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Décisions

CJCE, 6e ch., 17 juillet 1997, n° C-114/95

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Texaco A/S, Middelfart Havn, rhus Havn, Struer Havn, lborg Havn, Fredericia Havn, Nørre Sundby Havn, Hobro Havn, Randers Havn, benr~ Havn, Esbjerg Havn, Skagen Havn, Thyborøn Havn

Défendeur :

Olieselskabet Danmark amba, Trafikministeriet, Fredericia Kommune, Køge Havn, Odense Havnevæsen, Holstebro-Struer Havn, Vejle Havn, benr~ Havn, lborg Havnevæsen, rhus Havnevæsen, Frederikshavn Havn, Esbjerg Havn

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Mancini

Avocat général :

M. Jacobs

Juges :

MM. Murray, Kapteyn

Avocats :

Mes Svensson, Magid, Fischer, Hagel-Sørensen, Skadhauge.

CJCE n° C-114/95

17 juillet 1997

LA COUR (sixième chambre),

Par deux ordonnances du 24 mars 1995, parvenues à la Cour le 3 avril suivant, l'Østre Landsret a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, plusieurs questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 9 à 13, 18 à 29, 84, 86, 90 et 95 du traité CEE, du règlement (CEE) n° 4055-86 du Conseil, du 22 décembre 1986, portant application du principe de la libre prestation des services aux transports maritimes entre États membres et entre États membres et pays tiers (JO L 378, p. 1), du règlement (CEE) n° 4056-86 du Conseil, du 22 décembre 1986, déterminant les modalités d'application des articles 85 et 86 du traité aux transports maritimes (JO L 378, p. 4), et des articles 6 et 18 de l'accord entre la Communauté économique européenne et le Royaume de Suède, signé à Bruxelles le 22 juillet 1972, conclu et approuvé au nom de la Communauté par le règlement (CEE) n° 2838-72 du Conseil, du 19 décembre 1972 (JO L 300, p. 96, ci-après l'"accord CEE/Suède").

Ces questions ont été soulevées dans le cadre de deux litiges opposant respectivement Texaco A/S (ci-après "Texaco") et Olieselskabet Danmark amba (ci-après "Olieselskabet"), deux sociétés à responsabilité limitée immatriculées au Danemark, qui importent des produits pétroliers raffinés tels que du gasoil et de l'essence ainsi que, s'agissant de Texaco, des combustibles solides, à un certain nombre de ports de commerce au sujet de la perception, par ces derniers, d'un supplément à l'importation de 40 %, dont était majorée, à charge des marchandises importées de l'étranger, jusqu'au 31 mars 1990, la taxe sur les marchandises, qui, au Danemark, est perçue sur toutes les marchandises chargées, déchargées, ou mises en mer ou à terre d'une autre manière dans les ports de commerce danois ou dans le chenal aménagé pour l'accès à ces ports.

Au Danemark, l'autorisation de créer un port de commerce, c'est-à-dire un port utilisé pour le transport commercial de marchandises, de véhicules et de personnes, est accordée par le ministre des Transports. Selon le système de propriété et de contrôle, une distinction peut être opérée entre les ports sous contrôle communal, qui sont des entités administratives autonomes relevant de la commune, le port de Copenhague, qui bénéficie d'un régime juridique particulier, les ports d'État, qui relèvent du ministère des Transports, et les ports privés, qui sont exploités par leurs propriétaires conformément aux conditions fixées dans l'autorisation correspondante.

Une partie des ressources des ports provient des taxes que versent les usagers pour leur utilisation. C'est ainsi que des taxes sur des navires et sur des marchandises doivent être payées pour l'entrée dans le port, ainsi que pour l'embarquement et le débarquement de marchandises, de véhicules ou de personnes. Des taxes spéciales sont exigées pour l'utilisation de grues, d'entrepôts ou d'emplacements.

Sous l'empire de la loi n° 239, du 12 mai 1976, sur les ports de commerce (Lovtidende A de 1976, p. 587), applicable jusqu'au 31 décembre 1990, il incombait au ministre compétent, désormais le ministre des Transports, de fixer les taux des taxes sur les navires et les marchandises après les avoir négociés avec la direction des ports de commerce. Selon la pratique ministérielle, les taux des taxes étaient calculés sur la base de la situation économique des 22 ports de commerce provinciaux les plus importants en termes de volume de trafic commercial et étaient fixés de manière à permettre aux ports de couvrir leurs dépenses de fonctionnement et d'entretien ainsi que d'assurer, dans une mesure raisonnable, l'autofinancement des extensions et des modernisations nécessaires.

