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Décisions

CA Paris, 25e ch. B, 9 mai 1997, n° 94-2372

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Bastia Diesel (SARL)

Défendeur :

Moscatelli et Fils (Sté), Iveco France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pinot

Conseillers :

M. Cailliau, Mme Maestracci

Avoués :

SCP Jobin, SCP Faure Arnaudy

Avocats :

Mes Fillippi, Bocquillon

T. com. Paris, 10e ch., du 3 déc. 1993

3 décembre 1993

LA COUR se réfère à son arrêt avant dire droit du 3 novembre 1995 ordonnant une mesure d'expertise, pour l'exposé des faits de l'espèce, des prétentions et des moyens des parties en première instance et en cause d'appel.

Il ressort de l'expertise ainsi confiée à M. Raymond Marcantoni que l'incendie du camion appartenant à la société Moscatelli & Fils a pris naissance de l'alternateur pour se propager par la courroie de transmission en caoutchouc au ventilateur débrayable, lequel l'a propagé à son tour à l'aide de gouttelettes et étincelles depuis le bas du moteur vers le haut des culasses qui ont enflammé les pontets de retour.

L'expert a estimé que la responsabilité du constructeur pouvait être engagée et a souligné que l'avarie des deux pièces électriques, l'alternateur et le ventilateur, était à l'origine du sinistre.

La société Bastia Diesel souligne que l'expert s'est montré dubitatif dans ses conclusions tout en émettant l'hypothèse d'un vice de construction. Elle relève toutefois que la thèse émise par l'expert est combattue par M. Le Bras, expert à la Cour de cassation, selon lequel la preuve du fonctionnement du ventilateur pendant l'incendie, qui a fait fondre l'aluminium qui se trouvait dans son environnement, excluait qu'il pût avoir été une cause de l'incendie. Elle en déduit que le rapport de l'expert Marcantoni ne peut servir de base à une condamnation.

Elle indique qu'elle n'est pas intervenue dans la mise en place de l'alternateur ou du ventilateur et sollicite subsidiairement la garantie du constructeur, la société Iveco-Unic SA, qu'elle a assigné en intervention forcée et en garantie devant la cour. Elle fait observer, subsidiairement, que la valeur HT du véhicule de 415 320 F doit servir de base à l'évaluation du préjudice de la société Moscatelli et non la valeur TTC de 615 711,90 F, puisque la société Moscatelli ne saurait obtenir deux fois le remboursement de la TVA qui lui a déjà été rétrocédée par l'administration fiscale. Elle sollicite que l'estimation du véhicule ne soit pas supérieure à la somme de 377 320 F pour tenir compte de la vétusté de l'engin et des éléments récupérés sur l'épave.

Elle demande enfin à la cour d'ordonner la mainlevée de la caution souscrite par elle, auprès de la Caisse Régionale du Crédit Mutuel de la Corse, en exécution de l'ordonnance du Premier président de la Cour d'appel de Paris le 28 mars 1994.

La société Moscatelli et Fils estime que les conclusions de l'expert Marcantoni, bien qu'elles soient différentes de celles de M. Cliva, désigné par ordonnance de référé du 18 juin 1992, démontrent que le sinistre est la conséquence d'un vice caché sur un véhicule garanti. Elle demande en conséquence la confirmation du jugement et s'oppose à ce qu'un coefficient de vétusté soit appliqué pour que le prix de vente lui soit intégralement remboursé, outre le prix des inscriptions publicitaires s'élevant à la somme de 30 000 F.

La société Iveco France conclut au débouté de la société Moscatelli & Fils en relevant que l'expert ne soutient ses conclusions par aucune démonstration et ne fait qu'émettre des hypothèses et utiliser des formules dubitatives traduisant ses doutes et ses hésitations. L'opinion de M. Le Bras, expert à la Cour de cassation, vient souligner la fragilité du rapport de M. Marcantoni en soulignant que l'hypothèse retenue par cet expert ne peut être admise en raison de la constitution même du ventilateur débrayable.

