Conseil Conc., 27 juin 2005, n° 05-D-33
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques mises en œuvre par l'Ilec
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport oral de M. Avignon, par Mme Perrot, vice-présidente présidant la séance, MM. Flichy, Gauron, Honorat, Mme Renard-Payen, membres.
Le Conseil de la concurrence (section II),
Vu la lettre enregistrée le 2 novembre 1999, sous le numéro F 1181, par laquelle l'Union des coopérateurs indépendants européens, dénommée Lucie, a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société Ilec, susceptibles d'entrer dans le champ d'application de l'article L. 420-1 du livre IV du Code de commerce et de l'article 81-1 du traité de Rome ; Vu les articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant ses conditions d'application ; Vu les observations présentées par le commissaire du gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du gouvernement et les représentants de la société Lucie entendus lors de la séance du 25 mai 2005 ; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
A. LES PARTIES EN CAUSE
1. LUCIE
1. Lucie est une société anonyme à capital variable qui a été créée le 22 mars 1999 par les sociétés d'approvisionnement des groupes Leclerc et Système U sous la forme d'une union de coopératives de commerçants détaillants.
2. Selon l'article 2 de ses statuts, elle se donne les objectifs suivants :
" a) Fournir en totalité ou en partie à leurs associés les marchandises, denrées ou services, l'équipement et le matériel nécessaires à l'exercice de leur commerce, notamment par la constitution et l'entretien de tout stock de marchandises, la construction, l'acquisition ou la location ainsi que la gestion de magasins et entrepôts particuliers, l'accomplissement dans leurs établissements ou dans ceux de leurs associés de toutes opérations, transformations et modernisation utiles ;
b) Dans le cadre des dispositions législatives concernant les activités financières, faciliter l'accès des associés et de leur clientèle aux divers moyens de financement et de crédit ;
c) Exercer les activités complémentaires à celles énoncées ci-dessus et, notamment, fournir à leurs associés une assistance en matière de gestion technique, financière et comptable ;
d) Acheter des fonds de commerce dont, par dérogation aux dispositions de l'article 4 de la loi n° 56-277 du 20 mars 1956, la location-gérance sera concédée dans un délai de deux mois à un associé et qui devront être rétrocédés dans un délai maximum de sept ans ;
e) Mettre en œuvre les moyens nécessaires à la promotion des ventes des associés ou de leur entreprise, notamment par la mise à disposition d'enseignes ou de marques dont elle a la propriété ou la jouissance, et plus généralement, contribuer à la satisfaction des besoins et à la promotion des activités économiques et sociales de ses membres, ainsi qu'à leur formation ".
3. Ce rapprochement des deux distributeurs a été précédé par l'établissement, en octobre 1998, d'un comité d'alliance destiné à préparer leur coopération économique et à préciser les conditions de la négociation avec les fournisseurs pour les produits de grande consommation, les produits premiers prix, les importations et les carburants.
4. Le comité a engagé des négociations test avec les fournisseurs qui ont été reprises à son compte par Lucie après sa création.
2. L'ILEC
5. L'Institut de liaison et d'études des industries de consommation (l'Ilec) est une association de la loi 1901 qui regroupe la plupart des fournisseurs des produits de marque de la grande consommation.
6. Selon l'article 2 de ses statuts, il a pour objet : " D'étudier les problèmes concernant le commerce et son évolution ;
D'apporter son appui moral et matériel aux initiatives pouvant aboutir à adapter constamment et harmonieusement aux réalités vivantes le circuit Production - Distribution - Consommation' ;
De représenter et de défendre les intérêts matériels et moraux de ses adhérents et, plus généralement, des fabricants de biens de grande consommation ".
7. Dirigé par un conseil d'administration de 20 à 25 membres, l'Institut comprend en son sein, d'une part, un comité juridique qui étudie les problèmes juridiques posés en particulier par les contrats de coopération commerciale et les conventions de ristourne proposées par la grande distribution et, d'autre part, un comité commercial qui fait régulièrement le point sur l'état des négociations entre les fournisseurs adhérents et les distributeurs.
