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Décisions

CJCE, 5e ch., 26 juin 2003, n° C-422/01

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Försäkringsaktiebolaget Skandia, Ramstedt

Défendeur :

Riksskatteverket

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Wathelet

Avocat général :

M. Léger

Juges :

MM. Timmermans, La Pergola, Jann, Rosas

CJCE n° C-422/01

26 juin 2003

A COUR (cinquième chambre),

1 Par ordonnance du 23 octobre 2001, parvenue à la Cour le 25 octobre suivant, le Regeringsrätten (Cour administrative suprême) a posé, en vertu de l'article 234 CE, une question préjudicielle sur l'interprétation du traité CE et notamment de l'article 49 CE.

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant Försäkringsaktiebolaget Skandia (publ) (ci-après "Skandia") et M. Ramstedt, d'une part, au Riksskatteverket (administration des contributions), d'autre part, au sujet du traitement fiscal d'une assurance complémentaire de retraite souscrite par Skandia au profit de M. Ramstedt auprès de sociétés établies dans d'autres États membres.

Le cadre juridique national

La législation en cause

3 L'imposition des assurances est régie notamment par la kommunalskattelagen (1928:370) (loi relative aux impôts communaux), et à compter de l'exercice fiscal 2002 (revenus de l'année 2001), par l'inkomstskattelagen (1999:1229) (loi relative à l'impôt sur le revenu, ci-après l'"IL") qui contient des dispositions équivalentes à celles de la kommunalskattelagen en la matière.

4 À propos, notamment, des assurances complémentaires de retraite, qui sont souscrites et dont les primes sont payées par un employeur au profit d'un de ses employés, la législation distingue entre les assurances vieillesse et les assurances de capitaux.

5 Pour pouvoir être considérée comme une assurance vieillesse, l'assurance doit, entre autres conditions, être souscrite, en principe, auprès d'un assureur établi en Suède.

6 L'article 5 du chapitre 58 de l'IL précise toutefois qu'une assurance qui n'est pas souscrite auprès d'une entreprise exerçant ses activités en Suède constitue malgré tout une assurance vieillesse,

a) si l'assurance porte essentiellement sur le versement d'une pension de retraite, de maladie ou de réversion et si le contribuable résidait à l'étranger lors de la conclusion du contrat, dans un pays dont le régime fiscal accorde la déductibilité des cotisations, une réduction d'impôt ou un autre avantage fiscal équivalent, ou

b) si l'employeur a payé les cotisations de l'assurance alors que l'assuré résidait ou travaillait à l'étranger et sans que le paiement ait été considéré comme un revenu pour l'assuré aux fins de l'imposition dans le pays concerné, ou

c) si, compte tenu des circonstances particulières de l'espèce, les autorités fiscales ont consenti à ce que l'assurance soit assimilée à une assurance retraite.

7 L'article 2, paragraphe 2, du chapitre 58 de l'IL dispose que les assurances qui ne remplissent pas les conditions précitées sont considérées comme des assurances de capitaux.

8 En matière de fiscalité directe, les deux types d'assurances connaissent des régimes de déduction différents.

9 Les cotisations payées par l'employeur au titre d'une assurance complémentaire de retraite qui peut légalement être considérée comme une assurance vieillesse sont immédiatement déductibles de son résultat imposable. La retraite qui est versée ultérieurement est entièrement imposable au titre de l'impôt sur le revenu dans le chef du salarié retraité, bénéficiaire de l'assurance.

10 Par contre, les cotisations versées par l'employeur dans le cadre d'une assurance complémentaire de retraite, qui est considérée par la législation suédoise comme une assurance de capitaux, ne sont pas déductibles de son résultat imposable. Il ressort de l'ordonnance de renvoi que l'employeur dispose cependant d'un droit à déduction des sommes qu'il a contractuellement pris l'engagement de verser au salarié. En conséquence, cette déduction ne peut être opérée qu'au fur et à mesure du paiement effectif de la retraite. Pour le salarié, les sommes perçues dans ce cadre constituent un revenu du travail imposable.

Le litige au principal et la question préjudicielle

11 M. Ramstedt, ressortissant suédois résidant en Suède, est salarié de l'entreprise suédoise Skandia. M. Ramstedt et Skandia ont convenu qu'une partie de la retraite de M. Ramstedt serait assurée par la souscription, par Skandia, d'une assurance complémentaire de retraite professionnelle auprès de l'entreprise danoise d'assurance vie Skandia Link Livforsikring A/S, de l'entreprise allemande d'assurance vie Skandia Lebensversicherung AG ou de l'entreprise britannique d'assurance vie Skandia Life Assurance Ltd (ci-après les "entreprises d'assurances étrangères").

