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Décisions

CJCE, 5 juin 1986, n° 103-84

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

République italienne

CJCE n° 103-84

5 juin 1986

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 13 avril 1984, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire constater que la République italienne, en exigeant des entreprises municipales assurant des services de transport public que, pour bénéficier des aides financières prévues à l'article 13 de la loi n° 308 du 29 mai 1982, elles achètent des véhicules de production nationale, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CEE.

2. Il ressort du dossier que la loi n° 308 du 29 mai 1982, publiée au journal officiel de la République italienne n° 154 du 7 juin 1982, prévoit, en son article 13, la dépense de 6 milliards de lit, à raison de 2 milliards de lit pour l'année 1982 et 4 milliards de lit pour l'année 1983, pour l'octroi d'une aide financière à concurrence de 20 % du coût du véhicule et de l'installation fixé aux entreprises qui gèrent des services de transport public pour les municipalités des communes dont la population est supérieure a 300 000 habitants si ces entreprises achètent des véhicules pour usage urbain à traction électrique ou mixte fabriques en italie.

3. Après avoir reçu une plainte de l''Unione Nazionale Rappresentanti Autoveicoli Esteri' à Rome au sujet de cette disposition, la Commission a, par lettre du 29 novembre 1982, mis le Gouvernement italien en mesure de présenter ses observations à propos de la mesure incriminée. Elle a estimé, en effet, que la condition à laquelle la loi précitée subordonnait l'octroi des aides prévues violait l'article 30 du traité CEE.

4. Le Gouvernement italien a répondu, par lettre du 10 février 1983 de la représentation permanente de l'Italie auprès des Communautés européennes, que la loi n° 308 poursuivait des objectifs en matière de politique énergétique ainsi qu'en matière de recherche et développement. La loi aurait pour but d'aider les entreprises municipales à acheter des véhicules qui consomment moins d'énergie et, de cette façon, d'orienter les constructeurs italiens vers la fabrication de tels véhicules. Le Gouvernement italien a, en outre, contesté que l'article 13 de ladite loi constituait une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative, en faisant valoir que cet article n'avait pas pour objectif de réaliser la rénovation totale du parc des véhicules de transport en commun.

5. Les observations du Gouvernement italien n'ayant pas modifié l'opinion de la Commission, celle-ci a émis le 2 août 1983 un avis motivé par lequel la République italienne était invitée à adopter les mesures nécessaires pour se conformer audit avis dans un délai d'un mois à compter de sa notification. L'avis motivé est resté sans réponse. Toutefois, lors des réunions qui ont eu lieu entre les autorités italiennes et les représentants de la Commission en juillet et octobre 1983, les autorités italiennes se sont engagées à éliminer de la législation italienne la condition relative à la 'nationalité' des véhicules destinés aux transports en commun. N'ayant cependant reçu aucune information concernant la modification formelle de la disposition contestée, la Commission a introduit le présent recours.

Recevabilité

6. Selon le Gouvernement italien, l'intérêt à agir de la Commission ferait défaut en l'espèce et le recours devrait donc être considéré comme irrecevable. Il fait valoir que l'article 13 de la loi n° 308 n'avait qu'un effet temporaire et que l'autorisation de dépenses n'était valable que pour deux ans, à savoir 1982 et 1983. Au cours de cette période, aucune subvention n'aurait été versée, et un versement après l'expiration de la durée de validité de la loi ne serait pas possible de sorte que l'on pourrait affirmer que la loi est demeurée pratiquement inopérante. D'autre part, un nouveau projet de loi aurait été élaboré pour la période qui a suivi, lequel ne comporterait plus la disposition litigieuse. Il n'y aurait donc pas lieu de s'attendre à une répétition de la mesure.

7. La Commission observe qu'il n'est pas certain que l'article 13 de la loi n° 308 ait vraiment épuisé tous ses effets. Il ne serait pas exclu que, sur la base de cet article, des subventions puissent encore être allouées si les demandes ont été introduites en 1982 ou 1983.

8. L'argument avancé par le Gouvernement italien ne peut être retenu. Il faut en effet, en premier lieu, constater que l'avis motive a été émis pendant la période à laquelle se referait l'article 13 de la loi n° 308 et que le Gouvernement italien n'a pas pris de mesures pour s'y conformer dans le délai fixé. Le laps de temps écoulé entre la fin de la période à laquelle se referait ladite loi et le présent recours ne peut conduire à la conclusion que la Commission n'a plus d'intérêt actuel à ce recours. Ainsi qu'il ressort de l'arrêt de la Cour du 7 février 1973 (Commission-République italienne, 39-72, Rec. p. 101), l'objet d'un recours introduit au titre de l'article 169 est fixé par l'avis motivé de la Commission et, même au cas ou le manquement a été éliminé postérieurement au délai déterminé en vertu de l'alinéa 2 du même article, la poursuite de l'action conserve un intérêt.

