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Décisions

CJCE, 5e ch., 11 mai 1999, n° C-350/97

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Wilfried Monsees

Défendeur :

Unabhängiger Verwaltungssenat für Kärnten

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Puissochet

Avocat général :

M. Léger

Juges :

MM. Moitinho de Almeida, Gulmann, Edward, Sevón

CJCE n° C-350/97

11 mai 1999

LA COUR (cinquième chambre),

1 Par ordonnance du 24 septembre 1997, parvenue à la Cour le 13 octobre suivant, le Verwaltungsgerichtshof a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), une question préjudicielle sur l'interprétation des articles 30, 34 et 36 du traité CE (devenus, après modification, articles 28 CE à 30 CE), ainsi que des autres dispositions du droit communautaire relatives aux transports d'animaux vivants destinés à l'abattage.

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant M. Monsees à l'Unabhängiger Verwaltungssenat für Kärnten (chambre administrative indépendante du ressort du Land de Carinthie) au sujet de l'application d'une réglementation relative à la durée et à la distance maximales des transports d'animaux vivants destinés à l'abattage.

3 En vertu de son article 1er, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 2, sous b), premier tiret, la directive 91-628-CEE du Conseil, du 19 novembre 1991, relative à la protection des animaux en cours de transport et modifiant les directives 90-425-CEE et 91-496-CEE (JO L 340, p. 17), s'applique aux transports des animaux domestiques de l'espèce bovine sur un trajet supérieur à 50 kilomètres à compter du début du transport jusqu'au lieu de destination.

4 En ce qui concerne les modalités du transport des bovins, et notamment la durée de celui-ci, le chapitre I, point 2, sous d), de l'annexe de la directive 91-628 dispose que, au cours du transport, les animaux doivent être abreuvés et recevoir une alimentation appropriée à des intervalles convenables. Ces intervalles ne doivent pas dépasser vingt-quatre heures sauf si des cas spécifiques nécessitent une prolongation de cette période d'un maximum de deux heures dans l'intérêt des animaux.

5 Selon l'article 13, paragraphe 1, premier tiret, de la même directive, la Commission devait soumettre, avant le 1er juillet 1992, ses éventuelles propositions sur la fixation d'une durée maximale de transport pour certains types d'animaux. Le paragraphe 4 de cet article prévoyait que, dans l'attente de la mise en œuvre de cette disposition, les règles nationales en cette matière restaient applicables dans le respect des dispositions générales du traité.

6 Il ressort du troisième considérant de la directive 95-29-CE du Conseil, du 29 juin 1995, modifiant la directive 91-628 (JO L 148, p. 52), que "des États membres ont réglementé les durées de transport, les intervalles auxquels les animaux doivent être nourris et abreuvés, les périodes de repos et l'espace disponible; que ces règles sont, dans certains cas, très détaillées et sont invoquées par certains États membres pour restreindre les échanges intracommunautaires d'animaux vivants...".

7 Le quatrième considérant de la même directive énonce que, "pour éliminer les entraves techniques aux échanges d'animaux vivants et permettre le bon fonctionnement des organisations de marché en question tout en assurant un niveau satisfaisant de protection des animaux concernés, il convient, dans le cadre du marché intérieur, de modifier les règles fixées par la directive 91-628-CEE en vue d'harmoniser les durées de déplacement, les intervalles auxquels les animaux doivent être nourris et abreuvés, les périodes de repos et l'espace disponible en ce qui concerne certains types d'animaux".

8 La directive 95-29 a inséré à l'article 3, paragraphe 1, de la directive 91-628 un nouveau point a bis). Selon le second tiret de celui-ci, les États membres veillent à ce que "les durées de déplacement et de repos, ainsi que les intervalles d'alimentation et d'abreuvement pour certains types d'animaux, soient ... conformes à ceux fixés au chapitre VII de l'annexe..." de cette dernière directive.

9 Ladite annexe, telle que complétée par la directive 95-29, fixe notamment, à son chapitre VII, points 1 et 2, la durée maximale de voyage par route autorisée pour les animaux de l'espèce bovine, laquelle ne doit pas dépasser huit heures.