Il en déduit que l'expertise réalisée par M. Marcantoni ne peut permettre de déterminer l'origine exacte du sinistre, dont la cause peut aussi bien être interne qu'externe, de telle sorte qu'il ne peut être affirmé que le véhicule souffrait d'un vice de construction.

L'origine de l'incendie étant, en définitive, inconnue, la preuve en incombant à la société Moscatelli, la société Iveco sollicite que celle-ci soit déboutée de toutes ses prétentions.

Sur quoi, LA COUR,

Considérant que les deux expertises diligentées dans cette procédure, en première instance et en cause d'appel, pour déterminer les causes de l'incendie qui a totalement détruit, le 12 juillet 1991, le véhicule frigorifique vendu à la société Moscatelli, ont abouti à des conclusions différentes, laissant toutefois apparaître qu'un vice de construction pouvait être à l'origine du sinistre;

Considérant que l'expert Cliva a conclu son rapport en indiquant qu'il s'agissait "d'un incident mécanique (rupture de durit) sur un véhicule à faible kilométrage et toujours sous garantie" ;

Considérant que l'expert Marcantoni a mis en cause l'alternateur comme pouvant être à l'origine de l'incendie, indiquant dans son rapport que cette pièce avait "complètement fondu jusqu'à disparition"; que si l'autre origine possible du sinistre, pouvant provenir, selon lui, du ventilateur débrayable, a été combattue par un avis argumenté qui lui a été communiqué au cours de sa mission d'expertise, il a pu estimer inutile d'y répondre pour les besoins de sa démonstration, s'agissant de l'avis d'un tiers à la procédure, sollicité de façon non contradictoire, par l'une des parties en cause;

Que si ces conclusions ont été émises de manière extrêmement prudentes, elles permettent néanmoins de caractériser la responsabilité du constructeur;

Qu'en effet, l'incendie du camion de la société Moscatelli & Fils révélait nécessairement l'existence d'un vice de construction, dès lors qu'il résulte des pièces versées aux débats que l'engin était peu ancien, bien entretenu, de faible kilométrage et qu'aucune imprudence ou acte de malveillance n'ont été allégués;

Considérant que, dans ces conditions la société Bastia Diesel sera condamnée à rembourser à la société Moscatelli & Fils le prix hors taxes du camion, diminué d'un coefficient de vétusté, tenant compte de la durée d'utilisation du véhicule et de son kilométrage;

Que la cour dispose des éléments d'appréciation suffisants pour fixer cette somme à 377 320 F;

Considérant qu'il convient de condamner le constructeur, la société Iveco, à garantir la société Bastia Diesel de cette condamnation, sans qu'il y ait lieu de rechercher si elle avait elle-même installé les pièces électriques pouvant être à l'origine de l'incendie, dans la mesure où, étant le constructeur du camion, il lui appartenait alors de mettre en cause éventuellement les fabricants et installateurs des pièces défectueuses;

Considérant que la société Iveco n'a pas à supporter les frais et intérêts liés à la caution constituée par la société Bastia Diesel, qui résultent des seuls accords passés par cette dernière avec la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de la Corse;

Considérant qu'aucune circonstance d'équité ne commande qu'il soit fait application de l'article 700 du NCPC;

Par ces motifs : Reformant le jugement, Condamne la société Bastia Diesel à payer à la société Moscatelli & Fils la somme de 377 320 F, avec les intérêts au taux légal à compter du jugement entrepris, Dit que la société Iveco devra garantir la société Bastia Diesel de cette condamnation, Dit irrecevables, inopérantes ou mal fondées toutes autres demandes, fins ou conclusions et les rejette comme contraires à la motivation qui précède, Condamne solidairement la société Bastia Diesel et la société Iveco France aux dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais des expertises, et Dit que ceux d'appel pourront être recouvrés directement par la SCP Faure et Arnaudy, avoués, conformément à l'article 699 du NCPC.