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Décisions

TPICE, 5e ch., 25 mai 2005, n° T-443/03

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Sociedad Operadora de Telecomunicaciones de Castilla y León, SA (Retecal), Euskaltel, SA, Telecable de Asturias, SA, R Cable y Telecomunicaciones Galicia, SA, Tenaria, SA

Défendeur :

Commission des Communautés européennes, Royaume d'Espagne, Sogecable, SA, Telefónica, SA,

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vilaras

Juges :

MM. Dehousse, Sváby

Avocats :

Mes Laiglesia, Martínez Lage, Brokelmann, Merola, Sánchez, Merola.

TPICE n° T-443/03

25 mai 2005

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),

1 Le règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO L 395, p. 1), tel que rectifié (JO 1990, L 257, p. 13) et tel que modifié par le règlement (CE) n° 1310-97 du Conseil, du 30 juin 1997 (JO L 180, p. 1) (ci-après le " règlement n° 4064-89 "), prévoit un système de contrôle par la Commission des opérations de concentration ayant une " dimension communautaire " (article 1er, paragraphes 2 et 3).

2 L'article 9 du règlement n° 4064-89 permet à la Commission de renvoyer aux États membres l'examen d'une opération de concentration. Cette disposition prévoit notamment ce qui suit :

" 1. La Commission peut, par voie de décision qu'elle notifie sans délai aux entreprises concernées et dont elle informe les autorités compétentes des autres États membres, renvoyer aux autorités compétentes de l'État membre concerné un cas de concentration notifiée, dans les conditions suivantes.

2. Dans le délai de trois semaines à compter de la réception de la copie de la notification, un État membre peut communiquer à la Commission, qui en informe les entreprises concernées, que :

a) une opération de concentration menace de créer ou de renforcer une position dominante ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative dans un marché à l'intérieur de cet État membre qui présente toutes les caractéristiques d'un marché distinct

ou

b) une opération de concentration affecte la concurrence dans un marché à l'intérieur de cet État membre qui présente toutes les caractéristiques d'un marché distinct et qui ne constitue pas une partie substantielle du Marché commun.

3. Si la Commission considère que, compte tenu du marché des produits ou services en cause et du marché géographique de référence au sens du paragraphe 7, un tel marché distinct et une telle menace existent :

a) soit elle traite elle-même le cas en vue de préserver ou de rétablir une concurrence effective sur le marché concerné,

b) soit elle renvoie tout ou partie du cas aux autorités compétentes de l'État membre concerné en vue de l'application de la législation nationale sur la concurrence dudit État.

Si, au contraire, la Commission considère qu'un tel marché distinct ou une telle menace n'existent pas, elle prend à cet effet une décision qu'elle adresse à l'État membre concerné.

Dans les cas où un État membre informe la Commission qu'une opération de concentration affecte un marché distinct à l'intérieur de son territoire, qui n'est pas une partie substantielle du Marché commun, la Commission renvoie tout ou partie du cas afférent à ce marché distinct, si elle considère qu'un tel marché distinct est affecté.

[...]

6. La publication des rapports ou l'annonce des conclusions de l'examen de l'opération concernée par les autorités compétentes de l'État membre concerné intervient au plus tard quatre mois après le renvoi par la Commission.

[...]

8. Pour l'application du présent article, l'État membre concerné ne peut prendre que les mesures strictement nécessaires pour préserver ou rétablir une concurrence effective sur le marché concerné. "

Antécédents du litige

3 Le 3 juillet 2002, la Commission a reçu la notification, au titre du règlement n° 4064-89, d'une opération de concentration consistant dans l'intégration de Distribuidora de Televisión Digital, SA (ci-après " Vía Digital ") dans Sogecable, SA, en vertu de l'accord conclu le 8 mai 2002 entre Sogecable et Grupo Admira Media, SA, société contrôlée par Telefónica, SA.

4 Le 14 août 2002, la Commission a adopté une décision de renvoi de l'opération de concentration aux autorités espagnoles, qui ont approuvé cette opération le 29 novembre 2002 en soumettant sa mise en œuvre à certaines conditions.