10 Le point 3 autorise toutefois une prolongation de cette durée si le véhicule servant au transport remplit certaines conditions supplémentaires. Dans ce cas, en application du point 4, sous d), de ce même chapitre, les bovins doivent bénéficier, "après 14 heures de transport, d'un temps de repos suffisant, d'au moins 1 heure, notamment pour être abreuvés et si nécessaire alimentés. Après ce temps de repos, le transport peut reprendre pour une période de 14 heures."

11 En vertu du point 8, ces durées de voyage peuvent être "prolongées de 2 heures dans l'intérêt des animaux, compte tenu en particulier de la proximité du lieu de destination".

12 Le point 9 permet enfin aux États membres de "prévoir une durée de transport maximale de 8 heures non reconductible pour les transports d'animaux destinés à l'abattage effectués exclusivement à partir d'un point de départ jusqu'à un point de destination situés sur leur propre territoire".

13 Selon l'article 2, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 95-29, les États membres mettent en vigueur les dispositions nécessaires pour se conformer à la directive avant le 31 décembre 1996. Toutefois, pour la transposition de certaines dispositions, ils disposent d'un délai supplémentaire allant jusqu'au 31 décembre 1997.

14 S'agissant de la réglementation autrichienne, l'article 5, paragraphes 1 et 2, du Tiertransportgesetz-Straße (loi sur le transport d'animaux par route, BGBl. n_ 411-1994, ci-après le "TGSt") prévoit, au sujet du déroulement du transport:

"Le transport d'animaux par route doit être effectué sur l'itinéraire le plus court, habituellement emprunté pour la circulation, acceptable sur le plan vétérinaire et autorisé par les dispositions relevant de la circulation routière et de la police de la route...

Le transport d'animaux destinés à l'abattage doit s'arrêter à l'abattoir approprié le plus proche dans les limites du territoire national; il peut être procédé au transport d'animaux destinés à l'abattage en tout état de cause dès lors que, en respectant les dispositions relevant de la circulation routière et de la police de la route, la durée totale du transport n'excède pas 6 heures et la distance parcourue reste inférieure à 130 kilomètres. Le kilométrage effectivement parcouru sur autoroute n'est pris en compte que pour moitié aux fins du calcul de la distance parcourue."

15 En application de l'article 16, paragraphe 3, point 4, du TGSt, toute personne qui effectue ou fait effectuer un transport d'animaux en violation des dispositions de l'article 5, paragraphes 1 ou 2, de la même loi commet une infraction passible d'une amende administrative de 10 000 à 50 000 schillings.

16 M. Monsees, transporteur, est poursuivi pour avoir enfreint cette législation. Il ressort de la décision de renvoi qu'il avait pris le volant à 11 heures, le 23 août 1995 à Breitenwisch, en Allemagne, après avoir effectué un chargement de 31 bovins à destination d'Istanbul, en Turquie, et avait poursuivi sa route jusqu'au moment où, le lendemain à 10 h 15, il a fait l'objet d'un contrôle par les autorités douanières du poste frontière d'Arnoldstein à la frontière austro-italienne. A ce moment, la durée totale du transport était de 23 heures et 15 minutes et la distance totale parcourue supérieure à 300 kilomètres.

17 En raison du fait qu'il n'avait pas acheminé les animaux transportés à l'abattoir approprié le plus proche en Autriche mais avait poursuivi le transport, sans y être autorisé, au-delà de la durée et de la distance maximales prescrites à l'article 5, paragraphe 2, du TGSt, M. Monsees a été condamné, par une décision administrative à caractère pénal ("Straferkenntnis") du 9 janvier 1996, à une amende assortie d'une contrainte par corps. L'appel interjeté contre cette décision devant l'Unabhängiger Verwaltungssenat für Kärnten a été rejeté le 26 juin 1996.

18 M. Monsees a introduit un recours devant le Verwaltungsgerichtshof, à l'occasion duquel il a soutenu que le caractère international du transport faisait obstacle à l'application de la législation nationale, qui avait pour conséquence d'empêcher tout transport de bovins en provenance d'Allemagne et à destination de l'Est, sauf à admettre que celui-ci devait nécessairement s'achever à l'abattoir approprié le plus proche sur le territoire autrichien.

