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Décisions

CJCE, 1re ch., 18 mai 1993, n° C-126/91

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Schutzverband gegen Unwesen in der Wirtschaft e.V.

Défendeur :

Yves Rocher GmbH

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Due

Présidents de chambre :

MM. Kakouris, Zuleeg, Murray

Avocat général :

M. Darmon

Juges :

MM. Mancini, Moitinho de Almeida, Grévisse, Díez de Velasco, Kapteyn

Avocats :

Mes Schroeder, Colin, Coignard

CJCE n° C-126/91

18 mai 1993

LA COUR,

1 Par ordonnance du 11 avril 1991, parvenue à la Cour le 30 avril suivant, le Bundesgerichtshof a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle sur l'interprétation des articles 30 et 36 du traité, en vue de pouvoir apprécier la compatibilité, avec ces dispositions, d'une réglementation nationale en matière de publicité commerciale.

2 Cette question a été posée dans le cadre d'un litige opposant l'association sans but lucratif Schutzverband gegen Unwesen in der Wirtschaft, établie à Muenchen (ci-après "Schutzverband"), à Yves Rocher GmbH (ci-après "Yves Rocher"), une filiale de la société française Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher, litige qui portait sur une publicité diffusée par Yves Rocher et consistant en une comparaison des anciens et des nouveaux prix de ses produits.

3 Avant 1986, la publicité au moyen des comparaisons portant sur les prix d'une même entreprise était licite dans la mesure où elle n'était pas déloyale ou susceptible d'induire le consommateur en erreur. A la demande de certains milieux du commerce de détail, le législateur allemand a, par la "Gesetz zur AEnderung wirtschafts-, verbraucher-, arbeits- und sozialrechtlicher Vorschriften" (loi modifiant certaines dispositions relatives au droit économique, au droit des consommateurs, au droit du travail et au droit social) du 25 juillet 1986, introduit dans l'article 6(e) de la "Gesetz gegen den unlauteren Wettbewerb" (loi sur la concurrence déloyale, ci-après "l'UWG") du 7 juin 1909, l'interdiction de la publicité utilisant des comparaisons de prix individuels. Cette interdiction vise à protéger les consommateurs et les concurrents contre la publicité comportant des comparaisons de prix.

4 Néanmoins, l'interdiction prévue par l'article 6(e) de l'UWG n'est pas absolue. Une dérogation est en effet prévue par les comparaisons de prix qui ne sont pas "accrocheuses" (blickfangmaessig) (article 6(e), paragraphe 2, point 1, de l'UWG), ainsi que pour la publicité sur catalogue (article 6(e), paragraphe 2, point 2, de l'UWG).

5 Yves Rocher vend par correspondance en République fédérale d'Allemagne des produits cosmétiques fournis par la société mère et fabriqués pour la plupart en France. La publicité de ces produits, conçue par la société mère de manière uniforme pour les différents États membres concernés, est diffusée dans des catalogues et prospectus de vente. Dans le cadre de son activité de vente, Yves Rocher a diffusé un prospectus qui, intitulé "Économisez jusqu'à 50 % et plus sur 99 de vos produits Yves Rocher préférés", indiquait, à côté de l'ancien prix barré, le nouveau prix de ces produits, inférieur au précédent, en caractères gras de couleur rouge.

6 Estimant que ce type de publicité était contraire aux dispositions de l'article 6(e), paragraphe 2, point 1, de l'UWG, le Schutzverband a cité Yves Rocher devant le Landgericht Muenchen I. Considérant que cette disposition de l'UWG interdisait toute publicité consistant à comparer les anciens et les nouveaux prix, lorsque cette publicité est "accrocheuse", le Landgericht Muenchen I a interdit à Yves Rocher de diffuser ce type de publicité.

