CJCE, 12 juillet 1979, n° 153-78
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République fédérale d'Allemagne
LA COUR,
1. Par requête du 6 juillet 1978, la Commission des Communautés européennes a, en vertu de l'article 169 du traité CEE, saisi la cour d'un recours tendant à faire reconnaître qu'en interdisant l'importation de produits a base de viande en provenance d'autres Etats membres, qui ont été fabriqués en utilisant des viandes qui n'ont pas été produites dans le pays de fabrication du produit fini, la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 30 et 36 du traité cee.'
2. L'importation en République fédérale d'Allemagne de préparations de viande, également en provenance des autres Etats membres, n'est, en vertu du paragraphe 12, lettres a) et b), et en particulier du paragraphe 12, lettre c), de la loi sur l'inspection des viandes (Fleischbeschaugesetz) autorisée, que si, entre autres conditions, ce produit a été fabriqué dans un établissement agrée par le ministère fédéral compétent et qui, en outre, doit être situé dans le pays ou ont été abattus les animaux ayant fourni la viande nécessaire à la fabrication de ce produit. Les dispositions combinées de ces paragraphes et du règlement pris pour leur exécution (Mindestanforderungen-Verordnung) exigent, pour tout lot importé, la présentation d'un certificat officiel permettant à l'autorité douanière de vérifier si ces conditions sont remplies.
3. Le recours concerne la conformité, avec les dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises, de l'exigence relative à l'abattage et à la préparation dans un même Etat membre. Il a, en effet, été précisé par la commission que la procédure concerne uniquement l'hypothèse d'animaux abattus dans des abattoirs de la communauté et dont les viandes sont préparées dans des établissements situés sur le territoire d'un Etat membre, le problème de la circulation de produits à base de viande provenant d'animaux abattus dans des pays tiers étant entièrement réservé. Il est également admis par les deux parties que la mesure critiquée constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation au sens de l'article 30 du traité.
4. Selon le Gouvernement allemand, la disposition nationale en cause, bien qu'elle constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative, serait justifiée, sur la base de l'article 36 du traité, par des considérations relatives à la protection de la santé des personnes. Selon la commission, par contre, l'article 36 ne pourrait être invoqué en l'espèce, tant parce qu'un danger pour la santé humaine serait exclu, que parce que, à supposer que ce danger existe, la mesure litigieuse ne serait pas de nature à l'écarter. En tout état de cause, la disposition en cause serait disproportionnée par rapport à l'objectif poursuivi, de sorte qu'elle devrait être considérée comme comportant une discrimination arbitraire et une restriction déguisée aux échanges au sens de l'article 36, deuxième phrase du traité.
5. Ainsi que la cour l'a constate à diverses reprises, notamment dans ses arrêts des 15 décembre 1976 (affaire n° 35-76, Simmenthal, Recueil 1976, p. 1871), 5 octobre 1977 (affaire n° 5-77, Tedeschi, Recueil 1977, p. 1555) et 12 octobre 1978 (affaire n° 13-78, Eggers, Recueil 1978, p. 1935), l'article 36 du traité n'a pas pour objet de réserver certaines matières à la compétence exclusive des Etats membres, mais admet seulement que les législations nationales fassent exception au principe de la libre circulation des marchandises dans la mesure ou cela est et demeure justifié pour atteindre les objectifs visés à cet article. Les restrictions autorisées par l'article 36 étant dérogatoires au principe fondamental de la libre circulation des marchandises ne sont toutefois conformes au traité que dans la mesure ou elles sont 'justifiées', c'est-à-dire nécessaires notamment pour assurer la protection de la santé et la vie des personnes.
6. Le Gouvernement allemand tire toutefois de l'article 6 de la directive du conseil n 64-433, du 26 juin 1964, relative a des problèmes sanitaires en matière d'échanges intracommunautaires de viandes fraîches (JO 1964, p. 2012, codification officieuse JO 1975, NC 189, p. 31), la conclusion qu'en l'absence d'harmonisation des législations sanitaires dans le secteur des produits à base de viande, les Etats membres seraient en droit de maintenir en vigueur leur propre législation, quelque limitative qu'elle soit, cette absence d'harmonisation résultant de la circonstance que la directive 77-99 du conseil, du 21 décembre 1976 (JO n° L 26, p. 85), relative à des problèmes sanitaires en matière d'échanges intracommunautaires de produits à base de viande, n'oblige les Etats membres à se conformer à ses dispositions qu'à la date du 1 juillet 1979.
