Livv
Décisions

CJCE, 5e ch., 12 juin 2003, n° C-234/01

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Arnoud Gerritse

Défendeur :

Finanzamt Neukölln-Nord

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Wathelet

Avocat général :

M. Léger

Juges :

MM. Timmermans, Edward, Jann, Rosas

CJCE n° C-234/01

12 juin 2003

LA COUR (cinquième chambre),

1 Par ordonnance du 28 mai 2001, parvenue à la Cour le 19 juin suivant, le Finanzgericht Berlin a posé, en application de l'article 234 CE, une question préjudicielle sur l'interprétation de l'article 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE).

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant M. Gerritse au Finanzamt Neukölln-Nord (ci-après le "Finanzamt"), au sujet de l'imposition de revenus perçus en Allemagne en qualité de non-résident.

Le cadre juridique national

3 L'article 50a de l'Einkommensteuergesetz (loi relative à l'impôt sur le revenu), dans sa version de 1996 (ci-après l'"EStG 1996"), concerne l'imposition des personnes "partiellement assujetties", c'est-à-dire celles qui n'ont ni leur domicile ni leur résidence habituelle en Allemagne et qui y sont imposées uniquement sur les revenus perçus dans cet État. Aux termes de l'article 50a, paragraphe 4, de cette loi:

"Dans le cas des personnes partiellement assujetties, l'impôt sur le revenu est recouvré par retenue à la source:

1. Pour les revenus perçus au titre de prestations artistiques, sportives ou similaires sur le territoire national ou au titre de l'exploitation de ces prestations sur le territoire national, y compris les revenus tirés d'autres prestations liées à celles qui précèdent, indépendamment de la personne qui perçoit les recettes [1/4]

[1/4]

La retenue à la source s'élève à 25 % des recettes [1/4]."

4 Conformément à l'article 50, paragraphe 5, quatrième phrase, de l'EStG, dans sa version de 1997, applicable avec effet rétroactif aux rémunérations perçues en 1996, aucune déduction pour frais professionnels n'est en principe autorisée, à moins que ces frais représentent plus de la moitié des recettes.

5 La retenue à la source constitue en principe une imposition définitive, ainsi qu'il ressort de l'article 50, paragraphe 5, de l'EStG 1996:

"Dans le cas des personnes partiellement assujetties, l'impôt sur le revenu frappant les revenus qui [1/4] font l'objet de la retenue à la source en vertu de l'article 50a est considéré comme acquitté par ladite retenue."

6 En vertu de l'article 1er, paragraphe 3, de l'EStG 1996, certaines personnes relevant du champ d'application de l'article 50a de celle-ci peuvent néanmoins demander à être traitées comme des personnes intégralement assujetties à l'impôt sur le revenu, leur imposition étant alignée, ultérieurement, sur celle d'une personne intégralement assujettie dans le cadre de la procédure de liquidation réalisée à la suite d'une déclaration de revenus.

7 Toutefois, les personnes partiellement assujetties ne peuvent faire usage de cette faculté que si l'une des conditions suivantes est remplie: soit 90 % au moins des revenus ont été soumis, durant l'année civile, à l'impôt sur le revenu allemand, soit les revenus non soumis à l'impôt sur le revenu allemand durant l'année civile sont égaux ou inférieurs à 12 000 DEM.

8 Dans le cadre de la procédure de liquidation de l'impôt sur le revenu, applicable, de manière générale, aux personnes intégralement assujetties, la base d'imposition, pour ce qui concerne des revenus tirés d'une activité indépendante, est le bénéfice net, après déduction des frais professionnels (voir article 50, paragraphes 1 et 2, de l'EStG). En outre, il convient d'appliquer le barème progressif établi à l'article 32a de l'EStG 1996, lequel comprend une tranche de base non imposable plafonnée, pour 1996, à 12 095 DEM.

