Conseil Conc., 30 juin 2005, n° 05-D-36
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Respect, par les sociétés du groupe Decaux, des injonctions prononcées par la décision n° 98-D-52 du 7 juillet 1998
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de Mme Sévajols, par M. Nasse vice-président, présidant la séance, Mme Mader-Saussaye, MM. Piot, Bidaud, Combe, membres.
Le Conseil de la concurrence (section I),
Vu la lettre enregistrée le 26 février 2001, sous le numéro R 32, par laquelle le maire de la commune de Mouvaux a saisi le Conseil de la concurrence des pratiques mises en œuvre par le groupe Decaux, estimant que le groupe Decaux ne respecte pas les injonctions du Conseil de la concurrence dans sa décision n° 98-D-52 du 7 juillet 1998 ; Vu les articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002, fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu les observations présentées par la commune de Mouvaux, les sociétés JC Decaux SA, JC Decaux Mobilier Urbain, SOMUPI, SOPACT et SEMUP et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les sociétés JC Decaux SA, JC Decaux Mobilier Urbain, SOMUPI, SOPACT et SEMUP entendus lors de la séance du 31 mai 2005 ; le représentant de la commune de Mouvaux, présent, n'ayant pas souhaité s'exprimer ; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
A. LA SAISINE DE LA COMMUNE DE MOUVAUX
1. Par courrier enregistré le 26 février 2001, le maire de la commune de Mouvaux a saisi le Conseil de la concurrence d'une plainte à l'encontre de l'entreprise Decaux. Il estime que cette entreprise ne respecte pas les injonctions du Conseil de la concurrence dans sa décision n° 98-D-52 du 7 juillet 1998 relative à des pratiques relevées dans le secteur du mobilier urbain. Dans ce courrier, il précise : " Les pratiques de cette entreprise sont en parfaite contradiction avec cette décision (98-D-52) (...). En effet, par délibération en date du 13 juin 2000, le conseil municipal de la ville de Mouvaux à l'unanimité a souhaité constater la nullité de la convention avec l'entreprise Decaux signée en 1980 en s'appuyant sur les dispositifs de votre décision. Cette société nous a proposé un avenant de synthèse, validé selon leurs propos par la direction des relations avec les collectivités locales de la préfecture du Nord, qui vise à aligner sur une moyenne arithmétique la durée du mobilier restant en place. Cette proposition a été faite par le directeur régional de l'entreprise et un document nous a été remis en ce sens. Une question écrite a été posée à l'Assemblée Nationale par le député de notre circonscription et la réponse du ministre est assez claire. Il apparaît, en effet, que cette proposition contredit votre décision sur la durée propre des mobiliers par rapport à la durée du contrat lui-même. D'autre part, cette entreprise conteste le fond de notre décision et souhaite engager un recours indemnitaire pour rupture abusive du contrat. Or, à aucun moment elle n'a proposé une modification de ce contrat conformément à votre décision, et plus particulièrement la suppression des clauses abusives de tacite reconduction ou de changement de la clause de préférence ".
B. LA DÉCISION N° 98-D-52 DU 7 JUILLET 1998 RELATIVE À DES PRATIQUES RELEVÉES DANS LE SECTEUR DU MOBILIER URBAIN
2. Par décision du 7 juillet 1998, le Conseil de la concurrence a estimé que les sociétés du groupe Decaux avaient abusé de leur position dominante sur le marché du mobilier urbain publicitaire. Il n'a pas prononcé de sanction pécuniaire mais a décidé d'adresser des injonctions aux sociétés mises en cause. La décision du Conseil se termine comme suit : " Considérant que les sociétés du groupe Decaux, qui détiennent une position dominante sur le marché du mobilier urbain publicitaire, ont mis en œuvre des pratiques tendant à conforter artificiellement cette position, en empêchant l'émergence d'une concurrence effective dans ce secteur ; qu'il y a lieu toutefois de prendre en considération le fait que les contrats passés par les sociétés du groupe Decaux avec les collectivités locales ont été examinés à plusieurs reprises par l'administration depuis 1978 et que ces sociétés ont, dans la plupart des cas, modifié conformément à ce que leur demandait l'administration les clauses des contrats-types qu'elles proposent ; que si, dans ces circonstances, il n'y a pas lieu de prononcer des sanctions pécuniaires pour la mise en œuvre des pratiques examinées, il convient toutefois d'en prévenir la poursuite ; Considérant, dès lors, qu'il y a lieu d'enjoindre aux sociétés du groupe Decaux de ne pas proposer aux collectivités publiques souhaitant contracter avec elles l'insertion d'une clause leur reconnaissant un droit de priorité pour toute installation de mobilier supplémentaire, d'une clause selon laquelle les équipements installés en cours de contrat ont une durée de vie contractuelle propre, différente de celle du contrat, et d'une clause de tacite reconduction ; que les sociétés du groupe Decaux devront informer les collectivités publiques avec lesquelles elles sont liées des modifications apportées aux clauses-types proposées ; En ce qui concerne la publication, Considérant qu'il y a lieu de porter à la connaissance des collectivités publiques susceptibles de se doter de mobilier urbain les pratiques mises en œuvre par les sociétés du groupe Decaux mises en cause en l'espèce ; qu'il y a lieu, dès lors, d'ordonner la publication de la présente décision dans " La Gazette des communes, des départements et des régions " aux frais de la société Decaux SA, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision,
Décide :
Article 1er.- Il est établi que les sociétés du groupe Decaux ont enfreint les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et de l'article 86 du traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté européenne.
Article 2.- Il est enjoint aux sociétés du groupe Decaux :
- de ne pas proposer, aux collectivités publiques souhaitant contracter avec elles, l'insertion d'une clause reconnaissant à la société du groupe Decaux co-contractante un droit de priorité pour l'installation de mobilier urbain supplémentaire ;
- de ne pas proposer, aux collectivités publiques souhaitant contracter avec elles, l'insertion d'une clause selon laquelle les équipements installés en cours de contrat ont une durée contractuelle propre différente de celle du contrat ; - de ne pas proposer, aux collectivités publiques souhaitant contracter avec elles, l'insertion d'une clause de tacite reconduction ;
- d'informer, dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision les collectivités publiques avec lesquelles elles sont liées par contrat, des modifications apportées aux clauses-types figurant dans les contrats qu'elles proposent.
Article 3.- Dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, la société Decaux SA fera publier le texte intégral de la présente décision dans " La Gazette des communes, des départements et des régions ". Cette publication sera précédée de la mention " Décision du Conseil de la concurrence du 7 juillet 1998 relative à des pratiques relevées dans le secteur du mobilier urbain ".
C. LES FAITS
1. LA PUBLICATION
3. L'article 3 de la décision du Conseil du 7 juillet 1998 précise que, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, la société Decaux SA fera publier le texte intégral de la présente décision dans " La Gazette des communes, des départements et des régions " et que cette publication sera précédée de la mention " Décision du Conseil de la concurrence du 7 juillet 1998 relative à des pratiques relevées dans le secteur du mobilier urbain ".
4. La décision a été notifiée le 3 août 1998. Elle a été publiée dans La Gazette des communes, des départements et des régions, datée du 14 septembre 1998.
2. LES CLAUSES SUR LE DROIT DE PRIORITÉ, SUR LA DURÉE DES ÉQUIPEMENTS INSTALLÉS EN COURS DE CONTRAT ET SUR LA TACITE RECONDUCTION
5. L'article 2 de la décision du Conseil du 7 juillet 1998 enjoint aux sociétés du groupe Decaux :
* de ne pas proposer, aux collectivités publiques souhaitant contracter avec elles, l'insertion d'une clause reconnaissant à la société du groupe Decaux co-contractante un droit de priorité pour l'installation de mobilier urbain supplémentaire ;
* de ne pas proposer, aux collectivités publiques souhaitant contracter avec elles, l'insertion d'une clause selon laquelle les équipements installés en cours de contrat ont une durée contractuelle propre différente de celle du contrat ;
* de ne pas proposer, aux collectivités publiques souhaitant contracter avec elles, l'insertion d'une clause de tacite reconduction.
a) Les contrats en cours qui n'ont pas été modifiés depuis le 3 août 1998
6. Pour les collectivités qui n'ont pas signé de nouveaux contrats, qui n'ont pas signé d'avenants ou qui n'ont pas reçu de " courriers d'échéance unique ", les contrats en cours en 1998 n'ont pas été modifiés. Les clauses litigieuses de ces contrats n'ont donc pas été supprimées. C'est le cas pour 169 collectivités à la date du 4 août 2003.
7. Par exemple, le contrat signé avec la ville de Livry-Gargan en 1985 contient une clause de priorité (article 5-3), une clause selon laquelle les équipements installés en cours de contrat ont une durée contractuelle propre de 15 ans ainsi qu'une clause de tacite reconduction (article 8-1 de la convention). Ce contrat n'a pas été modifié et les clauses litigieuses sont donc toujours en vigueur. Par ailleurs, en 2000, la société JC Decaux a fait application de la clause de tacite reconduction. Dans son courrier du 6 novembre 2004, la société JC Decaux précise que : l'échéance contractuelle est fixée au 1er juillet 2009 ; la société JC Decaux n'a proposé à cette ville aucun contrat contenant des clauses censurées par le Conseil ; l'entreprise n'a jamais ajouté de mobiliers à échéance autonome ; la clause de priorité n'a jamais joué.
8. De même, la société JC Decaux a signé, avec la ville de Clichy-sous-Bois, un contrat le 15 juin 1966. Ce contrat a été modifié par un avenant du 13 mars 1972 puis par un avenant du 28 juin 1996. Le contrat modifié par avenants prévoit une clause d'exclusivité pour l'implantation de supports publicitaires aux arrêts de transport en commun (avenant 1, article 4), une clause selon laquelle la ville s'engage à consulter la société Decaux-Paris pour divers mobiliers urbains, une clause selon laquelle les mobiliers installés en cours de contrat ont une durée contractuelle propre, différente de celle du contrat (avenant 2, article 7-2), ainsi qu'une clause de tacite reconduction (avenant 2, article 7-3). Ces clauses sont toujours en vigueur.
9. La ville d'Epinal a signé avec la société JC Decaux un contrat initial daté du 15 janvier 1967 suivi de sept avenants. L'avenant 2 contient une clause de priorité (article 11). L'avenant n° 6 contient une clause selon laquelle les équipements installés en cours de contrat ont une durée contractuelle propre distincte de celle du contrat (article 5-2) ainsi qu'une clause de tacite reconduction (article 5-3). Le dernier avenant signé en 1997 a fixé une échéance finale des mobiliers visés au contrat à 2009 et a ajouté que le présent avenant ne pouvait pas faire l'objet d'une tacite reconduction.