8. L'ensemble de ces travaux est régulièrement communiqué à ses membres par le moyen du bulletin mensuel, des circulaires et des fax de l'association.
B. LES PRATIQUES DÉNONCÉES
9. Dans sa saisine, la société Lucie dénonce des déclarations publiques de l'Ilec, ainsi que des informations adressées à ses adhérents et particulièrement une circulaire interne du 22 septembre 1999 qui, selon elle, les dissuadaient de négocier avec une entité présentée comme une entente susceptible d'être déclarée anticoncurrentielle. Elle estime que ces analyses et les consignes sous-jacentes de l'Ilec, appelant notamment au boycott de Lucie, ont privé les fournisseurs de toute autonomie dans la négociation commerciale et les ont conduit à refuser d'accorder les remises qu'elle demandait. En contribuant à imposer des niveaux de prix artificiels, ce comportement des fournisseurs, coordonné et dirigé par l'Ilec, aurait isolé le marché français des autres pays de l'Union européenne et favorisé le développement des importations parallèles.
1. L'ATTITUDE DE L'ILEC LORS DE LA CRÉATION DE LUCIE
a) Le plan d'action de l'Ilec à l'égard des centrales d'achat Lucie et Opéra
10. Dans le compte-rendu de son conseil d'administration du 6 mai 1999, après un commentaire juridique sur la concentration de la puissance d'achat dans la distribution, on peut lire : " Du débat qui suit cet exposé, il ressort que l'Ilec ne souhaite pas se prononcer sur l'évolution des structures de la distribution. Toutefois, l'Institut ne peut rester neutre dans des pratiques, qu'il tient pour abusives, de centrales qui consolident les chiffres d'affaires et articulent à ce titre des exigences élevées, sans offrir aucun service aux industriels. Si les évolutions annoncées interviennent, il n'y aura bientôt plus que six clients en France. C'est pourquoi il est temps d'agir. Un courrier sera adressé à tous les distributeurs et à leurs deux organisations représentatives. Des démarches seront entreprises auprès des pouvoirs publics. Des alliances seront recherchées auprès de nos partenaires professionnels naturels, tels l'ANIA, la FNSEA et la CGPME. Si nécessaire, nous userons des voies de droit à notre disposition. Nous nous réservons de rendre notre plan d'action public ".
11. Le 20 mai 1999, l'Ilec envoie un fax à ses adhérents pour les informer de sa réaction face à la création de Lucie dans lequel il écrit : " Plusieurs de nos grands clients regroupent leurs structures d'achat au sein de centrales qui se manifestent auprès des fournisseurs en exerçant sur eux des pressions commerciales. Notre bureau commercial a souhaité que notre association réagisse. Notre conseil d'administration a entériné cette proposition et défini un plan d'action. Nous appelons nos adhérents à tenir compte dans les négociations avec Lucie et Opéra de l'initiative prise par notre association. Elle doit manifester une grande cohérence afin de confirmer sa crédibilité sur le marché. Les industriels doivent se garder de conclure des accords qui pourraient être interprétés, en cas de contentieux ouvert contre les centrales, comme les manifestations d'ententes verticales ".
12. Lors de la séance de son conseil d'administration du 3 juin 1999, l'Ilec précise les actions prévues pour aider ses adhérents dans les négociations avec Lucie : " Sans attendre le résultat de nos différentes démarches, nous diffuserons, à la demande du bureau commercial, un fax de l'Ilec résumant notre plan d'action et les initiatives que nous avons prises. En liaison avec nos juristes et nos commerciaux, nous préparerons un argumentaire qui sera également transmis par un fax de l'Ilec. Ce texte résumera sous une forme simple notre analyse sur Lucie et Opéra. Ainsi nos négociateurs seront en mesure de rappeler à leurs interlocuteurs des centrales les éléments de droit qui, en l'état actuel, interdisent que soient satisfaites les revendications présentées ", (cote 339).
b) La diffusion d'un argumentaire juridique
13. Précisant les éléments de ce plan d'action, le 24 septembre 1999, l'Ilec adresse à ses adhérents un argumentaire juridique considérant que Lucie constitue une entente horizontale entre les deux distributeurs qui donne lieu à des échanges d'informations sur leurs prix et leur politique commerciale.
