus strictes que celles prévues par la directive.

59 En effet, il ressort du libellé de l'article 11, paragraphe 2, de la directive, d'une part, que les mesures autorisées à ce titre, limitées au strict cadre territorial, ne peuvent concerner que les élevages relevant de la compétence de l'État membre en question et, d'autre part, que l'adoption de telles mesures ne saurait être admise que dans le respect des règles générales du traité.

60 Ainsi que le Gouvernement du Royaume-Uni l'a relevé à juste titre, il résulte des termes explicites de cette disposition que les États membres n'ont pas le droit d'adopter des mesures de protection des veaux plus strictes, autres que celles applicables sur leur propre territoire.

61 Or, en adoptant les Welfare of Livestock Regulations 1994 et les Welfare of Livestock Regulations (Northern Ireland) 1995, le Royaume-Uni a, conformément à l'article 11, paragraphe 2, de la directive, appliqué sur son territoire des dispositions plus strictes que celles prévues par la directive.

62 Toutefois, une interdiction à l'exportation instaurée en raison des conditions prévalant dans d'autres États membres qui ont par ailleurs mis en œuvre la directive se situerait en dehors de la dérogation instituée par l'article 11, paragraphe 2, de la directive. En effet, une interdiction à l'exportation telle que celle exigée par le CIWF porterait atteinte à l'harmonisation effectuée par la directive.

63 Dans ces conditions, le fait que les États membres soient autorisés à prendre sur leur propre territoire des mesures de protection plus strictes que celles prévues par une directive n'est pas de nature à écarter la conclusion que la directive a réglementé de façon exhaustive les pouvoirs des États membres dans le domaine de la protection des veaux d'élevage (voir, en ce sens, arrêt du 23 mai 1990, Van den Burg, C-169-89, Rec. p. I-2143, points 9 et 12).

64 Il s'ensuit qu'un État membre ne saurait restreindre les exportations de veaux vers d'autres États membres en se fondant sur l'article 36 du traité pour des raisons tenant à la protection de la santé des animaux, qui constitue l'objectif spécifique de l'harmonisation effectuée par la directive.

65 Il convient encore d'examiner si un État membre peut invoquer l'article 36 en vue de restreindre les exportations de veaux à destination d'autres États membres pour des raisons tenant à la protection de l'ordre public ou de la moralité publique, qui ne font pas l'objet de la directive.

66 A cet égard, il y a lieu de constater que, pour étayer ces justifications, le CIWF n'a fait état que du point de vue et des réactions d'une partie de l'opinion publique nationale, selon laquelle le système mis en place par la directive ne protégerait pas de manière adéquate la santé des animaux. Dans ces conditions, l'ordre public et la moralité publique ne sont en réalité pas invoqués à titre autonome, mais se confondent avec la justification tenant à la protection de la santé des animaux, qui fait l'objet de la directive d'harmonisation.

67 Par ailleurs, un État membre ne saurait se fonder sur le point de vue ou sur le comportement d'une partie de l'opinion publique nationale, ainsi que le CIWF le fait valoir, pour remettre en cause unilatéralement une mesure d'harmonisation arrêtée par les institutions communautaires.

68 Dès lors, il est également exclu que l'article 36 puisse être invoqué au titre de la protection de l'ordre public ou de la moralité publique dans des circonstances telles que celles de l'espèce au principal.

69 Il s'ensuit qu'un État membre qui a mis en œuvre la recommandation élaborée en vue de l'application des principes de la convention ne peut se fonder sur l'article 36 du traité et, en particulier, sur les raisons de moralité publique, d'ordre public ou de protection de la santé et de la vie des animaux que cet article comporte pour justifier des restrictions à l'exportation de veaux vivants en vue de soustraire ces derniers aux méthodes d'élevage en cages à veaux utilisées dans d'autres États membres qui ont mis en œuvre la directive, mais qui n'appliquent pas ladite recommandation.

Sur les dépens

70 Les frais exposés par les Gouvernements du Royaume-Uni et français, ainsi que par le Conseil de l'Union européenne et la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

Statuant sur les questions à elle soumises par la High Court of Justice, Queen's Bench Division, par ordonnance du 12 décembre 1995, dit pour droit:

1) L'examen de la directive 91-629-CEE du Conseil, du 19 novembre 1991, établissant les normes minimales relatives à la protection des veaux, n'a pas révélé d'éléments de nature à affecter sa validité.

2) Un État membre qui a mis en œuvre la recommandation de 1988 concernant les bovins élaborée en vue de l'application des principes de la convention européenne sur la protection des animaux dans les élevages ne peut se fonder sur l'article 36 du traité CE et, en particulier, sur les raisons de moralité publique, d'ordre public ou de protection de la santé et de la vie des animaux que cet article comporte pour justifier des restrictions à l'exportation de veaux vivants en vue de soustraire ces derniers aux méthodes d'élevage en cages à veaux utilisées dans d'autres États membres qui ont mis en œuvre la directive 91-629, mais qui n'appliquent pas ladite recommandation.