5 Les requérantes ont introduit un recours contre la décision de renvoi, lequel a été rejeté par l'arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Cableuropa e.a./Commission (T-346-02 et T-347-02, Rec. p. II-4251, ci-après l'" arrêt Cableuropa ").

6 Le 29 janvier 2003, Sogecable et Telefónica ont conclu un nouvel accord d'intégration de Vía Digital dans Sogecable, accord contre lequel les requérantes ont déposé une plainte en arguant du fait qu'il s'agissait d'une nouvelle opération de concentration qui devait faire l'objet d'une notification à la Commission. La Commission a rejeté leur plainte par décision du 14 mars 2003.

7 Les requérantes ont alors formé un autre recours (affaire T-180-03) contre cette dernière décision. Par la suite, les requérantes se sont désistées de ce recours qui a été radié par ordonnance du Tribunal du 4 décembre 2003, Auna Operadores de Telecomunicaciones e.a./Commission (T-180-03, non publiée au Recueil).

8 Par lettre du 22 avril 2003, les requérantes ont déposé une nouvelle plainte auprès de la Commission. Elles lui demandaient de réclamer immédiatement aux autorités espagnoles une copie du plan détaillé de mise en œuvre des accords de concentration, d'enjoindre, en application de l'article 10 CE et de l'article 9, paragraphe 8, du règlement n° 4064-89, aux autorités espagnoles de modifier immédiatement les conditions qu'elles avaient fixées à la mise en œuvre de ces accords, afin de garantir une concurrence effective sur les marchés pertinents en Espagne, et, en cas de refus de leur part, d'introduire un recours contre le Royaume d'Espagne au titre de l'article 226 CE.

9 Par lettre type du 8 mai 2003, la Commission a fait savoir aux requérantes qu'elle avait enregistré leur plainte sous le numéro 2003-4504 SG (2003) A/4540. Cette lettre comportait une annexe décrivant la procédure en manquement contre un État membre.

10 Le 11 juillet 2003, les requérantes ont adressé une nouvelle lettre à la Commission soulignant que leur plainte ne pouvait pas être interprétée comme étant exclusivement dirigée contre le Royaume d'Espagne pour manquement aux obligations lui incombant en vertu de l'article 9, paragraphe 8, du règlement n° 4064-89. Elles ajoutaient que leur plainte invitait la Commission à agir conformément à ce dernier article. Les requérantes lui rappelaient également son obligation de traiter leur plainte avec diligence et impartialité et, le cas échéant, de justifier sa décision de ne pas intervenir.

11 Par lettre du 14 juillet 2003, la Commission a répondu aux trois demandes figurant dans la plainte des requérantes du 22 avril 2003. En réponse à la première demande, elle informait les requérantes que la copie du plan détaillé de mise en œuvre des accords de concentration avait effectivement été demandée aux autorités espagnoles. Concernant la deuxième demande, la Commission affirmait que ni l'article 10 CE ni l'article 9, paragraphe 8, du règlement n° 4064-89 ne l'obligeait à enjoindre à un État membre de modifier immédiatement un acte de son Gouvernement. Elle soulignait que la décision autorisant la concentration entre Sogecable et Vía Digital était antérieure de quatre mois à la décision Newscorp/Telepiù (COMP/M.2876) et qu'il aurait donc été difficile aux autorités espagnoles d'imposer les mêmes conditions que celles acceptées par la Commission dans cette dernière affaire. La Commission rappelait aussi que ces deux décisions étaient le résultat d'appréciations spécifiques à chaque marché. Enfin, quant à la troisième demande des requérantes, la Commission soulignait qu'elle n'avait pas l'obligation d'engager une procédure au titre de l'article 226 CE, mais jouissait d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard. La Commission concluait sa lettre en indiquant qu'elle avait l'intention de classer le dossier et donnait un mois aux requérantes pour formuler leurs observations.