9. En second lieu, il n'est pas possible de conclure que la loi n° 308 restera inopérante. Le Gouvernement italien indique, dans ses réponses aux questions de la Cour, que, sur les onze demandes d'admission au bénéfice de l'aide prévue par l'article 13 de la loi n° 308 qui ont été reçues, neuf ont été formulées comme de simples déclarations d'intention d'acheter les véhicules, déclarations auxquelles il n'a pas été donné suite, les deux autres devant être considérées comme 'classées' pour n'avoir pas pris soin de compléter la documentation requise pour l'octroi de l'aide. Toutefois, à l'audience, le Gouvernement italien n'a pas pu exclure que l'article 13 puisse encore produire des effets en ce qui concerne ces deux dernières demandes, lesquelles ne peuvent donc pas encore être considérées comme rejetées. Dans ces circonstances, il ne peut pas être conclu que la loi n° 308 n'aura aucun effet et l'intérêt à constater son incompatibilité avec le traité ne fait donc pas non plus défaut sous cet aspect. Ainsi qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour, cet intérêt peut consister à établir la base d'une responsabilité qu'un état membre peut encourir en conséquence de son manquement à l'égard, notamment, de ceux qui tirent des droits en conséquence dudit manquement (arrêt du 7 février 1973, précité, et du 20 février 1986, Commission-République italienne, 309-84, rec. 1986, p. 599).

10. L'exception soulevée par la partie défenderesse doit des lors être écartée.

Sur le fond

11. La Commission estime que l'article 13 de la loi n° 308 devrait être considéré comme mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative puisqu'il incite ) l'achat de véhicules de production nationale. En effet, les entreprises qui gèrent des services de transport public d'intérêt régional ne pourraient bénéficier de l'aide que si elles achetaient des véhicules fabriqués en italie. Ainsi les véhicules d'origine non italienne feraient-ils l'objet d'une discrimination. La Commission rappelle également dans ce contexte la directive 70-50 du 22 décembre 1969 (JO 1970, L 13, p. 29), dont l'article 2, paragraphe 3, sous K), qualifie de mesures d'effet équivalant a une restriction quantitative les dispositions 'qui font obstacle à l'achat par des particuliers des seuls produits importés, ou incitent à l'achat des seuls produits nationaux, ou imposent cet achat, ou lui accordent une préférence', le deuxième considérant de la directive précisant qu'' il y à lieu d'entendre par incitations tous actes émanant d'une autorité publique qui, sans lier juridiquement leurs destinataires, déterminent ceux-ci à tenir un certain comportement'.

12. La Commission ajoute que la condition à laquelle est subordonné l'octroi des aides n'est nécessaire ni à leur objet ni à leur fonctionnement. Elle observe que l'objectif tendant à constituer un parc de véhicules consommant moins d'énergie peut être atteint sans qu'il soit nécessaire de soumettre le bénéfice de l'aide à la condition d'acheter des véhicules de production nationale. Le second objectif, à savoir le développement de la fabrication par les constructeurs italiens de véhicules consommant moins d'énergie, ne rendrait pas non plus nécessaire ladite condition, car, si la possibilité était offerte aux entreprises de transport d'acheter, dans les mêmes conditions de subvention, également des véhicules fabriqués dans d'autres états membres, elle ne pourrait qu'inciter les producteurs italiens à développer la fabrication de véhicules susceptibles de concurrencer ces derniers.

13. Au cours de la procédure devant la Cour, le Gouvernement italien a développé plusieurs arguments pour sa défense.

14. En premier lieu, il soutient que les destinataires de la mesure d'incitation constituent une catégorie restreinte d'opérateurs et que les achats à inciter ne concernent pas des marchandises existant sur le marché, mais des produits expérimentaux. Le montant du financement total montrerait que les subventions ne visent pas le renouvellement du parc des véhicules des entreprises de transport gérées par les municipalités, mais la réalisation par les entreprises de construction, sur commande des entreprises de transport, de véritables prototypes de véhicules.

15. En deuxième lieu, le Gouvernement italien estime que les conditions qui accompagnent l'achat de prototypes de véhicules nationaux présentent en elles-mêmes les caractéristiques objectives d'une aide, ce qui impliquerait qu'elle doit être appréciée au titre des articles 92 et 93 du traité, et non pas à la lumière de l'article 30 du traité.

16. Enfin, le Gouvernement italien soutient que l'article 2, paragraphe 3, sous k), de la directive du 22 décembre 1969, précité, invoqué par la Commission, ne se réfère qu'aux particuliers et qu'il suppose que tous les opérateurs du marché sont visés. Cette disposition ne serait donc pas pertinente en l'espèce parce que, d'une part, les destinataires seraient limités à vingt au maximum, à savoir les seules entreprises de transport public urbain exerçant leur activité dans les villes de plus de 300 000 habitants, et que, d'autre part, les produits concernés seraient des produits expérimentaux, et non pas des marchandises existant sur le marché.

