CJCE, 5e ch., 22 février 2001, n° C-393/98
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ministério Público et António Gomes Valente
Défendeur :
Fazenda Pública
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. La Pergola
Avocat général :
M. Fennelly
Juges :
M. Wathelet, Edward, Jann, Sevón
Avocat :
Me Sa Pereira
LA COUR (cinquième chambre),
1 Par ordonnance du 7 octobre 1998, parvenue à la Cour le 5 novembre suivant, le Supremo Tribunal Administrativo a posé, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), trois questions préjudicielles sur l'interprétation de l'article 95 du traité CE (devenu, après modification, article 90 CE).
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant M. Gomes Valente à Fazenda Pública (Trésor public), M. Gomes Valente réclamant le remboursement de la taxe automobile qu'il avait acquittée lors de l'importation au Portugal d'une voiture d'occasion en provenance d'un autre État membre.
Le cadre juridique national
3 À la date de l'avis de liquidation de la taxe due par M. Gomes Valente au titre de l'importation définitive de son véhicule, le régime juridique de la taxe automobile portugaise était fixé par le décret-loi n° 40-93, du 18 février 1993 (Diário da República I, série A, n° 41, du 18 février 1993), tel que modifié par la loi n° 10-B-96, du 23 mars 1996 (Diário da República I, série A, du 23 mars 1996, ci-après le "décret-loi n° 40-93"). Ce texte a été plusieurs fois modifié par la suite.
4 La taxe automobile portugaise est une taxe à perception unique, qui est payée lors de la première mise sur le marché portugais, donc lors de la première immatriculation du véhicule au Portugal. Selon l'article 1er, paragraphe 1, du décret-loi n° 40-93:
"La taxe automobile est une imposition intérieure, frappant les voitures de tourisme - y compris les voitures à usage mixte, les voitures de course et celles qui sont principalement conçues pour le transport de personnes, à l'exclusion des mobile homes - admises ou importées comme voitures neuves ou comme voitures d'occasion, y compris celles qui sont montées ou fabriquées au Portugal et qui sont destinées à être immatriculées".
5 Selon l'article 1er, paragraphe 4, du même décret-loi, la taxe automobile varie en fonction de la cylindrée du véhicule et elle est liquidée conformément aux tableaux annexés audit décret-loi, qui font partie intégrante de celui-ci.
6 Aux termes de l'article 3, paragraphe 1, dudit décret-loi:
"Aucune voiture de tourisme, neuve ou d'occasion, ne peut être immatriculée si la preuve du paiement de la taxe automobile n'a pas été présentée à la direction générale de la circulation routière (Direcção-Geral de Viação) au moyen du registre officiel de perception, de garantie ou d'exonération de paiement."
7 L'article 1er, paragraphe 7, du décret-loi n° 40-93, dans sa version résultant des lois nos 75-93, du 20 décembre 1993, et 39-B-94, du 27 décembre 1994, prévoit que les véhicules d'occasion importés au Portugal et qui sont originaires des États membres ou y circulent en libre pratique bénéficient de réductions de la taxe automobile selon le barème suivant:
- après 1 à 2 ans d'utilisation, la réduction est égale à 18 %;
- après 2 à 3 ans d'utilisation, la réduction est égale à 24 %;
- après 3 à 4 ans d'utilisation, la réduction est égale à 32 %;
- après 4 à 5 ans d'utilisation, la réduction est égale à 41 %;
- après 5 à 6 ans d'utilisation, la réduction est égale à 49 %;
- après 6 à 7 ans d'utilisation, la réduction est égale à 55 %;
- après 7 à 8 ans d'utilisation, la réduction est égale à 61 %;
- après 8 ans d'utilisation, la réduction est égale à 67 %.