Les taxes sur les navires et sur les marchandises étaient reprises dans un règlement pour chaque port, qui était établi conformément à un règlement commun élaboré par le ministre compétent pour l'ensemble des ports de commerce.

En vertu de la réglementation applicable au moment des faits au principal, la taxe sur les navires était due pour tous les navires et embarcations ainsi que pour tout matériel flottant séjournant dans le port ou dans le chenal aménagé pour l'accès au port. Elle était calculée selon un montant fixe par tonne de port en lourd (TPL) ou tonne brute (TB) soit pour chaque entrée au port, soit sous la forme d'une taxe mensuelle. Les navires de moins de 100 TPL/TB étaient exonérés du paiement de la taxe sur les navires.

La taxe sur les marchandises était due pour toutes les marchandises chargées, déchargées, ou mises en mer ou à terre d'une autre manière dans le port ou les chenaux aménagés vers le port. Elle représentait un certain montant par tonne. Des exonérations ou tarifs spéciaux étaient prévus pour certaines marchandises. Aux termes de la réglementation, la taxe sur les marchandises devait être payée par le navire ou son agent local avant l'appareillage, mais était respectivement due par le destinataire et l'expéditeur des marchandises, sur lesquels elle pouvait être répercutée.

Au cours de la période pertinente dans les affaires au principal, la taxe sur les marchandises perçue sur les marchandises importées de l'étranger était majorée de 40 %. Il résulte des ordonnances de renvoi que ce supplément à l'importation de 40 % a été introduit dans le cadre d'un ajustement général du niveau des tarifs des ports entrepris en 1956 sur la base d'un rapport de la commission des tarifs des ports et ponts constituée en 1954 par le ministère des Travaux publics.

Selon cette commission, l'augmentation jugée nécessaire des tarifs devait concerner les taxes tant sur les marchandises que sur les navires, mais devait "être effectuée de telle sorte que son objectif - l'augmentation des revenus des ports - ne soit pas compromis par une perte totale ou partielle du trafic des ports, la marchandise venant à être expédiée par route ou par voie ferrée". Aussi la commission des tarifs des ports et ponts a-t-elle proposé, en ce qui concerne les taxes sur les marchandises, "de se concentrer sur le commerce extérieur, car la plus grande partie des marchandises qui viennent de l'extérieur ou sont exportées sont naturellement transportées par mer et qu'on peut donc dans une certaine mesure négliger le risque que ce trafic échappe aux ports pour la seule raison d'une augmentation de la taxe sur les marchandises". Ladite commission a en outre considéré que "le moyen le plus approprié d'obtenir le supplément de revenus par le biais des taxes sur les marchandises [était d'augmenter] ces taxes seulement en ce qui concerne les marchandises importées", étant donné que la taxe frappant les produits importés, par exemple les engrais et fourrages pour le secteur agricole et les matières premières pour le secteur industriel, serait moins élevée que celle frappant les produits finis et qu'une augmentation de la taxe sur les importations aurait, dès lors, une influence bien plus limitée sur les secteurs d'activité concernés qu'une augmentation des taxes sur les exportations. Enfin, le risque que le trafic interne pourrait échapper aux ports au profit du transport par voie terrestre a conduit la commission des tarifs des ports et ponts à proposer, d'une part, d'exonérer les petits bateaux de l'augmentation envisagée des taxes sur les navires et, d'autre part, de faire bénéficier les bateaux jusqu'à 100 tonnes des taux inférieurs accordés normalement aux bateaux de moins de 100 tonnes.

Le supplément à l'importation de 40 % a été supprimé par le ministre des Transports avec effet au 1er avril 1990.

