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Décisions

CJCE, 27 octobre 1993, n° C-72/92

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Firma Herbert Scharbatke GmbH

Défendeur :

République fédérale d'Allemagne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Due

Présidents de chambre :

MM. Mancini, Moitinho de Almeida, Díez de Velasco, Edward

Avocat général :

M. Tesauro

Juges :

MM. Kakouris, Joliet, Schockweiler, Rodríguez Iglesias, Grévisse, Zuleeg

Avocat :

Me Liebenau

CJCE n° C-72/92

27 octobre 1993

LA COUR,

1 Par ordonnance du 11 décembre 1991, parvenue à la Cour le 9 mars 1992, le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main (République fédérale d'Allemagne) a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, des questions préjudicielles sur l'interprétation des articles 9, 12, 92 et 95 du traité CEE.

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant l'entreprise Scharbatke GmbH (ci-après "Scharbatke") à la République fédérale d'Allemagne, au sujet de la légalité d'une contribution obligatoire perçue en Allemagne, entre autres, lors de la présentation à l'inspection des viandes de porcs abattus à des fins commerciales, au profit d'un Fonds de commercialisation des produits agricoles, forestiers et alimentaires (Absatzfonds, ci-après "Fonds").

3 La loi allemande du 26 juin 1969 (BGBl. I, p. 635), dans sa version résultant de la communication du 8 novembre 1976 (BGBl. I, p. 3109), prévoit la création d'un Fonds de commercialisation des produits agricoles, forestiers et alimentaires allemands. Selon l'article 2 de cette loi, le Fonds a pour mission "de promouvoir, de manière centralisée, avec des moyens et des méthodes modernes, la commercialisation et l'exploitation des produits agricoles, forestiers et alimentaires allemands, par la conquête et le suivi de marchés en Allemagne et à l'étranger".

4 L'article 10, relatif au financement du Fonds, prévoit, outre le versement d'allocations par les autorités fédérales, le prélèvement de contributions sur le secteur de l'agriculture, des forêts et de l'alimentation. La même disposition fixe à 1 DM par porc la contribution due par les entreprises présentant à l'inspection des viandes de porcs abattus à des fins commerciales.

5 La requérante au principal exploite un commerce de viandes en gros et un abattoir en Allemagne. En 1985, elle a présenté un certain nombre de porcs abattus à l'inspection des viandes. Il ressort de l'ordonnance de renvoi que ces porcs provenaient en majeure partie des Pays-Bas, où ils avaient été soumis à une taxe nationale destinée au financement de mesures de promotion des produits néerlandais, laquelle n'a pas été prise en considération lors de l'acquittement de la contribution contestée, et que la société Scharbatke a commercialisé la viande en Allemagne sous une dénomination indiquant le pays d'origine des animaux.

6 Les autorités allemandes ont réclamé à Scharbatke, par avis de paiement, le versement d'un montant correspondant à la contribution due au titre de la loi du 26 juin 1969, précitée. Par suite du rejet de sa réclamation, Scharbatke s'est pourvue contre cet avis de paiement devant le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main.

7 Ayant des doutes sérieux quant à la conformité de la contribution en cause avec les dispositions du traité, cette juridiction a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1. Une taxe nationale frappant la viande de porc d'un autre État membre, commercialisée sous une dénomination indiquant le pays d'origine des animaux, relève-t-elle de la notion de 'taxe d'effet équivalent'(à des droits de douane) au sens des articles 9 et 12 du traité CEE, lorsque cette taxe nationale frappe certes également la viande d'origine nationale, mais qu'elle alimente exclusivement un fonds dont l'unique objet est de promouvoir la commercialisation et l'utilisation des produits agricoles, forestiers et alimentaires nationaux?

2. Dans l'hypothèse où la première question appelle une réponse négative:

Une taxe au sens de la première question relève-t-elle de la notion d' " imposition intérieure supérieure indirecte " au sens de l'article 95, premier alinéa, du traité CEE, ou de la notion d' " imposition intérieure de nature à protéger indirectement d'autres productions " au sens de l'article 95, deuxième alinéa, du traité CEE, lorsque les animaux abattus ont déjà été soumis avant l'importation à une taxe similaire de l'État d'origine et que cela n'a pas été pris en considération lors de la taxation dans le pays d'importation?

