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Décisions

CJCE, 5e ch., 13 septembre 2001, n° C-169/99

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Hans Schwarzkopf GmbH & Co. KG

Défendeur :

Zentrale zur Bekämpfung unlauteren Wettbewerbs eV

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. La Pergola

Avocat général :

M. Mischo

Juges :

M. Wathelet, Edward, Jann, Sevón

Avocats :

Mes Brändel, Jordan, von Gierke

CJCE n° C-169/99

13 septembre 2001

LA COUR (cinquième chambre),

1 Par ordonnance du 25 mars 1999, parvenue à la Cour le 5 mai suivant, le Bundesgerichtshof a posé, en application de l'article 234 CE, deux questions préjudicielles sur l'interprétation de l'article 6, paragraphe 1, sous d), dernière phrase, de la directive 76-768-CEE du Conseil, du 27 juillet 1976, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux produits cosmétiques (JO L 262, p. 169), telle que modifiée par la directive 93-35-CEE du Conseil, du 14 juin 1993 (JO L 151, p. 32), combiné aux dispositions des articles 30 et 36 du traité CE (devenus, après modification, articles 28 CE et 30 CE).

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant la société Hans Schwarzkopf GmbH & Co. KG (ci-après "Schwarzkopf") à la Zentrale zur Bekämpfung unlauteren Wettbewerbs eV (ci-après la "ZBUW") au sujet de l'étiquetage de produits cosmétiques fabriqués et distribués par Schwarzkopf.

Le cadre juridique communautaire

3 Il ressort du quatrième considérant de la directive 76-768 qu'elle vise à déterminer au niveau communautaire les règles qui doivent être observées en ce qui concerne la composition, l'étiquetage et l'emballage des produits cosmétiques.

4 L'article 6, paragraphe 1, sous d), de la directive 76-768, dans sa version résultant de l'article 1er, point 4, de la directive 88-667-CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, portant quatrième modification de la directive 76-768 (JO L 382, p. 46), dispose:

"Les États membres prennent toute disposition utile pour que les produits cosmétiques ne puissent être mis sur le marché que si le récipient et l'emballage portent en caractères indélébiles, facilement lisibles et visibles, les mentions suivantes:

[...]

d) les précautions particulières d'emploi, et notamment celles indiquées dans la colonne Conditions d'emploi et avertissements à reprendre obligatoirement sur l'étiquetage des annexes III, IV, VI et VII, qui doivent figurer sur le récipient et sur l'emballage, ainsi que d'éventuelles indications concernant des précautions particulières à observer pour les produits cosmétiques à usage professionnel, notamment ceux destinés aux coiffeurs. En cas d'impossibilité pratique, ces indications doivent figurer sur une notice jointe, avec indication abrégée sur le récipient et l'emballage, renvoyant le consommateur auxdites indications".

5 L'article 6, paragraphe 1, sous d), dernière phrase, de la directive 76-768, tel que modifié par l'article 1er, point 6, de la directive 93-35, prévoit:

"En cas d'impossibilité pratique, une notice, une étiquette, une bande ou une carte jointe doit comporter ces indications auxquelles le consommateur doit être renvoyé soit par une indication abrégée, soit par le symbole de l'annexe VIII, qui doit figurer sur le récipient et l'emballage".

6 L'article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive 76-768 énonce:

"1. Les États membres ne peuvent, pour des raisons concernant les exigences contenues dans la présente directive et ses annexes, refuser, interdire ou restreindre la mise sur le marché des produits cosmétiques qui répondent aux prescriptions de la présente directive et de ses annexes.

2. Toutefois, ils peuvent exiger que les indications prévues à l'article 6 paragraphe 1 sous b), c) et d) soient libellées au moins dans leur(s) langue(s) nationale(s) ou officielle(s)."