7 Yves Rocher a fait appel de cette décision devant l'Oberlandesgericht Muenchen qui a infirmé l'ordonnance du Landgericht en se fondant sur les dispositions de l'article 6(e), paragraphe 2, point 2, de l'UWG. Le Schutzverband a déposé un recours en révision contre cette décision devant le Bundesgerichtshof qui a estimé que cette dernière disposition n'était pas applicable. Considérant en revanche que l'application de l'article 6(e), paragraphe 1, de l'UWG soulevait une question d'interprétation du droit communautaire, le Bundesgerichtshof a décidé de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour se soit prononcée à titre préjudiciel sur la question suivante:

"L'article 30 du traité CEE doit-il être interprété en ce sens qu'il s'oppose à l'application d'une disposition de la législation d'un État membre A qui interdit à une entreprise ayant son siège dans cet État et vendant par correspondance, sur catalogue ou sur prospectus, des marchandises importées de l'État membre B, de pratiquer une publicité portant sur les prix dans le cadre de laquelle, alors que le nouveau prix est mis en évidence de façon à attirer le regard, il est fait référence à un prix plus élevé figurant dans un catalogue ou un prospectus précédent?"

8 Pour un plus ample exposé des faits et du cadre juridique du litige au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

9 Il convient de relever qu'aux termes de l'article 30 du traité les restrictions quantitatives à l'importation, ainsi que toute mesure d'effet équivalent, sont interdites entre les États membres. Selon une jurisprudence constante, constitue une mesure d'effet équivalant à des restrictions quantitatives toute réglementation commerciale des États membres susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement le commerce intracommunautaire (arrêt du 11 juillet 1974, Dassonville, 8-74, Rec. p. 837, point 5).

10 La Cour a également jugé qu'une législation nationale qui limite ou interdit certaines formes de publicité ou certains moyens de promotion des ventes, bien qu'elle ne conditionne pas directement les importations, peut être de nature à restreindre le volume de celles-ci par le fait qu'elle affecte les possibilités de commercialisation pour les produits importés. Le fait, pour un opérateur économique, d'être contraint soit d'adopter des systèmes différents de publicité ou de promotion des ventes en fonction des États membres concernés, soit d'abandonner un système qu'il juge particulièrement efficace, peut constituer un obstacle aux importations même si une telle législation s'applique indistinctement aux produits nationaux et aux produits importés (voir arrêt du 15 décembre 1982, Oosthoek's Uitgeversmaatschappij, 286-81, Rec. p. 4575, point 15; arrêt du 16 mai 1989, Buet, 382-87, Rec. p. 1235, point 7; arrêt du 7 mars 1990, GB-INNO-BM, C-362-88, Rec. p. I-667, point 7; arrêt du 25 juillet 1991, Aragonesa de Publicidad Exterior et Publivía, C-1-90 et C-176-90, Rec. p. I-4151, point 10).

11 Il y a donc lieu de considérer qu'une interdiction du type de celle qui est en cause dans le litige au principal est susceptible de restreindre les importations de produits d'un État membre à l'autre et constitue dès lors, sous cet aspect, une mesure d'effet équivalent, au sens de l'article 30 du traité.

12 Cependant, il convient de rappeler la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle, en l'absence d'une réglementation commune de la commercialisation, les obstacles à la libre circulation intracommunautaire résultant de disparités entre les réglementations nationales doivent être acceptés, dans la mesure où la réglementation en cause est indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importés et peut être justifiée comme étant nécessaire pour satisfaire à des exigences impératives tenant, entre autres, à la défense des consommateurs ou à la loyauté des transactions commerciales (voir, notamment, arrêt GB-INNO-BM, précité, point 10). Toutefois, ainsi que la Cour l'a précisé à plusieurs reprises (voir, notamment, arrêt Buet, précité, point 11), la réglementation doit être proportionnée au but poursuivi.

13 Il est constant qu'une interdiction du type de celle qui est en cause dans le litige au principal vise tant les produits nationaux que les produits importés.

14 En outre, le Gouvernement allemand a exposé que l'interdiction édictée par l'article 6(e) de l'UWG vise à protéger les consommateurs contre l'attrait particulier de la publicité comportant des comparaisons de prix qui est souvent susceptible d'induire en erreur. D'une part, il serait particulièrement aisé de tromper le consommateur parce qu'il n'est, en règle générale, pas en mesure de vérifier la comparaison entre les anciens et les nouveaux prix. D'autre part, une publicité avec les comparaisons de prix est de nature à suggérer un niveau de prix globalement avantageux sans que cela soit justifié par l'ensemble de l'assortiment.