Les produits faisant l'objet des importations de Texaco et d'Olieselskabet proviennent essentiellement de pays tiers avec lesquels la Communauté a conclu un accord de libre-échange, mais également d'autres États membres ainsi que de pays tiers qui n'étaient pas liés par un accord de libre-échange avec la Communauté. Ces importations parviennent, dans le cas de Texaco, dans les ports de Middelfart, d'rhus, de Struer, d'Esbjerg, d'lborg, de Skagen, de Fredericia, de Nørre Sundby, de Hobro, de Randers, d'benr~ et de Thyborøn. Les ports d'Esbjerg, de Skagen et de Thyborøn sont des ports d'État, les autres sont sous contrôle communal. Dans le cas d'Olieselskabet, les importations parviennent dans les ports de Fredericia, de Køge, d'Odense, d'Holstebro-Struer, de Vejle, d'benr~, d'lborg, d'rhus, de Frederikshavn et d'Esbjerg. Les deux derniers sont des ports d'État, les huit autres étant sous contrôle communal. Pour l'ensemble de ces importations, Texaco et Olieselskabet ont dû acquitter la taxe sur les marchandises en vigueur, majorée du supplément à l'importation de 40 %.

Par requête déposée le 30 avril 1993 auprès de l'Østre Landsret, Texaco a demandé que les ports concernés soient condamnés à lui rembourser la partie de la taxe sur les marchandises qui correspond au supplément à l'importation de 40 % pour la période comprise entre le 1er mai 1988 et le 31 mars 1990, soit une somme d'environ 3,2 millions de DKR.

Par requête déposée le 25 juin 1993 devant la même juridiction, Olieselskabet a conclu à ce que les ports soient condamnés, solidairement avec le ministère des Transports, à lui rembourser les suppléments à l'importation perçus du 1er janvier 1988 au 1er avril 1990, soit environ 2,5 millions de DKR, et à ce qu'ils soient condamnés à reconnaître qu'ils sont tenus de rembourser les suppléments perçus du 1er juillet 1977 au 31 décembre 1987, période pour laquelle il n'avait pas encore été possible de chiffrer la somme totale perçue.

A l'appui de leurs demandes, Texaco et Olieselskabet ont fait valoir différents arguments relatifs à l'incompatibilité du supplément à l'importation avec le droit communautaire, notamment avec les articles 9 à 13, 18 à 29, 86, 90 et 95 du traité et 6 et 18 de l'accord CEE/Suède ainsi que de celui conclu par la Communauté avec le Royaume de Norvège [voir le règlement (CEE) n° 1691-73 du Conseil, du 25 juin 1973, portant conclusion d'un accord entre la Communauté économique européenne et le Royaume de Norvège et arrêtant des dispositions pour son application (JO L 171, p. 1)].

Les ports de commerce ainsi que le ministère des Transports ont contesté l'incompatibilité du supplément à l'importation avec ces dispositions communautaires et ont notamment soutenu que, dans la mesure où il n'aurait pas frappé les marchandises en tant que telles, mais aurait été perçu en contrepartie de services fournis par les ports, ce supplément à l'importation devait être apprécié à la lumière de l'article 84, paragraphe 2, du traité CEE, relatif aux transports, et du règlement n° 4055-86.

A titre subsidiaire, les ports sous contrôle communal ont soutenu que, en cas d'incompatibilité du supplément avec le droit communautaire, le ministère des Transports, responsable de la fixation des taxes, devrait être tenu de les dédommager de tout montant qu'ils seraient condamnés à rembourser ou à payer à titre d'indemnisation du fait des taxes fixées. A cet égard, les ports d'État ainsi que le ministère des Transports ont fait valoir qu'il ne résulte pas directement du droit communautaire qu'un État membre qui a fixé ou approuvé une taxe dont il est constaté qu'elle est contraire au droit communautaire est tenu au remboursement. Selon eux, il appartiendrait au droit national applicable et, partant, à la juridiction nationale, de trancher notamment la question de savoir si, en l'occurrence, l'État est tenu de dédommager les ports sous contrôle communal de tout montant que ceux-ci pourraient être condamnés à rembourser.

C'est dans ces conditions que l'Østre Landsret a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

Dans l'affaire C-114-95:

"1) La compatibilité avec le droit communautaire d'un supplément de 40 % à une taxe générale sur les marchandises perçu par un État membre lors de l'importation de marchandises par bateau à partir d'un autre État membre doit-elle être appréciée au regard

A - des articles 9 à 13 du traité, éventuellement en combinaison avec les articles 18 à 29 et le règlement n° 2658-87 adopté par le Conseil sur la base de ceux-ci ou

- de l'article 95 du traité?

ou, si l'on considère qu'il s'agit de services en contrepartie desquels une rémunération est payée, au regard

B - de l'article 84 du traité et du règlement n° 4055-86 du Conseil relatif à la libre prestation des services ou

- des articles 90 et 86 du traité relatifs à l'exploitation abusive d'une position dominante, auquel cas il est demandé si le règlement n° 4056-86 du Conseil est pertinent pour l'appréciation de la compatibilité du supplément avec le droit communautaire?