10. L'avenant n° 15 au contrat du 3 mai 1966 signé en 1989 avec la ville de Reims contient une clause de priorité (article 3-3), une clause selon laquelle les équipements installés ont une durée contractuelle propre différente de celle du contrat ainsi qu'une clause de tacite reconduction (article 5). Ces clauses n'ont pas été modifiées par avenant. Dans son courrier du 9 novembre 2004, la société JC Decaux précise que le conseil municipal avait pris une délibération, en date du 23 janvier 1996, qui fixait une échéance au 31 décembre 2010.
11. Compte tenu des dates de signature et d'échéance des contrats, la clause de tacite reconduction de neuf ans a été mise en œuvre, pour certains contrats en cours qui n'ont pas été modifiés, après la notification de la décision du Conseil de la concurrence. C'est le cas, par exemple, pour la ville d'Agneau, de Bordeaux, de Cachan, de Clamart, de Dugny, de Gagny, du Lavandou et de Pierrefitte.
b) Les avenants d'échéance unique
12. La société JC Decaux a précisé dans une note du 4 août 2003 : " S'agissant des contrats en vigueur, bien que non concernés par la décision de juillet 1998, les collectivités publiques et les sociétés du groupe Decaux ont souhaité les rationaliser de leur propre initiative par la signature d'avenants. Ceux-ci, considérés en droit comme des nouveaux contrats, sont donc conformes aux injonctions du Conseil. Ils tendent en effet à :
* abroger expressément les clauses anticoncurrentielles (...) ;
* mettre fin de fait au système d'échéances échelonnées et de tacite reconduction des contrats en leur fixant un terme unique et définitif, dans le respect de la durée contractuelle initiale de mise à disposition des mobiliers ".
13. A la date du 4 août 2003, 147 avenants d'échéance unique ont été signés avec des collectivités publiques (tableau joint en pièce 6 en annexe des observations de la société JC Decaux Mobilier Urbain). Ces avenants confèrent à l'ensemble des mobiliers en place une date d'échéance unique, se substituant aux multiples échéances des différents mobiliers.
14. La plupart des clauses conférant au mobilier installé une date d'échéance unique sont rédigées de la façon suivante (avenant signé par la ville d'Aix en Provence) : " Ces équipements, installés au fur et à mesure des besoins, ont des dates d'échéances contractuelles échelonnées de juillet 2005 à juillet 2012 en fonction de leur date d'installation. La ville souhaitant rationaliser l'ensemble des accords contractuels susmentionnés, les parties se sont rapprochées afin de conférer à l'ensemble des mobiliers urbains publicitaires une date d'échéance unique (...). Article 1 : les parties conviennent de conférer à l'ensemble des mobiliers urbains publicitaires une date d'échéance unique fixée au 1er septembre 2005, date à laquelle les engagements contractuels prendront fin ".
15. Certains de ces avenants précisent que l'échéance unique a été fixée sur la base de l'échéance moyenne ou de l'échéance arithmétique de l'ensemble des mobiliers installés. Cette modalité de détermination de la date d'échéance unique a pour effet de proroger la durée d'une partie des équipements et de réduire la durée des autres équipements. Les mobiliers sont alors régis par une nouvelle durée contractuelle, différente de celle du contrat signé initialement.
16. Ces avenants d'échéance unique abrogent, expressément ou implicitement, les dispositions initiales selon lesquelles les équipements installés en cours de contrat ont une durée contractuelle propre différente de celle du contrat.
17. Ils abrogent également les clauses existantes de tacite reconduction. Pour 143 avenants, l'abrogation est expresse et, pour 4 de ces avenants, l'abrogation est implicite, la fixation d'une date d'échéance unique s'opposant à une tacite reconduction en fin de contrat. Pour certaines collectivités, la clause de tacite reconduction a été appliquée entre la notification de la décision et la signature de l'avenant d'échéance unique.
18. Les clauses de priorité sont expressément abrogées dans 133 avenants d'échéance unique. Elles ne le sont pas dans les 14 avenants d'échéance unique suivants : Aubervilliers, Beauvais, Cannes, District de l'Artois, Lens, Le Havre, Menton, Nogent-sur-Marne, Le Perreux-sur-Marne, Poissy, Strasbourg, Syndicat Ebroïcien des transports, Tours, Villetaneuse. La société JC Decaux précise que, bien que non abrogée expressément, la clause de priorité n'a pas été appliquée.
19. En outre, 16 de ces avenants d'échéance unique contiennent une clause qui prévoit l'installation de mobiliers supplémentaires, 26 contiennent une clause prévoyant la possibilité d'installer des mobiliers supplémentaires à hauteur de 5, 10 ou 15 % du nombre de mobiliers en place, et 5 contiennent à la fois une clause qui prévoit l'installation de mobiliers supplémentaires et la possibilité d'installer des mobiliers supplémentaires, sans mise en concurrence. Les dates d'échéance correspondent, pour les mobiliers supplémentaires, à la nouvelle date d'échéance unique déterminée dans l'avenant.
20. Par exemple, l'avenant d'échéance unique signé avec la ville d'Alençon précise dans son article 5 : " Les parties pourront convenir de l'installation de mobiliers supplémentaires à hauteur de 10 % du nombre de mobiliers en place, lesquels viendront à échéance à la date fixée par le présent avenant ".
c) Les courriers d'échéance unique
21. Pour 15 collectivités, aucun avenant n'a été signé mais une date d'échéance unique a été fixée par courrier, indépendamment de la conclusion d'un contrat.
22. Ces courriers ne précisent pas quelles sont les modalités de détermination de la date d'échéance unique et neuf d'entre eux sont muets sur les clauses de priorité des contrats en cours.
23. En outre, tous ces courriers, à l'exception de celui de la ville de Bourg-la-Reine, entérinent le remplacement de mobiliers existants, l'ajout de certains mobiliers ou la possibilité d'installer du mobilier supplémentaire. Dix de ces courriers prévoient l'ajout de mobiliers supplémentaires et un la possibilité d'ajouter des mobiliers supplémentaires.
24. Par exemple, le courrier de la ville de Châtenay-Malabry précise :
" Le 28 mars 2000, Dans le cadre de la convention du 22 octobre 1987 qui lie votre société à la ville pour l'installation de mobiliers urbains, je vous demande de faire installer, au cours du deuxième trimestre 2000, les équipements suivants :
- 6 abribus publicitaires (...),
- 6 abribus casquette,
- 10 corbeilles à papier en fonte,
- 10 bancs.(...)
Enfin, je vous serais reconnaissant de bien vouloir me confirmer votre accord sur les termes de la présente dans le cadre de la convention qui viendra à échéance le 22 octobre 2011 ".
25. Par ailleurs, certains courriers attestent que la clause de tacite reconduction a été mise en œuvre après la notification de la décision du Conseil de la concurrence, avant ou au moment de la négociation de la nouvelle date d'échéance unique. Par exemple, le courrier de la commune de Clichy, daté du 30 novembre 2000, précise :
" La reconduction prévue à l'article 7, alinéa 7.1 de la convention sera mise en œuvre pour une durée unique de 9 années, qui s'ajoutera à la durée moyenne subsistante de la convention et des avenants en cours ".
26. De même, le courrier de la ville de Massy, daté du 24 mars 1999, précise que, compte tenu de la clause de tacite reconduction d'une durée de neuf ans, la convention arrive à échéance le 1er septembre 2008.
27. Enfin, compte tenu de la date du contrat et de la date d'échéance contractuelle des contrats qui ont fait l'objet de courriers d'échéance unique, la clause de tacite reconduction de neuf ans a été mise en œuvre après la notification de la décision du Conseil de la concurrence pour les contrats suivants : Aulnay-sous-Bois, Bayeux, Champigny-sur-Marne, Châtenay-Malabry, Clichy-la-Garenne, Drancy, Mesnil-Esnard, Le Plessis-Robinson, Rosny-sous-Bois et Vernon.
d) Les nouveaux contrats
28. Dans les 71 nouveaux contrats, signés avec les collectivités publiques depuis le 3 août 1998, qui ont été transmis au Conseil, aucune clause de droit de priorité et de tacite reconduction n'a été insérée. En ce qui concerne la durée contractuelle des équipements installés en cours de contrat, soit ces contrats ne disent rien soit ils précisent expressément que la durée contractuelle de ces équipements sera celle du contrat principal. Dans une note transmise par courrier le 4 août 2003, la société JC Decaux a précisé :
" Sous l'impulsion de la décision du Conseil de la concurrence du 7 juillet 1998, dont elles ont été informées publiquement et personnellement, les collectivités locales ont adopté deux séries de comportement destinées à favoriser le libre jeu de la concurrence sur le marché du mobilier urbain publicitaire concerné par la décision, auxquels les sociétés du groupe Decaux ont pleinement souscrit. Alors que le contentieux porté devant le Conseil d'Etat sur la qualification juridique des contrats de mobilier urbain publicitaire n'est pas tranché et que le doute sur leur nature de marché public reste permis, les collectivités locales ont, lors du renouvellement des contrats arrivés à échéance après août 1998, spontanément mis en place des procédures de mise en concurrence (...). Grâce à ces procédures, les injonctions prononcées dans la décision du 7 juillet 1998 se sont trouvées de fait respectées puisque loin d'être à l'origine de la rédaction des pièces contractuelles, les sociétés du groupe Decaux ont répondu aux exigences de transparence et d'égalité de traitement des collectivités. Les éléments fournis montrent ainsi que l'ensemble des dossiers de consultation rédigés par ces dernières et acceptés en l'état par les sociétés du groupe Decaux depuis 1998 excluent tout système de durée échelonnée des engagements, de tacite reconduction et de préférence pour l'installation de mobiliers supplémentaires. Pour mémoire, deux contrats ont été signés de gré à gré, sans clause de tacite reconduction, ni d'échéance échelonnée ni de clause de préférence (...) ".
D. L'INFORMATION DES COLLECTIVITÉS PUBLIQUES
29. L'article 2 de la décision du Conseil du 7 juillet 1998 enjoint également aux sociétés du groupe Decaux " d'informer dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision les collectivités publiques avec lesquelles elles sont liées par contrat des modifications apportées aux clauses-types figurant dans les contrats qu'elles proposent ". La décision ayant été notifiée le 3 août 1998, cette information devait être faite avant le 3 février 1999.
30. La société JC Decaux Mobilier Urbain a adressé aux collectivités publiques une première circulaire le 1er septembre 1998. La société Decaux SA leur a adressé une seconde circulaire le 21 septembre 1998. Ensuite, en réponse à une circulaire de la Chambre syndicale française de l'affichage (CSFA) du 23 décembre 1998, la société JC Decaux a adressé aux collectivités publiques une troisième circulaire, accompagnée d'une note juridique signée par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, le 13 janvier 1999.
