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Décisions

CJCE, 28 février 1984, n° 247-81

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

République fédérale d'Allemagne

CJCE n° 247-81

28 février 1984

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 10 septembre 1981, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire reconnaître qu'en réservant la mise de médicaments sur le marché aux entreprises pharmaceutiques dont le siège est situé sur le territoire ou la loi allemande sur les médicaments est applicable, la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 30 et suivants du traité CEE.

2. Il résulte de l'article 1, paragraphe 9, point 2, de la loi du 24 août 1976 portant réorganisation de la législation sur les médicaments (BGBL, i, p. 2445) que les produits pharmaceutiques ne peuvent être mis sur le marché que par une entreprise pharmaceutique qui a son siège sur le territoire où ladite loi est applicable. En restreignant ainsi les possibilités de commercialisation des médicaments, cette condition serait incontestablement, selon la Commission, une restriction à l'importation, occasionnant aux entreprises étrangères une augmentation de leurs coûts et constituant une atteinte grave à leur liberté d'action. Il résulterait de la directive 70-50, du 22 décembre 1969, que les mesures qui subordonnent l'accès au marché national des produits importés à la condition d'avoir un répondant ou un représentant sur le territoire de l'Etat membre importateur doivent être considérées comme des mesures d'effet équivalant à une restriction quantitative (article 2, paragraphe 3, g)).

3. Selon le Gouvernement allemand, les dispositions visées ne constituent pas un obstacle aux importations, étant donné que, dans la pratique, toute entreprise pharmaceutique établie dans un autre Etat membre et qui désire effectuer des exportations vers la République fédérale d'Allemagne, aura recours, soit a une filiale ou une succursale, soit à un représentant déjà établi sur le territoire fédéral. L'obligation d'avoir un répondant résidant en Allemagne correspondrait ainsi à un choix qui s'impose de toute façon aux entreprises pour des raisons d'ordre commercial.

4. Cette argumentation ne saurait être admise. Il résulte en effet d'une jurisprudence constante de la Cour que toute réglementation commerciale des Etats membres susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire est à considérer comme une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative. La Cour considère à cet égard que la disposition litigieuse est susceptible d'entraîner des frais supplémentaires pour les entreprises qui n'estiment pas utile d'avoir un représentant propre établi sur le territoire allemand, afin de promouvoir leurs exportations vers cet Etat membre, et qui vendent directement à plusieurs clients. La disposition litigieuse est donc susceptible d'entraver le commerce intracommunautaire et notamment les importations parallèles, et doit être considérée comme une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative.

5. Le Gouvernement allemand estime que la mesure contestée peut être justifiée en vertu de l'article 36 du traité CEE, car elle est la seule qui permette d'assurer la protection de la santé publique de façon sure et efficace. Selon lui, l'exigence d'être représenté par une entreprise pharmaceutique sur place correspondrait à la nécessité d'une surveillance constante des risques propres aux médicaments. Les autorités compétentes auraient besoin de pouvoir contacter une personne responsable possédant tous les documents nécessaires, en particulier en vue d'identifier les lots de médicaments défectueux, lorsqu'il s'agit d'effectuer un rappel de ces lots. L'expérience démontrerait en outre l'existence de difficultés de communication avec les entreprises établies dans les parties les plus éloignées de la communauté. Les services des postes et télécommunications seraient notamment sujet à des interruptions par fait de grève et les administrations compétentes des Lander ne pourraient pas non plus engager un personnel qualifie maîtrisant toutes les langues de la communauté.

6. Le Gouvernement allemand insiste également sur la nécessite d'assurer, par la présence d'un responsable établi sur le territoire allemand, l'efficacité des mesures adoptées sur le plan de la responsabilité pénale et civile des entreprises pharmaceutiques.

7. On ne saurait contester, dans leur principe, les arguments développés par le Gouvernement allemand, en ce sens que chaque Etat membre est en droit de prendre, en l'absence d'harmonisation suffisante au niveau communautaire, des dispositions appropriées en vue de garantir sur son territoire la protection de la santé publique. Toutefois, de telles mesures ne sont justifiées qu'à condition qu'il soit établi qu'elles sont nécessaires en vue d'assurer l'objectif de protection de la santé publique vise par l'article 36 du traité, et que cet objectif ne puisse pas être réalisé par des moyens moins restrictifs des échanges à l'intérieur de la communauté.

8. A cet égard, il convient de rappeler que la directive 65-65 du Conseil, du 26 janvier 1965, concernant le rapprochement des dispositions legislatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques (JO n° 22, p. 369) prévoit qu'aucune spécialité pharmaceutique ne peut être mise sur le marché d'un Etat membre sans autorisation préalable de cet Etat membre. Le responsable de la mise sur le marché doit introduire une demande en y joignant les renseignements et les documents énumérés à l'article 4 de la directive. L'autorisation de mise sur le marché peut être refusée notamment s'il apparaît que la spécialité est nocive et l'autorisation de mise sur le marché peut également être suspendue ou retirée par l'Etat membre concerné. Par ailleurs, il est prévu, par l'article 13 de la directive, que les récipients et les emballages extérieurs des spécialités pharmaceutiques doivent porter le nom ou la raison sociale et le domicile ou le siège social du responsable de la mise sur le marché et, le cas échéant, du fabricant, ainsi qu'un numéro de référence qui permette l'identification du lot de fabrication dont fait partie le produit en cause.