2) Est-il conforme à la disposition/aux dispositions de droit communautaire retenue(s) dans la réponse à la première question de percevoir un supplément de 40 % à une taxe générale sur les marchandises lors de l'importation de marchandises par bateau à partir d'un autre État membre?

3) La réponse à la deuxième question est-elle la même si les marchandises sont importées par bateau dans un État membre à partir d'un pays tiers avec lequel la Communauté économique européenne a conclu un accord comportant des dispositions analogues à l'article 6 et à l'article 18 de l'accord conclu entre le Royaume de Suède et la Communauté économique européenne et si l'appréciation doit être effectuée au regard d'un tel accord (accord de libre-échange)?

4) La réponse à la deuxième question est-elle la même si les marchandises sont importées dans un État membre directement à partir d'un pays tiers avec lequel la Communauté économique européenne n'a pas conclu d'accord (accord de libre-échange)?"

Dans l'affaire C-115-95:

"1) La compatibilité avec le droit communautaire d'un supplément de 40 % à une taxe générale sur les marchandises perçu par un État membre lors de l'importation de marchandises par bateau à partir d'un autre État membre doit-elle être appréciée au regard

A - des règles du traité relatives à l'union douanière, dont les articles 9 à 13, éventuellement en combinaison avec les articles 18 à 29 du traité et les règlements nos 950-68 et 2658-87 adoptés par le Conseil sur la base de ceux-ci ou

- de l'article 95 du traité?

ou

B - de l'article 84 du traité et du règlement n° 4055-86 du Conseil relatif à la libre prestation des services ou

- des articles 90 et 86 du traité relatifs à l'exploitation abusive d'une position dominante, auquel cas il est demandé si le règlement n° 4056-86 du Conseil est pertinent pour l'appréciation de la compatibilité du supplément avec le droit communautaire?

2) Est-il conforme à la disposition/aux dispositions de droit communautaire retenue(s) dans la réponse à la première question de percevoir un supplément de 40 % à une taxe générale sur les marchandises lors de l'importation de marchandises par bateau à partir d'un autre État membre?

3) La réponse à la deuxième question est-elle la même si les marchandises sont importées par bateau dans un État membre à partir d'un pays tiers avec lequel la Communauté économique européenne a conclu un accord comportant des dispositions analogues à l'article 6 et à l'article 18 de l'accord conclu entre le Royaume de Suède et la Communauté économique européenne et si l'appréciation doit être effectuée au regard d'un tel accord (accord de libre-échange)?

4) La réponse à la deuxième question est-elle la même si les marchandises sont importées dans un État membre directement à partir d'un pays tiers avec lequel la Communauté économique européenne n'a pas conclu d'accord (accord de libre-échange)?

5) Résulte-t-il du droit communautaire qu'un État membre qui a fixé ou homologué une taxe contraire au droit communautaire est tenu au remboursement de la taxe, même si le produit de la taxe a été affecté à des entités administratives autonomes sous contrôle communal?

6) Eu égard au fait qu'il ressort de la jurisprudence constante de la Cour que le remboursement de taxes perçues en violation du droit communautaire doit être effectué dans le cadre des conditions, de fond et de forme, fixées par les législations nationales et qu'il a été constaté, au point 12 de l'affaire 199/82, San Giorgio, que le droit d'obtenir le remboursement de taxes perçues par un État membre en violation des règles du droit communautaire est la conséquence et le complément des droits conférés aux justiciables par les dispositions communautaires interdisant les taxes d'effet équivalant aux droits de douane ou, selon le cas, l'application discriminatoire de taxes intérieures, il est demandé s'il y a lieu d'interpréter la jurisprudence de la Cour en ce sens que le droit communautaire comporte une obligation inconditionnelle au remboursement des taxes éventuellement contraires au droit communautaire, selon la réponse aux questions 1 à 4, étant donné toutefois que les conditions dans lesquelles le remboursement peut être poursuivi dépendent de la législation nationale applicable, dans les limites fixées dans la jurisprudence de la Cour?