1. LA CIRCULAIRE DU 1ER SEPTEMBRE 1998
31. Le 1er septembre 1998, la société JC Decaux Mobilier Urbain a adressé aux collectivités publiques avec lesquelles l'entreprise était liée par contrats (745 maires, 94 préfets, 22 présidents de conseils régionaux et 94 présidents de conseils généraux) une première circulaire qui précisait :
" La Chambre syndicale, qui regroupe les trois grands afficheurs traditionnels, représentant les deux tiers environ du marché de la publicité extérieure, contre 22 % pour Decaux demandait :
- la condamnation du groupe Decaux à une amende ;
- l'annulation des clauses jugées anticoncurrentielles des contrats passés par l'entreprise avec les collectivités locales ;
- le prononcé d'injonctions diverses contre l'entreprise.
Le Conseil de la concurrence a écarté l'essentiel de ces prétentions.
D'une part, aucune sanction n'a été prononcée contre le groupe Decaux, le Conseil de la concurrence considérant que les contrats passés par les sociétés du groupe avaient déjà été examinés à plusieurs reprises par l'administration depuis 1978 et que l'entreprise s'était globalement conformée aux recommandations qui lui avaient été faites.
D'autre part, le Conseil de la concurrence s'est refusé à remettre en cause les contrats en cours et leurs avenants conclus avec les collectivités locales. Il demande seulement aux sociétés du groupe Decaux de ne pas faire figurer, à compter du 3 août 1998, date de la notification de sa décision, certaines clauses dans les contrats de mobiliers urbains publicitaires qu'elles seront amenées à présenter aux collectivités locales souhaitant contracter avec elles.
Ces clauses ne concernent pas les contrats de location de mobilier urbain non publicitaire, qui, selon le Conseil de la concurrence, échappent à toute critique. Elles concernent seulement le mobilier urbain publicitaire et sont au nombre de trois :
- la clause donnant priorité à l'entreprise en cas d'installation de mobiliers supplémentaires ;
- la clause permettant la reconduction tacite du contrat ;
- la clause prévoyant que les mobiliers installés au cours du contrat ont une durée de vie propre, distincte de celle du contrat. Cela revient à dire que tous les mobiliers urbains publicitaires prévus, en nombre et en type, au contrat, auront une durée de vie identique à celle du contrat.
Nous comprenons et acceptons cette décision et nous avons décidé de ne pas faire appel. L'entreprise se conformera strictement aux instructions du Conseil de la concurrence, comme elle l'a toujours fait dans le passé. Notamment, nous ne ferons plus figurer, dans les nouveaux contrats que nous serons amenés à vous proposer, les trois clauses susnommées (...) Certains supports de presse s'étant fait récemment l'écho d'informations approximatives voire erronées concernant cette procédure devant le Conseil de la concurrence, faisant notamment état de supposées sanctions pécuniaires à notre encontre - on peut aisément imaginer d'où venaient ces informations - je tenais, pour ma part, avant toute communication à la presse, à vous réserver personnellement ainsi qu'à chacun des responsables de collectivités locales françaises avec lesquelles nous sommes en relation contractuelle, la teneur exacte de cette décision et la volonté de mon entreprise de s'y conformer".
2. LA CIRCULAIRE DU 21 SEPTEMBRE 1998
32. Le 21 septembre 1998, la société Decaux SA a adressé, aux mêmes destinataires, une seconde circulaire qui précisait :
" Au début de ce mois, je vous ai adressé, comme à tous les responsables des collectivités locales et territoriales françaises, ainsi qu'aux préfets concernés, un courrier relatif à la décision prise par le Conseil de la concurrence, suite à la plainte de la Chambre syndicale française de l'affichage contre notre entreprise. J'ai conscience que ce courrier était long et que vous avez dû le transmettre à vos services en leur laissant le soin d'en faire l'analyse. Ainsi, je pense qu'il vous serait agréable d'avoir, sur une seule page, l'essentiel des décisions du Conseil de la concurrence dont vous aurez sans doute relevé, en parcourant mon dernier courrier, que la plus importante consiste en ce que l'exécution des contrats et avenants en cours qui nous lient avec votre ville n'est pas remise en cause (...). Vous trouverez, annexée à la présente, une courte synthèse de la décision rendue dans cette affaire par le Conseil de la concurrence ".
33. La synthèse, annexée à la circulaire, reprend les termes de la circulaire du 1er septembre avec, toutefois, quelques modifications. Tout d'abord, la phrase : " le Conseil de la concurrence s'est refusé à remettre en cause les contrats en cours et leurs avenants conclus avec les collectivités locales " est devenue : " le Conseil n'a pas remis en cause l'exécution des contrats en cours et de leurs avenants - qui sont aussi des contrats - conclus avec les collectivités locales ".
34. Après " il demande seulement aux sociétés du groupe Decaux de ne pas faire figurer " a été ajouté : " dans les nouveaux contrats ".
35. Dans la phrase " Elles concernent seulement le mobilier urbain publicitaire " a été ajouté, après " seulement " : " pour les nouveaux contrats ".
36. Lorsqu'elle cite les trois clauses, après " la clause prévoyant que les mobiliers installés au cours du contrat ont une durée de vie propre, distincte de celle du contrat ", la phrase suivante : " Cela revient à dire que les mobiliers urbains publicitaires prévus, en nombre et en type, au contrat, auront une durée de vie identique à celle du contrat ", a été supprimée.
37. Ensuite, après la liste des trois clauses, a été ajouté le paragraphe suivant : " En revanche, le Conseil de la concurrence a reconnu que la durée des contrats de mobilier urbain en France n'était nullement excessive, comparée avec ce qui se pratique couramment à l'étranger (18 ou 20 ans) ".
38. La circulaire se termine comme suit : " avec plus de 55 % de son chiffre d'affaires fait à l'étranger et avec le rejet par le Conseil de la concurrence de l'essentiel des accusations formulées par la Chambre syndicale française de l'affichage, la démonstration est faite que la réussite de l'entreprise Decaux n'est en aucune façon due à l'on ne sait quelle clause juridique mais bien au fruit de son savoir-faire, de son expérience et de son dynamisme. L'entreprise Decaux se félicite de voir que le Conseil de la concurrence a pris en compte ses observations et ses préoccupations et qu'il a fixé, pour l'avenir, des règles claires pour organiser la compétition sur le marché du mobilier urbain ".
3. LA CIRCULAIRE DE LA CSFA DU 23 DÉCEMBRE 1998
39. Le 23 décembre 1998, la CSFA a adressé aux collectivités publiques une circulaire les informant que : " le Conseil de la concurrence a estimé que les pratiques du groupe Decaux (...) constituaient un abus de position dominante ". La chambre syndicale ajoute : " La décision du Conseil de la concurrence a pour effet de rendre nuls de droit les contrats actuellement en vigueur. L'article 9 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 prévoit en effet que : " est nul tout engagement, convention ou clause contractuelle se rapportant à une pratique prohibée par les articles 7 et 8 ".
40. A cette lettre était jointe une note juridique qui précisait : " le moyen pris de la violation de l'ordonnance peut être invoqué pour mettre en cause la légalité d'un contrat administratif passé par une collectivité publique ". La note ajoutait : " par une décision en date du 3 novembre 1997, " société Million et Marais " (...), le Conseil d'Etat a admis que la légalité d'un acte administratif pouvait être appréciée au regard de l'ordonnance du 1er décembre 1986 (...). Le juge administratif se reconnaît la possibilité d'annuler le contrat ayant pour effet de mettre une entreprise en situation d'abuser de sa position dominante (...). Aussi, on doit considérer que tous les contrats passés par la société Decaux avec les collectivités locales et contenant de telles clauses sont nuls (...) ".
41. La note juridique se terminait comme suit :
" En définitive, alors que la décision du Conseil de la concurrence en date du 7 juillet 1998 ne vise a priori qu'à interdire pour le futur le recours à certaines clauses, il apparaît que sa portée réelle est bien plus grande. Elle implique que tous les contrats, contenant les clauses visées par le Conseil de la concurrence, sont incontestablement nuls de plein droit. Dans ces conditions, il appartient logiquement à chaque co-contractant de saisir le juge du contrat pour en faire constater la nullité et procéder, par voie de conséquence à de nouvelles mises en concurrence. A défaut de quoi, l'on pourrait s'attendre à ce que les tiers intéressés par ces contrats engagent des recours juridictionnels tendant à obtenir la nullité des contrats et éventuellement à engager la responsabilité de l'administration. Ainsi, il semble que les co-contractants aient tout intérêt, pour se prémunir contre les actions des tiers, à prendre l'initiative de saisir le juge du contrat d'une action en nullité ".
4. LA CIRCULAIRE DU 13 JANVIER 1999
a) La circulaire
42. En réponse à cette circulaire de la Chambre syndicale, la société JC Decaux Mobilier Urbain a adressé aux collectivités publiques, maires, présidents de conseils régionaux et de conseils généraux des collectivités contractantes, une troisième circulaire, le 13 janvier 1999. Cette circulaire précisait :
" Vous avez reçu une lettre du 23 décembre 1998 de la Chambre syndicale française de l'affichage relative à la décision du Conseil de la concurrence du 7 juillet 1998 (...). Dans sa lettre du 23 décembre, la Chambre syndicale française de l'affichage présente une traduction mensongère et tendancieuse de la décision du Conseil de la concurrence. Il me faut donc rétablir la réalité. Les clauses des contrats en cours sont le strict reflet des améliorations et modifications demandées en leur temps par les autorités de la concurrence. Elles étaient donc, au moment de l'instruction, strictement identiques à ce qui nous avait été demandé. Cela explique que le Conseil de la concurrence ait rejeté toute sanction et qu'il n'ait pas remis en cause les contrats, leurs avenants et l'ensemble des clauses qui y sont contenues. Comme je vous l'ai indiqué dès le 1er septembre, nous avons parfaitement compris et accepté la décision du Conseil de la concurrence (...). En attendant, je vous adresse, ci-joint, la note rédigée par un éminent cabinet de droit public sur la portée de la décision du Conseil de la concurrence, qui répond à la note jointe au courrier de la Chambre syndicale (...) ".