19 Estimant que la solution du litige dont il était saisi dépendait de l'interprétation du droit communautaire, le Verwaltungsgerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question suivante:

"Les articles 30 à 36 du traité CE (dispositions relatives à la libre circulation des marchandises) ainsi que les autres dispositions du droit communautaire en vigueur doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à ce qu'un État membre restreigne le transport d'animaux vivants destinés à l'abattage, de telle sorte que ce type de transport ne peut être effectué que jusqu'à l'abattoir approprié le plus proche à l'intérieur du territoire national, et qu'un tel transport ne peut être effectué en tout état de cause que lorsque, en respectant les dispositions relatives à la circulation routière et à la police de la route, la durée totale du transport ne dépasse pas 6 heures et la distance parcourue n'excède pas 130 kilomètres, le kilométrage effectivement parcouru sur autoroute n'étant compté que pour moitié aux fins du calcul de la distance?"

20 M. Monsees soutient que l'article 5, paragraphe 2, du TGSt constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative au sens de l'article 30 du traité. Il fait valoir que, en raison de l'adoption des directives 91-628 et 95-29, la législation autrichienne ne peut pas être justifiée au regard de l'article 36 du traité. En admettant même qu'elle le soit, pour un motif de protection de la santé des animaux, elle ne satisferait pas au critère de proportionnalité prévu dans le cadre dudit article 36 dès lors qu'il existerait des mesures alternatives moins contraignantes. Il relève également que, ainsi que cela ressort des travaux préparatoires du TGSt, celui-ci avait aussi pour objectif la réduction du trafic routier et, dès lors, la sécurité des usagers de la route. Il prétend enfin que cette réglementation constitue un moyen de discrimination arbitraire, dès lors qu'elle favorise l'exportation des animaux destinés à l'abattage en provenance d'Autriche, lesquels peuvent quitter le territoire dans les limites fixées par le TGSt, alors qu'elle empêche le transit des animaux en provenance et à destination d'autres États membres ou de pays tiers.

21 Selon le Gouvernement autrichien, même si l'article 5, paragraphe 2, du TGSt constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative au sens de l'article 30 du traité, elle est justifiée au regard de l'article 36 du même traité par l'objectif de protection de la santé des animaux. La directive 95-29 n'étant pas encore applicable à l'époque des faits au principal, la législation autrichienne devrait être examinée uniquement par rapport à cet article 36. Ledit Gouvernement soutient que l'article 5, paragraphe 2, du TGSt est nécessaire pour éviter de mauvais traitements aux animaux lors de leur transport par route. Il fait valoir que la mesure répond au critère de proportionnalité dès lors que les distances prescrites correspondent à des évaluations moyennes et que les sanctions sont proportionnées puisque les animaux ne sont jamais saisis au préjudice du transporteur. Il indique enfin que la disposition contestée au principal n'engendre pas de discrimination dans la mesure où aucune distinction n'est opérée entre les animaux destinés à l'abattage selon qu'ils proviennent d'Autriche ou des autres États membres.

22 La Commission soutient que l'article 5, paragraphe 2, du TGSt constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative au sens de l'article 30 du traité, qui ne peut être justifiée par l'objectif de la santé des animaux conformément à l'article 36 du même traité. En effet, la disposition en cause au principal ne serait pas proportionnée à l'objectif poursuivi dès lors qu'elle reviendrait à rendre impossibles les transports internationaux d'animaux destinés à l'abattage tout en veillant à la santé de ceux-ci. Elle prétend en outre qu'il convient de se référer à la directive 95-29 pour déterminer ce qui peut être considéré comme proportionné à l'objectif poursuivi.

23 A cet égard, il y a lieu de relever que, en ce qu'il impose des durées et distances maximales brèves de transport d'animaux destinés à l'abattage et prescrit, en outre, l'arrêt de tout transport de ce type sur son territoire national à l'abattoir approprié le plus proche afin qu'il soit procédé à la mise à mort des animaux, l'article 5, paragraphe 2, du TGSt constitue un obstacle aux transports internationaux tant en ce qui concerne ceux qui sont à destination ou en provenance du territoire autrichien que ceux qui transitent par ce territoire. Cette disposition constitue dès lors une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative, à la fois à l'importation et à l'exportation, interdite par les articles 30 et 34 du traité.