8 Ces divers pourcentages de réduction de la taxe automobile s'appliquent à la taxe qui serait exigée, à la date de l'importation du véhicule d'occasion, pour un véhicule neuf équivalent. Aux termes du préambule du décret-loi n° 40-93, ces réductions visent à compenser la perte de valeur résultant de l'usure.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
9 M. Gomes Valente a acheté en France une voiture de tourisme d'occasion, de marque BMW (modèle 325 turbo diesel), d'une cylindrée de 2 497 cm3, qui a été immatriculée pour la première fois, en France, le 2 décembre 1991.
10 Le 16 septembre 1996, M. Gomes Valente a déclaré au bureau des douanes d'Aveiro que cette voiture était destinée à l'importation définitive et que sa valeur était de 2 500 000 PTE. À la même date, ledit bureau a établi un avis de liquidation de la taxe automobile ("imposto automóvel") pour un montant de 1 856 994 PTE, que le demandeur a acquitté.
11 Le recours introduit par M. Gomes Valente contre cet avis de liquidation ayant été rejeté par un jugement du Tribunal Fiscal Aduaneiro do Porto (Portugal) du 16 octobre 1997, M. Gomes Valente et le procureur de la République près le Tribunal Fiscal Aduaneiro ont interjeté appel de ce jugement devant le Supremo Tribunal Administrativo.
12 M. Gomes Valente soutient que ledit jugement méconnaît la jurisprudence de la Cour relative à l'interprétation de l'article 95 du traité, qui, en raison de l'effet direct de cette disposition, entraînerait l'inapplication au cas d'espèce de la réglementation nationale contraire au droit communautaire. Il fait valoir que, aux points 14 et 15 de son arrêt du 9 mars 1995, Nunes Tadeu (C-345-93, Rec. p. I-479), qui avait pour contexte juridique le régime de la taxe automobile antérieur à celui qui était en vigueur lorsqu'il a importé son véhicule au Portugal, la Cour a jugé qu'une règle limitant la réduction de la taxe pour les voitures d'occasion importées à un certain pourcentage de la taxe perçue sur les voitures neuves du même type, sans que soit prise en compte la dépréciation réelle du véhicule, entraîne une taxation discriminatoire des véhicules d'occasion importés. Selon lui, en dépit des modifications apportées au régime de la taxe automobile à la suite de l'arrêt Nunes Tadeu, précité, la taxe automobile portugaise resterait contraire à l'article 95 du traité parce qu'elle ne serait pas calculée sur la base de la valeur commerciale réelle des véhicules d'occasion.
13 M. Gomes Valente a demandé au Supremo Tribunal Administrativo de saisir la Cour à titre préjudiciel, en lui suggérant les questions suivantes:
"1° . Une législation garantit-elle la parfaite neutralité des impositions intérieures au regard de la concurrence entre produits nationaux et produits importés (en l'occurrence les automobiles) et est-elle compatible avec l'article 95, paragraphe 1, du traité lorsque, comme la législation portugaise, elle soumet les véhicules automobiles légers destinés au transport de passagers, importés d'occasion, à une taxe fixe tenant uniquement compte de la cylindrée du véhicule, avec déduction à la base d'un pourcentage de respectivement 18 %, 24 %, 32 %, 41 %, 49 %, 55 %, 61 % et 67 % (selon que le véhicule importé a de un à deux ans, deux à trois ans, trois à quatre ans, quatre à cinq ans, cinq à six ans, six à sept ans, ou sept à huit ans) de ce que paierait un véhicule neuf (importé ou acheté sur le marché national), un véhicule de plus de huit ans devant payer 33 % de la taxe automobile qui grèverait un véhicule neuf (importé ou acheté sur le marché national), sans prendre en compte, dans aucune de ces situations, tous les autres facteurs qui affectent la valeur d'une automobile, tels notamment le kilométrage, l'état et le modèle?