b) La note juridique
43. La note jointe, signée par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, comporte 7 pages. Elle est rédigée comme suit :
" Note sur les suites de la décision du Conseil de la concurrence du 7 juillet 1998 Par sa décision n° 98-D-52 du 7 juillet 1998 rendue sur la plainte de la CSFA, le Conseil de la concurrence a enjoint au groupe Decaux : [citation de la décision du Conseil]. En revanche, dans le même décision, le Conseil de la concurrence a refusé d'infliger une sanction pécuniaire au groupe Decaux, estimant que les contrats passés avec les collectivités locales avaient déjà été examinés à plusieurs reprises par l'administration depuis 1978 et que l'entreprise s'était globalement conformée aux recommandations qui lui avaient été faites. De même, le Conseil de la concurrence, suivant sa jurisprudence constante, a rejeté la demande de la Chambre syndicale tendant à ce que soit prononcée la nullité de ces contrats. Il suffit de lire le dispositif de la décision du Conseil pour constater que les injonctions prononcées concernent les seuls contrats à venir que les sociétés du groupe Decaux pourront être amenées à passer avec les collectivités locales. Aucune injonction n'est prononcée concernant les contrats en cours, alors que le Conseil aurait parfaitement pu exiger de l'entreprise qu'elle modifie ces contrats pour en faire disparaître les clauses en question. Il l'avait déjà fait dans le passé. De même, faut-il observer que le Conseil de la concurrence ne prohibe pas - même pour l'avenir - la présence de ces trois clauses dans les contrats. Il demande seulement aux sociétés du groupe Decaux de " ne pas les proposer aux collectivités publiques ".(...) Dans une note anonyme et non datée jointe à un courrier de la CSFA adressé à tous les maires, il est soutenu que la décision du Conseil de la concurrence " implique que tous les contrats visés par le Conseil sont incontestablement nuls de plein droit ". Il est même recommandé aux collectivités de saisir le juge d'une action en nullité. Indépendamment même des erreurs juridiques qui la sous-tendent, une telle conclusion apparaît bien imprudente, pour plusieurs raisons.
1) Contrairement, d'abord, à ce qu'affirme l'auteur anonyme de la note, les contrats ne sont évidemment pas " nuls de plein droit ". (...) Seul le juge du contrat - en l'espèce le tribunal administratif territorialement compétent - serait en mesure de se prononcer sur la nullité d'un tel contrat ou de telle ou telle clause d'un contrat, à la demande de la collectivité publique.
2) Contrairement, ensuite, à ce qu'affirme l'auteur de la note, le Conseil de la concurrence n'a nullement constaté une quelconque violation du Code des marchés publics dans la passation ou dans l'exécution des contrats par la société Decaux. Le Code des marchés publics n'est d'ailleurs pas mentionné une seule fois dans le considérant du Conseil de la concurrence, sans doute parce que l'applicabilité de ce Code aux contrats de mobilier urbain est mise en cause par la doctrine.
3) Contrairement encore à ce qui est affirmé à plusieurs reprises par l'auteur de la note, le juge du contrat en général, et le juge administratif en particulier, ne sont en aucune manière liés par l'appréciation portée par le Conseil de la concurrence, qui est une autorité administrative et non juridictionnelle (Jcl. Concurrence, ibidem). Le juge pourrait donc se séparer du Conseil de la concurrence, que ce soit sur la définition du marché pertinent, sur l'abus de position dominante, et naturellement sur la licéité des clauses, question sur laquelle le Conseil de la concurrence ne s'est nullement prononcé. Le Conseil de la concurrence avait, en effet, à apprécier le comportement d'une entreprise et non la légalité de ses contrats ou de telle ou telle clause des contrats. Or, on est obligé de relever qu'aussi bien les clauses de tacite reconduction que les clauses de préférence dans les contrats administratifs ne font l'objet d'aucune interdiction de principe, que ce soit dans les textes, dans la jurisprudence administrative ou la doctrine. Il en va de même de la clause, certes proscrite pour l'avenir par le Conseil de la concurrence, selon laquelle les mobiliers installés en cours de contrat ont une durée de vie autonome, dès lors qu'aucune disposition législative ou réglementaire ne limite la durée des contrats de mobilier urbain.
4) En troisième lieu, il est de jurisprudence constante que la légalité d'une disposition s'apprécie à la date à laquelle elle a été prise. Le juge administratif, s'il était saisi, devrait donc se placer à la date de la passation de chaque contrat considéré avec la société Decaux, pour en apprécier la validité. Or, on peut douter que l'appréciation portée sur la situation du groupe Decaux au regard de la concurrence soit la même il y a quinze ou vingt ans et aujourd'hui. On soulignera, en particulier, que les clauses que le Conseil de la concurrence a enjoint à la société Decaux de ne plus proposer aux collectivités publiques n'avaient pas été censurées par les autorités de contrôle de la concurrence lorsque les mêmes contrats leur avaient été précédemment soumis. Le Conseil de la concurrence a fait alors application du principe de sécurité juridique en décidant que ces clauses qui avaient déjà été validées par les autorités de contrôle de la concurrence n'avaient pas alors été jugées constitutives de pratiques anticoncurrentielles au regard de la situation de la concurrence sur le marché en cause à une époque donnée, ne pouvaient être proscrites que pour l'avenir. Ce serait donc aller bien au-delà de la décision du Conseil de la concurrence que d'estimer que les mêmes clauses peuvent être entachées de nullité ab initio.
5) A supposer même qu'un tribunal administratif saisi estime que l'une des clauses visées par le Conseil de la concurrence, voire les trois clauses, sont effectivement entachées de nullité, pour violation de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 sur la concurrence, on voit mal en quoi cette annulation entraînerait la nullité du contrat dans son ensemble, dès lors que les clauses apparaissent divisibles du reste du contrat. (...) Ce n'est que lorsque la suppression de la clause illicite fait disparaître l'objet ou la cause du contrat que l'illicéité de cette clause entraîne la nullité du contrat tout entier. Tel n'est pas le cas en ce qui concerne les clauses relatives à la durée du contrat. Les clauses fixant une durée excessive aux obligations des parties sont généralement sanctionnées par une réduction de la durée licite. Tel est le cas, par exemple, en ce qui concerne la durée des clauses d'exclusivité limitée à 10 ans par la loi du 14 octobre 1943. Au cas où le contrat est conclu pour une durée supérieure, il n'est pas nul de fait, mais doit être réduit à la durée légalement imposée. Il en est de même pour les autres clauses sur lesquelles le Conseil de la concurrence s'est prononcé : le droit de priorité et la clause de tacite reconduction ne sont pas des éléments essentiels des contrats.
6) Enfin, il importe que les collectivités soient informées de ce à quoi elles s'exposent si elles engagent la procédure judiciaire que la Chambre syndicale les invite imprudemment à lancer. Outre la longueur de la procédure devant le tribunal administratif, qui n'est pas suspensive, de sorte que le contrat continue à s'appliquer dans toutes ses dispositions jusqu'à ce que le tribunal ait statué, et le caractère très aléatoire de l'issue du procès, la collectivité s'expose nécessairement à une condamnation pécuniaire, pour le cas, certes improbable, où le contrat serait annulé dans son ensemble. Il résulte, en effet, d'une jurisprudence constante du Conseil d'Etat qu'en cas de nullité déclarée du contrat, l'entrepreneur a d'abord le droit d'obtenir, en tous cas, le remboursement des dépenses qu'il a exposées en faveur de la collectivité (...). De plus, si la nullité résulte d'une faute de l'administration, l'entreprise a droit, en plus, à être indemnisée de son manque à gagner sur la durée restant à courir du contrat (...). Or, la signature d'un contrat nul constitue nécessairement une faute de l'administration. Certes, l'entreprise peut avoir commis, elle aussi, une faute en signant un contrat entaché de nullité. Mais en pareil cas, le juge administratif opère généralement un partage par moitié. Ainsi, dans un cas comparable, le Tribunal administratif de Nice a condamné le département des Alpes-Maritimes à verser à la société Decaux une indemnité de 10 millions de francs avec intérêts (...). Dans ces conditions, on peut légitimement se demander quel est l'intérêt des collectivités locales de s'engager dans une procédure judiciaire qui les amènera nécessairement à devoir débourser des sommes pour indemniser l'entreprise. On comprend mieux, en revanche, pourquoi l'auteur de la note juridique annexée à la lettre de la CSFA n'a pas cru devoir dévoiler son identité ".
E. CONCLUSION DU RAPPORT
44. Dans le rapport qui a été notifié à la commune de Mouvaux et aux sociétés mises en cause, à savoir les sociétés JC Decaux SA, JC Decaux Mobilier Urbain, SOMUPI, SEMUP et SOPACT, la conclusion de la rapporteure est la suivante : " La société Decaux SA a respecté l'injonction en ce qui concerne la publication de la décision. Les sociétés du groupe Decaux ont respecté les injonctions relatives aux clauses litigieuses à l'égard des collectivités qui ont signé un nouveau contrat après la notification de la décision. En revanche, les sociétés du groupe Decaux n'ont pas respecté les injonctions relatives aux clauses litigieuses à l'égard des collectivités dont les contrats sont antérieurs à la notification de la décision et qui n'ont pas été modifiés depuis, et à l'égard des collectivités qui ont signé, depuis la notification de la décision, des avenants et des courriers d'échéance unique. Enfin, l'injonction d'informer les collectivités publiques des modifications apportées aux clauses types figurant dans les contrats qu'elles proposent n'a pas non plus été respectée ".
II. Discussion
A. SUR LA PUBLICATION DE LA DÉCISION DU 7 JUILLET 1998
45. Il ressort des constations relevées dans les paragraphes 3 et 4 que la société Decaux SA a respecté les injonctions du Conseil en matière de publication.
B. SUR LES INJONCTIONS RELATIVES AUX CLAUSES CONTRACTUELLES 1. SUR L'APPLICATION DES INJONCTIONS AUX CONTRATS EN COURS
46. La décision du Conseil de la concurrence du 7 juillet 1998 établit le caractère anticoncurrentiel de certaines pratiques du groupe Decaux : " Les sociétés du groupe Decaux ont enfreint les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et de l'article 86 du traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté européenne ", et enjoint au groupe de modifier ces pratiques. Mais les injonctions formulées par le Conseil ne mentionnent pas les contrats en cours. Elles imposent seulement au groupe Decaux " de ne pas proposer aux collectivités publiques souhaitant contracter avec elles " un certain nombre de clauses afférentes aux pratiques condamnées, ce qui ne peut s'appliquer qu'aux clauses futures.
47. La logique de ces deux éléments de la décision du Conseil est expliquée dans le corps de la décision elle-même : " Considérant (...) que le Conseil de la concurrence est compétent pour examiner de telles pratiques [il s'agit des pratiques en cause] mises en œuvre par un opérateur économique sur un marché ; considérant, en revanche, que le Conseil de la concurrence n'est pas compétent pour prononcer, comme le lui demande la Chambre syndicale française de l'affichage, la nullité de conventions ou de clauses contenues dans des conventions conclues par des sociétés du groupe Decaux avec des collectivités locales et qui ont le caractère de contrats administratifs ".