7) S'il était constaté que le supplément de 40 % à la taxe générale sur les marchandises est contraire au droit communautaire et en particulier aux accords conclus (accords de libre-échange), serait-il compatible avec le droit communautaire qu'un délai de forclusion fixé en droit national pour les demandes de remboursement coure à compter d'une date antérieure à celle de l'abrogation par l'État membre en question de la taxe contraire au droit communautaire?"

Par ordonnance du 11 mai 1995, le président de la Cour a décidé de joindre ces deux affaires aux fins de la procédure écrite et orale et de l'arrêt.

Sur les premières et deuxièmes questions

Par ses premières et deuxièmes questions, qu'il convient d'examiner ensemble, la juridiction nationale demande, d'une part, à être éclairée sur la notion de taxe d'effet équivalant à des droits de douane visée aux articles 9 à 13 du traité, ainsi que sur celle d'imposition intérieure discriminatoire visée à l'article 95 du traité, au regard de l'imposition par un État membre d'un supplément à l'importation de 40 % dont est majorée, en cas d'importation de marchandises par bateau en provenance d'un autre État membre, la taxe générale sur les marchandises perçue sur les marchandises chargées, déchargées, ou mises en mer ou à terre d'une autre manière dans les ports du premier État membre ou dans le chenal aménagé pour l'accès à ces ports. Elle demande, d'autre part, si un tel supplément est, le cas échéant, interdit au titre du règlement n° 4055-86 ou des articles 90 et 86 du traité.

En ce qui concerne la première partie de ces questions, il suffit de constater qu'il résulte de l'arrêt de ce même jour, Haahr Petroleum (C-90-94, non encore publié au Recueil), que tant la taxe générale sur les marchandises que le supplément à l'importation, qui en fait partie intégrante, relèvent de l'article 95 du traité et que cette disposition s'oppose à l'application, par un État membre, d'un tel supplément aux marchandises importées par bateau d'un autre État membre.

Le supplément à l'importation étant ainsi contraire à l'article 95 du traité, il n'y a pas lieu de se prononcer sur l'interprétation du règlement n° 4055-86 ou des articles 90 et 86 du traité mentionnés à la seconde partie des premières et deuxièmes questions.

Il convient, dès lors, de répondre aux premières et deuxièmes questions que l'article 95 du traité s'oppose à l'imposition par un État membre d'un supplément à l'importation de 40 % dont est majorée, en cas d'importation de marchandises par bateau en provenance d'un autre État membre, la taxe générale sur les marchandises perçue sur les marchandises chargées, déchargées, ou mises en mer ou à terre d'une autre manière dans les ports du premier État membre ou dans le chenal aménagé pour l'accès à ces ports.

Sur les troisièmes questions

Par ses troisièmes questions, la juridiction nationale demande, en substance, si un supplément à l'importation, tel que celui en cause dans les affaires au principal, est également contraire au droit communautaire en tant qu'il est applicable à des marchandises importées d'un pays tiers avec lequel la Communauté a conclu un accord comportant des dispositions analogues aux articles 6 et 18 de l'accord CEE/Suède.

En vertu de l'article 6, paragraphe 1, de l'accord CEE/Suède, "Aucune nouvelle taxe d'effet équivalant à des droits de douane à l'importation n'est introduite dans les échanges entre la Communauté et la Suède". A son paragraphe 3, cette disposition prévoit également la suppression au 1er juillet 1977 des taxes d'effet équivalent existantes.

En vertu de l'article 18, premier alinéa, de l'accord CEE/Suède, "Les parties contractantes s'abstiennent de toute mesure ou pratique de nature fiscale interne établissant directement ou indirectement une discrimination entre les produits d'une partie contractante et les produits similaires originaires de l'autre partie contractante".

Afin de répondre aux questions de la juridiction nationale, il convient d'abord de relever qu'il résulte de l'arrêt du 16 juillet 1992, Legros e.a. (C-163-90, Rec. p. I-4625), que la notion de "taxe d'effet équivalant à des droits de douane à l'importation" figurant à l'article 6 de l'accord CEE/Suède doit être interprétée de la même manière que la notion identique figurant aux articles 9 à 13 du traité.

