CJCE, 16 février 1977, n° 20-76
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Schoettle & Söhne OHG
Défendeur :
Finanzamt de Freudenstadt
LA COUR,
1. Attendu que, par ordonnance du 17 décembre 1975, parvenue à la Cour le 23 février 1976, le Finanzgericht de Bade-wurtemberg a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, différentes questions relatives à l'interpretation de l'article 95, paragraphe 1 du traité, interdisant aux Etats membres de frapper directement ou indirectement les produits des autres Etats membres d'impositions intérieures... supérieurs à celles qui frappent... les produits nationaux similaires ;
2. Attendu que ces questions sont posées dans le cadre d'un litige entre un importateur allemand de gravier du territoire français et le Finanzamt de Freudenstadt mettant en cause la compatibilité de la taxe allemande sur le transport de marchandises par route avec l'article 95, paragraphe 1 du traité, pour autant que l'importateur, pour des transports en tous points comparables, a dû payer la taxe en ce qui concerne la marchandise française, mais a pu effectuer le transport sans payer la taxe pour la marchandise nationale ;
3. Attendu qu'il y a lieu de rappeler les caractéristiques essentielles de la loi allemande sur la taxation des transports de marchandises par route ;
La réglementation nationale
4. Attendu que la taxe en cause formait partie d'un ensemble de mesures arrêtées en 1968 pour assurer la coordination des différents moyens de transport ;
Que, dans ce cadre, la taxe sur le transport de marchandises par route était destinée à orienter le transport à longue distance vers le chemin de fer et vers la navigation intérieure ;
Qu'en conséquence, le transport de marchandises à courte distance, qui ne peut raisonnablement être détourné des routes, a été exempte de la taxe ;
5. Qu'a cette fin, la loi en question se réfère aux définitions des notions de transport à longue et à courte distance, contenues dans la loi allemande sur le transport de marchandises par route, le " guterkraftverkehrsgesetz " (bundesgesetzblatt 1952 ip. 697) ;
Qu'il résulte du deuxième paragraphe de cette loi que le transport a courte distance est tout transport de marchandises par véhicule automobile pour compte d'autrui à l'intérieur des limites d'un secteur communal ou de la zone " immédiate " ;
Que la zone immédiate est le territoire compris dans un rayon de cinquante kilomètres calculé en ligne droite du centre de la commune dans laquelle le camion a son point d'attache et englobe le territoire de toute commune dont le centre se trouve à l'intérieur du périmètre ;
Que, si un secteur communal a plusieurs centres, la zone immédiate englobe le territoire compris dans un rayon de cinquante kilomètres à partir de chaque centre avec, pour conséquence, que les territoires des zones immédiates peuvent être de différentes tailles ;
6. Qu'un véhicule automobile immatriculé à l'étranger est censé avoir son point d'attache dans la commune frontalière dans laquelle il entre en franchissant la frontière allemande (paragraphe 6 B du " guterkraftverkehrsgesetz " tel que modifie par le " viertes gesetz zur anderung des guterkraftverkehrsgesetz ", bundesgesetzblatt ip. 1157) ;
7. Que constitue un transport de marchandises à longue distance tout transport de marchandises par véhicule automobile à l'extérieur de la zone immédiate, ou qui sort d'une zone immédiate ;
8. Qu'il faut relever que la taxe est calculée en fonction du poids de la marchandise et de la distance parcourue étant entendu que, dans le cas du transport pour compte propre, il y a une progression du taux de la taxe ;
9. Attendu que la loi en cause prévoit que sont assujettis a la taxe le transport de marchandises à longue distance ainsi que le transport international à courte distance ;
Que, par contre, sont exempts de la taxe les transports internationaux qui commencent ou qui se terminent à l'intérieur de la zone immédiate de la commune frontalière ;
Qu'ainsi le traitement du transport international est identique à celui du transport intérieur par un camion dont le point d'attache est la commune frontalière ;
10. Attendu qu'il ressort des éléments du dossier que la perception de la taxe sur le transport international à courte distance était susceptible, dans certaines circonstances bien précises, de faire un obstacle au commerce intracommunautaire en ce que, pour un transport à l'intérieur de la zone immédiate par un camion national, la taxe était perçue uniquement si la frontière allemande était franchie ;
Sur la première question
11. Attendu que par la première question il est demandé si " Une taxe perçue sur les transports de marchandises par route, en fonction de la distance parcourue sur le territoire national, constitue une imposition qui frappe des produits au sens de l'article 95 du traité CEE ? "
12. Attendu que l'article 95, paragraphe 1 prévoit qu'aucun Etat membre ne frappe directement ou indirectement les produits des autres Etats membres d'impositions intérieures de quelque nature qu'elles soient, supérieures à celles qui frappent directement ou indirectement les produits nationaux similaires ;
Qu'ainsi l'article 95 a pour objet d'écarter les restrictions déguisées à la libre circulation de marchandises qui peuvent résulter des dispositions fiscales d'un Etat membre ;
13. Que, compte tenu de l'économie générale et des objectifs de ladite disposition, la notion d'imposition frappant un produit doit être interprétée dans un sens large ;
14. Que de telles restrictions peuvent résulter d'une taxe qui compense en réalité des taxes qui sont imposées sur l'activité de l'entreprise et non pas sur les produits en tant que tels ;
Que ce problème ne se pose pas lorsqu'il s'agit d'imposer le produit national et le produit importé au même moment en fonction d'une activité déterminée, par exemple l'utilisation des routes nationales ;
15. Que cependant une telle taxe, se répercutant immédiatement sur le coût du produit national et importe, doit en vertu de article 95 être appliquée d'une manière non discriminatoire sur les produits importés ;