Le litige au principal et la question préjudicielle

9 M. Gerritse, de nationalité néerlandaise et résidant aux Pays-Bas, a perçu, en 1996, la somme de 6 007,55 DEM pour une prestation de batteur dans une station de radio à Berlin. Il ressort du dossier que les dépenses professionnelles occasionnées par cette prestation se sont élevées à 968 DEM.

10 La même année, M. Gerritse a également perçu des revenus bruts s'élevant, au total, à environ 55 000 DEM dans son État de résidence et en Belgique.

11 Le cachet de 6 007,55 DEM a été soumis, conformément à la convention conclue le 16 juin 1959 entre le Royaume des Pays-Bas et la République fédérale d'Allemagne afin d'éviter la double imposition dans le domaine de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur la fortune ainsi que de divers autres impôts et de réglementer d'autres questions d'ordre fiscal (BGBl. 1960 II, p. 1782, ci-après la "convention bilatérale") et à l'article 50a, paragraphe 4, de l'EStG 1996, à l'impôt forfaitaire sur le revenu, au taux de 25 % (soit 1 501,89 DEM), qui a été retenu à la source.

12 En septembre 1998, M. Gerritse a introduit auprès de l'administration fiscale allemande, au titre de l'article 1er, paragraphe 3, de l'EStG 1996, une déclaration de revenus en vue d'être traité comme une personne intégralement assujettie. Le Finanzamt a cependant refusé de procéder à la liquidation de l'impôt sur le revenu au motif que les autres revenus déclarés dépassaient le plafond de 12 000 DEM. La réclamation du demandeur au principal a également été rejetée.

13 M. Gerritse a introduit un recours contre ce rejet devant le Finanzgericht Berlin en se prévalant du principe de non-discrimination garanti par le droit communautaire. Il a fait valoir qu'un résident intégralement assujetti se trouvant dans une situation comparable à la sienne ne serait pas tenu de payer un impôt en raison de la tranche de base non imposable plafonnée à 12 095 DEM.

14 Selon le Finanzamt, en faisant application du barème de base, le demandeur au principal échapperait à la progressivité du taux de l'impôt allemand sur le revenu, alors même que le niveau de ses revenus, au vu de son revenu mondial, exigerait l'application d'un taux plus élevé. De cette manière, il serait favorisé par rapport aux résidents intégralement assujettis pour lesquels, conformément à l'article 32b, paragraphe 1, point 3, de l'EStG 1996, le revenu mondial est pris en compte lors de la détermination du taux d'imposition.

15 La juridiction de renvoi s'interroge sur la compatibilité avec le droit communautaire de l'imposition définitive au taux de 25 %, prévue par l'article 50a, paragraphe 4, première phrase, point 1, et deuxième phrase, de l'EStG 1996.

16 Elle constate que la possibilité, pour l'État de résidence, de prendre en compte, en vertu de la convention bilatérale, les revenus perçus dans l'État d'activité, aux fins de l'imposition du reliquat du revenu mondial, peut aboutir à une charge supplémentaire pour l'assujetti dans la mesure où un éventuel bond dans le taux de l'impôt sur le revenu ne serait pas entièrement compensé par la déduction de l'impôt dans l'État de résidence, laquelle est calculée de manière purement abstraite en fonction des rapports entre les revenus perçus en Allemagne et les revenus mondiaux de l'assujetti.

17 Selon la juridiction de renvoi, l'imposition définitive des revenus de M. Gerritse à un taux de 25 % ne saurait être justifiée par le principe de la cohérence fiscale, dans la mesure où il n'existerait pas, ainsi que l'exigerait la jurisprudence de la Cour en la matière, de lien direct entre l'avantage fiscal - en l'occurrence, l'octroi de la tranche de base non imposable - et l'imposition définitive.