12 Les requérantes ont répondu à cette invitation par lettre du 25 juillet 2003 en reprenant point par point les questions soulevées par la Commission. Elles ont, notamment, expliqué les conséquences des conditions fixées par le Gouvernement espagnol et les raisons pour lesquelles celles-ci n'étaient pas de nature à garantir une concurrence effective sur les marchés concernés. Elles ont rappelé à la Commission son obligation de traiter leur plainte avec diligence et impartialité et, surtout, de motiver sa décision de ne pas enquêter sur l'existence d'une éventuelle infraction à l'article 9, paragraphe 8, du règlement n° 4064-89. Les requérantes ont, enfin, invité la Commission à agir dans un délai de deux mois.

13 Par lettre du 21 octobre 2003, la Commission a fait part aux requérantes de sa décision de classer leur plainte. Elle soulignait qu'elle n'avait pas l'obligation d'engager une procédure au titre de l'article 226 CE, mais disposait d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, qui excluait le droit pour les particuliers d'intenter une action contre son refus d'agir. Elle ajoutait que la solution la plus appropriée pour les requérantes consistait à emprunter les voies de recours nationales.

Procédure et conclusions des parties

14 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 31 décembre 2003, les requérantes ont introduit le présent recours.

15 Elles concluent à ce qu'il plaise au Tribunal :

- déclarer le recours recevable et fondé ;

- annuler la décision de la Commission du 21 octobre 2003 ;

- condamner la Commission aux dépens.

16 Par acte séparé, enregistré au greffe du Tribunal le 15 mars 2004, la Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité, conformément à l'article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal. Elle conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- déclarer le recours irrecevable ;

- condamner les requérantes aux dépens.

17 Par actes séparés déposés au greffe du Tribunal le 1er avril 2004, le Royaume d'Espagne et Sogecable ont demandé à intervenir à l'appui des conclusions de la Commission. Le président de la troisième chambre du Tribunal a fait droit à leur demande par ordonnances, respectivement, du 15 juin 2004 et du 9 juillet 2004. Le Royaume d'Espagne et Sogecable ont l'un et l'autre déposé leur mémoire en intervention le 4 octobre 2004.

18 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 13 avril 2004, Telefónica a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission. Le président de la troisième chambre du Tribunal a fait droit à sa demande par ordonnance du 27 juillet 2004. Telefónica a déposé son mémoire en intervention le 15 novembre 2004.

Sur la recevabilité

19 Aux termes de l'article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal statue sur l'irrecevabilité sans engager le débat au fond. Conformément au paragraphe 3 du même article, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal. En l'espèce, le Tribunal s'estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier pour statuer sur la demande sans ouvrir la procédure orale.

Arguments des parties

20 La Commission, soutenue par les parties intervenantes, fait valoir que le Tribunal a déjà examiné la situation qui fait l'objet de la présente procédure dans ses arrêts du 3 avril 2003, Royal Philips Electronics/Commission (T-119-02, Rec. p. II-1433) et Cableuropa. Il en résulterait que la seule voie de droit que la Commission puisse utiliser à l'encontre d'un État membre qui enfreindrait l'article 9, paragraphe 8, du règlement n° 4064-89 serait celle du recours en manquement. Les requérantes auraient, pour leur part, la possibilité de former un recours devant les juridictions nationales, ce qu'elles auraient d'ailleurs fait.

21 Or, selon la Commission, appuyée par les parties intervenantes, il est de jurisprudence constante que les particuliers ne sont pas recevables à attaquer un refus de la Commission d'engager une procédure en manquement à l'encontre d'un État membre. En effet, la Commission disposerait à cet égard d'un pouvoir discrétionnaire.

22 La Commission allègue que la thèse des requérantes, selon laquelle elle a un devoir général de diligence dans l'instruction des plaintes, méconnaît totalement cette jurisprudence. La Commission, soutenue par Telefónica et Sogecable, ajoute que la position procédurale des parties l'ayant saisie d'une plainte est fondamentalement différente dans le cadre d'une procédure au titre de l'article 226 CE et dans celui d'une procédure au titre du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204).

23 La Commission maintient que la distinction établie par les requérantes entre son prétendu refus de vérifier si le Gouvernement espagnol a enfreint le règlement n° 4064-89 et un refus d'engager une procédure d'infraction contre le Royaume d'Espagne n'a pas d'existence juridique et défie toute logique. Le droit ne connaîtrait pas deux décisions différentes, l'une de refus de vérification et l'autre de refus d'ouverture d'une procédure une fois la vérification effectuée. Dans les deux cas, la seule décision possible serait le classement de la plainte.

