CJCE, 5e ch., 14 juillet 1998, n° C-389/96
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Aher-Waggon GmbH
Défendeur :
Bundesrepublik Deutschland
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Gulmann
Avocat général :
M. Cosmas
Juges :
MM. Wathelet, Moitinho de Almeida, Jann, Sevón
Avocats :
Mes Michael, Birgit Schroeder
LA COUR (cinquième chambre),
1 Par ordonnance du 25 septembre 1996, parvenue à la Cour le 29 novembre suivant, le Bundesverwaltungsgericht a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 30 du même traité.
2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant Aher-Waggon GmbH (ci-après "Aher-Waggon") au Luftfahrt-Bundesamt (office fédéral de l'aviation, ci-après le "Bundesamt"), à la suite du refus de ce dernier de lui délivrer un permis de vol pour un avion à hélices, qui avait été précédemment immatriculé au Danemark.
3 En vue de lutter contre les nuisances sonores occasionnées par le trafic aérien, le Conseil a adopté, le 20 décembre 1979, la directive 80-51-CEE, relative à la limitation des émissions sonores des aéronefs subsoniques (JO 1980, L 18, p. 26), telle que modifiée par la directive 83-206-CEE du Conseil, du 21 avril 1983 (JO 1983, L 117, p. 15, ci-après la "directive"). Celle-ci fixe des limites fondées sur les normes arrêtées en la matière par l'Organisation de l'aviation civile internationale, lesquelles figurent à l'annexe 16-5 de la convention relative à l'aviation civile internationale, signée à Chicago en 1944 (ci-après la "convention").
4 La disposition pertinente de la directive est l'article 3, paragraphe 1, aux termes duquel:
"Chaque État membre s'assure que tout avion à hélices civil dont la masse maximale, au décollage, portée au certificat de navigabilité ne dépasse pas 5 700 kilogrammes et tout avion à réaction subsonique civil, s'ils n'entrent pas dans l'une des catégories visées au volume I de l'annexe 16-5, qui utilisent des aérodromes situés dans un État membre, soient certifiés conformément à des spécifications au moins égales aux normes applicables qui figurent dans la deuxième partie chapitre 2 ou 6 du volume I de l'annexe 16-5 lorsque ces avions sont immatriculés pour la première fois sur son territoire."
5 En vertu du chapitre 6, point 6.3, de l'annexe 16-5 de la convention, le niveau sonore maximal ne peut excéder 68 dB (A) pour les avions à hélices dont le poids est inférieur ou égal à 600 kg et 80 décibels pour ceux dont le poids varie entre 1 500 et 9 000 kg. Entre 600 et 1 500 kg, la limite sonore maximale varie de 68 à 80 dB (A), en fonction du poids.
6 En 1992, Aher-Waggon a acheté au Danemark un avion à hélices PA 28-140, de la marque Piper, qui était immatriculé dans cet État depuis 1974.
7 En juillet 1992, elle a sollicité auprès du Bundesamt un permis de vol allemand. Celui-ci lui a été refusé au motif que l'avion dépassait les limites sonores autorisées en Allemagne.
8 De fait, s'il respecte les normes communautaires en la matière (73 dB (A)), l'avion en cause au principal, avec un niveau sonore de 72,2 dB (A) pour une masse maximale au décollage de 976 kg, dépasse les seuils allemands (69 dB (A)).
9 Ni le recours devant le Verwaltungsgericht ni l'appel n'ont été accueillis.
10 Dans le cadre d'un pourvoi en "Révision", Aher-Waggon a fait valoir, devant le Bundesverwaltungsgericht, que le refus de lui délivrer un permis de vol allemand était contraire au droit communautaire. Elle s'est fondée sur le fait que des avions du même modèle, déjà immatriculés en Allemagne et présentant le même niveau sonore, conservaient leur permis de vol.