7. Cette argumentation doit être rejetée. Il y a lieu, d'abord, d'observer que la directive 64-433 concerne les échanges de viandes fraîches et non ceux de produits a base de viande. En outre, l'article 6 précité, selon lequel les dispositions nationales des Etats membres relatives à certaines sortes de viandes fraîches ne sont pas 'affectées par la présente directive' ne saurait, à e supposer applicable aux échanges intracommunautaires des préparations de viande, avoir pour objet ou pour effet de modifier la porté des obligations imposées aux Etats membres par les articles 30 et 36 du traité.
8. La seule question à résoudre est donc de savoir si la condition exprimée au paragraphe 12, lettre c), de la Feischbeschaugesetz est justifiée au sens de l'article 36 du traité, c'est-à-dire 'nécessaire' à la protection de la santé ou de la vie des personnes en République fédérale d'Allemagne.
9. A cet égard, la défenderesse invoque, en premier lieu, que la mesure litigieuse est destinée à prévenir le risque que les produits à base de viande fabriqués dans un autre Etat membre ne proviennent en réalité d'animaux abattus en dehors de la communauté, alors que, d'une part, il ressortirait de l'arrêt de la cour du 28 juin 1978 (affaire n° 70-77, Simmenthal, Recueil 1977, p. 1453) que la directive du conseil 72-462 du 12 décembre 1972 (JO n° l 302, p. 28), concernant des problèmes sanitaires et de police sanitaire lors de l'importation notamment de viandes fraîches en provenance de pays tiers, ne peut pas encore être appliquée parce que les institutions communautaires n'ont pas édicté les mesures d'exécution nécessaires, et que, d'autre part, la commission reconnaît que les Etats membres restent libres de prendre les mesures de protection à l'égard de produits à base de viande provenant d'animaux abattus dans des pays tiers.
10. La possibilité que des produits à base de viande soient fabriqués à partir de viandes d'animaux abattus dans des pays tiers ne peut, effectivement être entièrement écartée, mais elle n'est cependant pas de nature à justifier la restriction en cause. Ce risque doit être écarté par la preuve que l'abattage de l'animal et la préparation de sa viande ont, l'un et l'autre, eu lieu sur le territoire de la communauté. Il est, par contre, indifférent, à cet égard, que l'abattage et la préparation se soient produits dans un seul et même Etat membre ou que la première opération ait trouve place dans un Etat membre et la seconde dans un autre. Par ailleurs, en vertu des articles 3 et 4 de la directive 64-433, ci-dessus citée, relative aux échanges intracommunautaires de viandes fraîches, les viandes fraîches doivent, pour pouvoir circuler entre Etats membres, provenir d'animaux abattus dans des abattoirs agrées et contrôlés suivant une procédure communautaire. Chaque Etat membre est en mesure de contrôler la qualité des installations agrées en ce qui concerne l'efficacité des garanties sanitaires qu'elles pressentent. Tout préparateur de viande établi dans la communauté, qui désire exporter vers la République fédérale d'Allemagne a, des lors, la possibilité de contrôler si les viandes qu'il prépare proviennent d'animaux abattus dans un abattoir agrée d'un Etat membre et la République fédérale d'Allemagne peut exiger, par une attestation appropriée, la preuve de cette circonstance. Il en résulte que l'exigence, que l'abattage de l'animal et la préparation de sa viande soient effectués dans un seul et même Etat membre, n'est pas nécessaire pour parer au risque allègue.
11. Le Gouvernement allemand fait valoir, en second lieu, que le franchissement d'une frontière implique une augmentation du risque d'insalubrité de la viande fraîche qui sera ensuite transformée en préparation de viande. Cet argument ne saurait, lui non plus, être accepte. S'il est exact que, dans le cas de transport de viandes fraîches, le risque d'insalubrité par contamination, manipulation ou par la modification des conditions de transport, est susceptible d'augmenter à raison de la longueur du trajet et de la durée du transport, la circonstance qu'au cours de ce transport les viandes franchissent ou non une frontière intracommunautaire est sans influence sur le risque en question. Il en est d'autant plus ainsi que la directive du 26 juin 1964, déjà citée, relative aux problèmes sanitaires en matière d'échanges intracommunautaires de viandes fraîches, impose, dans les chapitres X et XIII de son annexe 1, des conditions d'emballage et de transport, particulièrement sévères.