48. Ainsi, le Conseil, ayant reconnu le caractère illicite des pratiques, au regard des règles de concurrence, enjoint pour l'avenir mais laisse soit aux sociétés du groupe Decaux l'initiative de supprimer de leurs contrats en cours les clauses anticoncurrentielles qu'ils contiennent, soit aux collectivités publiques le soin de faire valoir devant le juge administratif les conséquences qu'elles entendent tirer de l'appréciation portée par le Conseil de la concurrence. De la sorte, en ne prenant pas l'initiative de renoncer d'elles-mêmes aux clauses litigieuses des contrats en cours, les sociétés du groupe Decaux n'ont pas enfreint la lettre des injonctions qui leur avaient été intimées. 49. En effet, comme l'a rappelé le Conseil de la concurrence dans son rapport annuel pour 2001, les injonctions formulées en application de l'article L. 464-1 du Code de commerce doivent être formulées en termes clairs, précis et exempts d'incertitude quant à leur exécution (voir deux arrêts de la cour d'appel de Paris, 29 mars 1996 et 10 septembre 1996) : il en résulte qu'elles sont d'interprétation stricte lorsqu'il s'agit de vérifier leur respect.
2. SUR L'APPLICATION DES INJONCTIONS AUX AVENANTS OU COURRIERS D'ÉCHÉANCE UNIQUE
a) S'agissant des avenants
50. Les sociétés du groupe Decaux précisent que les avenants d'échéance unique ont eu pour objet de résoudre la difficulté à laquelle les collectivités publiques se sont trouvé confrontées lorsqu'elles ont manifesté le souhait de mettre en concurrence l'attribution des marchés de fourniture de mobilier urbain. Les collectivités ont en effet souhaité organiser des appels d'offres pour l'ensemble ou une partie substantielle de leur territoire. Le mécanisme contractuel des échéances glissantes en fonction des dates d'implantation des mobiliers, mis en cause par le Conseil, compliquait, de fait, l'organisation de ces procédures de mise en concurrence. La fixation d'une date d'échéance unique pour tous les mobiliers visés par la convention et ses avenants permettait de répondre efficacement à la demande des collectivités qui souhaitaient pouvoir mettre en concurrence les marchés de mobilier urbain sur des périmètres suffisamment importants pour susciter des offres de la part d'entreprises. Les sociétés du groupe Decaux font valoir que ces 146 avenants, s'ils constituent bien des contrats au sens instrumentum, ne constituent pas de "nouveaux contrats", au sens du droit des contrats, car ils ne sont pas autonomes et n'ont d'existence que par référence aux contrats qu'ils modifient. Elles en concluent que ces avenants ne sont pas concernés par les injonctions.
51. L'injonction est rédigée de la manière suivante : " ne pas proposer aux collectivités publiques souhaitant contracter avec elles, l'insertion d'une clause... ". Ces injonctions concernent " l'insertion d'une clause ", donc toutes les clauses, qu'elles soient ou non insérées dans des " nouveaux contrats " ou dans des avenants. En application du principe d'interprétation stricte des injonctions, ces avenants d'échéance unique sont donc concernés par les injonctions relatives aux clauses.
52. Au surplus, dans sa circulaire du 21 septembre qui a été adressée à 745 maires, 94 préfets, 22 présidents de conseils régionaux et 94 présidents de conseils généraux, la société JC Decaux indique que les avenants sont aussi des contrats. De même, dans une note adressée au Conseil le 4 août 2003, la société JC Decaux Mobilier Urbain précise à nouveau que les avenants doivent être considérés en droit comme des nouveaux contrats, (paragraphe 33) : " S'agissant des contrats en vigueur, bien que non concernés par la décision de juillet 1998, les collectivités publiques et les sociétés du groupe Decaux ont souhaité les rationaliser de leur propre initiative par la signature d'avenants. Ceux-ci, considérés en droit comme des nouveaux contrats, sont donc conformes aux injonctions du Conseil ".
b) S'agissant des courriers
53. Les sociétés du groupe Decaux indiquent qu'il est arrivé que les collectivités publiques adressent à leurs co-contractants des lettres dans lesquelles elles émettaient le souhait de passer des appels d'offres globaux sur l'ensemble ou une partie substantielle de leurs mobiliers urbains, avant l'échéance normale. Elles ajoutent que certaines collectivités ont opté pour une décision unilatérale et que ces lettres, qui n'émanent pas du groupe Decaux, n'ont pas pour objet la conclusion d'un nouveau contrat.
54. Si quatorze courriers d'échéance unique émanent effectivement des collectivités publiques, un autre, concernant la ville de Rosny-sous-Bois, émane de la société JC Decaux Mobilier Urbain. En tout état de cause, la plupart de ces courriers font état de négociations ou d'accords avec les sociétés du groupe Decaux et ont pour objet de fixer une échéance unique aux engagements contractuels antérieurs. Par exemple, le courrier de la ville d'Aulnay-sous-Bois précise : " dans le cadre des contrats qui nous lient et suite à nos différents entretiens, je prends note de votre décision de suivre les recommandations du Conseil de la concurrence (...). Dans ces conditions, j'émets un avis favorable au remplacement des mobiliers abris-bus, mupi, information municipale, à l'équipement de la gare routière et à la réalisation des plans de quartier, conformément à votre proposition du 15 mars 2000 ". Le courrier de la ville de Bourg-la-Reine précise : " dans la présente, je vous prie de bien vouloir me confirmer votre accord sur ces deux premiers points ainsi que sur les points suivants ... ". Le courrier de la ville de Champigny précise : " Nous faisons suite à votre courrier en date du 15 mars 2000 pour lequel nous vous donnons notre accord pour les modifications liées à la décision du Conseil de la concurrence ". Ainsi, ces courriers postérieurs à la notification de la décision contiennent des clauses modifiant les contrats antérieurs.
55. En conséquence, les injonctions s'appliquent à l'ensemble des clauses proposées par le groupe Decaux à compter de la notification de la décision, y compris celles mentionnées dans les courriers d'échéance unique.
3. SUR LA CLAUSE DE PRIORITÉ
56. Aucune clause de priorité n'a été retrouvée dans les nouveaux contrats signés depuis la notification de la décision. Sur ce point, l'injonction relative à la clause de priorité a donc été respectée.
57. La plupart des avenants et des courriers d'échéance unique abrogent expressément les clauses litigieuses de priorité.
58. Toutefois, les avenants et courriers d'échéance unique contiennent des clauses prévoyant l'installation de mobiliers supplémentaires, ou la possibilité d'installer des mobiliers supplémentaires, à hauteur de 5, 10 ou 15 %, avec une date d'échéance correspondant à la date d'échéance unique, dans le cadre de contrats en cours, donc sans mise en concurrence (paragraphes 19 et 23).
59. Les sociétés du groupe Decaux soutiennent qu'il est erroné d'assimiler à des clauses de priorité les clauses qui prévoient des changements effectifs de mobiliers, l'installation effective de mobiliers supplémentaires, ou la possibilité d'installer des mobiliers supplémentaires, sans mise en concurrence. Elles font valoir que ces cas sont contestables car ils s'éloignent des termes de l'injonction prononcée par le Conseil, les avenants d'échéance unique ne comportant pas la clause condamnée par le Conseil. Elles précisent que ces clauses ne mettent pas à la charge des collectivités l'obligation de proposer, en priorité au groupe Decaux, l'installation des mobiliers supplémentaires et qu'elles n'ont pas une économie comparable à celle censurée par le Conseil.
60. Comme le soulignent les sociétés du groupe Decaux dans leurs observations, les clauses des avenants et courriers d'échéance unique, proposées postérieurement à la décision du 7 juillet 1998, ne sont pas identiques à celles étudiées dans cette même décision. En effet, dans sa décision de 1998, le Conseil relevait : " Dans tous les contrats de mobilier urbain publicitaire conclus par le groupe Decaux, figurent les dispositions suivantes : " La ville conserve la liberté de contracter avec toute autre société pour l'installation d'équipements autres que ceux qui font l'objet des présentes, c'est-à-dire d'équipements qui sont différents en raison, notamment, de leur type ou de leur usage. Toutefois, pendant la durée de la convention, la ville pourra installer ou laisser installer du mobilier de type ou d'usage défini dans la présente convention aux emplacements qui devront avoir été offerts à la société JC Decaux aux conditions des présentes et refusés par celle-ci après un délai de trois mois à compter de la date de la notification par la ville à la société JC Decaux ". Ces dispositions, reprises de celles du contrat-type, confèrent donc au groupe Decaux un droit d'exclusivité, puisqu'il conserve, s'il le souhaite, une priorité sur toute autre entreprise pour l'installation de mobiliers supplémentaires, même sur celles qui proposent à prestations égales des conditions financières plus intéressantes. Ce n'est que dans le cas où le groupe Decaux, assuré d'être informé de toute offre concurrente, ne souhaiterait pas fournir ces mobiliers supplémentaires que la collectivité serait alors en droit de s'adresser à une autre entreprise ". Ces clauses permettaient donc aux collectivités locales de contracter avec une autre société pour des mobiliers supplémentaires, à la condition que ces nouveaux emplacements aient été préalablement offerts à, et refusés par, la société JC Decaux. Les clauses des avenants et courriers d'échéance unique proposées aux collectivités publiques postérieurement à la décision du 7 juillet 1998 sont rédigées différemment, mais elles conduisent, comme celles des contrats-types, à ce que l'installation de mobiliers supplémentaires ou la possibilité d'installer des mobiliers supplémentaires soit réalisée ou prévue sans mise en concurrence.
61. Les sociétés du groupe Decaux font valoir également que si la rapporteure reproche, in fine, au groupe Decaux, d'avoir prévu, dans certains avenants d'échéance unique, l'installation de mobiliers complémentaires, un tel grief dépasse largement le cadre des injonctions prononcées par le Conseil. Elle précise que le Conseil n'a pas non plus interdit au groupe Decaux de satisfaire aux besoins complémentaires des collectivités en implantant de nouveaux mobiliers dans le cadre de contrats en cours.
62. L'injonction fait obligation " de ne pas proposer aux collectivités publiques souhaitant contracter avec elles, l'insertion d'une clause reconnaissant à la société du groupe Decaux co-contractante un droit de priorité pour l'installation de mobilier urbain supplémentaire ".