15 La protection des consommateurs contre la publicité trompeuse étant un but légitime au regard du droit communautaire, il y a lieu de vérifier, selon une jurisprudence constante, si les dispositions nationales sont aptes à réaliser l'objectif visé et ne dépassent pas les limites de ce qui est nécessaire à cet effet.

16 A cet égard, il convient d'observer, d'abord, qu'une interdiction du type de celle en cause dans le litige au principal s'applique dès lors que les comparaisons de prix, qu'elles soient exactes ou non, captent le regard. Ainsi, cette interdiction ne s'applique pas aux comparaisons de prix qui ne sont pas accrocheuses. En l'espèce, la publicité n'est pas interdite à cause de sa prétendue fausseté, mais parce qu'elle est accrocheuse. Il s'ensuit que toute publicité accrocheuse utilisant les comparaisons des prix est interdite, qu'elle soit vraie ou fausse.

17 Par ailleurs, l'interdiction en cause va au-delà des exigences requises par l'objectif poursuivi dans la mesure où elle affecte des publicités dénuées de tout caractère trompeur contenant des comparaisons de prix réellement pratiqués, lesquelles peuvent être fort utiles pour permettre au consommateur de réaliser ses choix en pleine connaissance de cause.

18 Il convient d'ajouter qu'un examen comparé des législations des États membres montre que l'information et la protection du consommateur peuvent être assurées par des mesures qui ont des effets moins restrictifs sur les échanges intracommunautaires que celles visées dans le litige au principal (voir point 52 des conclusions de M. l'avocat général).

19 Il y a donc lieu de constater que l'interdiction du type de celle en cause dans le litige au principal n'est pas proportionnée à l'objectif poursuivi.

20 Le Gouvernement allemand a encore fait valoir que l'interdiction en cause ne saurait être incompatible avec l'article 30 du traité, dans la mesure où elle ne provoque qu'une entrave marginale à la libre circulation des marchandises.

21 A cet égard, il convient de relever qu'à l'exception des règles ayant des effets simplement hypothétiques sur les échanges intercommunautaires, il est constant que l'article 30 du traité ne fait pas de distinction entre les mesures qui peuvent être qualifiées de mesures d'effet équivalant à une restriction quantitative selon l'intensité des effets qu'elles ont sur les échanges au sein de la Communauté.

22 Quant à la protection de la loyauté des transactions commerciales, et partant de jeu de concurrence, il y a lieu de préciser que les comparaisons de prix exactes, interdites par une réglementation du type de celle en cause, ne peuvent aucunement fausser les conditions de la concurrence. En revanche, une réglementation qui a pour effet d'interdire de telles comparaisons est susceptible de restreindre la concurrence.

23 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre à la question posée que l'article 30 du traité doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à l'application d'une disposition de la législation d'un État membre A qui interdit à une entreprise ayant son siège dans cet État et vendant par correspondance, sur catalogue ou sur prospectus, des marchandises importées d'un État membre B, de pratiquer une publicité portant sur les prix dans le cadre de laquelle, alors que le nouveau prix est mis en évidence de façon à attirer le regard, il est fait référence à un prix plus élevé figurant dans un catalogue ou un prospectus précédent.

Sur les dépens

24 Les frais exposés par les Gouvernements de la République fédérale d'Allemagne et de la République française et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur la question à elle soumise par le Bundesgerichtshof, par ordonnance du 11 avril 1991, dit pour droit:

L'article 30 du traité CEE doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à l'application d'une disposition de la législation d'un État membre A qui interdit à une entreprise ayant son siège dans cet État et vendant par correspondance, sur catalogue ou sur prospectus, des marchandises importées d'un État membre B, de pratiquer une publicité portant sur les prix dans le cadre de laquelle, alors que le nouveau prix est mis en évidence de façon à attirer le regard, il est fait référence à un prix plus élevé figurant dans un catalogue ou un prospectus précédent.