24 Avant d'examiner l'existence d'une justification fondée sur l'objectif de protection des animaux au sens de l'article 36 du traité, il convient au préalable de vérifier s'il existait des directives d'harmonisation en la matière. En effet, si le recours à l'article 36 permet de maintenir des restrictions à la libre circulation des marchandises justifiées par des raisons de protection de la santé et de la vie des animaux, laquelle constitue une exigence fondamentale reconnue par le droit communautaire, ce recours n'est toutefois plus possible lorsque des directives communautaires prévoient l'harmonisation des mesures nécessaires à la réalisation de l'objectif spécifique que poursuivrait le recours à l'article 36 (arrêt du 23 mai 1996, Hedley Lomas, C-5-94, Rec. p. I-2553, point 18).

25 S'agissant de la directive 91-628, il y a lieu de relever que son texte ne prescrit aucune limitation de la durée ou de la distance des transports par route des animaux vivants. Son article 13, paragraphe 1, prévoyait uniquement l'établissement par la Commission, avant le 1er juillet 1992, d'un rapport traitant notamment de cette question, ainsi que la possibilité, pour cette institution, de faire des propositions.

26 Quant à la directive 95-29, elle contient, en revanche, un certain nombre de dispositions précises relatives à la durée maximale et aux conditions du transport, à la fréquence de l'alimentation et de l'abreuvement des animaux, aux temps de repos minimaux ainsi qu'aux densités de chargement.

27 Toutefois, si cette directive avait été adoptée avant les faits du litige au principal, le délai de transposition n'était encore pas expiré, les États membres disposant jusqu'au 31 décembre 1996, en principe, pour se conformer à ladite directive. Il convient, dès lors, de relever que, jusqu'à cette dernière date, un État membre était fondé à invoquer l'article 36 du traité pour maintenir des restrictions à la libre circulation des marchandises justifiées par des raisons de protection de la santé et de la vie des animaux.

28 Il convient, dans ces conditions, de vérifier si la réglementation nationale était apte à réaliser l'objectif de protection de la santé des animaux et si elle n'allait pas au-delà de ce qui était nécessaire pour l'atteindre (voir, en ce sens, arrêt du 12 novembre 1996, Royaume-Uni/Conseil, C-84-94, Rec. p. I-5755, point 57).

29 En fait, l'article 5, paragraphe 2, du TGSt a pour effet de rendre presque impossible, sur le territoire autrichien, tout transit de transport international par route d'animaux destinés à l'abattage.

30 Il y a lieu en outre de relever que des mesures appropriées à l'objectif de protection de la santé des animaux et moins restrictives pour la libre circulation des marchandises étaient envisageables, comme le montrent les dispositions prévues par la directive 95-29.

31 Au vu des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que les articles 30, 34 et 36 du traité doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à ce qu'un État membre restreigne le transport par route d'animaux vivants destinés à l'abattage, en imposant que ce type de transport soit effectué, d'une part, uniquement jusqu'à l'abattoir approprié le plus proche à l'intérieur du territoire national et, d'autre part, dans des conditions telles que, en respectant les dispositions relatives à la circulation routière et à la police de la route, la durée totale du transport ne dépasse pas 6 heures et la distance parcourue n'excède pas 130 kilomètres, le kilométrage effectivement parcouru sur autoroute n'étant compté que pour moitié aux fins du calcul de la distance.

Sur les dépens

32 Les frais exposés par le Gouvernement autrichien et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

Statuant sur la question à elle soumise par le Verwaltungsgerichtshof, par ordonnance du 24 septembre 1997, dit pour droit:

Les articles 30, 34 et 36 du traité CE (devenus, après modification, articles 28 CE à 30 CE) doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à ce qu'un État membre restreigne le transport par route d'animaux vivants destinés à l'abattage, en imposant que ce type de transport soit effectué, d'une part, uniquement jusqu'à l'abattoir approprié le plus proche à l'intérieur du territoire national et, d'autre part, dans des conditions telles que, en respectant les dispositions relatives à la circulation routière et à la police de la route, la durée totale du transport ne dépasse pas 6 heures et la distance parcourue n'excède pas 130 kilomètres, le kilométrage effectivement parcouru sur autoroute n'étant compté que pour moitié aux fins du calcul de la distance.