16. Qu'il faut, des lors, répondre au juge national que par imposition qui frappe indirectement les produits au sens de l'article 95 du traité CEE, il faut également entendre une taxe qui est perçue sur les transports internationaux de marchandises par route en fonction de la distance parcourue sur le territoire national et le poids des marchandises en cause ;
Sur les deuxième, troisième et quatrième questions
17. Attendu que, par les deuxième, troisième et quatrième questions la Cour est invitée a interpréter l'interdiction de frapper les produits étrangers d'imposition supérieure à celle qui frappe la production nationale, eu égard au fait que
1. La possibilité de différence de traitement du produit importé ne peut en tout cas se produire que si ce produit est livré endéans une zone territoriale d'approximativement 50 kilomètres de largeur s'étendant parallèlement à la frontière à une distance de 50 kilomètres de celle-ci ;
2. La taxe en question frappe de la même manière non seulement les transports de produits étrangers vers le territoire national, mais aussi les transports de produits nationaux vers l'étranger ;
3. L'objectif visé par cette imposition relève du domaine de la politique des transports et l'effet discriminatoire n'aurait pu être évité qu'au prix d'un important surcroît de dépenses administratives et il ne s'est manifesté que de 1969 à 1971 ;
18. Attendu qu'il convient de répondre ensemble à ces questions ;
19. Que l'article 95 doit assurer que l'application d'impositions intérieures n'aboutisse à frapper dans un Etat membre les produits en provenance des autres Etats membres d'impositions supérieures à celles qui atteignent les produits nationaux similaires sur le marché national ;
Que, dès lors, il est sans importance que la taxe soit également perçue dans les mêmes conditions sur les produits nationaux qui sont exportés et sur les produits importés ;
20. Attendu qu'il y a violation de l'article 95, paragraphe 1, lorsque l'imposition frappant le produit importé et celle frappant le produit national similaire est calculée de façon différente et suivant des modalités différentes, aboutissant, ne fut-ce que dans certains cas, à une imposition supérieure du produit importé ;
21. Qu'il y a imposition supérieure du produit importé lorsque les conditions dans lesquelles le transporteur est assujetti à la taxe sont différentes pour les transports internationaux et les transports purement nationaux, de sorte que dans des situations comparables le produit circulant à l'intérieur de l'état n'est pas assujetti à la taxe, tandis que le produit importé l'est ;
Qu'en effet, pour comparer, aux fins de l'application de l'article 95, la taxe sur le produit circulant à l'intérieur avec celle sur le produit importé, il faut tenir compte non seulement de l'assiette de la taxe, mais également des avantages ou des immunités dont l'une et l'autre sont assorties ;
Qu'il suffit, pour qu 'il y ait imposition supérieure du produit importé, que dans des circonstances déterminées le produit national puisse, pour le même parcours dans l'Etat membre, être transporté sans être assujetti à la taxe, tandis que le produit importé est assujetti à la taxe pour la seule raison que la frontière a été franchie ;
Qu'a cet effet, il appartient au juge national de comparer dans des cas déterminés les situations qui peuvent se produire ;
22. Attendu que les données fournies par le juge national démontrent qu'un obstacle réel à la libre circulation de marchandises peut résulter parfois de l'application de conditions différentes quant à l'imposition de la taxe tant pour les transports internationaux que pour les transports nationaux ;
Que le caractère mineur et incident de l'obstacle crée par une taxe nationale et le fait que celui-ci n'a pu être évité en pratique qu'en supprimant la taxe ne suffisent pas pour écarter l'application de l'article 95 du traité ;
Que le titre IV de la deuxième partie du traité relatif à la politique commune des transports offre aux Etats membres la possibilité de résoudre les problèmes de la concurrence entre les modes de transport, sans pour autant porter atteinte à la libre circulation des marchandises ;
Que l'absence d'une telle politique ne peut toutefois justifier une dérogation à l'article 95 du traité ;
Sur les dépens
23. Attendu que les frais exposés par le gouvernement de la République Fédérale d'Allemagne et par la Commission des Communautés européennes qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement ;
Que, la procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulève devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens ;
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur les questions à elle soumises par le Finanzgericht de Bade-wurtemberg par ordonnance du 17 décembre 1975, dit pour droit :
1) par imposition " qui frappe indirectement les produits " au sens de l'article 95 du traité CEE, il faut également entendre une taxe qui est perçue sur les transports internationaux de marchandises par route en fonction de la distance parcourue sur le territoire national et le poids des marchandises en cause ;
2) l'article 95 devant assurer que l'application d'impositions intérieures n'aboutisse à frapper dans un Etat membre les produits en provenance des autres Etats membres d'impositions supérieures à celles qui atteignent les produits nationaux similaires sur le marche national, il est sans importance que la taxe soit également perçue dans les mêmes conditions sur les produits nationaux qui sont exportés et sur les produits importés ;
3) pour comparer, aux fins de l'application de l'article 95, la taxe sur le produit circulant à l'intérieur avec celle sur le produit importé, il faut tenir compte non seulement de l'assiette de la taxe, mais également des avantages ou des immunités dont l'une et l'autre sont assorties ;
4) le caractère mineur et incident de l'obstacle créé par une taxe nationale et le fait que celui-ci n'a pu être évité en pratique qu'en supprimant la taxe ne suffisent pas pour écarter l'application de l'article 95 du traité.