18 La juridiction de renvoi constate en outre que l'application d'un taux uniforme de 25 % risque, selon le cas, d'aboutir à une discrimination flagrante de la personne partiellement assujettie par rapport au résident fiscal. Ainsi, en 1996, un assujetti célibataire ayant son domicile aux Pays-Bas et y percevant l'équivalent de 12 001 DEM à titre de revenus nets, ainsi que des revenus bruts en Allemagne du fait d'une activité artistique indépendante s'élevant à 100 000 DEM en brut et à 50 001 DEM en net, était soumis à un impôt définitif de 25 000 DEM au titre de l'impôt sur le revenu, outre le prélèvement de solidarité proportionnel. Selon la juridiction de renvoi, cela correspond - appliqué au revenu net perçu en Allemagne - à un taux moyen d'imposition de 49,99 %, lequel n'est généralement applicable qu'aux personnes à revenus très élevés (le taux d'imposition maximal s'élevait en 1996 à 53 % pour les salariés non mariés dont le revenu imposable était situé au-dessus de 120 042 DEM).

19 Si le domicile de l'assujetti s'était trouvé en Allemagne et qu'il y avait obtenu un revenu net mondial de 62 002 DEM, il n'aurait dû payer, selon le barème de base, qu'un impôt sur le revenu de 15 123 DEM. Dans ce cas, le taux d'imposition moyen n'aurait correspondu qu'à 24,4 %, soit la moitié du taux mentionné au point précédent.

20 La juridiction de renvoi reconnaît cependant que, dans un grand nombre de cas, notamment lorsque les revenus nationaux sont très élevés et les frais professionnels négligeables, les dispositions en cause dans l'affaire au principal aboutissent, quant au taux d'imposition applicable, à un traitement plus favorable de la personne partiellement assujettie, soumise à la retenue d'impôt, par rapport à l'assujetti établi en Allemagne ou à la personne partiellement assujettie ayant fait l'objet d'une procédure de liquidation conformément à l'article 50 de l'EStG 1996. M. Gerritse ne ferait cependant pas partie de ces personnes favorisées, étant donné que l'impôt qui aurait dû être payé après liquidation pour les revenus perçus sur le territoire allemand aurait été nul dans l'hypothèse d'un assujettissement intégral.

21 La juridiction de renvoi ajoute que le litige au principal pourrait être résolu en reconnaissant à M. Gerritse la possibilité de mettre en œuvre une procédure de liquidation de l'impôt sur le revenu en appliquant le barème de base de l'impôt sur le revenu, sans cependant tenir compte de la tranche de base non imposable, ce qui aboutirait à un impôt sur le revenu légèrement inférieur à celui qui a été réclamé. Se poserait alors la question de savoir si des différences négligeables en matière d'imposition constituent un obstacle effectif à l'exercice d'une activité économique dans un autre État membre.

22 C'est dans ces conditions que le Finanzgericht Berlin a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

"Faut-il considérer comme contraire à l'article 52 du traité CE [1/4] que, en vertu de l'article 50a, paragraphe 4, première phrase, point 1, et deuxième phrase, de [l'EStG 1996], un ressortissant néerlandais, qui, du fait d'une activité indépendante, perçoit au cours de l'année civile en Allemagne des revenus nets imposables d'environ 5 000 DEM, soit, outre le prélèvement de solidarité, soumis à une retenue d'impôt de 25 % appliquée à des recettes (brutes) d'environ 6 000 DEM par le débiteur de la rémunération et qu'il n'ait pas la possibilité de récupérer, par le biais d'une demande visant à un remboursement ou à une liquidation de l'impôt, tout ou partie des impôts versés?"

Sur la question préjudicielle

23 Il convient de constater, à titre liminaire, que M. Gerritse, qui réside aux Pays-Bas, a accompli en Allemagne une prestation temporaire, pour laquelle il a perçu des revenus dont l'imposition est contestée devant la juridiction de renvoi. Dans ces conditions, ainsi que l'ont observé M. Gerritse et la Commission, il y a lieu de comprendre la question préjudicielle comme visant la libre prestation de services plutôt que la liberté d'établissement.