14. Dans la lettre d'envoi de ce document, le président de l'Ilec a déclaré : " Lucie et Opéra doivent être considérées comme la répétition des centrales condamnées dans les années 80 par la Commission de la concurrence. Ces entités sont des ententes anticoncurrentielles tant par leur objet que par leur effet.
Tout donne à penser que le ministre de l'Economie partage cette analyse, puisqu'il a saisi le Conseil de la concurrence sur la base des articles 7 et 8-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Chaque entreprise est invitée à apprécier la situation juridique créée par cette saisine et les conséquences à en tirer dans ses relations avec ses clients ", (cote 254).
c) Les informations adressées aux adhérents
15. Dans sa lettre mensuelle de juillet 1999, l'Ilec explique à ses adhérents le sens de la démarche :
" Notre association a pris sur elle de rappeler le droit à ses partenaires et aux autorités en charge de réguler le marché ... L'idée que le droit doit être dit avant la conclusion de tout accord commercial est largement partagée. Elle semble même inspirer de nombreux acheteurs ainsi que la nature des conseils donnés aux entreprises : Si chaque entreprise définit sa politique commerciale, elle doit veiller à ne pas souscrire à des demandes l'exposant à des risques juridiques importants, qu'il s'agisse de discrimination, d'entente verticale ou de respect de l'article 31 de l'ordonnance ... Les exigences de Lucie ne pourront être qualifiées d'anticoncurrentielles que dans la mesure où les industriels concernés auront confirmé par écrit les demandes articulées par celle-ci, de façon à fournir des preuves des pratiques alléguées ", (cotes 333-334).
2. LE RÔLE DE L'ILEC DANS LES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES DE LUCIE AVEC LES FOURNISSEURS
a) La reprise par les fournisseurs de l'argumentaire développé par l'Ilec dans son argumentaire juridique
16. Dans une lettre du 13 septembre 1999, adressée à Lucie, la société Pepsico France, a indiqué les raisons pour lesquelles elle refuse de signer la convention de ristourne proposée : " Faisant suite à votre courrier en date du 22 juillet dernier, je tiens par la présente à vous faire part de nos commentaires concernant la convention de ristourne à Lucie.
Cette convention vise des ristournes inconditionnelles sans contrepartie qui ne seraient pas réintégrées dans le seuil de revente à perte. Ces dernières seraient assimilables à des réductions de prix acquises à la date de la facture.
Elles devront être mentionnées sur factures, sauf à risquer une infraction à l'article 31 qui relève du pénal et est lourdement sanctionné.
A l'inverse, si l'on accepte de les porter sur facture sans conformité avec nos CGV's, il y aurait alors discrimination. Ce qui est inacceptable commercialement. Par ailleurs, le cadre légal ne nous permet pas aujourd'hui de mettre en œuvre, compte tenu de la nature de cette convention, une contractualisation de notre collaboration. En effet, eu égard aux incertitudes juridiques liées au statut de Lucie non éclairé à ce jour par les autorités compétentes sur le contrôle des ententes, nous restons à ce jour dans l'attente d'une position ferme du Conseil de la concurrence avant de pouvoir accorder une quelconque légalité à Lucie au risque de se voir exposer à des poursuites dans le cadre de pratiques pouvant être déclarées anticoncurrentielles ", (cote 569).
17. Toutes les entreprises ont dans cette période utilisé les mêmes arguments pour s'opposer à la convention proposée initialement.