2° . Une disposition nationale est-elle compatible avec l'article 95, paragraphe 1, du traité lorsqu'elle prévoit que la taxe qui frappe le produit importé et la taxe qui frappe le produit national similaire sont calculées de manière différente et selon des modalités différentes, la taxe automobile sur le véhicule d'occasion importé étant calculée sur la base de sa cylindrée, avec une déduction qui est seulement fonction du nombre d'années d'utilisation, alors que la taxe automobile n'est pas due pour les transactions concernant un véhicule d'occasion similaire opérées sur le marché national (puisque, s'agissant d'une taxe à perception unique, elle n'est payée qu'une fois, lorsque le véhicule est mis sur le marché à l'état neuf), et que son prix peut encore incorporer une part résiduelle de cette taxe s'il n'a pas plus de quatre ou cinq ans, que cette part résiduelle est toujours d'un montant indéterminé, qu'elle n'est pas distincte du prix d'achat et qu'il n'est pas possible de la distinguer, notamment parce que l'achat d'un véhicule d'occasion à l'intérieur du pays n'est pas assujetti à la taxe automobile?
3° . Peut-on considérer, à la lumière de l'article 95, paragraphe 1, du traité, qu'un tel régime ne peut pas conduire, ne serait-ce que dans quelques cas, à une taxation supérieure du produit importé et qu'il est conçu de manière à exclure dans tous les cas la possibilité qu'un véhicule importé soit plus lourdement taxé qu'un véhicule national similaire?
4° . Peut-on considérer, à la lumière du droit communautaire, qu'un tel régime est aussi transparent que nécessaire pour permettre de déterminer objectivement si la charge fiscale qui grève une automobile importée excède celle qui grève une automobile nationale similaire?
5° . Un tel régime peut-il, à la lumière du droit communautaire, être appliqué de manière équitable aux produits du marché intérieur et aux produits importés?"
14 C'est dans ces circonstances que le Supremo Tribunal Administrativo a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les trois questions préjudicielles suivantes:
"1) Les questions posées par le demandeur dans la présente affaire et reproduites ci-dessus sont-elles pertinentes? Quelle réponse ces questions appellent-elles en droit communautaire?
2) La dépréciation de la valeur réelle des véhicules d'occasion, à laquelle se réfère l'arrêt de la Cour du 9 mars 1995, Nunes Tadeu, implique-t-elle obligatoirement la nécessité de réaliser une évaluation ou une expertise de chaque véhicule, ou peut-elle être calculée de manière générale et abstraite à l'aide d'un critère déterminé par la loi?
3) Si la Commission retire un recours en manquement déterminé contre un État membre, estimant que la nouvelle législation nationale est désormais conforme au droit communautaire, une juridiction suprême nationale peut-elle, en se fondant sur l'interprétation du droit communautaire et du droit national donnée par la Commission, être dispensée de l'obligation de saisir la Cour d'une demande préjudicielle que lui impose l'article 177 du traité et statuer sur l'affaire conformément à l'interprétation donnée par la Commission?"
Sur la troisième question
15 Par sa troisième question, qu'il convient d'examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi demande en substance si le fait que la Commission renonce à poursuivre à l'encontre d'un État membre une procédure d'infraction concernant une législation déterminée a une incidence sur l'obligation, pour une juridiction de dernier ressort de cet État membre, de soumettre à la Cour, en application de l'article 177, troisième alinéa, du traité, une question de droit communautaire relative à la législation visée.
16 À cet égard, il y a lieu, d'une part, de rappeler que, conformément à l'article 177, troisième alinéa, du traité, lorsqu'une question préjudicielle est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour de justice (arrêt du 4 novembre 1997, Parfums Christian Dior, C-337-95, Rec. p. I-6013, point 24).