24 Les requérantes font valoir que l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission repose sur une " déformation intéressée " de la requête et sur une interprétation particulière de l'article 9, paragraphe 8, du règlement n° 4064-89.

25 Selon les requérantes, la Commission n'a pas seulement négligé d'examiner leur plainte de manière diligente et impartiale, mais a agi directement contre l'intérêt communautaire en permettant que le mécanisme de renvoi prévu par l'article 9 du règlement n° 4064-89 ait pour conséquence directe la fragmentation des marchés nationaux, et ce au mépris de son obligation prévue par ce règlement de garantir une application cohérente des règles de concurrence.

26 Les requérantes avancent que la Commission fonde son exception d'irrecevabilité sur un obiter dictum du Tribunal dans l'arrêt Cableuropa. Or, selon elles, cet arrêt ne concernait pas l'application de l'article 9, paragraphe 8, du règlement n° 4064-89 et la Commission ne pouvait pas en déduire que le Tribunal avait considéré que la seule voie de droit que la Commission ait pu utiliser à l'encontre d'un État membre enfreignant l'article 9, paragraphe 8, du règlement n° 4064-89 était celle du recours en manquement. La Commission ne pourrait donc prétendre, au soutien de son exception d'irrecevabilité, que la demande des requérantes porte atteinte à la chose jugée.

27 Quant à l'argument de la Commission, selon lequel le recours introduit par elles devant le Tribunal Supremo permettrait une protection effective de leurs droits, les requérantes invoquent, d'une part, la jurisprudence selon laquelle les conditions de recevabilité d'un recours au titre de l'article 230 CE ne sont en aucune manière affectées par l'existence ou non de voies de recours nationales. Elles font valoir, d'autre part, qu'il n'est pas certain qu'elles puissent invoquer utilement la violation de l'article 9, paragraphe 8, du règlement n° 4064-89 dans le cadre de la procédure nationale. La procédure nationale se bornerait, en effet, à valider l'acte administratif d'approbation de l'opération de concentration dans sa totalité, sans pouvoir valider ou annuler individuellement les conditions imposées par les autorités espagnoles.

28 En ce qui concerne le devoir de diligence et d'impartialité de la Commission dans le cadre de l'examen de la violation par les autorités nationales de l'article 9, paragraphe 8, du règlement n° 4064-89, les requérantes avancent que, s'il est vrai que la compétence de l'État membre est exclusive une fois l'affaire renvoyée, cela implique qu'il applique son droit national, mais non qu'il est dispensé de l'obligation de respecter le droit communautaire. C'est donc, selon les requérantes, à la Commission qu'il revient de contrôler cette obligation conformément à ce règlement.

29 Les requérantes estiment que déclarer leur recours irrecevable reviendrait à nier leur droit à une protection juridictionnelle et leur droit à un examen diligent et impartial d'une plainte pour violation des règles de concurrence.

Appréciation du Tribunal

30 À titre préliminaire, il y a lieu d'observer que les parties sont en désaccord sur l'objet du recours. La Commission invoque l'article 226 CE alors que les requérantes se réclament de l'application de l'article 9, paragraphe 8, du règlement n° 4064-89 et du respect des règles de concurrence ainsi que de l'obligation d'examen diligent et impartial des plaintes.

31 Les requérantes centrent leur recours sur le refus de la Commission de vérifier le respect par les autorités espagnoles de leurs obligations. Elles s'appuient en cela sur l'obligation d'examen diligent et impartial des plaintes en matière de concurrence, ce qui impliquerait la recevabilité de leur recours dans la mesure où il porte sur un manquement de la Commission à cette obligation.