17. Cette argumentation appelle les observations suivantes.

18. Le premier argument, qui vise essentiellement à faire valoir que la mesure nationale en question aurait une portée économique relativement réduite et ne constituerait donc pas réellement une entrave à la libre circulation des marchandises, ne peut pas être retenu. Selon une jurisprudence constante de la Cour, toute réglementation commerciale des états membres qui est susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire est à considérer comme une mesure d'effet équivalant à des restrictions quantitatives. Même si l'article 13 de la loi n° 308 pouvait être considéré comme une mesure d'une importance économique relativement mineure, ce qui n'est pas le cas, étant donné que la subvention est allouée à concurrence de 20 % du prix d'achat d'un véhicule et qu'elle est de nature à avoir des effets sur les échanges entre les états membres compte tenu des sommes substantielles disponibles, il faut en effet rappeler, ainsi que la Cour l'a dit à plusieurs reprises, qu'une mesure nationale n'échappe pas à l'interdiction de l'article 30 du seul fait que l'entrave créée à l'importation est faible et qu'il existe d'autres possibilités d'écouler les produits importés (arrêts du 5 avril 1984, Van de Haar E. A., 177 et 178-82, Rec. p. 1797, et du 14 mars 1985, Commission-République française, 269-83, rec. 1985, p. 837).

19. Quant à la question de savoir si les subventions prévues par la loi n° 308 pourraient être considérées éventuellement comme une aide au sens de l'article 92 du traité, il est à remarquer, en premier lieu, que cette mesure n'a jamais été notifiée comme telle à la Commission. En second lieu, ainsi que la Cour l'a souligne dans son arrêt du 7 mai 1985 (Commission-République française, 18-84, rec. 1985, p. 1339), l'article 92 ne saurait en aucun cas servir à mettre en échec les règles du traité relatives à la libre circulation des marchandises. Il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour que les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises et celles relatives aux aides poursuivent un objectif commun, qui est d'assurer la libre circulation des marchandises entre états membres dans des conditions normales de concurrence (arrêts du 22 mars 1977, Ianelli & Volpi, 74-76, Rec. p. 557, et du 7 mai 1985, précité). Ainsi que la Cour le précise encore dans ce dernier arrêt, le fait qu'une mesure nationale puisse éventuellement être qualifiée d'aide au sens de l'article 92 n'est des lors pas une raison suffisante pour l'exempter de l'interdiction de l'article 30. L'argument de la République italienne tire du régime communautaire des aides ne saurait donc être retenu.

20. Pour ce qui est de l'applicabilité des critères de la directive 70-50, il y à lieu de faire remarquer, ainsi qu'il ressort du libelle même de l'article 2, paragraphe 3, de ladite directive, que les mesures d'effet équivalent y énoncées sont données titre d'exemples. Au surplus, il y à lieu de faire observer que la directive 70-50 doit être lue à la lumière de l'article 30 du traité et qu'elle ne peut pas être invoquée à l'encontre de l'objectif que cet article énoncé et à la réalisation duquel elle tend également. L'argument de la République italienne, fonde sur la directive du 22 décembre 1969, doit donc être écarté.

21. En ce qui concerne l'éventuelle applicabilité de l'article 36 du traité, la Commission observe, et la République italienne ne le conteste pas sous réserve qu'elle estime que le système d'octroi des subventions en cause doit être apprécié préalablement à la lumière de l'article 92 du traité, que l'article 36 n'est pas applicable en l'espèce pour justifier la disposition incriminée par des arguments de politique énergétique ou de politique de recherche et de développement parce que cet article vise des mesures non économiques.

22. Sur ce point, il faut rappeler que, selon une jurisprudence constante, l'article 36 du traité est d'interprétation stricte et que les exceptions qu'il énumère ne peuvent être étendues à des cas autres que ceux limitativement prévus, et, en outre, que cet article vise des hypothèses de nature non économique (arrêts du 19 décembre 1961, Commission-République italienne, 7-61, Rec. p. 633, et du 7 février 1984, Duphar-état néerlandais, 238-82, Rec. p. 523).

23. Or, selon les explications fournies par la République italienne au cours de la procédure devant la Cour, l'article 13 de la loi n° 308 poursuivrait deux objectifs d'ordre économique, tant en matière de politique énergétique qu'en matière de politique de recherche et développement. L'application de l'article 36 du traité doit donc être écartée.

24. Sur la base de ce qui précède, et selon la jurisprudence de la Cour, ainsi qu'il résulte, entre autres, de l'arrêt du 11 décembre 1985 (Commission-République Hellénique, 192-84, rec. 1985, p. 3967), il apparaît que la disposition italienne en cause, du fait qu'elle incite à l'achat de véhicules de production nationale, doit être qualifiée de mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative interdite par l'article 30 du traité.

25. Il y a donc lieu de reconnaître qu'en exigeant des entreprises municipales assurant des services de transport public que, pour bénéficier des aides financières prévues à l'article 13 de la loi n° 308 du 29 mai 1982, elles achètent des véhicules de production nationale, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CEE.

Sur les dépens

26. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La République italienne ayant succombé en ses moyens, il y à lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Déclare et arrête:

1) En exigeant des entreprises municipales assurant des services de transport public que, pour bénéficier des aides financières prévues à l'article 13 de la loi n° 308 du 29 mai 1982, elles achètent des véhicules de production nationale, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CEE.

2) La République italienne est condamnée aux dépens.