17 Selon une jurisprudence bien établie, cette obligation de saisine s'inscrit dans le cadre de la coopération, instituée en vue d'assurer la bonne application et l'interprétation uniforme du droit communautaire dans l'ensemble des États membres, entre les juridictions nationales, en leur qualité de juges chargés de l'application du droit communautaire, et la Cour de justice (voir, notamment, arrêts du 6 octobre 1982, Cilfit e.a., 283-81, Rec. p. 3415, point 7, et Parfums Christian Dior, précité, point 25), et elle a notamment pour but de prévenir que s'établisse, dans un État membre quelconque, une jurisprudence nationale ne concordant pas avec les règles du droit communautaire (voir, notamment, arrêts du 24 mai 1977, Hoffmann-La Roche, 107-76, Rec. p. 957, point 5, et du 27 octobre 1982, Morson et Jhanjan, 35-82 et 36-82, Rec. p. 3723, point 8).
18 D'autre part, ainsi que l'a indiqué le Gouvernement finlandais dans ses observations écrites, il convient de relever que, dans l'arrêt du 27 mai 1981, Essevi et Salengo (142-80 et 143-80, Rec. p. 1413, point 16), la Cour a jugé que la Commission n'a pas le pouvoir de déterminer de manière définitive, par les avis formulés en vertu de l'article 169 du traité CE (devenu article 226 CE) ou par d'autres prises de position dans le cadre de cette procédure, les droits et obligations d'un État membre, ou de lui donner des garanties concernant la compatibilité avec le traité d'un comportement déterminé, et que, selon les articles 169 du traité, ainsi que 170 et 171 du traité CE (devenus articles 227 CE et 228 CE), la détermination des droits et obligations des États membres et le jugement de leur comportement ne peuvent résulter que d'un arrêt de la Cour.
19 En conséquence, il y a lieu de répondre à la troisième question que le fait que la Commission renonce à poursuivre à l'encontre d'un État membre une procédure d'infraction concernant une législation déterminée n'a aucune incidence sur l'obligation, pour une juridiction de dernier ressort de cet État membre, de soumettre à la Cour, en application de l'article 177, troisième alinéa, du traité, une question de droit communautaire relative à la législation visée.
Sur les première et deuxième questions
20 Par ses première et deuxième questions, qu'il convient d'examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance, en premier lieu, si l'article 95, premier alinéa, du traité permet à un État membre d'appliquer aux véhicules d'occasion importés d'autres États membres un système de taxation dans lequel la dépréciation de la valeur réelle desdits véhicules est calculée de manière générale et abstraite, sur la base de critères ou de barèmes forfaitaires déterminés par une disposition législative, réglementaire ou administrative, sans exiger que les autorités nationales procèdent à une appréciation particulière de la valeur de chaque véhicule d'occasion importé. En cas de réponse positive, la juridiction de renvoi demande, en second lieu, si un système de taxation tel que celui en cause au principal est conforme aux exigences de l'article 95, premier alinéa, du traité.
21 Quant à la question de savoir si la prise en compte de la dépréciation réelle d'un véhicule d'occasion, à laquelle fait référence l'arrêt Nunes Tadeu, précité, exige une expertise de chaque véhicule, en excluant qu'elle puisse être calculée de manière générale et abstraite à l'aide d'un critère déterminé par la loi, il y a lieu de rappeler à titre liminaire que, selon une jurisprudence constante, l'article 95, premier alinéa, du traité est violé lorsque l'imposition frappant le produit importé et celle frappant le produit national similaire sont calculées de façon différente et suivant des modalités différentes aboutissant, ne fût-ce que dans certains cas, à une imposition supérieure du produit importé (voir arrêts du 23 octobre 1997, Commission/Grèce, C-375-95, Rec. p. I-5981, point 20, et jurisprudence citée, ainsi que du 2 avril 1998, Outokumpu, C-213-96, Rec. p. I-1777, point 34).
