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Décisions

Cass. com., 14 juin 2005, n° 03-14.401

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Parfums Jean Louis Scherrer (SA)

Défendeur :

Lafreco Distribution (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tricot

Rapporteur :

Mme Tric

Avocat général :

M. Lafortune

Avocats :

SCP Célice, Blancpain, Soltner, SCP Waquet, Farge, Hazan

T. com. Paris, 15e ch., du 29 nov. 2002

29 novembre 2002

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt déféré (Paris, 12 mars 2003), que reprochant à la société Les parfums Jean-Louis Scherrer (société PJLS) d'avoir rompu brutalement le contrat d'agent commercial qui les liait, la société Lafreco l'a assignée en paiement de diverses sommes ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société PJLS reproche à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande tendant à voir dire que la société Lafreco ne bénéficiait pas d'un contrat d'agent commercial mais d'un contrat de prestations de services et de l'avoir en conséquence condamnée à lui payer la somme de 196 346,47 euro au titre des factures et celle de 712 012 euro à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen : 1°) qu'aux termes de l'article L. 134-4 du Code de commerce, le contrat d'agent commercial est un contrat d'intérêt commun en vertu duquel l'agent contribue à la création ou au développement d'une clientèle commune sans se borner, comme un simple mandataire, à démarcher les clients qui lui sont présentés par son commettant ; que, dès lors, en se bornant à caractériser un prétendu contrat d'agent commercial entre la société PJLS et la société Lafreco par l'existence d'un mandat de négociation donné par la première à la seconde, par l'autonomie dont aurait bénéficié la société Lafreco et par le volume d'affaires traité, sans rechercher, comme elle y était invitée, si ces négociations commerciales avaient abouti au recrutement de nouveaux clients ou si la société Lafreco s'était bornée à exploiter le fichier de la société PJLS, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 134-1 et L. 134-4 du Code de commerce ; 2°) qu'en ne répondant pas aux conclusions prises par la société PJLS de ce chef, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; 3°) que se contredit en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, l'arrêt qui constate que la société PJLS reprochait à la société Lafreco d'avoir négocié des remises de fin d'année à un taux trop important et lui interdisait de poursuivre les discussions sur ce sujet, qu'elle acceptait par mention manuscrite les propositions de sa mandataire "Dur, dur OK", ce dont il résultait qu'elle conservait le pouvoir de décision, et qui, cependant, retient que la société Lafreco aurait eu de larges pouvoirs de négocier par elle-même ; 4°) que la dénomination d'agent, et non agent commercial, correspond à une dénomination générique contre l'utilisation de laquelle, dans de simples factures, la société PJLS n'avait nullement à protester ; qu'en décidant, cependant, qu'une telle utilisation permettrait de retenir la qualification d'agent commercial à l'encontre du mandant, la cour d'appel a interverti la charge de la preuve en violation de l'article 1315 du Code civil ;