7 L'article 7 de la directive 76-768 a été modifié pour la première fois par la directive 93-35. Dans sa version résultant de l'article 1er, point 10, de la directive 93-35, l'article 7, paragraphe 2, de la directive 76-768 dispose:

"Toutefois, ils peuvent exiger que les indications prévues à l'article 6 paragraphe 1 points b), c), d) et f) soient libellées au moins dans leur(s) langue(s) nationale(s) ou officielle(s); en outre, ils peuvent exiger que les indications prévues à l'article 6 paragraphe 1 point g) soient libellées dans une langue facilement compréhensible par les consommateurs. À cet effet, la Commission arrête une nomenclature commune des ingrédients, conformément à la procédure prévue à l'article 10."

Le droit national

8 La Kosmetik-Verordnung (règlement allemand relatif aux produits cosmétiques), du 19 juin 1985 (BGBl. 1985 I, p. 1082), telle que modifiée à partir du 1er janvier 1997 par la Fünfundzwanzigste Verordnung zur Änderung der Kosmetik-Verordnung (règlement modifiant, pour la vingt-cinquième fois, le règlement relatif aux produits cosmétiques), du 23 décembre 1996 (BGBl. 1996 I, p. 2186), dispose en son article 4, paragraphe 2, deuxième phrase:

"Si, pour des raisons pratiques, l'intégralité du libellé des indications ne peut pas figurer sur le récipient et l'emballage, ces indications doivent figurer sur une notice, une étiquette, un papier ou une carte joints, indications auxquelles le consommateur est renvoyé par une indication abrégée sur le récipient et l'emballage ou par le symbole figurant à l'annexe 8."

Le litige au principal et les questions préjudicielles

9 Parmi les produits capillaires fabriqués et distribués par Schwarzkopf figurent des teintures dénommées "Igora Royal". Ces teintures sont destinées aux coiffeurs et aux autres utilisateurs professionnels, et non aux consommateurs privés. Elles contiennent des substances chimiques telles que les diaminotoluènes et la résorcine.

10 Selon la Kosmetik-Verordnung, il convient de signaler la présence de ces deux types de substances par les avertissements suivants:

- pour les diaminotoluènes: "Réservé aux professionnels. Contient des diaminotoluènes. Peut provoquer une réaction allergique. Porter des gants appropriés",

- pour la résorcine: "Réservé aux professionnels. Contient de la résorcine. Rincer immédiatement les yeux si le produit entre en contact avec ceux-ci".

11 Schwarzkopf n'a inscrit ces avertissements de manière complète que sur la notice jointe aux produits concernés. Sur la boîte d'emballage et sur le tube servant de récipient figure seulement, en neuf langues (allemand, français, néerlandais, anglais, espagnol, suédois, italien, portugais et arabe), l'indication abrégée suivante: "Réservé aux professionnels. Attention: lire le mode d'emploi et les avertissements".

12 La ZBUW, qui est une organisation de défense des intérêts économiques des entreprises ayant pour objet, en particulier, de combattre la concurrence déloyale, estime que Schwarzkopf est tenue de faire apparaître le libellé complet des avertissements tant sur l'emballage que sur le récipient dans la langue officielle du pays de distribution concerné, ce qui, si l'on se limite à cette langue, pourrait se faire sans aucun problème.

13 La ZBUW a donc demandé en justice qu'il soit fait interdiction à Schwarzkopf de commercialiser les produits concernés tant que les avertissements prescrits ne seront pas inscrits sur leur emballage et leur récipient. Elle a également présenté une demande subsidiaire relative à la rédaction de la notice et à l'indication figurant sur le récipient. Schwarzkopf s'est opposée à ces demandes en faisant valoir que la réglementation nationale applicable prévoyait la possibilité de renoncer, "pour des raisons pratiques", à faire figurer le libellé complet des avertissements sur l'emballage et le récipient.

14 La décision prononcée en première instance n'a fait droit qu'à la demande subsidiaire de la ZBUW. En revanche, sa demande principale a été accueillie par la décision rendue en appel. Schwarzkopf s'est alors pourvue en "Revision" devant le Bundesgerichtshof contre cette dernière décision.