63. Conformément au principe d'interprétation stricte des injonctions, les injonctions concernent toutes les clauses qui reconnaissent aux sociétés du groupe Decaux un droit de priorité pour du mobilier supplémentaire, qu'il s'agisse d'un droit relatif au matériel en général selon les termes des clauses étudiées par le Conseil dans la décision de 1998, ou d'un droit relatif à certains matériels particuliers comme c'est le cas dans les courriers ou avenants d'échéance unique, postérieurs aux injonctions du Conseil. En effet, en formulant son injonction, le Conseil de la concurrence a interdit l'installation de mobiliers urbains supplémentaires sans mise en concurrence.
64. Or, les clauses des 21 avenants et des 10 courriers d'échéance unique qui prévoient l'installation d'une liste de mobiliers supplémentaires dans le cadre de contrats en cours permettent bien aux sociétés du groupe Decaux d'installer du mobilier urbain supplémentaire, sans mise en concurrence. Elles confèrent donc aux sociétés du groupe Decaux un droit de priorité.
65. De même, les clauses des 31 avenants et du courrier d'échéance unique qui prévoient la possibilité d'installer du mobilier supplémentaire, dans le cadre de contrats en cours et donc sans mise en concurrence, prévoient de conférer aux sociétés du groupe Decaux un droit de priorité sur les autres fournisseurs pour l'installation de mobiliers urbains supplémentaires.
66. Ainsi, la clause de priorité antérieure, qui a été expressément abrogée dans la plupart des avenants et courriers d'échéance unique, a été remplacée, dans 47 avenants et 11 courriers, par une nouvelle clause de priorité.
67. Il résulte de ce qui précède que l'injonction du Conseil sur les clauses de priorité n'a pas été respectée pour les avenants et courriers d'échéance unique postérieurs à la notification de la décision qui contiennent une clause prévoyant l'installation de mobiliers supplémentaires ou la possibilité d'ajouter du mobilier urbain supplémentaire, sans mise en concurrence.
4. SUR LA CLAUSE DE DURÉE DES ÉQUIPEMENTS INSTALLÉS EN COURS DE CONTRAT
68. Aucune clause litigieuse fixant, en contradiction avec l'injonction du Conseil, une durée contractuelle des mobiliers installés en cours de contrat qui serait propre à ces mobiliers et différente de celle du contrat n'a été retrouvée dans les nouveaux contrats signés depuis la notification de la décision.
69. Par ailleurs, les avenants ou courriers d'échéance unique abrogent, expressément ou implicitement, les clauses litigieuses initiales pour les remplacer par des formulations fixant de nouvelles dates d'échéance unique.
70. Les sociétés du groupe Decaux soutiennent que les avenants ne comportent en aucune manière des clauses de durée distincte selon les mobiliers puisque, au contraire, ils fixent une date d'échéance unique pour l'ensemble des mobiliers relevant du contrat. Elles ajoutent que ces avenants ont même pour effet d'appliquer aux contrats en cours l'injonction du Conseil de la concurrence. Ces avenants d'échéance unique ont tous abrogé la clause de durée propre des mobiliers complémentaires prévue dans les contrats qu'ils modifient, soit expressément, soit implicitement mais nécessairement, compte tenu de l'objet même de la clause d'échéance unique.
71. Les sociétés du groupe Decaux font également valoir qu'il ne peut leur être reproché d'avoir, par le biais de ces échéances uniques, prolongé la durée initiale des mobiliers précédemment installés, car ce grief dépasse très largement l'objet de la présente procédure de vérification d'injonction. Elles ajoutent que la fixation d'une date d'échéance unique était le seul moyen de remédier, dans les contrats en cours, à une situation que le Conseil avait considéré comme anticoncurrentielle, mais pour laquelle il n'avait prononcé d'injonction que pour les contrats futurs. Or, la fixation d'une date d'échéance unique impliquait, par hypothèse, que certains mobiliers aient une durée de vie plus longue que celle initialement prévue, tandis que d'autres verraient leur durée de vie diminuée. Dès lors que le Conseil ne peut, dans le cadre de la procédure prévue à l'article L. 464-3 du Code de commerce, sanctionner d'autres pratiques que celles qui résultent du défaut de respect de l'injonction, les parties mises en cause estiment qu'il convient d'écarter ces griefs.
72. Comme il l'a déjà été dit, les avenants ou courriers d'échéance unique abrogent les clauses litigieuses initiales pour les remplacer par d'autres, comportant de nouvelles dates d'échéance unique. Toutefois, ces avenants et courriers d'échéance unique ne sont pas conformes à l'injonction relative à la durée contractuelle des équipements installés en cours de contrat.
73. En effet, aux termes de cette injonction, les équipements installés en cours de contrat, non seulement doivent avoir la même date d'échéance, mais cette date doit être celle du contrat.
74. Or, les dates d'échéance unique ont été généralement fixées sur la base de l'échéance moyenne des mobiliers installés. Ainsi, les mobiliers installés en cours de contrat sont régis par des durées contractuelles différentes de celle du contrat initial, ce qui est contraire à l'injonction prononcée. Par exemple, pour la ville d'Arcueil, les échéances initiales des mobiliers étaient échelonnées entre 2001 et 2010. La nouvelle date d'échéance unique est le 31 décembre 2007. Pour Aubervilliers, les échéances initiales des mobiliers étaient échelonnées entre 2000 et 2012. La nouvelle date d'échéance unique est le 22 octobre 2008.
75. Au surplus, ces nouvelles dates d'échéance unique permettent aux sociétés du groupe Decaux de prolonger la durée des contrats signés avec les collectivités locales, parfois de plusieurs années.
76. L'utilisation d'avenants pour repousser le terme du lien contractuel n'est pas une pratique nouvelle puisqu'elle est à l'origine des injonctions dont le respect fait l'objet de la présente procédure. Dans la décision de 1998, le Conseil relevait déjà que le groupe Decaux utilisait de simples avenants pour conforter sa position et pour prolonger sans mise en concurrence l'exclusivité prévue dans le contrat initial :
" Considérant que l'enquête a fait ressortir que le groupe Decaux développe également une stratégie consistant à proposer aux collectivités locales le renouvellement ou l'extension du parc de mobiliers urbains installés sur leur territoire par le biais de simples avenants, intervenant le plus souvent plusieurs années avant l'échéance normale du contrat ; que cette stratégie lui permet de conforter durablement sa position au niveau local, en lui évitant d'être confrontée à la concurrence ; que lorsqu'ils prévoient le remplacement de la totalité ou d'une grande partie des mobiliers en place, ces avenants permettent, en droit et dans les faits, de prolonger sans mise en concurrence, pour des durées parfois égales à celle du contrat initial, l'exclusivité prévue dans ce contrat ; que les avenants peuvent eux-mêmes comporter une clause de tacite reconduction ; qu'un tel système aboutit à multiplier les dates d'échéance contractuelle et à défavoriser, voire à empêcher, la présentation d'offres concurrentes ; que le jeu de ces avenants a dans les faits permis à la société Decaux d'éviter la mise en concurrence pendant des durées très longues dans des collectivités importantes (...). Considérant que le jeu cumulé des clauses susvisées proposées par la société JC Decaux, comportant tacite reconduction des contrats avec des conditions de dénonciation rendant difficile l'exercice de ce droit par les collectivités, signatures d'avenants d'une durée égale à la durée initiale en cas de remplacement des mobiliers en cours de contrat, parfois accompagnées de clauses de tacite reconduction, et clause de préférence aux conditions du contrat initial pour les sociétés du groupe Decaux en cas d'installation de mobilier dans de nouveaux emplacements, a pour effet de prolonger artificiellement la durée de la relation contractuelle entre Decaux et les collectivités et de permettre aux sociétés de ce groupe d'éviter pendant des durées très longues atteignant parfois plusieurs dizaines d'années, toute mise en concurrence ".
77. Cette stratégie a de nouveau été mise en œuvre lors de la proposition des avenants ou des courriers d'échéance unique. Les avenants et courriers d'échéance unique prorogent la durée du contrat initial, parfois de plusieurs années, et l'organisation d'une mise en concurrence se trouve retardée d'autant.
78. Il résulte de ce qui précède que, loin de respecter l'injonction relative à la clause de durée des équipements installés en cours de contrat, les sociétés du groupe Decaux ont au contraire réitéré la pratique qualifiée d'abusive par le Conseil.
5. SUR LA CLAUSE DE TACITE RECONDUCTION
79. Aucune clause de tacite reconduction n'a été retrouvée dans les nouveaux contrats ou les avenants et courriers d'échéance unique signés après la notification de la décision.
80. Comme il est relevé dans le paragraphe 17, les avenants ou courriers d'échéance unique abrogent, expressément ou implicitement, les clauses existantes de tacite reconduction.
81. Les sociétés du groupe Decaux soutiennent que chaque fois que le groupe s'est trouvé en situation de négocier des avenants avec des collectivités postérieurement au 3 août 1998, il a appliqué l'injonction en abrogeant la clause de tacite reconduction pour l'avenir, allant même au-delà de la décision du Conseil puisque ces avenants, allèguent-elles, ne constituaient pas des contrats nouveaux. Elles ajoutent qu'en fait, la rapporteure reproche au groupe Decaux d'avoir, antérieurement à leur modification par avenant ou par courrier d'échéance unique, mais postérieurement à la notification de la décision, reconduit tacitement certains contrats. Ce serait également le fait pour certains contrats non modifiés depuis la notification de la décision. Elles considèrent que ce reproche revient à faire grief au groupe Decaux de n'avoir pas modifié les contrats en cours, grief non pertinent au regard de la présente procédure.
82. Par le jeu des clauses de tacite reconduction, les contrats peuvent être prolongés indéfiniment sans mise en concurrence. En prononçant ses injonctions, le Conseil a souhaité mettre fin à la situation existante et rendre possible la nécessaire mise en concurrence avant de contracter à nouveau ou de prolonger les contrats.
83. Toutefois, les injonctions relatives aux clauses ne s'appliquant qu'aux actions futures, à savoir celles postérieures à la notification de la décision du 7 juillet 1998, et les injonctions étant d'interprétation stricte, l'injonction relative aux clauses de tacite reconduction ne s'applique qu'aux seules clauses proposées après la notification de la décision : elle n'interdit pas la reconduction tacite au titre du contrat en cours. Ainsi, même si cette interprétation apparaît contraire à l'esprit de la décision, puisqu'une reconduction indéfiniment répétée conduirait au maintien indéfini d'un contrat en cours, sans qu'il soit jamais remis en concurrence, il y a lieu de considérer que les sociétés du groupe Decaux ont respecté à la lettre l'injonction, telle qu'elle est rédigée, relative aux clauses de tacite reconduction.
C. SUR L'INJONCTION RELATIVE À L'INFORMATION DES COLLECTIVITÉS PUBLIQUES
84. Dans sa décision du 7 juillet 1998, le Conseil a enjoint aux sociétés du groupe Decaux d' " informer les collectivités publiques avec lesquelles elles sont liées des modifications apportées aux clauses-types proposées ".