18. Consulté par le responsable " clients nationaux " de l'entreprise, le juriste de la société Unilever indique dans une note : " Indépendamment de l'aspect stratégique et politique de la reconnaissance de Lucie (sa reconnaissance en tant qu'entité juridique ne fait plus de doute) cette convention pose deux problèmes importants :
- Il n'y est défini aucune contrepartie. Il est seulement précisé que Lucie permet de procéder à des opérations de référencement d'achat et accomplies par les centrales Galec et Système U.
Sans contrepartie, le risque est la discrimination (attribution d'une rémunération sans contrepartie réelle) et ce point est particulièrement sensible aujourd'hui ...
- Lucie décrète que la ristourne qu'elle demande comporte des spécificités l'excluant du seuil de RVAP. Au contraire, l'absence de contreparties réelles rend cette ristourne complètement inconditionnelle et elle devrait figurer sur facture (...).
Au vu de la spécificité de Lucie et compte tenu des positions adoptées par l'administration et les tribunaux lors des derniers rapprochements, il n'est pas impossible de rémunérer une super centrale à la suite d'un rapprochement, ce qu'il convient d'éviter, c'est de rémunérer sans que l'avantage de ce rapprochement pour le fournisseur soit mis en avant et concrètement quantifiable ", (cote 488).
19. La société Schweppes France écrit, en juin 1999, à Lucie : " Nous acceptons de reconnaître le groupement Lucie ; cependant, cette reconnaissance ne peut se matérialiser, au regard de la réglementation en vigueur, qu'en contrepartie d'un service ou d'une prestation tangible pour le fournisseur ", (cotes 530-531).
b) Le suivi des négociations par Lucie
20. Le suivi de la négociation commerciale est assuré par le comité commercial de l'Ilec. Il se fait au moyen de questionnaires adressés à ses membres avant la séance ou de questions posées lors des réunions du comité. Ces données sont, ensuite, présentées aux membres en temps réel sous une forme agrégée.
21. Un tableau récapitulant l'avancement des négociations des fournisseurs adhérents avec les grandes centrales d'achat nationales telles que Carrefour, Promodes, Auchan, Opéra, Lucie, ITM et Cometia a été remis aux enquêteurs, (cotes 412-415). Il montre que les entreprises faisaient remonter régulièrement à l'Ilec des informations sur l'état des négociations des entreprises avec huit centrales nationales d'achat. Dans son audition par le rapporteur, le 2 avril 2004, le représentant de l'Ilec a déclaré à propos du suivi de la négociation commerciale : " ... c'était le rôle essentiel du comité commercial. Il se faisait à l'origine par le biais de questionnaires adressés aux adhérents dont je vous remettrai copie. Aujourd'hui, ces questionnaires sont adressés mensuellement par l'Internet et les résultats sont disponibles en temps réel lors des réunions du comité. Je tiens à préciser que ces informations traitées en séance ne sont pas données aux adhérents. Les tableaux que vous me montrez sont servis à partir des réponses données par les adhérents pour l'ensemble des grandes enseignes de la distribution et pas seulement pour Lucie. Ils ne font jamais apparaître le nom des entreprises et ne portent que des informations générales sur l'état des négociations et ses difficultés en rapport par exemple avec les propositions de déférencement ou de suspension de gammes ", (cotes 404-407).
22. De fait, ces informations permettent de connaître le nombre d'accords en cours et de négociations non encore démarrées avec tous les groupes de la distribution et pas seulement avec Lucie. Ces dernières sont qualifiées selon les cas de " correctes ", " difficiles " ou " très difficiles ".
C. PROPOSITION DE NON-LIEU
23. Sur la base des constatations qui précèdent, le rapporteur a proposé au Conseil de prononcer un non-lieu à poursuivre la procédure.
II. Discussion
24. Aux termes de l'article L. 464-6 du Code de commerce, " lorsque aucune pratique de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché n'est établie, le Conseil de la concurrence peut décider, après que l'auteur de la saisine et le commissaire du Gouvernement ont été mis à même de consulter le dossier et de faire valoir leurs observations, qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure ".