15 Jugeant que le succès du pourvoi en "Revision" dépendait de l'interprétation de la directive 76-768, telle que modifiée par la directive 88-667, et des articles 30 et 36 du traité, le Bundesgerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"Convient-il d'interpréter la notion d'impossibilité pratique figurant à l'article 6, paragraphe 1, sous d), seconde phrase, de la directive [76-768, dans sa version résultant de la directive 88-667,] en ce sens qu'elle autorise également la présentation des avertissements prescrits en plusieurs langues, telle que jugée utile - pour des considérations d'ordre économique et en vue de faciliter la circulation à l'intérieur de la Communauté - par une entreprise de production ou de distribution de produits cosmétiques, si, du fait de cette présentation, le libellé complet de l'avertissement n'apparaît clairement que sur la notice jointe et que, en raison du peu d'espace disponible, on ne peut porter qu'une indication abrégée sur l'emballage et le récipient ? Concrètement: est-il permis à une entreprise d'omettre, sur l'emballage et le récipient, l'indication du libellé complet de l'avertissement et de n'y faire figurer qu'une indication abrégée si, en raison de l'impossibilité pratique précitée, cette entreprise juge qu'il est utile de commercialiser ses produits sous une présentation uniforme en neuf langues dans différents États (dont huit sont membres de l'Union européenne) ?"

Sur la version pertinente de la directive 76-768

16 La Commission fait valoir que la version de la directive 76-768 à interpréter n'est pas celle résultant de la directive 88-667, à laquelle les questions préjudicielles se réfèrent dans l'ordonnance de renvoi, mais celle résultant de la directive 93-35.

17 À cet égard, il convient de relever que le Bundesgerichtshof a constaté dans son ordonnance de renvoi qu'est applicable à l'affaire au principal la Kosmetik-Verordnung dans sa version en vigueur à compter du 1er janvier 1997. Or, cette version de la Kosmetik-Verordnung est celle qui résulte de la transposition de la directive 93-35 en droit allemand.

18 La version de la directive 76-768 que la Cour est appelée à interpréter n'est donc pas la version résultant de la directive 88-667, mais celle résultant de la directive 93-35 (ci-après la "directive 76-768 modifiée"). En tout état de cause, ainsi que l'a relevé M. l'avocat général au point 17 de ses conclusions, l'expression "impossibilité pratique", dont l'interprétation est essentielle pour la réponse aux questions préjudicielles, figure à l'article 6, paragraphe 1, sous d), dernière phrase, de la directive 76-768 dans chacune de ces deux versions.

Sur les questions préjudicielles

19 Par ses questions, qui concernent le même problème juridique, la juridiction de renvoi cherche en substance à savoir si, au sens de l'article 6, paragraphe 1, sous d), dernière phrase, de la directive 76-768 modifiée, il existe une "impossibilité pratique" d'inscrire de manière complète les avertissements obligatoires sur le récipient et l'emballage d'un produit cosmétique dans la langue ou les langues prescrites dans l'État membre de commercialisation, lorsque la volonté du producteur ou du distributeur d'étiqueter ce produit en neuf langues dont huit sont des langues officielles de la Communauté, pour des considérations d'ordre économique et en vue de faciliter la circulation du produit à l'intérieur de la Communauté, impose d'abréger lesdits avertissements sur le récipient et l'emballage.

Observations soumises à la Cour

20 Schwarzkopf soutient que les cas d'"impossibilité pratique", permettant de déroger à l'obligation de faire figurer les avertissements complets sur le récipient et l'emballage, ne se limitent pas aux seuls cas d'impossibilité objective. Elle explique avoir eu l'intention de créer une présentation uniforme de la gamme de produits en cause au principal afin de permettre une distribution desdits produits dans toute la Communauté et de tenir compte de l'internationalisation croissante du commerce comme de la variété linguistique grandissante dans les États membres. Son objectif aurait été, notamment, de permettre aux citoyens européens de comprendre les avertissements prévus par la directive 76-768 lorsqu'ils travaillent dans un État membre où l'on ne parle pas leur langue maternelle.

