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Décisions

CA Versailles, 3e ch., 19 janvier 2001, n° 99-03421

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Perrault

Défendeur :

Claudel

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Guirimand

Conseillers :

Mmes Simonnot, Prager-Bouyala

Avoués :

SCP Debray/Chemin, SCP Merle-Carena-Doron

Avocats :

Mes Fouchet, Jouanneau

TGI Versailles, 1re ch., du 9 mars 1999

9 mars 1999

Faits et procédure

Le 26 février 1993, M. Claudel a vendu à M. Perrault un tableau, "L'amie an glaise ", attribué à Camille Claudel, pour le prix de 600 000 F.

Le 10 mars 1993, M. Perrault a revendu ce tableau au prix de 1 000 000 de F à Mmes Lizambard et Millet.

Faisant valoir qu'il avait appris, après la publication du catalogue raisonné de l'œuvre de Camille Claudel par Mmes Aime Riviere et Danielle Ghanassia et par M. Gaudichon que ce tableau était en réalité de Charles Antoine Claudel, et qu'il avait dû rembourser les acquéreurs de l'œuvre, M. Perrault, par acte en date du 12 septembre 1997, a fait assigner M. Claudel, aux fins de résolution de la vente du 26 février 1993, sur le fondement des articles 1183 et 1184 du Code civil, et subsidiairement sur le fondement des articles 1110 et suivants du même Code, aux fins d'annulation pour erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue.

Par jugement en date du 9 mars 1999, le Tribunal de grande instance de Versailles a:

- déclaré M. Perrault irrecevable en ses demandes,

- dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- condamné M. Perrault aux dépens.

M. Perrault a relevé appel du jugement.

Il demande à la cour de réformer le jugement et:

- à titre principal, d'ordonner la résolution de la vente pour non conformité,

- à titre subsidiaire, d'ordonner l'annulation de la vente pour erreur sur les qualités substantielles de la chose,

- de condamner M. Claudel à lui restituer le prix de la vente, soit 600 000 F, avec intérêts échus depuis le 26 février 1993, date de la vente, jusqu'à parfait paiement,

- de condamner M. Claudel au paiement de la somme de 400 000 F à titre de dommages-intérêts, pour dommage financier, et la somme de 200 000 F au titre du préjudice professionnel et moral,

- de dire M. Claudel irrecevable en son appel incident, et à tout le moins, de l'en débouter,

- de le dire irrecevable ou mal fondé en toutes ses prétentions,

- de condamner M. Claudel à lui verser la somme de 25 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

M. Perrault expose que:

- il est à nouveau entré en possession de la toile qu'il avait revendue et dont il a remboursé le prix, ainsi qu'il est en mesure d'en justifier selon une attestation du 6 mai 1999,

- il est fondé à demander la résolution de la vente, dès lors que la condition résolutoire est toujours sous entendue dans les contrats synallagmatiques, et qu'il n'y a pas eu délivrance de la chose attendue,

- pour le moins, il y a eu erreur sur la qualité substantielle de la chose, l'authenticité et l'origine de la toile revêtant un tel caractère,

- le simple doute postérieur à la vente suffit à entraîner sa nullité,

- ayant agi en la circonstance en tant qu'amateur d'art et non en qualité qu'expert, il ne peut lui être opposé la commission d'une erreur inexcusable.

M. Claudel, qui fait appel incident, conclut:

- au débouté de M. Perrault de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- et sur son appel incident, à la condamnation de M. Perrault au paiement de la somme de 50 000 F en réparation de son préjudice moral, ainsi que de la somme de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et à sa condamnation aux entiers dépens.

Il fait valoir que:

- en 1986, sa fille a acheté en Angleterre, chez un antiquaire, un tableau portant la signature "C. Claudel",

- en 1988, Mme Reine Marie Paris, sa nièce, qui préparait un catalogue raisonné sur l'œuvre de Camille Claudel, a reconnu le tableau comme une œuvre authentique de celle-ci,

- dès cette date, elle l'a inclus dans diverses expositions de l'œuvre de Camille Claudel, l'insérant dans son catalogue raisonné en 1990,

- en 1993, il a confié ce tableau pour restauration à M. Perrault, "expert spécialisé dans le dépistage des faux et contrefaçons artistiques",

- cet expert a confirmé l'authenticité de l'œuvre et a proposé de le mettre en dépôt-vente dans sa galerie,

- le 26 février 1993, M. Perrault lui a fait une proposition d'acquisition pour le prix de 600 000 F, pour le revendre à une date très rapprochée, le 10 mars 1993,

- M. Perrault a intenté son action après la parution d'un nouveau catalogue raisonné de l'œuvre de Camille Claudel, lequel faisait figurer la toile parmi les "œuvres non retenues",

- la question de la nullité du contrat prime celle de sa résolution éventuelle,

- en ce qui concerne la résolution, l'inauthenticité de l'objet révélée postérieurement à l'accord ne peut se confondre avec le défaut de conformité, puisque le vendeur a délivré exactement l'objet identifié dans l'accord des parties,

- s'agissant de la nullité, le vice du consentement n'affecte la validité du contrat que lorsque l'erreur commise est excusable, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, M. Perrault ayant acquis l'œuvre après l'avoir estimée en tant qu'expert, et ne pouvant ainsi se prévaloir de sa propre erreur, en sa qualité de professionnel du commerce de l'art et d'expert,

- M. Perrault, en toute hypothèse, n'est pas fondé à réclamer la différence du prix qu'il a dû régler à ses sous-acquéreurs, ayant délibérément réalisé un profit substantiel et immédiat en revendant 1 000 000 de F une œuvre qu'il venait d'acquérir pour la somme de 600 000 F,

- il y a lieu de faire droit à son appel incident, en lui accordant la somme de 50 000 F de dommages-intérêts, pour le dédommagement des mesures conservatoires que M. Perrault s'est autorisé à faire prendre à son encontre par le juge de l'exécution (saisie de deux œuvres d'art dont il est propriétaire à titre de garantie), et en satisfaisant à sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'instruction de l'affaire a été déclarée close le 23 novembre 2000.