12 M. Ramstedt et Skandia ont adressé au Skatterättsnämnden (commission administrative de droit fiscal) une demande de décision préalable portant sur les points de savoir 1) si Skandia avait le droit de déduire de l'impôt sur le revenu les cotisations d'une assurance souscrite auprès de l'une des entreprises d'assurances étrangères et, dans l'affirmative, à quel moment, 2) si la réponse à cette question était susceptible d'être influencée par le fait que lesdites entreprises s'engageraient vis-à-vis du fisc suédois à communiquer des informations concernant les montants qui seraient versés à M. Ramstedt au titre du contrat d'assurance en cause, et 3) si M. Ramstedt devrait déclarer en tant que revenus professionnels les prestations qui lui seront servies et, dans l'affirmative, à quel moment.

13 Dans sa décision préalable du 1er février 2000, le Skatterättsnämnden a fait savoir que Skandia ne pourrait pas bénéficier d'un droit à déduction pour les cotisations payées, mais qu'un droit à déduction de la pension de retraite naîtrait lors du versement de celle-ci. Par ailleurs, il a indiqué que M. Ramstedt serait imposable sur les sommes qui lui seraient versées en exécution du contrat.

14 Le Skatterättsnämnden a indiqué, dans sa décision, que les règles suédoises ne comportaient pas de mesures discriminatoires considérées comme illicites par le droit communautaire. À cet égard, il s'est référé à l'arrêt du 28 janvier 1992, Bachmann (C-204-90, Rec. p. I-249) pour considérer que le droit communautaire n'interdisait pas à un État membre de prévoir deux régimes fiscaux pour l'assurance vie.

15 M. Ramstedt et Skandia ont formé un recours contre cette décision préalable devant le Regeringsrätten.

16 Dans son ordonnance de renvoi, le Regeringsrätten constate que, en vertu de la décision litigieuse, le droit de Skandia de déduire les charges de pension de retraite est différé par rapport au paiement des cotisations, en ce que cette déduction ne porte pas sur les cotisations versées, mais sur les sommes effectivement acquittées à titre de pension de retraite.

17 Il estime que, au regard du seul impôt sur les bénéfices des sociétés, la position adoptée par le Skatterättsnämnden ne permet pas de conclure que les assurances litigieuses seront toujours défavorisées par rapport aux assurances complémentaires de retraite considérées comme des assurances vieillesse.

18 À cet égard, le Regeringsrätten a envisagé deux hypothèses. Si le versement des sommes dues en exécution du contrat d'assurance et leur déduction concomitante n'interviennent que longtemps après le paiement des cotisations, alors que le montant des sommes versées n'est pas sensiblement supérieur à celui des cotisations payées, une assurance souscrite à l'étranger peut emporter des conséquences plus défavorables, du point de vue des impôts directs, qu'une assurance souscrite en Suède. Par contre, si le paiement des sommes dues en exécution du contrat d'assurance et leur déduction concomitante interviennent peu de temps après le paiement des cotisations et que le montant des sommes versées est sensiblement supérieur à celui des cotisations payées, l'effet sera inverse.

19 En dépit de ces aléas, la juridiction de renvoi a admis que le régime fiscal des assurances de capitaux était certainement moins favorable dans certains cas que dans celui des assurances vieillesse.

20 Compte tenu de ces éléments, la juridiction de renvoi se demande si l'obligation de souscrire une assurance auprès d'un assureur établi en Suède pour que celle-ci puisse bénéficier du régime fiscal des assurances vieillesse constitue une atteinte à la libre circulation des services, des personnes et des capitaux et notamment à l'article 49 CE.

21 C'est dans ces conditions que le Regeringsrätten a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

"Les règles communautaires relatives à la libre circulation des personnes, des services et des capitaux, notamment l'article 49 CE, lu ensemble avec l'article 12 CE, doivent-elles être interprétées en ce sens qu'elles interdisent la mise en œuvre de règles fiscales nationales ayant pour effet qu'une assurance, souscrite auprès d'un assureur établi en Angleterre, en Allemagne ou au Danemark et remplissant toutes les conditions d'une assurance complémentaire de retraite suédoise - à l'exception de celle d'être souscrite auprès d'un assureur établi en Suède -, soit traitée comme une assurance de capitaux, avec des effets en matière d'impôts directs qui, en fonction des circonstances de l'espèce, peuvent être moins favorables que ceux attachés à une assurance complémentaire de retraite?"