24 Dès lors, il y a lieu de considérer que la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si les articles 59 du traité CE (devenu, après modification, article 49 CE) et 60 du traité CE (devenu article 50 CE) s'opposent à une législation nationale telle que celle en cause dans l'affaire au principal qui, en règle générale, d'une part, prend en compte, lors de l'imposition des non-résidents, les revenus bruts sans déduction des frais professionnels alors que les résidents sont imposés sur leurs revenus nets après déduction de leurs frais professionnels et, d'autre part, soumet les revenus des non-résidents à un impôt définitif au taux uniforme de 25 %, retenu à la source, alors que les revenus des résidents sont imposés selon un barème progressif incluant une tranche de base non imposable.

Sur la déductibilité des frais professionnels

25 M. Gerritse et la Commission font valoir que, dans le cas des travailleurs indépendants intégralement assujettis, seul le "bénéfice" est soumis à l'impôt sur le revenu, les frais professionnels n'étant généralement pas inclus dans la base de l'imposition, alors que, dans le cas des personnes partiellement assujetties, l'impôt de 25 % est prélevé sur les "recettes", les frais professionnels n'étant pas déductibles (sauf s'ils sont supérieurs à la moitié des recettes, auquel cas l'impôt est remboursé dans la mesure où il dépasse 50 % de la différence entre les recettes et les frais professionnels).

26 M. Gerritse fait valoir, en particulier, la gravité des conséquences pour les artistes non-résidents en tournée en Allemagne, dont les frais professionnels sont généralement fort élevés.

27 À titre liminaire, il convient de constater que les frais professionnels dont il s'agit sont directement liés à l'activité ayant généré les revenus imposables en Allemagne, de telle sorte que les résidents et les non-résidents sont à cet égard placés dans une situation comparable.

28 Dans ces conditions, une réglementation nationale qui refuse aux non-résidents, en matière d'imposition, la déduction des frais professionnels, accordée en revanche aux résidents, risque de jouer principalement au détriment des ressortissants d'autres États membres et comporte donc une discrimination indirecte selon la nationalité, en principe contraire aux articles 59 et 60 du traité.

29 Aucun argument précis n'ayant été avancé devant la Cour pour justifier une telle différence de traitement, il y a lieu de considérer que les articles 59 et 60 du traité s'opposent à une réglementation nationale telle que celle en cause dans l'affaire au principal dans la mesure où elle exclut la faculté pour les personnes partiellement assujetties de déduire les frais professionnels de leurs revenus imposables, alors qu'une telle faculté est reconnue aux personnes intégralement assujetties.

Sur la retenue à la source de 25 %

Observations soumises à la Cour

30 Selon M. Gerritse, l'effet libératoire de l'impôt sur le revenu payé par la voie de la retenue à la source et la circonstance que, de ce fait, le non-résident est exclu de toute forme de remboursement du trop-perçu sont incompatibles avec l'article 60, troisième alinéa, du traité. En particulier, l'absence de prise en compte de la tranche d'imposition de base conduirait à une discrimination contraire au droit communautaire, puisqu'elle aurait pour effet d'imposer un taux d'imposition minimal, ce qui aurait été condamné par la Cour dans son arrêt du 27 juin 1996, Asscher (C-107-94, Rec. p. I-3089, point 49).

31 Aucune raison objective ne serait de nature à justifier cette différence de traitement par rapport aux résidents. En particulier, l'argument de la cohérence fiscale ne saurait être valablement invoqué dans la mesure où il n'existerait pas, ainsi que l'exigerait la jurisprudence de la Cour en la matière, un avantage qui viendrait compenser le désavantage fiscal.

32 Le Finanzamt et le Gouvernement finlandais soutiennent, en revanche, que le régime fiscal en cause au principal est conforme au droit communautaire.

33 D'abord, selon le Finanzamt, la retenue à la source constitue un moyen légitime et approprié pour le traitement fiscal d'une personne partiellement assujettie, établie à l'étranger.