Il convient de rappeler ensuite que, dans les arrêts du 26 octobre 1982, Kupferberg (104-81, Rec. p. 3641), et du 1er juillet 1993, Metalsa (C-312-91, Rec. p. I-3751), la Cour a relevé, à propos de dispositions identiques à celles de l'article 18, premier alinéa, de l'accord CEE/Suède, qui figuraient dans les accords du même type conclus avec respectivement la République portugaise et la république d'Autriche, que les interprétations qui avaient été données de l'article 95 du traité ne pouvaient pas être transposées, en vertu d'une simple analogie, dans le cadre d'un accord de libre-échange, en sorte que les dispositions pertinentes d'un tel accord devaient être interprétées en fonction non seulement de leurs termes, mais également de l'objectif qu'elles poursuivaient dans le cadre du régime de libre-échange institué par l'accord.

A cet égard, il importe de constater que, tout comme les accords de libre-échange en cause dans les arrêts Kupferberg et Metalsa, précités, l'accord CEE/Suède vise à la création d'un régime de libre-échange dans le cadre duquel les réglementations commerciales restrictives sont éliminées pour l'essentiel des échanges commerciaux portant sur les produits originaires des territoires des parties contractantes, notamment par la suppression des droits de douane et des taxes d'effet équivalent ainsi que par l'élimination des restrictions quantitatives et des mesures d'effet équivalent.

Vu dans ce contexte, l'article 18 de l'accord CEE/Suède tend à éviter que la libéralisation des échanges de marchandises obtenue à la suite de la suppression des droits de douane et des taxes d'effet équivalent ainsi que des restrictions quantitatives et des mesures d'effet équivalent ne soit rendue illusoire par des pratiques fiscales des parties contractantes. Ainsi que la Cour l'a expressément constaté au point 25 de l'arrêt Kupferberg, précité, tel serait le cas si le produit importé d'une partie était taxé plus lourdement que les produits indigènes similaires qu'il rencontre sur le marché d'une autre partie.

A la lumière de ces objectifs, et compte tenu de ses termes, l'article 18 de l'accord CEE/Suède doit dès lors être interprété comme imposant aux parties contractantes une règle de non-discrimination en matière fiscale qui est subordonnée à la seule constatation du caractère similaire des produits concernés par un régime d'imposition déterminé et qui interdit les discriminations découlant de toute mesure ou pratique ayant une incidence directe ou indirecte sur la détermination, les conditions et les modalités de perception des impôts qui grèvent les produits de l'autre partie contractante.

Or, force est de constater qu'une taxe sur les marchandises qui, ainsi que la Cour l'a constaté aux points 20 à 24 de l'arrêt Haahr Petroleum, précité, relève d'un système général de redevances intérieures appréhendant systématiquement des catégories de produits selon des critères objectifs appliqués indépendamment de l'origine des produits constitue une mesure interne de nature fiscale au sens de l'article 18 de l'accord CEE/Suède et que l'application, aux seuls produits importés, d'un supplément majorant la taxe applicable aux produits nationaux et importés est contraire à l'interdiction de discrimination telle qu'énoncée à cette disposition.

Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux troisièmes questions qu'un supplément à l'importation, tel que celui en cause dans les affaires au principal, est également contraire au droit communautaire en tant qu'il est applicable à des marchandises importées d'un pays tiers avec lequel la Communauté a conclu un accord comportant des dispositions analogues à l'article 18 de l'accord CEE/Suède.

Sur les quatrièmes questions

Par ses quatrièmes questions, la juridiction nationale demande, en substance, si le droit communautaire s'oppose également à l'imposition dudit supplément à l'importation si les marchandises sont importées dans un État membre directement à partir d'un pays tiers avec lequel la Communauté n'a pas conclu d'accord.

A cet égard, il y a lieu d'abord de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, l'article 95 du traité n'est applicable qu'aux marchandises en provenance des États membres et, le cas échéant, aux marchandises originaires de pays tiers qui se trouvent en libre pratique dans les États membres. Il s'ensuit que cette disposition est inapplicable aux produits importés directement des pays tiers (voir, notamment, arrêt du 13 juillet 1994, OTO, C-130-92, Rec. p. I-3281, point 18).

Il convient ensuite de relever que le traité ne comporte, pour les échanges avec les pays tiers, en ce qui concerne les impositions intérieures, aucune règle analogue à celle de l'article 95 (arrêts du 10 octobre 1978, Hansen, 148-77, Rec. p. 1787, point 23, et OTO, précité, point 20).

