CJCE, 6e ch., 25 mai 1993, n° C-271/92
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Laboratoire de prothèses oculaires
Défendeur :
Union nationale des syndicats d'opticiens de France et Groupement d'opticiens lunetiers détaillants et Syndicat des opticiens français indépendants et Syndicat national des adapteurs d'optique de contact
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Kakouris
Avocat général :
M. Tesauro
Juges :
MM. Mancini, Schockweiler, Díez de Velasco, Kapteyn
Avocats :
Me Levis, Monod
LA COUR (sixième chambre),
1 Par arrêt du 2 juin 1992, parvenu à la Cour le 16 juin suivant, la Cour de cassation a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 30 et 36 du traité en ce qui concerne le code de la santé publique français qui interdit la vente de verres correcteurs par des personnes non titulaires du diplôme d'opticien-lunetier ou d'un titre équivalent.
2 Ces questions ont été posées dans le cadre d'un litige opposant la société LPO, qui commercialise des lentilles de contact, des implants intra-oculaires et du matériel connexe, à plusieurs organisations professionnelles d'opticiens-lunetiers qui estiment que la société LPO enfreint les dispositions du code de la santé publique relatives à la vente de ces produits.
3 La Cour de cassation, saisie en dernière instance de ce litige, a décidé de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice se soit prononcée à titre préjudiciel sur les questions suivantes:
"1. L'article 30 du traité CEE doit-il être interprété en ce sens qu'il serait applicable à des ventes de lentilles de contact et de leurs produits connexes, soumises à des conditions semblables à celles prescrites par les articles L. 505 et L. 508 du Code de la santé publique réservant aux seuls titulaires du diplôme d'opticien-lunetier la vente d'optique-lunetterie et de verres-correcteurs?
2. Une telle législation peut-elle être justifiée par des exigences impératives tenant à la protection des consommateurs ou par des raisons de protection de la santé et de la vie des personnes telles qu'elles figurent à l'article 36 du traité CEE?"
4 Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
Sur la première question
5 Il y a lieu d'observer à titre liminaire que le droit communautaire ne comporte pas de règles communes ou harmonisées régissant la distribution des lentilles de contact. Il en résulte que la détermination des dispositions applicables en cette matière relève de la compétence des États membres, à condition que soient respectées les dispositions du traité et, notamment, celles relatives à la libre circulation des marchandises.
6 Il résulte du dossier de l'affaire au principal et des observations écrites et orales présentées à la Cour que la législation française qui fait l'objet du litige au principal est indistinctement applicable aux produits nationaux et importés et n'exerce pas d'effets directs sur les importations.
7 Toutefois, s'agissant d'une législation interdisant certaines formes de commercialisation, il convient de rappeler que la Cour a jugé qu'une législation nationale qui confère à une catégorie professionnelle déterminée la distribution de certains produits, par le fait qu'elle canalise les ventes, est susceptible d'affecter les possibilités de commercialisation des produits importés et peut, dans ces conditions, constituer une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation au sens de l'article 30 du traité (arrêts du 21 mars 1991, Delattre, C-369-88, Rec. I-1487, point 51, Monteil, C-60-89, Rec. I-1547, point 38).
8 Il en découle qu'une législation du type de celle en cause dans le litige au principal, qui réserve les ventes des lentilles de contact et des produits connexes à des intermédiaires spécialisés, est susceptible d'avoir une incidence sur les échanges intracommunautaires.
9 Il y a donc lieu de répondre à la première question que l'article 30 du traité doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une législation nationale qui réserve la vente d'optique-lunetterie et de verres-correcteurs aux seuls titulaires du diplôme d'opticien-lunetier.
Sur la seconde question
10 Pour ce qui est de la justification d'une telle législation sur la base de l'article 36 du traité pour des raisons tenant à la protection de la santé publique, il résulte de la jurisprudence de la Cour (arrêt du 25 juillet 1991, Aragonesa, point 16, C-1-90 et C-176-90, Rec. p. I-4151) qu'il appartient aux États membres, en l'absence de règles communes ou harmonisées, de décider du niveau auquel ils entendent assurer cette protection de la santé publique et de la manière dont ce niveau doit être atteint. Ils ne peuvent cependant le faire que dans les limites tracées par le traité et, en particulier, dans le respect du principe de proportionnalité.
11 A cet égard, il y a lieu de relever qu'une législation nationale qui réserve la vente de produits destinés à corriger les défauts d'une fonction propre à l'organisme humain à des opérateurs qualifiés, titulaires d'un diplôme professionnel en la matière, vise un objectif de protection de la santé publique. En effet, la vente des lentilles de contact, même si la prescription relève de la compétence de l'oculiste, ne saurait être considérée comme une activité commerciale similaire à toute autre, puisque le vendeur doit être en mesure de fournir aux utilisateurs des informations relatives à l'usage des lentilles et à leur entretien.
12 Il convient d'ajouter qu'une législation du type de celle en cause dans l'affaire au principal ne contrevient pas au principe de proportionnalité. En effet, le fait de réserver aux opticiens la vente des lentilles de contact et des produits connexes est apte à garantir la protection de la santé publique. Aucun élément du dossier ne fait apparaître qu'une telle législation va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.
13 Il y a lieu, dès lors, de répondre à la seconde question que l'article 36 du traité doit être interprété en ce sens qu'une législation nationale qui interdit la vente des lentilles de contact et des produits connexes dans des établissements commerciaux qui ne sont pas dirigés ou gérés par des personnes remplissant les conditions nécessaires pour l'exercice de la profession d'opticien-lunetier est justifiée pour des raisons tenant à la protection de la santé publique.
Sur les dépens
14 Les frais exposés par le Gouvernement français, par le Gouvernement hellénique et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre),
Statuant sur les questions à elle soumises par la Cour de cassation, par arrêt du 2 juin 1992, dit pour droit:
1) L'article 30 du traité CEE doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une législation nationale qui réserve la vente d'optique-lunetterie et de verres-correcteurs aux seuls titulaires du diplôme d'opticien-lunetier.
2) L'article 36 du traité CEE doit être interprété en ce sens qu'une législation nationale qui interdit la vente des lentilles de contact et des produits connexes dans des établissements commerciaux qui ne sont pas dirigés ou gérés par des personnes remplissant les conditions nécessaires pour l'exercice de la profession d'opticien-lunetier est justifiée pour des raisons tenant à la protection de la santé publique.