21 Selon Schwarzkopf, il importe de garder à l'esprit que les produits en cause au principal sont destinés exclusivement à des utilisateurs professionnels, qui les emploient quotidiennement, de sorte que l'on peut supposer que, pour ces personnes, contrairement à ce qui serait le cas pour des consommateurs finals, les avertissements figurant sur la notice suffisent. Schwarzkopf ajoute qu'une interprétation stricte de la notion d'"impossibilité pratique" doit être rejetée vu l'entrave à la libre circulation des marchandises qui en résulterait.

22 La ZBUW soutient qu'une appréciation des intérêts en cause ainsi que l'objectif, poursuivi par la directive 76-768, de protection de la santé publique plaident pour une interprétation stricte de la notion d'"impossibilité pratique". Selon elle, cette notion couvre les difficultés d'ordre technique qui rendent impossible l'inscription adéquate de certaines indications sur les récipients. S'il est vrai que des raisons pratiques ne sauraient être assimilées à une impossibilité totale de porter les indications en question sur le récipient lui-même, des considérations de nature purement économique ne sauraient cependant suffire.

23 Les Gouvernements ayant soumis des observations à la Cour, à savoir les Gouvernements français, néerlandais et finlandais, considèrent qu'il convient d'interpréter la notion d'"impossibilité pratique" d'une manière stricte, compatible avec les objectifs de protection de la santé publique et d'information des consommateurs.

24 Le Gouvernement finlandais ajoute que la directive 76-768 vise à protéger non seulement la santé des consommateurs, mais également celle des utilisateurs professionnels. En effet, le risque sanitaire serait souvent plus élevé pour ces derniers du fait d'une utilisation répétée des produits. Le Gouvernement français précise pour sa part que les clients ont tout intérêt à ce que les utilisateurs professionnels, en tant que prestataires de services, respectent à leur égard toutes les règles de sécurité.

25 Le Gouvernement néerlandais fait valoir qu'une "impossibilité pratique" pourrait résulter notamment soit du volume ou de la forme particuliers du produit concerné (par exemple, un tube de rouge à lèvres de format très réduit ou un crayon pour les yeux), soit d'une présentation particulière, usuelle pour le produit concerné (par exemple, des briques de savon non emballées ou des perles de bain). Ce ne serait que dans de telles circonstances que l'obligation d'information optimale du consommateur en vue d'une utilisation du produit en toute sécurité pourrait être satisfaite par une notice séparée.

26 La Commission estime extrêmement douteux que des raisons purement économiques puissent aboutir à une "impossibilité pratique" au sens de l'article 6, paragraphe 1, sous d), de la directive 76-768 modifiée et, partant, elle propose de répondre par la négative aux questions préjudicielles.

Appréciation de la Cour

27 Il convient tout d'abord de constater que le législateur communautaire entendait, en adoptant la directive 76-768, concilier l'objectif de la libre circulation des produits cosmétiques et celui de la sauvegarde de la santé publique.

28 En effet, ainsi qu'il ressort des deuxième et troisième considérants de la directive 76-768, le législateur communautaire, estimant que les différences entre les dispositions nationales relatives aux produits cosmétiques contraignaient les producteurs à différencier leur production selon l'État membre de destination et que ces différences entravaient la libre circulation desdits produits, a toutefois constaté que ces dispositions nationales poursuivaient un objectif de sauvegarde de la santé publique et que, en conséquence, l'harmonisation communautaire en la matière devait s'inspirer du même objectif. Les modifications apportées ultérieurement à la directive 76-768 ont été guidées par les mêmes considérations.

29 Il y a lieu de relever ensuite que l'article 6, paragraphe 1, sous d), de la directive 76-768 modifiée n'opère pas de distinction, en ce qui concerne le niveau de protection de la santé publique, entre différents groupes d'utilisateurs. S'il est vrai que cette disposition fait référence aux précautions particulières à observer pour les produits cosmétiques à usage professionnel, cela n'est pas dans le but de prévoir un régime spécial pour les utilisateurs professionnels, mais uniquement dans celui de définir les indications qui doivent être portées sur le récipient et l'emballage desdits produits.