En conséquence, il convient de répondre aux quatrièmes questions que le droit communautaire ne s'oppose pas à l'imposition, par un État membre, d'un supplément à l'importation, tel que celui en cause dans les affaires au principal, à des marchandises importées directement d'un pays tiers avec lequel la Communauté n'a pas conclu d'accord.

Sur la cinquième question dans l'affaire C-115-95

Par cette question, la juridiction nationale vise à savoir si le droit communautaire exige qu'un État membre qui a fixé ou homologué une taxe contraire au droit communautaire soit tenu au remboursement de celle-ci, même si le produit de la taxe a été affecté à des entités administratives autonomes sous contrôle communal.

A cet égard, il convient d'abord de relever que la circonstance qu'une imposition ou redevance est perçue par un organisme de droit public autre que l'État ou à son profit, et constitue une taxe spéciale ou affectée à une destination particulière, ne saurait la faire échapper au champ d'application de l'article 95 du traité (voir arrêt du 22 mars 1977, Iannelli et Volpi, 74-76, Rec. p. 557, point 19) ni, le cas échéant, à l'interdiction énoncée à cette disposition.

Il importe ensuite de rappeler que le droit d'obtenir le remboursement de taxes perçues par un État membre en violation des règles du droit communautaire est la conséquence et le complément des droits conférés aux justiciables par les dispositions communautaires interdisant de telles taxes. L'État membre est donc tenu, en principe, de rembourser les taxes perçues en violation du droit communautaire (arrêt du 14 janvier 1997, Comateb e.a., C-192-95 à C-218-95, Rec. p. I-165, point 20).

Toutefois, il est également de jurisprudence constante que, en l'absence de réglementation communautaire en la matière, il appartient à l'ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l'effet direct du droit communautaire, étant entendu que ces modalités ne peuvent être moins favorables que celles concernant les recours similaires de nature interne ni rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire (voir, notamment, arrêt du 14 décembre 1995, Peterbroeck, C-312-93, Rec. p. I-4599, point 12, et jurisprudence citée).

Par conséquent, dans un cas tel que celui visé par la juridiction nationale, il appartient à l'ordre juridique interne, sous réserve des deux conditions précitées, de déterminer si l'action en répétition de l'indu doit être dirigée contre l'entité administrative autonome sous contrôle communal au bénéfice de laquelle le produit de la taxe a été affecté ou contre l'État qui a fixé ou homologué la taxe ou, le cas échéant, conjointement contre ces deux autorités.

Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la cinquième question que, dans l'hypothèse où une taxe contraire au droit communautaire a été fixée ou homologuée par un État membre, celui-ci est tenu, en principe, de rembourser les taxes perçues en violation du droit communautaire. Au cas où le produit de la taxe a été affecté à des entités administratives autonomes sous contrôle communal, le droit communautaire ne s'oppose pas à ce que l'action tendant au remboursement de ces taxes soit dirigée contre cette dernière entité, sous réserve que les modalités de cette action ne soient pas moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne ni ne rendent en pratique impossible ou excessivement difficile le remboursement des taxes indûment payées.

Sur les sixième et septième questions dans l'affaire C-115-95

Par les sixième et septième questions, qu'il convient d'examiner ensemble, la juridiction nationale demande, en substance, si le droit communautaire comporte une obligation inconditionnelle de rembourser des taxes perçues en violation de l'article 95 du traité ou d'une disposition analogue à l'article 18 de l'accord CEE/Suède et, notamment, s'il s'oppose à ce que le délai de prescription national applicable à une demande de remboursement de telles taxes commence à courir à une date antérieure à celle à laquelle ces taxes ont été supprimées.

A cet égard, il y a d'abord lieu de relever qu'il résulte notamment de l'arrêt du 9 novembre 1983, San Giorgio (199-82, Rec. p. 3595, point 12), rappelé par la juridiction nationale, que, si le droit d'obtenir le remboursement de taxes perçues par un État membre en violation des règles du droit communautaire est la conséquence et le complément du droit conféré aux justiciables par les dispositions communautaires interdisant de telles taxes, leur remboursement ne peut être poursuivi, en l'état actuel du droit communautaire, que dans le cadre des conditions, de fond et de forme, fixées par les diverses législations nationales en la matière, étant toutefois entendu que ces conditions ne sauraient être moins favorables que celles concernant les recours similaires de nature interne ni rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire.