85. Les sociétés du groupe Decaux soutiennent qu'elles ont satisfait à cette obligation à deux reprises, par lettre circulaire du 1er septembre 1998 puis par lettre complémentaire d'information du 21 septembre 1998. En revanche, elles font valoir que la circulaire du 13 janvier 1999, accompagnée de la note juridique, n'est pas une mesure d'exécution de la décision.
86. Elles précisent que les accusations " d'interprétation subjective et a minima ", formulées par la rapporteure, sont totalement déplacées. Elles ajoutent que l'information " brute " des collectivités devait résulter de la publication du texte intégral de la décision dans la " Gazette des communes, des départements et des régions ".
87. Mais, ni la lettre circulaire du 1er septembre 1998, ni la lettre complémentaire du 21 septembre, ni la circulaire du 13 janvier 1999, ni même la note juridique qui accompagnait cette dernière ne contiennent " les modifications apportées aux clauses types ". En lieu et place, une phrase de la lettre circulaire du 1er septembre 1998 laisse entendre que les modifications attendues consistent en la suppression des clauses en question. Les sociétés du groupe Decaux se limitent, en effet, à écrire : " Notamment, nous ne ferons plus figurer, dans les nouveaux contrats que nous serons amenés à vous proposer, les trois clauses susnommées ". Dans la circulaire du 1er septembre, cette phrase est insérée dans quatre feuillets de commentaires ; elle ne figure plus ni dans la circulaire du 21 septembre, constituée de deux feuillets de commentaires, ni dans celle du 13 janvier 1999, constituée de deux feuillets de commentaires, ni enfin dans la note juridique constituée de sept feuillets de commentaires.
88. Or, comme il a été démontré dans la section B de la présente décision, la " clause de priorité " et la " clause de durée de vie propre " n'ont pas été simplement supprimées, mais remplacées, pour certains contrats et pour l'avenir, par des clauses ne respectant pas les injonctions du Conseil. Il y a donc eu modification des clauses illicites, ces modifications conduisant à de nouvelles clauses elles-mêmes illicites, sans information des collectivités territoriales concernées portant sur le contenu de ces nouvelles clauses, à l'inverse de ce qu'avait enjoint le Conseil, ce qui a eu pour effet de contribuer à dissimuler aux collectivités l'illicéité prolongée des pratiques des entreprises Decaux.
89. La dissimulation de l'illicéité de leurs pratiques, par les entreprises Decaux, résulte aussi des commentaires que, sous couvert de satisfaire à l'injonction d'informer les collectivités, ces entreprises ont diffusé, en sept feuillets si l'on se limite aux deux premières lettres circulaires, lesquelles, selon les allégations des entreprises Decaux, constituent la matérialisation de l'information qu'il leur avait été enjoint de diffuser, ou en seize feuillets si l'on y ajoute la troisième lettre circulaire et la note juridique. Cette masse de commentaires omet, en effet, l'information faisant l'objet du premier article de la décision du 7 juillet 1998 : " Décide : Article 1er - il est établi que les sociétés du groupe Decaux ont enfreint les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 [devenu L. 420-2] et de l'article 86 du traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté européenne [devenu 82 CE] ", information essentielle à tout commentaire cherchant, de bonne foi, à éclairer les collectivités publiques sur le sens, la portée et les conséquences de la décision du Conseil.
90. Au lieu de cette information, les commentaires de la décision, auxquels se limitent les deux premières circulaires, contiennent en premier lieu de nombreuses allégations susceptibles de faire croire aux collectivités publiques que le Conseil n'a fait aucun reproche aux sociétés du groupe Decaux. Par exemple, il est indiqué : " le Conseil de la concurrence a écarté l'essentiel de ces prétentions [du CSFA]" (1re et 2e circulaires), " aucune sanction n'a été prononcée contre le groupe Decaux " (1re et 2nd), " le Conseil de la concurrence s'est refusé à remettre en cause les contrats en cours et leurs avenants conclus avec les collectivités locales " (1re), " le Conseil de la concurrence n'a pas remis en cause l'exécution des contrats en cours et de leurs avenants " (2nd), " il demande seulement aux sociétés du groupe Decaux de ne pas faire figurer, dans les nouveaux contrats conclus à compter du 3 août 1998, (...), certaines clauses dans les contrats de mobiliers urbains publicitaires " (1re et 2nd).
91. Cette omission de l'article 1er de la décision, l'absence de toute référence à l'abus de position dominante du groupe Decaux relevé par le Conseil, ainsi que les allégations laissant croire que le Conseil n'a fait aucun reproche aux sociétés du groupe Decaux sont de nature à induire en erreur les collectivités publiques, destinataires de ces deux premières circulaires, sur le sens et la portée de la décision du Conseil.
92. En deuxième lieu, ces commentaires ignorent l'observation citée au paragraphe 47 de cette décision, qui rappelle la compétence exclusive du juge administratif pour substantiellement modifier un contrat public, afin d'expliquer la raison pour laquelle le Conseil " n'a pas remis en cause les contrats en cours", comme l'écrivent, à satiété, les entreprises Decaux en cherchant à faire accroire que le Conseil aurait " validé " ces contrats alors qu'il a estimé, tout au contraire, qu'ils étaient constitutifs d'un abus de position dominante.
93. En dernier lieu, enfin, en ce qui concerne la circulaire du 13 janvier 1999 et la note juridique qui l'accompagne, les entreprises Decaux allèguent qu'elle ne fait pas partie de l'obligation d'informer qui leur avait été enjointe mais qu'elle était destinée à répondre à une polémique. S'il est exact que la présentation erronée de la décision du Conseil faite par les entreprises Decaux a suscité une polémique, les entreprises Decaux n'ont pas seulement participé à la polémique qu'elles avaient elles-mêmes suscitée, mais utilisé cette polémique pour revenir sur une conséquence majeure de la décision du Conseil.
94. Dans sa sixième partie en effet, la note juridique dissuade, dans des termes qu'il convient de relever, les collectivités territoriales qui seraient tentées de s'engager dans la procédure juridictionnelle suggérée par le Conseil, en faisant usage de leur droit fondamental d'ester. La note souligne les " risques " auxquels s'exposent les collectivités si elles engagent une procédure judiciaire. La note précise qu'outre le " caractère très aléatoire de l'issue du procès ", " la collectivité s'expose nécessairement à une condamnation pécuniaire pour le cas, certes improbable, où le contrat serait annulé dans son ensemble ". La note ajoute : " on peut légitimement se demander quel est l'intérêt des collectivités locales de s'engager dans une procédure judiciaire qui les amènera nécessairement à devoir débourser des sommes pour indemniser l'entreprise ".
95. Ces allégations présentées avec l'assurance que peut conférer à cette mise en garde la prise de position d'un cabinet réputé en droit public, sont d'autant plus sujettes à caution qu'elles ne semblent pas avoir été, pour le moment, confortées par la jurisprudence administrative : par exemple, le 29 juillet 2002, le Tribunal administratif de Rennes a rejeté la requête de la société JC Decaux lui demandant de condamner la ville de Rennes à lui verser une indemnité de 22 millions de francs, augmentée des intérêts, en réparation du préjudice causé par le retrait de mobiliers avant la date prévue dans des avenants. Il s'agissait d'avenants par lesquels les collectivités publiques s'engageaient sur des matériels supplémentaires installés par les sociétés Decaux jusqu'à des dates très postérieures à celle du contrat. Le tribunal a considéré qu'en l'absence de toute mesure de publicité et de mise en concurrence préalable, les avenants concernés étaient entachés d'une nullité absolue et il a déclaré nuls et non avenus les contrats signés par la ville de Rennes. Il a ajouté que la société Decaux n'était pas fondée à rechercher la responsabilité de la ville de Rennes pour méconnaissance de ses obligations contractuelles, du fait de la nullité des avenants, et qu'elle n'était pas fondée à demander une indemnisation. Le groupe Decaux n'a pas fait appel.
96. Au total, en agissant de la sorte, non seulement le groupe Decaux n'a pas respecté l'injonction " d'informer sur les modifications apportées aux clauses-types ", mais il a substitué à cette information des commentaires fallacieux, une présentation volontairement tronquée de la décision du Conseil, en particulier de son dispositif, et une interprétation de ses conséquences destinées à priver de tout effet utile la décision du Conseil.
97. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les sociétés du groupe Decaux n'ont, pour certains des contrats qu'elles ont proposés aux collectivités locales, pas respecté l'injonction relative aux clauses de priorité et l'injonction relative à la durée contractuelle des équipements installés en cours de contrat. De plus, elles n'ont pas respecté l'injonction relative à l'information des collectivités publiques sur les modifications apportées aux clauses-types des contrats.
III. Sur les sociétés mises en cause
98. Les sociétés du groupe Decaux font valoir que, hormis la publication de la décision, les injonctions faites au groupe Decaux avaient toutes trait aux rapports contractuels des sociétés du groupe Decaux avec les collectivités concernant le mobilier urbain dit publicitaire. Or, il ressort de l'organisation du groupe Decaux que la société dont le comportement a dû intégrer les injonctions prononcées par le Conseil est la société JC Decaux Mobilier Urbain, société titulaire des contrats de mobiliers urbains publicitaires. Elles demandent que les sociétés JC Decaux SA, SOMUPI, SOPACT et SEMUP soient mises hors de cause.
99. Les sociétés du groupe Decaux destinataires des griefs et mises en cause dans la décision n° 98-D-52 du 7 juillet 1998 sont les suivantes : la société mère, la société Decaux SA (aujourd'hui dénommée JC Decaux SA), et ses filiales, les sociétés JC Decaux (aujourd'hui dénommée JC Decaux Mobilier Urbain), SOMUPI, SOPACT et SEMUP. C'est à ces sociétés qu'ont été adressées les injonctions figurant dans la décision du 7 juillet 1998. Ce sont ces mêmes sociétés qui ont toutes été destinataires du rapport qui leurs a été adressé dans le cadre de l'instruction de la présente affaire et qui y ont répondu. Ce sont donc ces sociétés qui doivent être mises en cause pour ne pas avoir respecté les injonctions de la décision de 1998, à savoir les sociétés JC Decaux SA, JC Decaux Mobilier Urbain, SOMUPI, SOPACT et SEMUP.