Sur l'applicabilité des dispositions du traité relatives à la libre prestation des services

22 À titre liminaire, il y a lieu de constater que les dispositions du traité relatives à la libre prestation des services s'appliquent à une situation telle que celle du litige au principal.

23 En effet, l'article 50 CE précise que, au sens du traité, sont considérées comme des services les prestations fournies normalement contre rémunération. Or, il a déjà été jugé que, au sens de cette disposition, la caractéristique essentielle de la rémunération réside dans le fait que celle-ci constitue la contrepartie économique de la prestation en cause (voir arrêt du 27 septembre 1988, Humbel et Edel, 263-86, Rec. p. 5365, point 17).

24 En l'occurrence, les cotisations que verse Skandia constituent bien la contrepartie économique des pensions qui seront servies à M. Ramstedt lorsque ce dernier cessera d'exercer ses activités. Il importe peu que M. Ramstedt n'acquitte pas lui-même les cotisations, l'article 50 CE n'exigeant pas que le service soit payé par celui qui en bénéficie (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 1988, Bond van Adverteerders e.a., 352-85, Rec. p. 2085, point 16). Par ailleurs, les cotisations présentent incontestablement un caractère rémunératoire dans le chef des compagnies d'assurances qui les perçoivent (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2001, Smits et Peerbooms, C-157-99, Rec. p. I-5473, point 58).

Sur l'existence d'une restriction à la libre prestation des services

25 À titre liminaire, il convient de rappeler que, si la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, ces derniers doivent toutefois exercer celle-ci dans le respect du droit communautaire (arrêts du 11 août 1995, Wielockx, C-80-94, Rec. p. I-2493, point 16; du 16 juillet 1998, ICI, C-264-96, Rec. p. I-4695, point 19; du 29 avril 1999, Royal Bank of Scotland, C-311-97, Rec. p. I-2651, point 19, et du 6 juin 2000, Verkooijen, C-35-98, Rec. p. I-4071, point 32).

26 Dans l'optique d'un marché unique, et pour permettre de réaliser les objectifs de celui-ci, l'article 49 CE s'oppose à l'application de toute réglementation nationale ayant pour effet de rendre la prestation de services entre États membres plus difficile que celle purement interne à un État membre (voir, notamment, arrêts du 5 octobre 1994, Commission/France, C-381-93, Rec. p. I-5145, point 17, et Smits et Peerbooms, précité, point 61).

27 À cet égard, il n'a pas été contesté devant la Cour que des règles nationales telles que celles en cause au principal restreignent la libre prestation des services.

28 Compte tenu, en effet, de l'inconvénient sur le plan financier que représente pour l'employeur le report de l'ouverture du droit à déduction au moment du versement de la pension à l'employé bénéficiaire, des règles nationales telles que celles en cause au principal sont susceptibles de dissuader, d'une part, les employeurs suédois de contracter des assurances complémentaires de retraite avec des compagnies établies dans un État membre autre que le royaume de Suède et, d'autre part, ces compagnies d'offrir leurs services sur le marché suédois (voir, en ce sens, arrêts du 28 avril 1998, Safir, C-118-96, Rec. p. I-1897, point 30, et du 3 octobre 2002, Danner, C-136-00, Rec. p. I-8147, point 31).

Sur les justifications invoquées

29 La nécessité d'assurer la cohérence fiscale du système national et l'efficacité des contrôles fiscaux, le souci de préserver l'assiette des recettes fiscales de l'État membre concerné ainsi que la neutralité concurrentielle ont été invoqués à titre de justification de la législation en cause.

Sur la cohérence fiscale

30 Les Gouvernements suédois et danois soulignent les similitudes entre le contexte factuel de l'affaire Bachmann, précitée, et celui de la présente affaire. Ils estiment notamment que le lien direct entre la déduction et l'imposition, requis par cette jurisprudence, existe dans le cadre de la législation nationale en cause.