12. Le Gouvernement allemand invoque, en troisième lieu, que la condition énoncée au paragraphe 12, lettre c), de la Fleischbeschaugesetz doit permettre, pour le cas ou une préparation impropre à la consommation serait importée en République fédérale d'Allemagne, l'instauration d'une 'responsabilité unique' pour tout le processus de production depuis l'abattage jusqu'à la préparation. Pareille considération n'est cependant pas de nature a justifier la mesure litigieuse. Ainsi que la cour l'a déjà constaté dans son arrêt du 12 octobre 1978 (Eggers, ci-dessus cité), le désir d'instituer une 'responsabilité unique' vise uniquement à faciliter les contrôles administratifs jugés nécessaires, mais n'est pas une garantie de plus grande salubrité des produits et ne saurait donc justifier une dérogation aussi importante à la libre circulation des marchandises que celle qui résulte de l'obligation de faire se dérouler l'entièreté du processus de production d'un produit dans un seul Etat membre.
13. Le Gouvernement allemand insiste en particulier sur le danger de la présence de trichines dans les préparations d'abats de porc et sur l'absence d'harmonisation des contrôles sanitaires en la matière, étant donné que la directive du conseil 77-96 du 21 décembre 1976, relative à la recherche de trichines lors des importations, en provenance de pays tiers, des viandes fraîches provenant d'animaux domestiques de l'espèce porcine (JO 1977, n° L 26, p. 67) n'oblige les Etats membres à mettre en œuvre les mesures qu'elle prévoit qu'à partir du 1 janvier 1979, c'est-à-dire à une date postérieure à celle de l'avis motivé adressé, le 4 janvier 1978, par la commission à la République fédérale d'Allemagne.
14. Sur ce point également la cour ne peut se rallier à l'opinion exprimée par la défenderesse. Outre la circonstance que la condition litigieuse concerne l'ensemble des préparations de viande, et non seulement celles provenant d'animaux domestiques de l'espèce porcine, il n'y a aucune raison d'admettre que le risque de présence de trichines dans des produits à base de viande serait augmente du seul fait que la viande fraîche aurait franchi une frontière communautaire avant d'être transformée en préparation de viande ou d'admettre que cette circonstance rendrait, au moment de l'importation en République fédérale d'Allemagne, le dépistage de la présence de trichines plus difficile ou plus aléatoire. Il faut d'ailleurs observer que les dispositions allemandes en matière de contrôle des trichines ne font aucune différence suivant qu'il s'agit de produits à base de viande en provenance d'un établissement situé dans l'Etat membre ou l'animal a été abattu ou d'un établissement situé dans un Etat membre différent de celui ou a eu lieu l'abattage.
15. Il suit des considérations qui précèdent que la condition imposée au paragraphe 12, lettre c), de la Fleischbeschaugesetz, n'est nécessaire ni pour diminuer le risque d'insalubrité des produits à base de viande importés en République fédérale d'Allemagne en provenance d'un établissement situe dans un autre Etat membre, ni pour assurer l'efficacité du contrôle sanitaire de ces produits à l'occasion de leur importation. Cette condition constitue dès lors à la fois une entrave inutile, et en tout cas disproportionnée par rapport à l'objectif poursuivi, à la libre circulation des préparations de viande, et une discrimination au détriment des établissements de préparation de viande qui importent leur matière première d'un autre Etat membre par rapport à leurs concurrents qui se ravitaillent en viandes fraîches dans les abattoirs de leur propre état. La disposition litigieuse est des lors incompatible avec l'article 30 du traité et n'est pas couverte par l'exception de l'article 36.
16. Il en résulte qu'en interdisant l'importation en provenance des autres Etats membres de produits à base de viande, fabriqués dans l'un de ces états au moyen de viandes provenant d'animaux abattus dans un Etat membre différent, la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 30 et 36 du traité CEE.
Sur les dépens
17. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La partie défenderesse ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens;
LA COUR
Déclare et arrête:
1) En interdisant l'importation en provenance des autres Etats membres de produits à base de viande, fabriqués dans l'un de ces états au moyen de viandes provenant d'animaux abattus dans un Etat membre différent, la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 30 et 36 du traité CEE.
2) La partie défenderesse est condamnée aux dépens.