11 En effet, selon Aher-Waggon, en vertu de l'article 8, paragraphe 1.7, de la Luftverkehrs-Zulassungs-Ordnung (règlement allemand relatif aux conditions requises en matière de circulation aérienne) publiée le 13 mars 1979 (BGBL I, p. 308) et notamment modifiée par l'article 2 de l'Unterschallverordnung (règlement relatif aux aéronefs subsoniques, du 21 juillet 1986, BGBL I, p. 1097), les avions qui ont obtenu un permis allemand avant la mise en application de la directive conservent leur immatriculation, même s'ils ne répondent pas aux nouvelles exigences nationales.
12 Le Bundesverwaltungsgericht a d'abord relevé que les dispositions pertinentes de la directive établissaient simplement des spécifications minimales, de sorte que les entraves au commerce résultant de la plus grande sévérité des normes sonores allemandes ne contrevenaient pas, en principe, au droit communautaire.
13 Il a toutefois relevé que, dans l'affaire dont il était saisi, le renforcement des normes minimales européennes ne concernait que des avions en provenance des autres États membres de la Communauté. Doutant qu'une telle différence de traitement soit admissible pour des raisons liées à "la sauvegarde des droits acquis" par les propriétaires d'avions déjà immatriculés en Allemagne, il a saisi la Cour de la question préjudicielle suivante:
"Les dispositions du droit allemand qui, sur la base des limites aux émissions sonores des avions établies, à titre de spécifications minimales, par la directive 80-51-CEE, telle que modifiée par la directive 83-206-CEE, ont subordonné l'immatriculation des avions en Allemagne à des normes acoustiques plus sévères, de telle sorte que l'immatriculation est refusée aux avions déjà immatriculés dans un autre État membre avant l'adoption de la directive précitée qui dépassent les limites sonores applicables en Allemagne, alors que les appareils du même type qui avaient déjà obtenu auparavant leur immatriculation en Allemagne la conservent sans restriction, sont-elles compatibles avec les principes de la libre circulation des marchandises énoncés à l'article 30 du traité CE?"
14 Par cette question, la juridiction de renvoi demande en substance si l'article 30 du traité s'oppose à une réglementation nationale qui subordonne la première immatriculation sur le territoire national d'avions préalablement immatriculés dans un autre État membre au respect de normes sonores plus sévères que celles prévues par la directive, tout en en exemptant les avions qui ont obtenu l'immatriculation sur ledit territoire avant la mise en application de cette directive.
15 A titre liminaire, il y a lieu de constater que la directive fixe seulement des exigences minimales ainsi que l'attestent les termes "conformément à des spécifications au moins égales aux normes applicables..." qui figurent à l'article 3, paragraphe 1. Elle autorise donc les États membres à prévoir des limites sonores plus strictes.
16 Il convient cependant d'examiner si, dans l'exercice de cette faculté, un État membre qui, telle la République fédérale d'Allemagne, a mis en œuvre des limites sonores plus strictes n'a pas méconnu d'autres dispositions du droit communautaire, et notamment l'article 30 du traité. En effet, même si la directive est fondée sur l'article 84, paragraphe 2, du traité CE, qui habilite le Conseil à adopter des dispositions appropriées pour la navigation aérienne, cette disposition ne saurait, selon une jurisprudence constante, être interprétée comme soustrayant les transports aériens aux règles générales du traité (voir arrêts du 4 avril 1974, Commission/France, 167-73, Rec. p. 359, point 31, et du 30 avril 1986, Asjes e.a., 209-84 à 213-84, Rec. p. 1425, points 44 et 45).
17 A cet égard, il y a lieu de rappeler d'abord que, selon une jurisprudence constante, constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative toute mesure susceptible d'entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire (arrêt du 11 juillet 1974, Dassonville, 8-74, Rec. p. 837, point 5).
18 Sur ce point, force est de constater qu'une réglementation nationale telle que celle au principal restreint les échanges intracommunautaires, étant donné qu'elle subordonne la première immatriculation sur le territoire national d'avions préalablement immatriculés dans un État membre au respect de normes sonores plus sévères que celles prévues par la directive, tout en en exemptant les avions qui ont obtenu l'immatriculation sur ledit territoire avant la mise en application de cette directive.