31 Ils exposent, sur ce point, que, si, sur un plan strictement formel, la déduction et l'imposition ne s'opèrent pas dans le chef du même contribuable, les avantages et inconvénients fiscaux du plan de retraite concernent, en réalité, uniquement l'employé bénéficiaire. La prime d'assurance retraite payée par l'employeur constituerait, en fait, un élément de la rémunération de l'employé. Si l'employeur ne payait pas la prime, la rémunération nette perçue par l'employé serait plus importante, ce qui lui permettrait de verser lui-même la prime. Que la cotisation au plan de retraite soit payée par l'employeur et non par l'employé ne serait qu'une modalité technique.

32 Cette argumentation ne saurait être retenue.

33 À cet égard, il convient de rappeler, d'une part, que les arrêts Bachmann, précité, et du 28 janvier 1992, Commission/Belgique (C-300-90, Rec. p. I-305, point 14) reposaient sur le constat qu'il existait, en droit belge, un lien direct entre la faculté de déduire des cotisations et le caractère imposable des sommes versées par les assureurs. Dans le système fiscal belge, la perte de recettes qui résultait de la déduction des cotisations d'assurance était compensée par l'imposition des pensions, rentes, ou capitaux dus par les assureurs. En revanche, dans le cas où la déduction de telles cotisations n'avait pas été obtenue, ces sommes étaient exemptées de l'impôt (voir arrêt Danner, précité, point 36).

34 Or, dans l'affaire au principal, une telle corrélation fait défaut.

35 En effet, dans le système suédois, l'employeur qui a souscrit une assurance auprès d'un assureur établi dans un autre État membre doit attendre le versement de la pension à son employé pour bénéficier du droit à déduction. Aucune mesure compensatoire ne contrebalance dans son chef le désavantage qu'il subit ainsi par rapport à un employeur qui a souscrit une assurance comparable auprès d'une compagnie établie en Suède.

36 Par ailleurs, dans les deux hypothèses, l'employé bénéficiaire est imposé au même moment et de la même manière.

37 D'autre part, la thèse des Gouvernements suédois et danois selon laquelle la prime d'assurance serait, au fond, un élément de la rémunération du travailleur ne permet pas d'expliquer pourquoi elle peut être déduite immédiatement lorsque l'employeur a souscrit l'assurance complémentaire auprès d'un assureur établi sur le territoire national et seulement de manière différée lorsqu'elle a été souscrite auprès d'un assureur établi dans un autre État membre.

Sur l'efficacité des contrôles fiscaux

38 Selon les Gouvernements suédois et danois, l'exigence de l'établissement en Suède se justifie par la nécessité d'exercer de manière satisfaisante un contrôle fiscal efficace. À cet égard, et plus particulièrement pour obtenir les informations nécessaires à ce type de contrôle, les instruments communautaires prévus à cet effet et, notamment, la directive 77-799-CEE du Conseil, du 19 décembre 1977, concernant l'assistance mutuelle des autorités compétentes des États membres dans le domaine des impôts directs (JO L 336, p. 15), ne seraient pas suffisants.

39 Le Gouvernement danois soutient notamment que, tant que le droit communautaire ne consacrera pas expressément le droit des États membres d'exiger des entreprises d'assurances étrangères la transmission de renseignements relatifs aux paiements effectués, un tel contrôle ne pourra pas être mis en œuvre de façon efficace.

40 De même, il ne serait pas possible de garantir un contrôle fiscal efficace en se fondant sur le volontariat. Certes, les autorités fiscales des États membres peuvent, dans une large mesure, se prémunir contre des déductions infondées de paiements de primes en prescrivant des conditions très strictes en matière de justificatifs de la réalité et de l'importance des paiements. Un système fondé sur des renseignements transmis volontairement ne résoudrait cependant pas la question ultérieure de l'imposition. Les contribuables n'auraient pas le même intérêt à fournir aux autorités fiscales nationales des renseignements exacts et exhaustifs sur les paiements reçus, qui sont soumis à l'impôt, que sur les versements effectués ou sur des versements qui ouvrent un droit à déduction.

41 Cette position ne saurait être accueillie.

42 Il y a lieu de rappeler d'emblée que la directive 77-799 peut être invoquée par un État membre afin d'obtenir, de la part des autorités compétentes d'un autre État membre, toutes les informations susceptibles de lui permettre l'établissement correct des impôts sur le revenu (voir arrêt du 28 octobre 1999, Vestergaard, C-55-98, Rec. p. I-7641, point 26) ou toutes les informations qu'il juge nécessaires pour apprécier le montant exact de l'impôt sur le revenu dû par un redevable en fonction de la législation qu'il applique (voir arrêts précités Wielockx, point 26, et Danner, point 49).