A. SUR L'ÉVENTUELLE QUALIFICATION D'APPEL AU BOYCOTT DU PLAN ACTION MENÉ PAR L'ILEC À L'OCCASION DE LA CRÉATION DE LA CENTRALE D'ACHAT LUCIE
25. La société Lucie soutient que les déclarations publiques faites au nom de l'Ilec, la circulaire adressée par l'Ilec à ses adhérents le 2 septembre 1999 ainsi que l'argumentaire que l'Institut a distribué à ses adhérents en septembre 1999 doivent s'analyser comme un appel au boycott, l'Ilec ayant ainsi tenté de dissuader ses adhérents de contracter avec Lucie.
26. La pratique du boycott a été définie, par le Conseil de la concurrence dans son rapport pour 1993, comme consistant " à s'entendre, sans motifs légitimes, pour refuser, soit de fournir un client déterminé, soit de s'approvisionner auprès d'un fournisseur déterminé ".
27. Le Conseil a ainsi considéré que le fait pour une centrale de référencement d'organiser entre les distributeurs indépendants qu'elle regroupe le boycott des produits d'un fournisseur qu'elle avait référencés pour la période en cours, et l'élimination de ces produits des linéaires était de nature à limiter artificiellement l'accès du fournisseur au marché et constituait une action concertée prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 (décision n° 94-D-60 du 13 décembre 1994). Il a également qualifié de boycott, dans sa décision n° 03-D-68 du 23 décembre 2003, les consignes du Centre national des professions automobiles de la Moselle à ses adhérents pour leur demander de cesser leurs relations avec un établissement bancaire qui finançait des mandataires hors réseau.
28. En revanche, dans sa décision n° 99-D-68 du 9 novembre 1999, relative à des pratiques mise en œuvre par la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA), le Conseil a considéré qu'une lettre adressée par la FFSA à ses adhérents les appelant à surseoir momentanément à la confirmation de leur participation au salon de 1992 " Assure Expo " n'avait, d'une part, pas eu d'objet anticoncurrentiel dans la mesure où elle avait été motivée par le " désir, licite, de voir le salon Assure-Expo évoluer en une manifestation de nature différente, d'ailleurs plus ouverte sur le grand public " et d'autre part, pas eu d'effet sensible sur la concurrence. La cour d'appel, puis la Cour de cassation ont confirmé cette analyse, l'arrêt de la chambre commerciale du 22 octobre 2002, SA Vidal c/FFSA, précisant : " attendu que le boycott constitue une action délibérée en vue d'évincer un opérateur du marché ; qu'ayant estimé que les pratiques arguées de boycott par la société Vidal ne pouvaient être ainsi qualifiées dès lors que la volonté d'éviction de la société Vidal par la FFSA n'était pas établie, la cour d'appel, qui s'est prononcée sur l'ensemble des faits dénoncés par la société Vidal, répondant ainsi aux conclusions prétendument omises, a statué à bon droit ".
29. En l'espèce, l'analyse des prises de position de l'Ilec montre que ce dernier s'est essentiellement borné à rappeler la jurisprudence des autorités de la concurrence relative aux centrales d'achat, notamment sur le fait que les remises supplémentaires demandées par Lucie à la suite de sa création devaient être assorties de contreparties réelles.
30. Le Conseil de la concurrence a, à maintes reprises, (cf. notamment la décision 98-D-73) affirmé qu'il était loisible à un syndicat professionnel de diffuser des informations destinées à aider ses membres dans l'exercice de leur activité. En l'espèce, l'Ilec est resté dans son rôle d'information et de conseil de ses adhérents en analysant la jurisprudence relative aux centrales d'achat, en les informant de la saisine du Conseil de la concurrence, le 12 août 1999, par le ministre de l'Economie et des Finances à l'encontre des centrales d'achat Lucie et Opéra et en leur conseillant de garder des traces écrites des demandes de Lucie en prévision d'un éventuel contentieux.