22 Dans l'arrêt du 11 décembre 1990, Commission/Danemark (C-47-88, Rec. p. I-4509, point 21), la Cour a jugé que l'article 95 du traité s'oppose à ce qu'un État membre applique aux véhicules d'occasion importés une taxe d'immatriculation calculée sur la base d'une valeur taxable forfaitaire ne pouvant jamais être inférieure à 90 % de la valeur taxable de la voiture à l'état neuf, limitant ainsi la dépréciation de ces véhicules à 10 %, quels que soient leur ancienneté ou leur état d'utilisation. En effet, selon la Cour, la perception d'une taxe d'immatriculation dont la base est d'au moins 90 % de la valeur de la voiture neuve constitue généralement une surtaxation manifeste de ces véhicules par rapport à la valeur résiduelle de la taxe d'immatriculation pour les voitures d'occasion préalablement immatriculées, achetées sur le marché national, quels que soient leur ancienneté ou leur état d'utilisation (arrêt Commission/Danemark, précité, point 20).
23 Au point 15 de l'arrêt Nunes Tadeu, précité, la Cour a considéré qu'une règle limitant à 10 % la réduction du montant de la taxe perçue sur les voitures neuves, sans prise en compte de la dépréciation réelle du véhicule, entraîne une taxation discriminatoire des voitures d'occasion importées. En conséquence, elle a jugé contraire à l'article 95 du traité la perception par un État membre d'une taxe sur les voitures d'occasion en provenance d'un autre État membre lorsque le montant de la taxe, calculé sans prise en compte de la dépréciation réelle du véhicule, excède le montant de la taxe résiduelle incorporé dans la valeur des véhicules d'occasion similaires déjà immatriculés sur le territoire national (arrêt Nunes Tadeu, précité, point 20).
24 Il ne ressort cependant pas de la jurisprudence citée aux points 21 à 23 du présent arrêt que la dépréciation réelle des véhicules ne puisse être prise en compte qu'au moyen d'une évaluation ou d'une expertise de chacun de ceux-ci. En effet, en évitant la lourdeur inhérente à un tel système, un État membre pourrait fixer, au moyen de barèmes forfaitaires déterminés par une disposition législative, réglementaire ou administrative et calculés sur la base de critères tels que l'ancienneté, le kilométrage, l'état général, le mode de propulsion, la marque ou le modèle du véhicule, une valeur des véhicules d'occasion qui, en règle générale, serait très proche de leur valeur réelle.
25 Dans l'élaboration de ces barèmes, les autorités d'un État membre pourraient se référer à un argus indiquant les prix moyens des véhicules d'occasion sur le marché national ou à une liste des prix courants moyens utilisés comme référence dans le secteur.
26 Il convient toutefois d'ajouter que, pour qu'un système de taxation des véhicules d'occasion importés prenant en compte la dépréciation réelle des véhicules sur la base de critères généraux soit compatible avec l'article 95 du traité, encore faut-il qu'il soit aménagé de façon à exclure, compte tenu des approximations raisonnables inhérentes à tout système de ce type, tout effet discriminatoire.
27 À cet égard, la procédure devant la Cour s'est essentiellement concentrée sur deux points, à savoir, d'une part, la façon plus ou moins précise dont le barème forfaitaire reflète la dépréciation réelle du véhicule et, d'autre part, la possibilité pour le propriétaire d'un véhicule d'occasion importé d'introduire un recours pour contester l'application à son véhicule d'un barème fondé sur des critères généraux.
28 En ce qui concerne le premier de ces points, si l'application d'un barème de taxation des véhicules d'occasion importés fondé sur un critère de dépréciation unique - comme dans le cas de la législation en cause au principal, s'agissant, en l'occurrence, du nombre d'années d'utilisation du véhicule - n'est pas en elle-même contraire à l'article 95, premier alinéa, du traité, il apparaît toutefois que la prise en compte d'autres facteurs de dépréciation, tels que la marque, le modèle, le kilométrage, le mode de propulsion, l'état mécanique ou l'état d'entretien du véhicule, est de nature à garantir que le barème forfaitaire reflète de manière beaucoup plus précise la dépréciation réelle des véhicules et permet d'aboutir beaucoup plus facilement à l'objectif d'une taxation des véhicules d'occasion importés qui ne soit en aucun cas supérieure au montant de la taxe résiduelle incorporé dans la valeur des véhicules d'occasion similaires déjà immatriculés sur le territoire national.