43 Un État membre est donc en mesure de contrôler si des cotisations ont effectivement été versées par l'un de ses contribuables à une entreprise d'assurances établie dans un autre État membre. En outre, rien n'empêche les autorités fiscales concernées d'exiger du contribuable lui-même les preuves qu'elles jugent nécessaires pour apprécier si les conditions de déductibilité des cotisations prévues par la législation en cause sont réunies et, en conséquence, s'il y a lieu ou non d'accorder la déduction demandée (voir, en ce sens, arrêts précités Bachmann, points 18 et 20; Commission/Belgique, points 11 et 13, ainsi que Danner, point 50).

44 Quant à l'efficacité du contrôle de l'imposition des pensions versées à des résidents suédois, elle peut être sauvegardée par des moyens moins restrictifs de la libre prestation des services qu'une réglementation nationale telle que celle en cause au principal (voir arrêt Danner, précité, point 51).

45 Outre les possibilités offertes par la directive 77-799, il convient de relever que, avant que le bénéficiaire ne reçoive une pension d'un régime géré par une entreprise d'assurance étrangère, l'employeur aura en général demandé la déduction des cotisations y afférentes. Les demandes de déduction et les demandes de justificatifs fournies par l'employeur à l'occasion de telles demandes constitueront à cet égard une source utile de renseignements sur les pensions qui seront servies ultérieurement aux employés bénéficiaires (voir, en ce sens, arrêt Danner, précité, point 52).

Sur la nécessité de préserver l'assiette fiscale

46 Selon le Gouvernement suédois, l'exigence d'un établissement en Suède est justifiée en raison du risque de disparition de la matière imposable. En effet, le royaume de Suède ne serait pas en mesure d'imposer les paiements de pensions de retraite s'il n'était pas exigé que l'entreprise d'assurances ait un établissement en Suède, et, en l'absence d'un tel établissement, la pension de retraite ne trouverait pas son origine dans cet État membre.

47 Le Gouvernement danois soutient, quant à lui que, dans l'arrêt Safir, précité, la Cour a considéré que la préservation de la matière fiscale était une raison d'intérêt public de nature à justifier une réglementation fiscale, même indirectement discriminatoire.

48 Si le droit à déduction des versements à des plans de retraite étrangers ne pouvait être limité, cela permettrait aux contribuables résidant dans des États membres à fiscalité élevée, tels que le royaume de Suède et le royaume de Danemark, de profiter de manière inadmissible des différences entres les systèmes fiscaux des États membres. Les plans de retraites seraient souscrits dans les États membres où la fiscalité sur les versements de retraites est la plus faible et qui opèrent une retenue à la source sur ces versements en application d'une convention fiscale bilatérale conclue avec l'État de résidence du bénéficiaire.

49 La conséquence serait qu'à terme les États membres seraient contraints à un nivellement par le bas de leur fiscalité. Cela pourrait réduire à néant les fondements économiques d'États providence comme le royaume de Suède ou le royaume de Danemark.

50 Ces arguments ne sauraient être accueillis.

51 À cet égard, ainsi qu'elle l'a souligné dans l'arrêt Danner (précité, point 55), la Cour a jugé, au point 34 de l'arrêt Safir, précité, que, dans le cas d'espèce, la nécessité de combler le vide fiscal qui résulterait de la non-taxation de l'épargne sous forme d'assurances vie en capital investie dans des compagnies établies dans un État membre autre que celui où se trouve la résidence de l'épargnant n'était pas de nature à justifier la mesure nationale en cause qui restreignait la libre prestation des services.

52 La Cour a jugé en outre, en des termes généraux, qu'un éventuel avantage fiscal résultant, dans le chef des prestataires de services, de la fiscalité peu élevée à laquelle ils seraient soumis dans l'État membre dans lequel ils sont établis ne saurait permettre à un autre État membre de justifier un traitement fiscal moins favorable des destinataires des services établis dans ce dernier État. De tels prélèvements fiscaux compensatoires porteraient atteinte aux fondements mêmes du marché intérieur (voir arrêt du 26 octobre 1999, Eurowings Luftverkehrs, C-294-97, Rec. p. I-7447, points 44 et 45).