31. En l'espèce, les prises de position de l'Ilec, la circulaire adressée à ses adhérents le 2 septembre et l'argumentaire juridique visés dans la saisine ne contiennent aucun appel à ne pas négocier avec Lucie ou à ne plus approvisionner les adhérents de Lucie. D'ailleurs, aucun élément au dossier n'indique que des fournisseurs auraient renoncé à négocier avec Lucie. De nombreuses conventions ont été signées, dès 1999, entre Lucie et les fournisseurs et aucune incidence de ces négociations sur les relations commerciales entretenues parallèlement avec les centrales d'achat de Leclerc et Système U n'a été relevée.
B. SUR UNE ÉVENTUELLE QUALIFICATION D'ENTENTE VISANT À FAIRE OBSTACLE À LA LIBRE FIXATION DES PRIX, DE L'INTERVENTION DE L'ILEC DANS LES NÉGOCIATIONS ENTRE LUCIE ET LES FOURNISSEURS.
32. La société Lucie dénonce dans sa saisine " une entente horizontale ayant un objet illicite qui est de parvenir à une harmonisation illicite du comportement des membres de l'Ilec (...) empêchant toute baisse des prix à la consommation (...) [et empêchant] de modifier l'étendue et la nature des ristournes répercutables sur les prix ".
33. Le Conseil a récemment décrit, dans l'avis n° 04-A-18 du 18 octobre 2004, relatif aux conditions de la concurrence dans le secteur de la grande distribution non spécialisée, les mécanismes par lesquels les dispositions législatives sur le seuil de revente à perte ont favorisé le report des marges de négociation entre fournisseurs et distributeurs sur des ristournes conditionnelles et sur la coopération commerciale (marges arrières). Ce report a favorisé une uniformisation des prix nets des rabais acquis à la date de la facturation (marges avant), pour un produit donné, dans tous les circuits de distribution et a de ce fait produit des effets analogues à ceux d'une entente horizontale.
34. En l'espèce, la convention de ristourne initiale proposée par Lucie, pour 1999 et 2000, qui a fait ensuite l'objet des négociations, prévoyait le versement d'une ristourne de 2 % du chiffre d'affaires réalisé en 1999 puis en 2000 par chaque fournisseur avec les deux groupes, et ne prévoyait aucune prestation commerciale directe en contrepartie, sinon la perspective d'un développement de la centrale de laquelle, à terme, les fournisseurs bénéficieraient.
35. Lors des négociations, les fournisseurs ont fait valoir que les ristournes étaient des réductions de prix acquises à l'achat qui pouvaient poser des problèmes juridiques relatifs à l'absence de contrepartie proposée en échange mais aussi à leur intégration dans le seuil de revente à perte et dans les conditions générales de vente des fournisseurs. La société Schweppes France écrit le 21 mai 1999 : " Par ailleurs, tout accord potentiel se ferait sur la base de la coopération commerciale et non pas de ristournes. Nous poursuivons actuellement notre réflexion sur la mise en place de contreparties qui permettraient de trouver un accord sur le sujet ". La société Pepsico écrit à Lucie, en septembre 1999 : " Cette convention vise des ristournes inconditionnelles sans contrepartie qui ne seraient pas réintégrées dans le seuil de revente à perte. Ces dernières seront assimilables à des réductions de prix acquises à la date de la facture. Elles devront être mentionnées sur facture, sauf à risquer une infraction à l'article 31 qui relève du pénal et est lourdement sanctionné. A l'inverse, si l'on accepte de les porter sur facture, sans conformité avec nos CGV, il y aurait alors discrimination, ce qui est inacceptable commercialement ".