32 L'argumentation des requérantes à cet égard repose principalement sur l'arrêt du Tribunal du 30 janvier 2002, max.mobil/Commission (T-54-99, Rec. p. II-313). Dans celui-ci, le Tribunal a déclaré le recours recevable en étendant à l'article 86 CE l'obligation d'examen diligent et impartial consacrée par la jurisprudence dans le cadre des articles 81 CE et 82 CE, d'une part, et des articles 87 CE et 88 CE, d'autre part. Toutefois, dans son arrêt du 22 février 2005, Commission/max.mobil (C-141-02 P, non encore publié au Recueil), rendu sur pourvoi, la Cour a annulé l'arrêt du Tribunal et rejeté le recours de max.mobil contre la décision de la Commission.

33 Il s'ensuit que la jurisprudence invoquée par les requérantes est dépourvue de toute pertinence en l'espèce.

34 En outre, la présente affaire concerne une opération de concentration et intervient après la décision de renvoi aux autorités nationales.

35 Les requérantes ont déjà formé un recours contre cette décision de renvoi, lequel a été rejeté par le Tribunal dans l'arrêt Cableuropa. Aucun pourvoi n'a été introduit contre cet arrêt. Le renvoi de l'opération aux autorités nationales est donc définitif.

36 Dans son appréciation portant sur la recevabilité dudit recours, le Tribunal a déclaré, aux points 56 à 59 de cet arrêt :

" 56 Or, dans la présente espèce, en renvoyant l'examen de la concentration en cause aux autorités espagnoles de la concurrence, la Commission a mis fin à la procédure d'application du règlement n° 4064-89, entamée par la notification de l'accord prévoyant l'intégration de Vía Digital dans Sogecable. En effet, en vertu de l'article 9, paragraphe 3, premier alinéa, sous b), du règlement n° 4064-89, les autorités compétentes de l'État membre concerné appliquent, après renvoi, leur droit national de la concurrence.

57 Il en résulte que la décision attaquée faisant l'objet du présent recours a pour conséquence de soumettre cette concentration au contrôle exclusif des autorités espagnoles de la concurrence statuant sur la base de leur droit national de la concurrence.

58 Force est de constater que, ce faisant, la décision attaquée affecte la situation juridique des requérantes [...]

59 En effet, en déterminant, par le renvoi au droit national de la concurrence, les critères d'appréciation de la régularité de l'opération de concentration en cause ainsi que la procédure et les sanctions éventuelles applicables, la décision attaquée modifie la situation juridique des requérantes en les privant de la possibilité de voir examiner par la Commission la régularité de l'opération en cause sous l'angle du règlement n° 4064-89 [...] "

37 Pour déclarer le recours des requérantes recevable, le Tribunal s'est donc fondé sur le fait que l'appréciation de l'opération de concentration en cause était renvoyée aux autorités nationales appliquant leur droit national, empêchant ainsi la Commission d'examiner la régularité de l'opération sous l'angle du règlement n° 4064-89.

38 Par ailleurs, il résulte clairement du point 198 de l'arrêt Cableuropa que, après la décision de renvoi de l'opération aux autorités nationales, la Commission ne peut plus agir que dans le cadre d'un recours en manquement contre ces dernières. Les particuliers doivent, quant à eux, se tourner vers les juridictions nationales pour contester toute décision prise par les autorités nationales après le renvoi.

39 Il convient de souligner que les requérantes ont effectivement attaqué la décision des autorités espagnoles devant les juridictions espagnoles. Elles ne sauraient donc alléguer que leur protection juridictionnelle n'est pas assurée.

40 Après la décision de renvoi de l'opération de concentration aux autorités nationales, il incombe à ces autorités d'appliquer leur droit national conformément au droit communautaire. C'est à raison que les requérantes affirment que le fait que la compétence de l'État membre est exclusive une fois l'affaire renvoyée implique que l'État membre applique son droit national, mais non qu'il est dispensé de l'obligation de respecter le droit communautaire de la concurrence. C'est également à raison qu'elles font valoir qu'il incombe à la Commission de contrôler le respect de cette obligation par les autorités nationales.

41 Toutefois, dans le système prévu par les traités, si ces dernières manquent à leurs obligations, l'article 226 CE prévoit que la Commission peut saisir la Cour de justice. Elle n'en a pas l'obligation.