3. Une juridiction nationale est-elle habilitée à contrôler si la perception d'une taxe nationale au sens de la première question est compatible avec le droit communautaire au regard de l'article 92 du traité CEE, lorsque la demanderesse au principal fait valoir de façon convaincante qu'elle subit une discrimination du fait de l'aide nationale, puisqu'elle doit contribuer au financement de l'aide en s'acquittant de la taxe, alors que, en tant qu'importatrice, elle ne fait pas partie des bénéficiaires de l'aide?

4. Dans l'hypothèse où la troisième question appelle une réponse affirmative:

Le financement du fonds décrit dans la première question, par la perception de taxes sur la viande de porc d'autres États membres, constitue-t-il indirectement un mécanisme protecteur qui opère comme une aide protectionniste au sens de l'article 92 du traité CEE? Un tel mécanisme entraîne-t-il une incompatibilité avec le Marché commun au sens de l'article 92 du traité CEE? Un tel mécanisme est-il pour cette raison interdit, tout comme une aide protectionniste comparable, en vertu de l'article 92 du traité CEE?"

8 Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, de la réglementation nationale en cause ainsi que des observations écrites présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Sur les articles 9, 12 et 95 du traité

9 Par les deux premières questions, la juridiction nationale demande en substance si les articles 9, 12, et 95 du traité s'opposent à la perception d'une contribution obligatoire qui constitue une taxe parafiscale grevant indistinctement, et selon les mêmes modalités, les produits nationaux et importés, au bénéfice d'un fonds dont les interventions profitent aux seuls produits nationaux.

10 Il résulte d'une jurisprudence constante (voir notamment, arrêts du 11 mars 1992, Compagnie commerciale de l'Ouest e.a., C-78 à C-83-90, Rec. p. I-1847, point 27 et du 16 décembre 1992, Lornoy e.a., C-17-91, Rec. p. I-6523, point 21), que si les avantages résultant de l'affectation du produit d'une cotisation constituant une taxe parafiscale compensent intégralement la charge supportée par le produit national lors de sa mise dans le commerce, cette cotisation constitue une taxe d'effet équivalant à un droit de douane, contraire aux articles 9 et 12 du traité. Si ces avantages ne compensent qu'une partie de la charge grevant le produit national, la taxe en question est régie par l'article 95 du traité. Dans ce dernier cas, la taxe serait incompatible avec l'article 95 du traité et donc interdite dans la mesure où elle est discriminatoire au détriment du produit importé, à savoir dans la mesure où elle compense partiellement la charge supportée par le produit national appréhendé.

11 Il est également de jurisprudence constante qu'il appartient à la juridiction nationale de vérifier si la charge grevant le produit national est intégralement ou partiellement compensée par l'utilisation des recettes de la taxe en cause (voir arrêt du 11 juin 1992, Sanders, C-149-91 et C-150-91, Rec. p. I-3899 et arrêts Compagnie commerciale de l'Ouest et Lornoy, précités). Il lui appartient ainsi d'établir, avec la collaboration des autres autorités nationales concernées, la mesure de la discrimination éventuelle qui pèse sur les produits importés.

12 Le Gouvernement allemand fait valoir en l'occurrence que les activités du Fonds ont pour objet la promotion de produits alimentaires finis s'adressant au consommateur final, indépendamment de la question de savoir si ces produits finis ont été fabriqués à partir de produits de base nationaux ou importés. Ainsi, les interventions du Fonds profiteraient aussi bien aux produits de base nationaux qu'aux produits importés.

13 Il y a lieu d'observer à cet égard que les questions préjudicielles se limitent à l'hypothèse d'une taxe parafiscale dont le produit favorise les seuls produits nationaux.

14 Par la deuxième question, il est encore demandé si une taxe parafiscale telle que celle visée en l'espèce au principal constitue une imposition intérieure interdite par l'article 95 du traité, dès lors que n'est pas prise en considération une taxe similaire déjà perçue dans l'État d'exportation sur les mêmes produits.

15 Il convient d'observer à cet égard que, s'il est vrai que dans le cadre du système de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et sur la base du régime d'harmonisation de ce domaine, il faut, ainsi qu'il résulte de l'arrêt du 5 mai 1982, Schul, (15-81, p. 1409), prendre en considération la TVA acquittée dans l'État membre d'exportation, cette solution n'est pas transposable dans le cas de taxes, comme celles en cause dans l'affaire au principal, qui sont régies par des législations nationales autonomes.