30 Il ressort du dossier qu'il est important que les précautions d'emploi à observer soient portées à la connaissance des coiffeurs et des autres utilisateurs professionnels afin d'assurer tant la protection de leur propre santé que celle de la santé de leurs clients. Les diaminotoluènes peuvent en effet provoquer des réactions allergiques, si bien que le port de gants appropriés est conseillé lors de l'usage. Quant à la résorcine, si elle entre en contact avec les yeux, il convient de rincer ceux-ci immédiatement.

31 Il importe enfin de constater que la dernière phrase de l'article 6, paragraphe 1, sous d), de la directive 76-768 modifiée constitue une exception à la règle énoncée par le reste de cette disposition et doit, par conséquent, recevoir une interprétation stricte.

32 Cependant, il est constant que les cas d'"impossibilité pratique" ne coïncident pas nécessairement avec les cas d'impossibilité objective ou absolue. En effet, il ne serait pas nécessaire d'invoquer l'objectif de protection de la santé publique ou un autre but d'intérêt général pour justifier la violation d'une obligation de droit communautaire si le respect de cette obligation était objectivement impossible.

33 Il s'ensuit que la notion d'"impossibilité pratique" doit avoir une signification plus large, couvrant notamment les cas où la mention complète des avertissements prescrits est objectivement possible, mais seulement au prix de l'utilisation de caractères d'une taille si petite qu'ils deviendraient presque illisibles, ainsi que les cas où les avertissements complets, imprimés en utilisant des caractères lisibles, couvriraient la quasi-totalité du produit de sorte que le producteur ne serait plus en mesure d'inscrire utilement sur le produit sa dénomination et d'autres informations y relatives.

34 Sauf si les dimensions du récipient et de l'emballage du produit concerné sont réglementées par des prescriptions légales particulières, il convient, pour établir s'il est possible ou non d'y inscrire de manière complète les avertissements obligatoires, de se fonder sur les dimensions du récipient et de l'emballage du produit prévues par le producteur. Le fait qu'il soit possible d'accroître ces dimensions pour y faire figurer lesdits avertissements de manière complète et lisible sans priver le producteur de la possibilité d'inscrire d'autres informations relatives au produit ne saurait empêcher celui-ci d'invoquer un cas d'"impossibilité pratique".

35 En revanche, la volonté du producteur ou du distributeur du produit concerné de faciliter la circulation de celui-ci à l'intérieur de la Communauté ne suffit pas en soi pour justifier une mention incomplète des avertissements obligatoires. La notion d'"impossibilité" faisant, de manière générale, référence à une donnée de fait sur laquelle celui qui l'invoque n'a pas de prise, elle ne saurait être comprise comme permettant au producteur ou au distributeur du produit, à cause du nombre de langues, communautaires ou non, qu'il choisit d'utiliser, d'invoquer à sa convenance un cas d'"impossibilité pratique" au sens de l'article 6, paragraphe 1, sous d), dernière phrase, de la directive 76-768 modifiée.

36 Cette interprétation de l'article 6, paragraphe 1, sous d), dernière phrase, de la directive 76-768 modifiée est conforme aux prescriptions du traité et, notamment, à celles de ses articles 30 et 36.

37 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l'interdiction des restrictions quantitatives ainsi que des mesures d'effet équivalent vaut non seulement pour les mesures nationales, mais également pour les mesures émanant des institutions communautaires (voir, notamment, en ce sens, arrêt du 9 août 1994, Meyhui, C-51-93, Rec. p. I-3879, point 11).

38 Il est également de jurisprudence constante que l'article 30 du traité prohibe les obstacles à la libre circulation des marchandises résultant de règles relatives aux conditions auxquelles doivent répondre ces marchandises (telles que celles qui concernent leur dénomination, leur forme, leurs dimensions, leur poids, leur composition, leur présentation, leur étiquetage ou leur conditionnement), même si ces règles sont indistinctement applicables à tous les produits nationaux et importés, dès lors que cette application ne peut être justifiée par un but d'intérêt général de nature à primer les exigences de la libre circulation des marchandises (voir, notamment, arrêt du 3 juin 1999, Colim, C-33-97, Rec. p. I-3175, point 38).