19 Pareille entrave est cependant susceptible d'être justifiée par des considérations de santé publique et de protection de l'environnement, du type de celles invoquées par le gouvernement allemand. Ce dernier indique notamment que la République fédérale d'Allemagne, qui est un État très densément peuplé, attache une importance particulière à ce que sa population soit protégée des émissions sonores excessives.
20 Encore convient-il, conformément à une jurisprudence constante, qu'une réglementation nationale qui a ou est de nature à avoir un effet restrictif sur les échanges intracommunautaires soit proportionnée aux objectifs poursuivis et que ces objectifs ne puissent pas être atteints par des mesures moins restrictives pour les échanges intracommunautaires (voir arrêts du 9 juillet 1997, C-34-95, C-35-95 et C-36-95, De Agostini et TV-Shop, Rec. p. I-3843, point 45, et du 23 octobre 1997, C-189-95, Franzén, Rec. p. I-5909, point 75).
21 A cet égard, s'agissant de l'établissement de normes plus strictes que celles de la directive, il suffit de constater que, comme le gouvernement allemand l'a exposé, la limitation des émissions sonores des avions est le moyen le plus efficace et le plus commode de lutter contre la pollution sonore qui découle de ces derniers. Il est, en effet, généralement malaisé de diminuer notablement les émissions sonores par des travaux effectués dans les environs des aéroports, si ce n'est au prix d'investissements extrêmement coûteux.
22 En outre, il convient de préciser que la limitation par des règles plus strictes en matière d'émissions sonores des avions des possibilités d'immatriculer un avion en Allemagne s'applique à tout avion, neuf ou d'occasion, indépendamment de son origine et qu'elle n'empêche pas l'utilisation en Allemagne d'avions immatriculés dans un autre État membre.
23 En ce qui concerne plus précisément l'exemption du respect de ces normes plus strictes dont bénéficient les avions immatriculés dans l'État membre en cause avant la mise en application de la directive, il convient de relever que, ainsi que le gouvernement allemand l'a exposé, ces avions doivent également se conformer aux normes acoustiques plus strictes lorsqu'ils subissent des modifications techniques, même sans incidence sur les émissions sonores, ou lorsqu'ils sont mis temporairement hors service. De plus, leur nombre peut être connu des autorités allemandes.
24 Les autorités nationales ont dès lors valablement pu considérer que le nombre d'avions ne remplissant pas les normes acoustiques plus sévères allait nécessairement diminuer et, partant, que le niveau global de pollution sonore ne pourrait que se réduire graduellement. Au demeurant, l'efficacité de cette politique d'élimination progressive du parc national des avions ne respectant pas les normes sonores plus sévères serait compromise si, dans une mesure que ne peuvent prévoir les autorités nationales, des avions en provenance d'autres États membres pouvaient en augmenter le nombre.
25 Une réglementation telle que celle au principal n'apparaît dès lors pas disproportionnée.
26 Au vu des considérations qui précèdent, il convient de répondre que l'article 30 du traité ne s'oppose pas à une réglementation nationale qui subordonne la première immatriculation sur le territoire national d'avions préalablement immatriculés dans un autre État membre au respect de normes sonores plus sévères que celles prévues par la directive, tout en en exemptant les avions qui ont obtenu l'immatriculation sur ledit territoire avant la mise en application de cette directive.
Sur les dépens
27 Les frais exposés par les gouvernements allemand et danois, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre),
Statuant sur la question à elle soumise par le Bundesverwaltungsgericht, par ordonnance du 25 septembre 1996, dit pour droit:
L'article 30 du traité CE ne s'oppose pas à une réglementation nationale qui subordonne la première immatriculation sur le territoire national d'avions préalablement immatriculés dans un autre État membre au respect de normes sonores plus sévères que celles prévues par la directive 80-51-CEE du Conseil, du 20 décembre 1979, relative à la limitation des émissions sonores des aéronefs subsoniques, telle que modifiée par la directive 83-206-CEE du Conseil, du 21 avril 1983, tout en en exemptant les avions qui ont obtenu l'immatriculation sur ledit territoire avant la mise en application de cette directive.