34 Ensuite, dans l'hypothèse d'une application sans restriction du barème de base, ce qui, en l'occurrence, aboutirait à ne percevoir aucun impôt allemand sur le revenu, M. Gerritse échapperait à la progressivité du taux de cet impôt, alors même que son revenu mondial exigerait l'application d'un taux plus élevé. De cette manière, le contribuable partiellement assujetti serait favorisé par rapport à des personnes intégralement assujetties, pour lesquelles le revenu mondial serait pris en compte lors de la détermination du taux d'imposition.

35 Le Finanzamt et le Gouvernement finlandais ajoutent que, selon la jurisprudence de la Cour (arrêts du 14 février 1995, Schumacker, C-279-93, Rec. p. I-225, points 31 à 33; du 14 septembre 1999, Gschwind, C-391-97, Rec. p. I-5451, point 22, et Asscher, précité, point 44), l'obligation de tenir compte de la situation personnelle d'un assujetti relève, en principe, de la compétence de l'État de résidence, et non pas de celle de l'État d'origine des revenus, à moins que, du fait de l'absence de revenus suffisants pour une imposition dans le premier État, celui-ci ne puisse remplir cette obligation, de sorte que, du point de vue économique, aucun des deux États considérés ne tiendrait compte, en définitive, de la situation personnelle de l'assujetti dans le cadre de la liquidation.

36 Or, l'application d'une tranche de base non imposable répondrait à un objectif de protection du minimum vital des assujettis à faibles revenus, ce qui relèverait, en principe, de la responsabilité de l'État de résidence où, en règle générale, le contribuable perçoit la majeure partie de son revenu. Les autorités fiscales allemandes tiendraient compte du minimum vital s'agissant d'une personne partiellement assujettie dans la mesure où celle-ci relève de la procédure de liquidation de droit commun, lorsque le revenu perçu à l'étranger est inférieur à 12 000 DEM.

37 Enfin, le taux de 25 % correspond souvent, selon le Gouvernement finlandais, au taux d'imposition effectif auquel est soumise la personne dans son État de résidence, de telle sorte que la retenue à la source en cause ne constituerait pas un obstacle imprévisible à la libre circulation des personnes.

38 La Commission soutient une thèse analogue. Elle considère que, compte tenu des circonstances de l'espèce au principal, il convient de ne pas tenir compte de la tranche de base non imposable, c'est-à-dire d'appliquer le taux correspondant à l'imposition au-delà de la tranche non imposable.

39 Elle propose ainsi que soit ajouté le revenu net (A) à la tranche non imposable (B) pour obtenir un total (C). Le montant de l'impôt (D) que prévoit le barème applicable pour ce total (C) pourrait être considéré comme un impôt équitable sur le revenu net (A). Le taux d'imposition moyen, qui pourrait servir de référence pour un traitement non discriminatoire, découlerait alors du rapport entre le montant de l'impôt (D) d'après le barème et le revenu net (A).

40 Selon la Commission, dans le cas de M. Gerritse, le décompte se présenterait comme suit: le total (C) serait composé des revenus nets (A) d'un montant de 5 039,55 DEM ainsi que de la tranche non imposable (B) de 12 095 DEM et s'élèverait donc à 17 134,55 DEM. Pour ce revenu, le barème d'imposition correspondant donnerait un impôt (D) de 1 337 DEM. Eu égard au revenu net (A), cette somme correspondrait à un taux d'imposition moyen de 26,5 %, proche du taux de 25 % effectivement appliqué à M. Gerritse.

41 La Commission fait valoir que, à concurrence de ce taux, il n'existerait pas de discrimination. Il n'y aurait donc pas lieu, en l'occurrence, de contester l'application par les autorités allemandes du taux uniforme de 25 % à l'égard des personnes partiellement assujetties.

42 Elle partage également les vues du Finanzamt et du Gouvernement finlandais quant au bénéfice de la tranche non imposable. Il incomberait, en principe, à l'État de résidence, qui procède à l'imposition globale de l'intéressé en tenant compte de son revenu mondial net, d'intégrer dans son régime de progressivité de l'impôt les considérations d'ordre social qui justifieraient l'existence d'une telle tranche.