29 En l'espèce, le Gouvernement portugais n'a pu démontrer que d'autres facteurs de dépréciation que le nombre d'années d'utilisation des véhicules avaient été pris en compte pour déterminer les pourcentages de réduction de la taxe et a d'ailleurs reconnu lors de l'audience que le barème de réduction prévu par le décret-loi n° 40-93 ne reflétait pas de manière suffisamment précise la dépréciation réelle des véhicules.
30 En outre, en réponse aux questions posées par la Cour lors de l'audience, il n'a pu indiquer sur quelle base les autorités nationales avaient pu établir un pourcentage de dépréciation s'élevant à seulement 18 % pour tous les véhicules ayant jusqu'à deux ans d'utilisation et une réduction pratiquement linéaire de la valeur des véhicules d'occasion ayant entre deux et plus de huit ans d'utilisation.
31 En ce qui concerne le second point, il pourrait être soutenu qu'un barème forfaitaire qui, tout en reflétant l'évolution générale de la dépréciation des véhicules, ne le ferait cependant que de manière imprécise serait néanmoins compatible avec l'article 95 du traité s'il s'accompagne d'une possibilité, pour le propriétaire d'un véhicule importé, de contester devant un juge l'application de ce barème à son véhicule.
32 Il est vrai que la possibilité pour le propriétaire d'un véhicule importé de contester l'application du barème forfaitaire à son véhicule en démontrant qu'elle aboutit à une taxation supérieure au montant de la taxe résiduelle incorporé dans la valeur des véhicules d'occasion similaires déjà immatriculés sur le territoire national est de nature à prévenir les éventuels effets discriminatoires d'un système de taxation fondé sur un tel barème.
33 En effet, l'effet direct de l'article 95, premier alinéa, du traité, reconnu par l'arrêt du 16 juin 1966, Lütticke (57-65, Rec. p. 293, 302), implique qu'un particulier doit pouvoir contester la compatibilité au regard de cette disposition de la réglementation nationale établissant les critères ou barèmes légaux qui ont été appliqués pour calculer la taxe frappant son véhicule d'occasion importé.
34 Une telle possibilité est en tout état de cause subordonnée à la condition que le ou les critères sur la base desquels est calculé le barème soient portés à la connaissance du public.
35 Or, même si le Gouvernement portugais a indiqué lors de l'audience qu'une taxation pouvait toujours être contestée devant les tribunaux, il n'a pu démontrer l'existence, dans le système de taxation en cause au principal, d'un droit pour le contribuable d'apporter la preuve de l'inadéquation du barème forfaitaire pour déterminer la valeur réelle du véhicule d'occasion qu'il a importé.
36 De plus, les facteurs sur la base desquels ont été déterminés les pourcentages de réduction de la taxe ne sont pas indiqués dans le décret-loi n° 40-93.
37 Compte tenu des considérations qui précèdent et de la jurisprudence relative à l'article 95 du traité telle que rappelée aux points 21 à 23 du présent arrêt, dont il résulte que le montant maximal de la taxe applicable aux véhicules d'occasion importés est déterminé par celui de la taxe résiduelle incorporé dans la valeur des véhicules d'occasion similaires déjà immatriculés sur le territoire national, un système de taxation tel que celui en cause au principal n'est pas de nature à garantir que le montant de la taxe due à l'importation d'un véhicule en provenance d'un autre État membre n'excède pas, ne fût-ce que dans quelques cas, celui de la taxe résiduelle grevant un véhicule équivalent déjà immatriculé sur le territoire national. Un tel système n'exclut donc pas en toute hypothèse que les produits importés soient taxés plus lourdement que les produits nationaux.