Il convient ensuite de rappeler que, au point 48 de l'arrêt Haahr Petroleum, précité, la Cour a constaté que la fixation de délais de recours raisonnables à peine de forclusion, qui constitue l'application du principe fondamental de sécurité juridique, satisfait aux deux conditions susvisées et ne saurait notamment être considérée comme rendant en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par le droit communautaire, même si, par définition, l'écoulement de ces délais entraîne le rejet, total ou partiel, de l'action intentée.

L'arrêt du 25 juillet 1991, Emmott (C-208-90, Rec. p. I-4269), n'est pas de nature à infirmer cette conclusion.

En effet, au point 17 de cet arrêt, la Cour a expressément rappelé le principe selon lequel la fixation d'un délai de recours raisonnable à peine de forclusion satisfait aux conditions posées par la jurisprudence précitée. Ce n'est qu'en raison du caractère particulier des directives et eu égard aux circonstances propres de l'affaire qu'elle a jugé, au point 23, que, jusqu'au moment de leur transposition correcte en droit national, l'État membre défaillant ne peut pas exciper de la tardiveté d'une action judiciaire introduite à son encontre par un particulier en vue de la protection des droits que lui reconnaissent les dispositions d'une directive, de sorte qu'un délai de recours de droit national ne peut commencer à courir qu'à partir de ce moment.

Les demandes de remboursement visées par les questions de la juridiction nationale n'étant pas fondées sur l'effet direct d'une disposition d'une directive incorrectement transposée en droit national, mais sur celui d'une disposition du traité ou d'un accord de libre-échange tel l'accord CEE/Suède, il convient de répondre aux sixième et septième questions que le droit communautaire ne s'oppose pas à ce que le délai de prescription national applicable à une demande de remboursement de taxes perçues en violation de l'article 95 du traité ou d'une disposition analogue à l'article 18 de l'accord CEE/Suède commence à courir à une date antérieure à celle à laquelle ces taxes ont été supprimées.

Sur les dépens

Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par l'Østre Landsret, par deux ordonnances du 24 mars 1995, dit pour droit:

L'article 95 du traité CEE s'oppose à l'imposition par un État membre d'un supplément à l'importation de 40 % dont est majorée, en cas d'importation de marchandises par bateau en provenance d'un autre État membre, la taxe générale sur les marchandises perçue sur les marchandises chargées, déchargées, ou mises en mer ou à terre d'une autre manière dans les ports du premier État membre ou dans le chenal aménagé pour l'accès à ces ports.

Un tel supplément à l'importation est également contraire au droit communautaire en tant qu'il est applicable à des marchandises importées d'un pays tiers avec lequel la Communauté a conclu un accord comportant des dispositions analogues à l'article 18 de l'accord conclu entre la Communauté économique européenne et le Royaume de Suède, signé à Bruxelles le 22 juillet 1972, conclu et approuvé au nom de la Communauté par le règlement (CEE) n° 2838-72 du Conseil, du 19 décembre 1972.

Le droit communautaire ne s'oppose pas à l'imposition, par un État membre, dudit supplément à l'importation à des marchandises importées directement d'un pays tiers avec lequel la Communauté n'a pas conclu d'accord.

Dans l'hypothèse où une taxe contraire au droit communautaire a été fixée ou homologuée par un État membre, celui-ci est tenu, en principe, de rembourser les taxes perçues en violation du droit communautaire. Au cas où le produit de la taxe a été affecté à des entités administratives autonomes sous contrôle communal, le droit communautaire ne s'oppose pas à ce que l'action tendant au remboursement de ces taxes soit dirigée contre cette dernière entité, sous réserve que les modalités de cette action ne soient pas moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne ni ne rendent en pratique impossible ou excessivement difficile le remboursement des taxes indûment payées.

Le droit communautaire ne s'oppose pas à ce que le délai de prescription national applicable à une demande de remboursement de taxes perçues en violation de l'article 95 du traité ou d'une disposition analogue à l'article 18 de l'accord conclu entre la Communauté économique européenne et le Royaume de Suède commence à courir à une date antérieure à celle à laquelle ces taxes ont été supprimées.