Réponse de la Cour

43 Ainsi que la Cour l'a déjà jugé, en matière d'impôts directs, la situation des résidents et celle des non-résidents dans un État ne sont, en règle générale, pas comparables dans la mesure où le revenu perçu sur le territoire d'un État par un non-résident ne constitue le plus souvent qu'une partie de son revenu global, centralisé au lieu de sa résidence, et que la capacité contributive personnelle du non-résident, résultant de la prise en compte de l'ensemble de ses revenus et de sa situation personnelle et familiale, peut s'apprécier le plus aisément à l'endroit où il a le centre de ses intérêts personnels et patrimoniaux, ce qui correspond en général à sa résidence habituelle (arrêts précités Schumacker, points 31 et 32; Gschwind, point 22, et du 16 mai 2000, Zurstrassen, C-87-99, Rec. p. I-3337, point 21).

44 Aussi, le fait pour un État membre de ne pas faire bénéficier un non-résident de certains avantages fiscaux qu'il accorde au résident n'est-il, en règle générale, pas discriminatoire, compte tenu des différences objectives entre la situation des résidents et celle des non-résidents tant du point de vue de la source des revenus que de la capacité contributive personnelle ou de la situation personnelle et familiale (arrêts précités Schumacker, point 34, et Gschwind, point 23).

45 La résidence constitue d'ailleurs le facteur de rattachement à l'impôt sur lequel se fonde, en règle générale, le droit fiscal international actuel, et notamment le modèle de convention de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) (modèle de convention de double imposition concernant le revenu et la fortune, rapport du comité des affaires fiscales de l'OCDE, 1977, version du 29 avril 2000), en vue de répartir entre les États la compétence fiscale, en présence de situations comportant des éléments d'extranéité.

46 En l'occurrence, il ressort du dossier que M. Gerritse, qui réside aux Pays-Bas, n'a perçu sur le territoire allemand qu'une partie minime de son revenu global.

47 La question se pose donc de savoir si la différence de situation objective entre un tel non-résident et un résident permet d'écarter le caractère discriminatoire d'une réglementation nationale telle que celle en cause dans l'affaire au principal qui soumet les revenus des non-résidents à un impôt définitif au taux uniforme de 25 % retenu à la source, alors que les revenus des résidents sont imposés selon un barème progressif incluant une tranche de base non imposable.

48 S'agissant, d'une part, de la tranche de base non imposable, dès lors qu'elle poursuit, ainsi que l'ont souligné le Finanzgericht Berlin, le Gouvernement finlandais et la Commission, une finalité sociale, puisqu'elle permet de garantir au contribuable un minimum vital exonéré de tout impôt sur le revenu, il est légitime de réserver l'octroi de cet avantage aux personnes ayant perçu l'essentiel de leurs ressources imposables dans l'État d'imposition, c'est-à-dire, en règle générale, aux résidents.

49 Il convient de relever que, lorsqu'il est néanmoins établi qu'une personne partiellement assujettie a perçu l'essentiel de ses revenus en Allemagne, en remplissant l'une des deux conditions mentionnées au point 7 du présent arrêt, la réglementation nationale en cause au principal aligne précisément son imposition sur celle d'une personne intégralement assujettie, en appliquant aux revenus du contribuable concerné un barème progressif, lequel comprend une tranche de base non imposable.

50 Tel n'est cependant pas le cas de M. Gerritse.

51 À cet égard, le Gouvernement néerlandais a précisé, en réponse à une question posée par la Cour, que, dans un cas tel que celui de l'espèce au principal, le contribuable pourrait bénéficier aux Pays-bas, État de résidence, de la tranche de revenus non imposables, laquelle serait déduite du revenu global. En d'autres termes, un avantage comparable à celui réclamé par M. Gerritse en Allemagne serait accordé dans l'État de sa résidence auquel il incombe, en principe, de prendre en compte la situation personnelle et familiale de l'intéressé.