38 En ce qui concerne la situation de fait à l'origine du litige au principal, il ressort des chiffres fournis par le Gouvernement portugais en réponse aux questions écrites posées par la Cour que l'application du barème de réduction fixé par le décret-loi n° 40-93 n'excluait pas toute discrimination au détriment des véhicules d'occasion importés.
39 En effet, d'après le Gouvernement portugais, le prix d'un véhicule tel que celui de M. Gomes Valente en 1991, soit à l'état neuf, pouvait être estimé à 10 478 000 PTE et, en 1996, année où ce dernier a importé le véhicule au Portugal, la valeur moyenne sur le marché de l'occasion portugais d'un tel véhicule était de 4 600 000 PTE.
40 Ces chiffres traduisent une dépréciation de 56 % de la valeur du véhicule, alors que, conformément au barème institué par la législation en vigueur, la réduction de la taxe due n'était que de 41 % par rapport à la taxe automobile calculée sur le prix du véhicule neuf.
41 Or, dans le cadre d'une législation nationale telle que celle en cause au principal, la réduction de la taxe doit être directement proportionnelle à la perte de valeur du véhicule pour que le montant de la taxe sur les véhicules d'occasion importés n'excède pas celui de la taxe résiduelle incorporé dans la valeur des véhicules d'occasion similaires déjà immatriculés sur le territoire national.
42 Le Gouvernement portugais a indiqué à l'audience que le système de taxation des véhicules d'occasion importés visait, en réalité, à rétablir une égalité de traitement de principe entre la valeur commerciale des voitures d'occasion sur le marché national et celle des voitures d'occasion importées.
43 Une telle argumentation ne saurait être retenue. En effet, un régime fiscal national qui tendrait à éliminer un avantage concurrentiel des produits importés par rapport aux produits nationaux serait manifestement contraire à l'article 95 du traité, qui vise à garantir la parfaite neutralité des impositions intérieures au regard de la concurrence entre produits nationaux et produits importés (arrêt Nunes Tadeu, précité, point 18).
44 Il convient donc de répondre aux première et deuxième questions, telles que reformulées au point 20 du présent arrêt, que l'article 95, premier alinéa, du traité ne permet à un État membre d'appliquer aux véhicules d'occasion importés d'autres États membres un système de taxation dans lequel la dépréciation de la valeur réelle desdits véhicules est calculée de manière générale et abstraite, sur la base de critères ou de barèmes forfaitaires déterminés par une disposition législative, réglementaire ou administrative, qu'à la condition que ces critères ou barèmes soient de nature à garantir que le montant de la taxe due n'excède pas, ne fût-ce que dans quelques cas, celui de la taxe résiduelle incorporé dans la valeur des véhicules similaires déjà immatriculés sur le territoire national.
Sur les dépens
45 Les frais exposés par les Gouvernements portugais, néerlandais et finlandais, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre),
Statuant sur les questions à elle soumises par le Supremo Tribunal Administrativo, par ordonnance du 7 octobre 1998, dit pour droit:
1) Le fait que la Commission renonce à poursuivre à l'encontre d'un État membre une procédure d'infraction concernant une législation déterminée n'a aucune incidence sur l'obligation, pour une juridiction de dernier ressort de cet État membre, de soumettre à la Cour, en application de l'article 177, troisième alinéa, du traité CE (devenu article 234, troisième alinéa, CE), une question de droit communautaire relative à la législation visée.
2) L'article 95, premier alinéa, du traité ne permet à un État membre d'appliquer aux véhicules d'occasion importés d'autres États membres un système de taxation dans lequel la dépréciation de la valeur réelle desdits véhicules est calculée de manière générale et abstraite, sur la base de critères ou de barèmes forfaitaires déterminés par une disposition législative, réglementaire ou administrative, qu'à la condition que ces critères ou barèmes soient de nature à garantir que le montant de la taxe due n'excède pas, ne fût-ce que dans quelques cas, celui de la taxe résiduelle incorporé dans la valeur des véhicules similaires déjà immatriculés sur le territoire national.