16 Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la juridiction nationale que, une cotisation obligatoire constituant une taxe parafiscale, appliquée dans les mêmes conditions de perception aux produits nationaux et aux produits importés, dont les recettes sont affectées au profit des seuls produits nationaux, de sorte que les avantages qui en découlent compensent intégralement la charge grevant ces produits, constitue une taxe d'effet équivalant à un droit de douane interdite par les articles 9 et 12 du traité. Si ces avantages ne compensent qu'une partie de la charge supportée par les produits nationaux, la taxe constitue une imposition intérieure discriminatoire interdite par l'article 95 du traité. Le seul fait que la taxe soit perçue sur des produits importés, sans déduction d'une taxe nationale certes analogue, mais régie de manière autonome par la législation nationale, qui a grevé les mêmes produits dans l'État membre d'exportation, ne constitue pas une raison d'incompatibilité de cette taxe avec l'article 95 du traité.

Sur les articles 92 et suivants du traité

17 Par ses deux dernières questions, la juridiction nationale demande en substance si la perception d'une taxe parafiscale, telle que celle en cause dans l'affaire au principal, peut constituer, en tant que mode de financement d'une aide étatique, un mécanisme interdit par l'article 92 du traité, et si une juridiction nationale est habilitée à contrôler la compatibilité de la perception d'une telle taxe avec la disposition en question.

18 Comme la Cour l'a dit pour droit à maintes reprises, si une taxe parafiscale peut entrer dans le champ d'application soit de l'article 12, soit de l'article 95 du traité, l'affectation du produit de cette taxe au bénéfice des produits nationaux peut néanmoins constituer une aide étatique incompatible avec le Marché commun, si les conditions d'application de l'article 92 du traité, telles qu'interprétées par la jurisprudence de la Cour, sont réunies (voir arrêts Compagnie commerciale de l'Ouest, Sanders et Lornoy, précités).

19 Toutefois, selon une jurisprudence constante, l'incompatibilité des aides étatiques avec le Marché commun n'est ni absolue ni inconditionnelle. Le traité, en organisant par l'article 93 l'examen permanent et le contrôle des aides par la Commission, entend que la reconnaissance de l'incompatibilité éventuelle d'une aide avec le Marché commun résulte, sous le contrôle de la Cour, d'une procédure appropriée dont la mise en œuvre relève de la responsabilité de la Commission. Les particuliers ne sauraient, dès lors, en invoquant le seul article 92, contester la compatibilité d'une aide avec le droit communautaire devant les juridictions nationales, ni demander à celles-ci de se prononcer, à titre principal ou incident, sur une incompatibilité éventuelle (arrêts du 22 mars 1977, Iannelli, 74-76, Rec. p. 557, et Steinike, 78-76, Rec. p. 595, et arrêts Compagnie commerciale de l'Ouest, Sanders et Lornoy, précités).

20 Il convient, dès lors, de répondre à la juridiction nationale que la perception d'une contribution constituant une taxe parafiscale telle que celle visée en l'espèce au principal, peut constituer, en fonction de l'affectation de son produit, une aide étatique incompatible avec le Marché commun, si les conditions d'application de l'article 92 du traité sont réunies, étant entendu qu'une telle appréciation relève de la compétence exclusive de la Commission, suivant la procédure prévue à cet effet par l'article 93 du traité, et sous le contrôle de la Cour.

Sur les dépens

21 Les frais exposés par le Gouvernement allemand et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumise par le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main (République fédérale d'Allemagne), par ordonnance du 11 décembre 1991, dit pour droit:

1) Une cotisation obligatoire constituant une taxe parafiscale, appliquée dans les mêmes conditions de perception aux produits nationaux et aux produits importés, dont les recettes sont affectées au profit des seuls produits nationaux, de sorte que les avantages qui en découlent compensent intégralement la charge grevant ces produits, constitue une taxe d'effet équivalant à un droit de douane interdite par les articles 9 et 12 du traité CEE. Si ces avantages ne compensent qu'une partie de la charge supportée par les produits nationaux, la taxe constitue une imposition intérieure discriminatoire interdite par l'article 95 du traité. Le seul fait que la taxe soit perçue sur des produits importés, sans déduction d'une taxe nationale certes analogue, mais régie de manière autonome par la législation nationale, qui a grevé les mêmes produits dans l'État membre d'exportation, ne constitue pas une raison d'incompatibilité de cette taxe avec l'article 95 du traité.

2) La perception d'une telle taxe parafiscale peut constituer, en fonction de l'affectation de son produit, une aide étatique incompatible avec le Marché commun, si les conditions d'application de l'article 92 du traité sont réunies, étant entendu qu'une telle appréciation relève de la compétence exclusive de la Commission, suivant la procédure prévue à cet effet par l'article 93 du traité, et sous le contrôle de la Cour.