52 D'autre part, quant à l'application aux non-résidents d'un taux d'imposition forfaitaire de 25 %, alors que les résidents sont soumis au barème progressif, il convient de préciser que, ainsi que l'a relevé la Commission, en application de la convention bilatérale, les Pays-Bas, en tant qu'État de résidence, intègrent dans la base d'imposition, conformément à la règle de progressivité, les revenus pour lesquels le droit d'imposition appartient à l'Allemagne. Ils tiennent néanmoins compte de l'impôt recouvré en Allemagne, en déduisant de l'impôt néerlandais une fraction qui correspond au rapport entre les revenus imposés en Allemagne et les revenus mondiaux.

53 Cela signifie que, au regard de la règle de progressivité, les non-résidents et les résidents sont dans une situation comparable, de telle sorte que l'application aux premiers d'un taux d'imposition sur le revenu plus élevé que celui applicable aux seconds et aux contribuables qui leur sont assimilés serait constitutif d'une discrimination indirecte interdite par le droit communautaire, en particulier par l'article 60 du traité (voir, par analogie, arrêt Asscher, précité, point 49).

54 Il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier, en l'occurrence, si le taux d'imposition de 25 % appliqué aux revenus de M. Gerritse est supérieur à celui qui découlerait de l'application du barème progressif. Afin de comparer des situations comparables, il importe à cet égard, ainsi que l'a, à juste titre, relevé la Commission, d'ajouter aux revenus nets perçus par l'intéressé en Allemagne un montant correspondant à la tranche non imposable. Selon la Commission, qui a procédé à ce calcul, l'application du barème progressif, dans un cas tel que celui de l'espèce au principal, aboutirait à un taux d'imposition de 26,5 %, lequel est supérieur à celui effectivement appliqué.

55 Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre au Finanzgericht Berlin ce qui suit:

- les articles 59 et 60 du traité s'opposent à une législation nationale telle que celle en cause dans l'affaire au principal qui, en règle générale, prend en compte, lors de l'imposition des non-résidents, les revenus bruts, sans déduction des frais professionnels, alors que les résidents sont imposés sur leurs revenus nets, après déduction de ces frais;

- en revanche, lesdits articles du traité ne s'opposent pas à cette même législation en ce qu'elle soumet, en règle générale, les revenus des non-résidents à un impôt définitif au taux uniforme de 25 %, retenu à la source, alors que les revenus des résidents sont imposés selon un barème progressif incluant une tranche de base non imposable, à la condition que le taux de 25 % ne soit pas supérieur à celui qui serait effectivement appliqué à l'intéressé, selon le barème progressif, aux revenus nets majorés du montant correspondant à la tranche de base non imposable.

Sur les dépens

56 Les frais exposés par le Gouvernement finlandais et la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

Statuant sur la question à elle soumise par le Finanzgericht Berlin, par ordonnance du 28 mai 2001, dit pour droit:

1) Les articles 59 du traité CE (devenu, après modification, article 49 CE) et 60 du traité CE (devenu article 50 CE) s'opposent à une législation nationale telle que celle en cause dans l'affaire au principal qui, en règle générale, prend en compte, lors de l'imposition des non-résidents, les revenus bruts, sans déduction des frais professionnels, alors que les résidents sont imposés sur leurs revenus nets, après déduction de ces frais.

2) En revanche, lesdits articles du traité ne s'opposent pas à cette même législation en ce qu'elle soumet, en règle générale, les revenus des non-résidents à un impôt définitif au taux uniforme de 25 %, retenu à la source, alors que les revenus des résidents sont imposés selon un barème progressif incluant une tranche de base non imposable, à la condition que le taux de 25 % ne soit pas supérieur à celui qui serait effectivement appliqué à l'intéressé, selon le barème progressif, aux revenus nets majorés du montant correspondant à la tranche de base non imposable.