IV. Sur les sanctions
A. SUR LE TEXTE APPLICABLE
100. Les pratiques relevées se sont en partie déroulées avant l'entrée en vigueur, à la date du 18 mai 2001, de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relatives aux nouvelles régulations économiques, alors que d'autres sont postérieures à cette date. La saisine, datée du 26 février 2001, est antérieure à cette entrée en vigueur. Par suite et en vertu de la non rétroactivité des lois à caractère punitif, les dispositions introduites par cette loi à l'article L. 464-2 du Code de commerce, en ce qu'elles sont plus sévères que celles qui étaient en vigueur antérieurement, ne leur sont pas applicables.
101. Aux termes de l'article L. 464-2 du Code de commerce dans sa rédaction applicable avant l'entrée en vigueur de la loi du 15 mai 2001 : " Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement soit en cas de non exécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du chiffre d'affaires hors taxe réalisé en France au cours du dernier exercice clos...".
B. SUR LA GRAVITÉ DES PRATIQUES ET LE DOMMAGE À L'ÉCONOMIE
102. Par nature, le non respect d'injonctions claires, précises et dépourvues d'ambiguïté revêt un caractère de particulière gravité. C'est ce qu'a relevé la cour d'appel de Paris dans son arrêt du 11 janvier 2005 relatif à la vérification d'une injonction par la société France Télécom, qui a doublé la sanction pécuniaire infligée par le Conseil en précisant : " Considérant que, s'agissant de la gravité des faits, le Conseil a exactement relevé, notamment, que le non-respect d'une injonction qui, en soi, constitue une pratique d'une gravité exceptionnelle, a permis à France Télécom de fermer à la concurrence le seul canal technique, constitué par l'option 3 qui restait ouvert, et de rester sur le marché en situation proche du monopole ; (...) Considérant, cependant, qu'en l'état de ces éléments généraux, la Cour, portant sur la gravité de la pratique poursuivie, caractérisée par le non respect délibéré d'une injonction claire, précise et dépourvue d'ambiguïté et par la persistance du comportement anticoncurrentiel de France Télécom, une appréciation différente de celle du Conseil "
103. C'est encore plus vrai en l'espèce dans la mesure où le Conseil avait, dans sa décision de 1998, renoncé à prononcer des sanctions pécuniaires pour concentrer tous les effets de la décision sur une modification rapide des pratiques selon les termes précisés par les injonctions.
104. S'y ajoute le fait que les pratiques anticoncurrentielles qu'entendaient corriger les injonctions prononcées par le Conseil sont graves car les sociétés du groupe Decaux ont, par leurs comportements illicites, contribué à fermer à la concurrence le marché de la fourniture de mobiliers urbains publicitaires aux collectivités publiques afin de rester sur le marché en position proche du monopole.
105. Enfin, il convient de relever la persévérance avec laquelle le groupe Decaux a choisi les termes de sa communication dans le but de dissuader les collectivités victimes des pratiques anticoncurrentielles d'en obtenir la cessation.
106. A l'inverse, il convient de relever que le non respect des injonctions relatives aux clauses illicites n'a été que partiel.
C. SUR LES SANCTIONS PÉCUNIAIRES
107. Le chiffre d'affaires hors taxe réalisé en France par la société JC Decaux SA en 2004 s'est élevé à 492 661 421 euro. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, le montant de la sanction pécuniaire infligée à la société JC Decaux SA est fixé à 6 400 000 euro.
108. Le chiffre d'affaires hors taxe réalisé en France par la société JC Decaux Mobilier Urbain en 2004 s'est élevé à 211 478 127 euro. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, le montant de la sanction pécuniaire infligée à la société JC Decaux Mobilier Urbain est fixé à 2 750 000 euro.
109. Le chiffre d'affaires hors taxe réalisé en France par la société SOMUPI en 2004 s'est élevé à 18 551 667 euro. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, le montant de la sanction pécuniaire infligée à la société SOMUPI est fixé à 250 000 euro.
110. Le chiffre d'affaires hors taxe réalisé en France par la société SOPACT en 2004 s'est élevé à 12 948 084 euro. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, le montant de la sanction pécuniaire infligée à la société SOPACT est fixé à 170 000 euro.
111. Le chiffre d'affaires hors taxe réalisé en France par la société SEMUP en 2004 s'est élevé à 33 117 999 euro. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, le montant de la sanction pécuniaire infligée à la société SEMUP est fixé à 430 000 euro.
D. SUR LA PUBLICATION
112. Aux termes du cinquième alinéa de l'article L. 464-2-I. du Code de commerce : " Le Conseil de la concurrence peut ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'il précise (...). Les frais sont supportés par la personne intéressée ".
113. Il est nécessaire, en l'espèce, d'informer les collectivités publiques de la présente décision afin de leur permettre de faire valoir leurs droits. Il convient, en conséquence, de prescrire, d'une part l'envoi, par le groupe Decaux à chaque collectivité publique avec laquelle il est en relation contractuelle, d'une lettre d'information, d'autre part la publication dans " La Gazette des communes, des départements et des régions ". L'une et l'autre comporteront : un titre, les visas et le texte énoncé aux paragraphes n° 114 à n° 119 de la présente décision, ainsi que son dispositif.
114. Dans sa décision n° 98-D-52 du 7 juillet 1998, le Conseil de la concurrence avait considéré que les sociétés du groupe Decaux, qui détenaient une position dominante sur le marché du mobilier urbain publicitaire, avaient mis en œuvre des pratiques tendant à conforter artificiellement cette position, en empêchant l'émergence d'une concurrence effective dans ce secteur. Bien que tombant sous le coup des prévisions de l'article L. 420-2 du Code de commerce réprimant l'abus de position dominante, le Conseil avait pris en considération, à titre de circonstances atténuantes, le fait que les sociétés du groupe Decaux s'étaient conformées, dans la plupart des cas, aux modifications demandées par l'administration depuis 1978 et il n'avait pas prononcé de sanctions pécuniaires. En revanche, afin de prévenir la poursuite des pratiques examinées, il avait enjoint aux sociétés du groupe Decaux :
* de ne pas proposer aux collectivités publiques, souhaitant contracter avec elles, l'insertion d'une clause reconnaissant à la société du groupe Decaux co-contractante un droit de priorité pour l'installation de mobilier urbain supplémentaire ;
* de ne pas proposer aux collectivités publiques, souhaitant contracter avec elles, l'insertion d'une clause selon laquelle les équipements installés en cours de contrat ont une durée contractuelle propre différente de celle du contrat ;
* de ne pas proposer aux collectivités publiques, souhaitant contracter avec elles, l'insertion d'une clause de tacite reconduction ;
* d'informer, dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, les collectivités publiques avec lesquelles elles sont liées par contrat des modifications apportées aux clauses-types figurant dans les contrats qu'elles proposent.
115. Sur plainte de la commune de Mouvaux, le Conseil a examiné, le 31 mai 2005, le comportement du groupe Decaux afin de vérifier s'il avait respecté les injonctions prononcées dans sa décision n° 98-D-52 du 7 juillet 1998.
116. En ce qui concerne les clauses litigieuses, le Conseil a estimé : que les sociétés du groupe Decaux n'avaient pas respecté l'injonction relative à l'abandon du " droit de priorité " en continuant, dans certains contrats, de prévoir l'installation ou la possibilité d'installation de nouveaux mobiliers urbains sans se soumettre à la concurrence ; que les sociétés du groupe Decaux n'avaient pas respecté l'injonction relative à la " durée contractuelle propre " en prévoyant, dans certains contrats, des dates d'échéance de matériels différentes de celle du contrat.
117. En ce qui concerne l'injonction d'information des collectivités publiques, le Conseil a estimé que les sociétés du groupe Decaux n'avaient pas exécuté l'injonction, la remplaçant par des commentaires fallacieux et menaçants à l'égard des collectivités publiques désireuses de saisir la justice administrative, seule compétente pour modifier les contrats administratifs en cours, comme le Conseil le suggérait. Concernant ce dernier point, le Conseil a notamment rappelé que le Tribunal administratif de Rennes a rejeté la requête de la société JC Decaux lui demandant de condamner la ville de Rennes à lui verser une indemnité de 22 millions de francs, augmentée des intérêts, en réparation du préjudice lié au retrait de mobiliers avant la date prévue dans des avenants.
118. En agissant de la sorte, non seulement le groupe Decaux n'a respecté ni l'injonction d'information des collectivités publiques sur les modifications apportées aux clauses-types ni les injonctions relatives au remplacement de ces clauses, mais, de plus, il a tenté de priver de tout effet utile la décision du Conseil.
119. En conséquence, compte tenu de la gravité des pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre par les sociétés du groupe Decaux et de la prolongation de ces pratiques malgré les injonctions décidées par le Conseil, ce qui confère à l'ensemble une gravité exceptionnelle, le Conseil a décidé d'infliger aux sociétés du groupe Decaux des sanctions pécuniaires d'un montant global de 10 millions d'euro.
Décision
Article 1er : Il est établi que les sociétés JC Decaux SA, JC Decaux Mobilier Urbain, SOMUPI, SOPACT et SEMUP n'ont pas exécuté les injonctions prononcées par le Conseil de la concurrence dans sa décision du 7 juillet 1998.
Article 2 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :
* à la société JC Decaux SA une sanction de 6 400 000 euro ;
* à la société JC Decaux Mobilier Urbain une sanction de 2 750 000 euro ;
* à la société SOMUPI une sanction de 250 000 euro ;
* à la société SOPACT une sanction de 170 000 euro ;
* à la société SEMUP une sanction de 430 000 euro ;
Article 3 : Dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, la société JC Decaux SA adressera une lettre à chacune des collectivités avec lesquelles les sociétés du groupe Decaux entretiennent des relations contractuelles. Le texte de cette lettre comportera, exclusivement, les visas de la présente décision, le texte énoncé aux paragraphes n° 114 à n°119 et le dispositif, sous le titre : " Décision n° 05-D-36 du 30 juin 2005 relative au respect par le groupe Decaux des injonctions prononcées par le Conseil de la concurrence le 7 juillet 1998 ". Cette lettre sera en format A4 et en caractères Times New Roman de dimension 12, noirs sur fond blanc.
Article 4 : La société JC Decaux SA fera publier les visas de la présente décision, le texte énoncé aux paragraphes n°113 à n°119 et les articles 1er et 2 du dispositif, dans " La Gazette des communes, des départements et des régions ". Cette publication sera effectuée en caractère gras, noirs sur fond blanc de 5 millimètres de hauteur dans un encadré sous le titre : " Décision n° 05-D-36 du 30 juin 2005 relative au respect par les sociétés du groupe Decaux des injonctions prononcées par le Conseil de la concurrence le 7 juillet 1998".
Article 5 : La société JC Decaux SA adressera au bureau de la procédure du Conseil, au plus tard le 20 octobre 2005, copie de la publication prévue à l'article 4, dès sa parution et au plus tard le 20 octobre 2005.