42 Il convient, du reste, de relever que le règlement n° 4064-89 ne prévoit pas de régime particulier de répartition des compétences après la décision de renvoi, qui dérogerait au système prévu par les traités. Certes, comme l'affirment les requérantes, l'article 9, paragraphe 8, du règlement n° 4064-89 n'exclut pas explicitement la compétence de la Commission pour contrôler le respect par les États membres des obligations établies dans les règles communautaires de concurrence. Pour autant, si cet article impose une obligation à l'État membre concerné, ni les traités ni le droit dérivé ne prévoient une voie spéciale de contrôle devant être exercée par la Commission.

43 Celle-ci ne peut donc veiller au respect de cette obligation autrement que par la voie ouverte par les traités s'agissant d'une opération relevant de la compétence de cet État membre. À l'égard de l'opération de concentration, sur laquelle, après son renvoi aux autorités nationales d'un État membre, elle n'exerce plus de contrôle direct, la Commission ne peut plus agir que dans le cadre de l'article 226 CE en intentant, le cas échéant, un recours en manquement contre cet État membre.

44 Or, ainsi qu'il résulte de la jurisprudence constante (arrêts de la Cour du 14 février 1989, Star Fruit/Commission, 247-87, Rec. p. 291 ; du 17 mai 1990, Sonito e.a./Commission, C-87-89, Rec. p. I-1981, points 6 à 9, et du 20 février 1997, Bundesverband der Bilanzbuchhalter/Commission, C-107-95 P, Rec. p. I-947, point 19 ; ordonnances du Tribunal du 29 novembre 1994, Bernardi/Commission, T-479-93 et T-599-93, Rec. p. II-1115, points 27 et 28 ; du 23 janvier 1995, Bilanzbuchhalter/Commission, T-84-94, Rec. p. II-101, points 23 à 26, et arrêt du Tribunal du 9 janvier 1996, Koelman/Commission, T-575-93, Rec. p. II-1, points 71 et 72), les particuliers ne sont pas recevables à attaquer un refus de la Commission d'engager une procédure en manquement à l'encontre d'un État membre. La Commission n'est pas tenue d'engager une procédure en manquement, mais dispose d'un pouvoir d'appréciation discrétionnaire qui exclut le droit pour les particuliers d'exiger d'elle qu'elle prenne une position dans un sens déterminé et d'introduire un recours contre son refus d'agir.

45 À cet égard, il convient d'ajouter que la plainte des requérantes visait très clairement à obtenir de la Commission une injonction aux autorités espagnoles de modifier certaines conditions et, le cas échéant, l'introduction d'un recours en manquement. En effet, il y a lieu de rappeler que les requérantes demandaient à la Commission, premièrement, de réclamer immédiatement aux autorités espagnoles de la concurrence une copie du plan détaillé de mise en œuvre des conditions adoptées par le Gouvernement espagnol dans sa décision du 29 novembre 2002, deuxièmement, d'enjoindre aux autorités espagnoles de modifier immédiatement les conditions adoptées dans l'affaire COMP/M.2845 et, troisièmement, en cas de refus de leur part, d'engager une procédure contre le Royaume d'Espagne au titre de l'article 226 CE pour garantir le respect des obligations découlant pour cet État de l'article 9, paragraphe 8, du règlement n° 4064-89.

46 Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, c'est donc à bon droit que, dans l'acte attaqué, la Commission a classé la plainte des requérantes au motif qu'elle n'avait pas l'obligation d'engager une procédure au titre de l'article 226 CE, mais jouissait à cet égard d'un pouvoir discrétionnaire.

47 Il y a lieu dès lors de faire droit aux conclusions de la Commission en déclarant le recours irrecevable.

Sur les dépens

48 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter les dépens exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière. Sogecable et Telefónica ayant conclu à la condamnation des requérantes aux dépens liés à leur intervention, il convient, en outre, de condamner ces dernières à supporter les dépens exposés par chacune de ces parties intervenantes.

49 En application de l'article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. Le Royaume d'Espagne supportera dès lors ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

ordonne:

1) Le recours est rejeté comme irrecevable.

2) Les requérantes supporteront leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission, par Telefónica, SA et par Sogecable, SA.

3) Le Royaume d'Espagne supportera ses propres dépens.