53 Enfin, la Cour a jugé que la nécessité de prévenir la réduction des recettes fiscales ne figure ni parmi les raisons énoncées à l'article 56 du traité CE (devenu, après modification, article 46 CE) ni parmi les raisons impérieuses d'intérêt général (voir arrêt Danner, précité, point 56) susceptibles de justifier une restriction à la libre prestation des services.

Sur la neutralité concurrentielle

54 Le Gouvernement suédois expose que, en Suède, l'employeur peut déduire les charges relatives à la garantie des pensions de retraite qu'il supporte avant le paiement effectif de celles-ci dans trois hypothèses: en cas de constitution d'une réserve au bilan combinée à une assurance crédit et à la caution d'une commune ou de l'État ou à une garantie équivalente, en cas de transfert à une fondation de retraite ou en cas de paiement d'une prime d'assurance retraite.

55 Le droit à déduction pour la garantie des engagements en matière de retraite par constitution d'une réserve ou par transfert à une fondation de retraite impliquerait que les déductions soient opérées auprès d'entreprises établies en Suède et que les sommes dont la déduction a été admise retournent à ces entreprises.

56 S'il n'était pas exigé que l'entreprise d'assurances soit établie en Suède pour admettre la déductibilité des primes d'assurance retraite, les conditions de concurrence entre les différentes formes de garantie des engagements en matière de retraite ne seraient plus neutres. Du point de vue du contrôle fiscal notamment, les entreprises d'assurances suédoises constituant des filiales à l'étranger tout comme les entreprises d'assurances étrangères bénéficieraient d'avantages concurrentiels indus par rapport aux autres formes de gestion de capitaux retraite et par rapport aux entreprises d'assurances retraite en Suède.

57 Ce raisonnement, par ailleurs difficile à suivre, comme l'a relevé M. l'avocat général au point 50 de ses conclusions, ne saurait, en tout état de cause, être accueilli.

58 À les supposer établies, des considérations d'égalité de concurrence entre différentes formes nationales de garantie d'engagements en matière de pension complémentaire ne sauraient, en effet, être poursuivies au prix d'atteintes à la libre circulation des services.

59 Par ailleurs, dans la mesure où la justification tirée de la neutralité concurrentielle est mêlée de considérations tenant à l'efficacité des contrôles fiscaux, elle appelle les mêmes critiques que celles déjà opposées à cette justification (voir, points 42 à 45 du présent arrêt).

Sur la libre circulation des personnes et des capitaux

60 Compte tenu de ce qui précède, il n'y a pas lieu d'apprécier si les dispositions du traité en matière de libre circulation des personnes et des capitaux s'opposent à une législation nationale telle que celle en cause au principal.

Sur l'article 12 CE

61 L'article 12 CE n'ayant vocation à s'appliquer de façon autonome que dans des situations régies par le droit communautaire pour lesquelles le traité ne prévoit pas de règles spécifiques de non-discrimination (voir, notamment, arrêt du 14 juillet 1994, Peralta, C-379-92, Rec. p. I-3453, point 18), il n'y a pas lieu, compte tenu des considérations qui précèdent, d'examiner la question posée au regard de cette disposition.

62 Il convient donc de répondre à la question posée que l'article 49 CE s'oppose à ce qu'une assurance souscrite auprès d'une compagnie établie dans un autre État membre et remplissant toutes les conditions d'une assurance complémentaire de retraite prévues par le droit national, à l'exception de celle d'avoir été souscrite auprès d'un assureur établi sur le territoire national, soit traitée différemment d'un point de vue fiscal, avec des effets en matière d'impôts sur le revenu qui, en fonction des circonstances de l'espèce, peuvent être moins favorables.

Sur les dépens

63 Les frais exposés par les Gouvernements suédois, danois et italien, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

Statuant sur la question à elle soumise par le Regeringsrätten, par ordonnance du 23 octobre 2001, dit pour droit:

L'article 49 CE s'oppose à ce qu'une assurance souscrite auprès d'une compagnie établie dans un autre État membre et remplissant toutes les conditions d'une assurance complémentaire de retraite prévues par le droit national, à l'exception de celle d'avoir été souscrite auprès d'un assureur établi sur le territoire national, soit traitée différemment d'un point de vue fiscal, avec des effets en matière d'impôts sur le revenu qui, en fonction des circonstances de l'espèce, peuvent être moins favorables.