Mais attendu qu'ayant relevé que la société Lafreco prospectait les distributeurs et détaillants au nom et pour le compte de la société PJLS, qu'elle bénéficiait de larges pouvoirs de négocier pour le compte de son mandant les remises et modalités de règlement des factures et que le volume des commandes passées par son intermédiaire traduit l'activité qu'elle a déployée dans la représentation des produits de la société PJLS, l'arrêt retient que les relations contractuelles entre les parties relèvent d'un contrat d'agent commercial ; qu'ainsi, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la quatrième branche, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de faire la recherche inopérante demandée, ni de répondre aux conclusions invoquées, a sans se contredire, légalement justifié sa décision; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen : - Attendu que la société PJLS reproche encore à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à la société Lafreco la somme de 712 012 euro à titre de dommages-intérêts dont 600 000 euro à titre d'indemnité de résiliation et d'avoir rejeté sa demande de condamnation de la société Lafreco pour exécution de mauvaise foi du contrat les liant, alors, selon le moyen : 1°) que la simple existence d'un différend opposant le cessionnaire de la marque à la société licenciée ne justifie pas, contrairement à ce que décide l'arrêt, la rupture de la part de l'agent "sans même en aviser son cocontractant" de toute relation commerciale avec son mandant, notamment en ce qui concerne la "transmission de commandes" en cours, de sorte qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1184 du Code civil, ensemble l'article L. 134-4 du Code de commerce ; 2°) que prive sa décision de base légale au regard des mêmes textes, l'arrêt qui refuse d'admettre que le jugement, exécutoire par provision, du Tribunal de commerce de Paris du 14 octobre 2002, qui donnait totalement raison à la société PJLS sur la question de sa licence, privait de tout fondement juridique le prétexte excipé par l'agent commercial pour rompre unilatéralement son mandat ; 3°) que viole l'article 1134 du Code civil, ensemble les articles L. 134-11 et L. 442-6 du Code de commerce, la cour d'appel, qui constatant elle-même que l'agent commercial a rompu son mandat sans aucun préavis et s'est aussitôt dispensé de transmettre les commandes, a refusé de qualifier la rupture d'abusive ; 4°) que le simple défaut d'information sur un différend opposant la société PJLS au titulaire de la marque ne justifiait pas que le mandataire de cette société adopte instantanément le point de vue de son adversaire, sans attendre la décision de l'autorité judiciaire, et se mette aussitôt au service de ce dernier; de sorte qu'en ne s'expliquant pas, comme elle y était pourtant invitée, sur ces circonstances non contestées, et sur le manquement de la société Lafreco à son devoir de loyauté, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard tant de l'article 1134 du Code civil que de l'article L. 134-4 du Code de commerce ; 5°) que le versement d'une indemnité de résiliation à un agent commercial ne se justifie pas lorsque, ayant pu conserver la clientèle qu'il a contribué à créer, l'agent n'a subi aucun préjudice du fait de la rupture des relations contractuelles ; qu'au cas présent, il résulte des propres constatations de l'arrêt que la société Lafreco n'a jamais perdu les débouchés commerciaux pour les produits fournis par la société PJLS dès lors que, "quasi immédiatement" après la rupture litigieuse, elle s'est vu consentir un contrat de distribution par le nouveau titulaire de la licence de la marque, la société Designer parfums ; qu'en condamnant, malgré tout, la société PJLS au paiement de la somme de 600 000 euro de dommages-intérêts à titre "d'indemnité de résiliation", la cour d'appel a violé l'article L. 134-12 du Code de commerce ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt relève que la société Lafreco a appris le 15 juillet 2002 par la société DM Parfums que cette société avait mis fin au contrat de licence consenti à la société PJLS avec effet au 8 avril 2002 tandis que le contrat d'agent commercial qui la liait à la société PJLS avait pour objet la distribution des produits revêtus des marques dont la concession était contestée ; qu'il retient que ce différend qui a été caché à l'agent commercial mettait en cause l'existence même du contrat d'agence commerciale, ce qui justifiait la cessation de toute transmission de commandes à la société PJLS, sans même en aviser le mandant, dès réception de la lettre de la société DM Parfums ; qu'ayant ainsi fait ressortir que si la cessation du contrat résultait de l'initiative de l'agent, elle était justifiée par des circonstances imputables au mandant qui avait violé les obligations contractuelles d'information et de bonne foi, la cour d'appel qui a constaté par ailleurs l'absence de faute grave de l'agent, a légalement justifié sa décision ;

Attendu, en second lieu, que la cour d'appel, qui a évalué souverainement le préjudice, a pris en compte l'instauration de nouvelles relations commerciales avec la société Designer parfums pour déterminer l'étendue du préjudice ; D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et sur le troisième moyen : - Attendu que la société PJLS reproche enfin à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer la somme de 712 012 euro à titre de dommages-intérêts dont 112 012 euro à titre d'indemnité de préavis et d'avoir rejeté corrélativement sa demande de condamnation de la société Lafreco pour exécution de mauvaise foi du contrat les liant, alors, selon le moyen : 1°) que le préavis prévu par l'article L. 134-11 du Code de commerce, consiste en la poursuite de l'exécution du contrat pendant une certaine période, nonobstant la résiliation de ce dernier et que viole l'article 1134 du Code civil, ensemble l'article L. 134-11 du Code de commerce, l'arrêt qui condamne la société PJLS à verser à ce titre une indemnité tout en constatant que son cocontractant avait lui-même unilatéralement interrompu l'exécution du contrat et même la transmission des commandes en cours ; 2°) qu'aucune indemnité de préavis n'est due à un agent commercial évincé si, malgré un défaut de préavis, il a retrouvé sans délai de nouvelles sources d'approvisionnement et de nouveaux clients, et n'a ainsi subi aucun préjudice lié à la privation de préavis ; qu'au cas présent, il résulte des propres constatations de l'arrêt, que la société Lafreco n'a subi aucune perte de chiffres d'affaires à la suite de la rupture des relations commerciales avec la société PJLS, malgré le fait que, prétendument, celle-ci l'ait privée de préavis ; qu'en condamnant néanmoins, la société PJLS au paiement d'une indemnité de préavis représentant deux mois de commissions, la cour d'appel a violé les articles 1382 et 1383 du Code civil, ensemble l'article L. 134-11 du Code de commerce ;

Mais attendu, d'une part, que l'arrêt retient que l'interruption de l'exécution du contrat par l'agent commercial est imputable au mandant et qu'aucune faute grave n'est établie à l'encontre de l'agent commercial ; qu'ainsi, aucun cas de force majeure n'ayant été invoqué, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

Attendu, d'autre part, que l'arrêt fixe souverainement le montant du préjudice résultant de la perte des sommes que l'agent aurait perçues si le contrat avait été exécuté pendant la durée du préavis ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.