Discussion et motifs de la décision

Considérant qu'il est établi qu'ayant restauré le 22 février 1993 pour Henri Claudel le tableau "L'amie anglaise" attribué à la tante de celui-ci, Camille Claudel, M. Perrault, qui avait gardé en dépôt-vente l'œuvre dont la mise à prix avait été fixée à 600 000 F, l'a acquis à titre personnel pour cette valeur, puis l'a revendu le 10 mars de la même année, moyennant la somme d'un million de francs;

Que l'œuvre, qui avait été estimée comme authentique dans le catalogue raisonné de Mme Reine Marie PARIS, nièce de M. Claudel, et exposée en tant que telle, a été ensuite incluse au rang des "œuvres non retenues" dans un autre catalogue, paru en 1996, de Mme Anne Riviere, de M. Bruno Gaudichon et de Mme Danielle Ghanassia;

Qu'en ayant eu connaissance, M. Perrault a dédommagé les acquéreurs du tableau et a demandé le remboursement de son acquisition initiale à M. Claudel, qui ne s'est pas exécuté

- Sur les demandes de résolution et de nullité de la vente

Considérant que les demandes de M. Perrault, fondées tant sur les dispositions des articles 1183 et 1184 du Code civil visant la résolution de la vente pour défaut de délivrance ou de conformité, que sur celles des articles 1110 et suivants du même Code relatives à la nullité de la vente pour vice du consentement, ont toutes deux pour fondement l'existence d'une erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue;

Que le caractère authentique d'une œuvre d'art constitue une qualité substantielle, et que l'action en nullité est recevable, même s'il n'existe qu'un doute sur l'authenticité et si le défaut est apparu postérieurement à la vente ;

Considérant, cependant, que, pour être admise, l'erreur sur une qualité de cette nature doit être excusable ;

Qu'elle doit être appréciée en fonction des circonstances ;

Considérant que M. Perrault, restaurateur d'objets d'art, a la qualité d'expert agréé par la Cour de cassation et près la Cour d'appel de Versailles, et d'expert à l'Union Française des membres de cette profession;

Que sur ses documents professionnels figurent les mentions "Laboratoire d'analyses spécialisé dans le dépistage des faux et contrefaçons artistiques" ;

Qu'il a restauré la toile confiée par M. Claudel et l'a reçue en dépôt-vente, avant de proposer à celui-ci d'en faire l'acquisition à titre personnel;

Que la comparaison des factures de restauration du tableau, du certificat de dépôt-vente et du certificat de vente démontre que ces documents ont tous été préparés par M. Perrault lui-même;

Que, par ailleurs, au cours de l'année 1993, celui-ci s'est rendu au domicile des époux Claudel afin d'expertiser trois œuvres en bronze de Camille Claudel, pour lesquels il a dressé un certificat le 16 juin 1993 ;

Que dans ces conditions, M. Perrault ne saurait prétendre avoir agi en la cause en qualité de non professionnel;

Que d'ailleurs, il a revendu "L'amie anglaise", quelques jours après avoir acheté cette œuvre, à un prix très nettement supérieur à son prix d'acquisition;

Que l'erreur invoquée présente en conséquence un caractère inexcusable, et est de nature à priver d'effet l'action en nullité engagée par M. Perrault;

Considérant que l'action en résolution de la vente se trouve privée de tout motif, chacune des parties ayant exécuté ses obligations;

Qu'en effet, M. Claudel a livré à M. Perrault le tableau qu'il lui avait remis pour restauration et pour lequel il s'était porté acquéreur;

Que les demandes de M. Perrault doivent en conséquence être écartées;

- Sur l'appel incident de M. Claudel

Considérant que M. Claudel ne justifie d'aucun élément constitutif d'un préjudice et de nature à lui permettre de prétendre à l'octroi de dommages-intérêts pour préjudice moral;

Que la demande de M. Claudel sur ce point sera écartée;

Considérant que l'équité commande de faire application, en faveur de M. Claudel, des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, à hauteur de 15 000 F;

Que succombant en son recours, M. Perrault doit être condamné à supporter les dépens de première instance et d'appel, selon les modalités précisées au dispositif ci-après;

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Réformant le jugement déféré, Et statuant à nouveau, Déboute M. Perrault de l'ensemble de ses demandes, Sur l'appel incident de M. Claudel ; Rejette la demande de dommages-intérêts présentée au titre du préjudice moral, Condamne M. Perrault à verser à M. Claudel la somme globale de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne M. Perrault aux dépens de première instance et d'appel, étant précisé que les dépens d'appel pourront être recouvrés directement par la SCP Merle, Carena et Doron, avoué, conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.