39 Il est vrai que des exigences linguistiques nationales telles que celles autorisées par l'article 7, paragraphe 2, de la directive 76-768 modifiée constituent une entrave au commerce intracommunautaire dans la mesure où les produits concernés doivent être pourvus, selon la langue ou les langues prescrites dans l'État membre de commercialisation, d'un étiquetage différent, ce qui entraîne des frais supplémentaires de conditionnement. La nécessité de modifier le récipient ou l'emballage exclut en outre qu'il s'agisse de modalités de vente au sens de l'arrêt du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard (C-267-91 et C-268-91, Rec. p. I-6097, point 16).

40 Ces entraves se justifient pourtant par le but d'intérêt général que constitue la protection de la santé publique. En effet, les informations que les producteurs ou les distributeurs des produits cosmétiques visés par la directive 76-768 modifiée ont l'obligation de faire figurer sur le récipient et l'emballage du produit, sauf lorsqu'elles peuvent être transmises efficacement par l'utilisation de pictogrammes ou de signes autres que des mots, sont dépourvues d'utilité pratique si elles ne sont pas libellées dans une langue compréhensible pour les personnes auxquelles elles sont destinées (voir, s'agissant de denrées alimentaires, arrêt Colim, précité, point 29).

41 Il y a lieu d'ajouter que l'obligation d'inscrire les avertissements obligatoires de manière complète ne doit pas rendre excessivement difficile la commercialisation des produits cosmétiques sous la même présentation dans plusieurs États membres. On ne peut toutefois pas considérer que la commercialisation est rendue excessivement difficile lorsque le droit dérivé est interprété en ce sens qu'il empêche un producteur ou un distributeur de produits cosmétiques voulant commercialiser ses produits en neuf langues, dont huit sont des langues officielles de la Communauté, d'invoquer un cas d"impossibilité pratique" pour se soustraire à l'obligation de faire figurer les avertissements obligatoires de manière complète sur le récipient et l'emballage.

42 Il convient donc de répondre aux questions préjudicielles qu'il n'existe pas, au sens de l'article 6, paragraphe 1, sous d), dernière phrase, de la directive 76-768 modifiée, une "impossibilité pratique" d'inscrire de manière complète les avertissements obligatoires sur le récipient et l'emballage d'un produit cosmétique dans la ou les langues prescrites dans l'État membre de commercialisation, lorsque la volonté du producteur ou du distributeur d'étiqueter ce produit en neuf langues dont huit sont des langues officielles de la Communauté, pour des considérations d'ordre économique et en vue de faciliter la circulation du produit à l'intérieur de la Communauté, impose d'abréger lesdits avertissements sur le récipient et l'emballage.

Sur les dépens

43 Les frais exposés par les Gouvernements français, néerlandais et finlandais, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par le Bundesgerichtshof, par ordonnance du 25 mars 1999, dit pour droit:

Il n'existe pas, au sens de l'article 6, paragraphe 1, sous d), dernière phrase, de la directive 76-768-CEE du Conseil, du 27 juillet 1976, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux produits cosmétiques, telle que modifiée par la directive 93-35-CEE du Conseil, du 14 juin 1993, une "impossibilité pratique" d'inscrire de manière complète les avertissements obligatoires sur le récipient et l'emballage d'un produit cosmétique dans la ou les langues prescrites dans l'État membre de commercialisation, lorsque la volonté du producteur ou du distributeur d'étiqueter ce produit en neuf langues dont huit sont des langues officielles de la Communauté, pour des considérations d'ordre économique et en vue de faciliter la circulation du produit à l'intérieur de la Communauté, impose d'abréger lesdits avertissements sur le récipient et l'emballage.