9. La directive prévoit la possibilité que le responsable de la mise sur le marché soit une personne autre que le fabricant, mais ne contient aucune disposition conférant aux Etats membres le droit d'exiger que le responsable de la mise sur le marché soit établi sur le territoire de l'Etat membre pour lequel l'autorisation de mise sur le marché est demandée. Etant donné que le but de la directive est de réduire les entraves aux échanges, on ne peut pas interpréter son silence comme autorisant les Etats membres à introduire ou à maintenir une telle exigence.

10. Il convient par ailleurs d'observer que la directive s'applique aux seules spécialités pharmaceutiques, c'est-à-dire à tout médicament préparé à l'avance, mis sur le marché sous une dénomination spéciale et sous un conditionnement particulier. En ce qui concerne le lieu d'implantation du responsable de la mise sur le marché, les parties n'ont cependant avancé, au cours de la procédure, aucune raison pour distinguer entre les contrôles qui peuvent être exigés pour les spécialités pharmaceutiques, d'une part, et les autres médicaments, d'autre part.

11. Quant à l'article 36 du traité, il apparaît que les objectifs visés par le Gouvernement allemand en ce qui concerne la surveillance des médicaments ainsi que la disponibilité d'informations en cas d'accident peuvent être pleinement satisfaits par des mesures d'organisation appropriées au stade de l'instruction des dossiers et de la délivrance de l'autorisation de mise sur le marché, sans rendre nécessaire l'établissement d'un représentant et, à plus forte raison, d'une entreprise pharmaceutique intermédiaire, sur le territoire national. A cet égard, la procédure d'autorisation de mise sur le marché implique nécessairement des contacts entre les autorités compétentes et le responsable de la mise sur le marché, établi dans un autre Etat membre, lesquels peuvent être renoués, si besoin est, en cas de difficultés surgissant au cours de la commercialisation.

12. La procédure d'autorisation de mise sur le marché a, par ailleurs, un effet préventif et la possibilité de la suspension ou du retrait de cette autorisation est de nature à inciter les fabricants et les responsables de la mise sur le marché à respecter les règles applicables étant donné l'impact d'une telle décision sur l'entreprise et sur ses ventes. De plus, en cas de danger émanant des médicaments importés d'autres Etats membres, les autorités de l'Etat membre d'importation ne manqueront pas de prendre contact avec les autorités compétentes de l'Etat membre de production qui pourront, à leur tour, prendre les mesures qui s'imposent. Il existe, en outre, la possibilité d'informer les milieux concernés, notamment les médecins et les pharmaciens et, en cas d'urgence, de prévenir directement le public par voie de presse, de radio ou de télévision.

13. Quant aux arguments du Gouvernement allemand concernant les problèmes linguistiques et les éventuelles difficultés de communication, il y a lieu d'observer que ces difficultés peuvent être résolues par les entreprises et par les administrations comme dans tout autre cas d'échange commercial. L'éventualité de telles difficultés ne peut donc justifier le caractère restrictif de la législation allemande.

14. En ce qui concerne la responsabilité pénale et civile, ces questions n'ont un intérêt, pour la sauvegarde de la santé humaine, que dans la mesure ou la mise en œuvre de dispositions répressives peut avoir un effet préventif. Il apparaît, du point de vue d'une prévention efficace, que seules les formalités préalables d'autorisation de mise sur le marché ainsi que les contrôles accomplis à ce stade et les contrôles ultérieurs éventuels peuvent donner une sécurité adéquate du point de vue de la santé humaine. Même si des sanctions pénales et des dommages et intérêts sont de nature à exercer un effet de prévention des comportements qu'ils répriment, cet effet n'est ni assuré ni, en tout cas, renforcé à l'égard d'un fabricant d'un autre Etat membre du seul fait de la présence, sur le territoire national, d'une personne ayant qualité pour représenter juridiquement ce fabricant.

15. A la lumière de ce qui précède, il convient de conclure que la République fédérale d'Allemagne, en réservant la mise de médicaments sur le marché aux entreprises pharmaceutiques dont le siège est situe sur le territoire ou la loi sur les médicaments est applicable, a manque aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 30 et suivants du traité.

Sur les dépens

16. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La partie défenderesse ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Déclare et arrête:

1) En réservant la mise de médicaments sur le marché aux entreprises pharmaceutiques dont le siège est situe sur le territoire ou la loi allemande sur les médicaments est applicable, la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 30 et suivants du traité.

2) La partie défenderesse est condamnée aux dépens.