36. Les négociations se sont achevées par des conventions signées qui ont prévu des contreparties en terme de progression de chiffre d'affaires, d'accords de gamme et de présence géographique, soit, pour l'essentiel, des prestations non déductibles du prix de vente au consommateur. Lucie soutient que ces résultats ont été obtenus par l'Ilec et " son pilotage de la négociation commerciale de ses adhérents vers la seule coopération commerciale .
37. Il convient cependant de noter que Lucie aurait elle-même présenté la ristourne de 2 % demandée initialement comme ne pouvant être intégrée dans le seuil de revente à perte, analyse que contestaient les fournisseurs. Le juriste d'Unilever note ainsi : " Lucie décrète que la ristourne qu'elle demande comporte des spécificités l'excluant du seuil de RVAP [revente à perte]. Au contraire, l'absence de contreparties réelles rend cette ristourne complètement inconditionnelle et elle devrait figurer sur la facture ". De même, l'Ilec dénonce l'analyse de Lucie qu'il juge erronée lorsqu'elle fait état, dans son argumentaire de septembre 1999, de l'entente passée entre Système U et le Galec qui consisterait " à ne pas intégrer les ristournes dans le seuil de revente à perte augmentant artificiellement le niveau des prix sur le marché ".
38. En limitant son intervention au débat juridique de portée générale, l'Ilec n'a pas outrepassé son rôle de groupement professionnel. Notamment, en soutenant dans ses prises de position publiques et diffusées à ses adhérents que des ristournes sans contrepartie sont illégales, l'Institut se borne à rappeler la jurisprudence développée par les autorités de la concurrence. Ainsi, dans deux décisions l'une n° 93-D-21 du 8 juin 1993, relative à des pratiques mises en œuvre par la centrale de référencement et d'achat GMB lors de l'acquisition de la société européenne de supermarchés par le groupe Cora, l'autre n° 95-D-34 du 9 mai 1995, le Conseil a effectivement considéré que le fait pour un distributeur, à l'occasion d'une concentration lui conférant une plus grande puissance d'achat, de renégocier à la hausse les avantages consentis par ses fournisseurs revêt le caractère d'un abus lorsqu'une telle négociation ne s'accompagne pas de l'offre par le distributeur de contreparties précisément définies ou de services à chacun des producteurs en cause pour promouvoir les ventes de leurs produits. Il ne peut donc être soutenu que ces prises de position auraient un objet anticoncurrentiel.
39. Par ailleurs, l'Ilec ne s'est pas non plus immiscé dans le processus des négociations commerciales. De fait, il n'a pas été constaté d'alignement des contreparties négociées par chacun des fournisseurs, chacun d'entre eux ayant négocié de façon autonome. Aucun élément du dossier ne démontre non plus que l'Ilec aurait été saisi par un de ses adhérents sur le contenu précis d'une convention de ristourne. D'ailleurs, les négociations avec les entreprises non adhérentes de l'Ilec ont suivi le même cheminement, confirmant l'absence de toute immixtion de l'Ilec dans les négociations relatives au contenu des conventions signées entre Lucie et ses adhérents.
40. Enfin, il n'est pas démontré que les fournisseurs ont échangé dans le cadre de l'Ilec des informations sur la situation de leurs négociations commerciales propres. En tant qu'association à vocation de défense professionnelle, l'Ilec a suivi de manière globale et anonyme les négociations qui se déroulaient avec l'ensemble des distributeurs. Les tableaux mentionnés aux cotes 408 à 415.2 du rapport de non-lieu montrent que ni l'Ilec ni les membres de son comité commercial ne pouvaient connaître individuellement le résultat des négociations avec les fournisseurs. L'Institut n'a pas, dans ces conditions, outrepassé son rôle de défense collective des fournisseurs.
41. Il apparaît en définitive que les mises en garde de l'Ilec adressées aux fournisseurs n'ont ni empêché la signature des conventions de ristournes proposées par Lucie ni provoqué une coordination du comportement des fournisseurs en matière de taux des ristournes ou de contenu des services obtenus par eux dans la négociation.
42. Dans ces conditions, les pratiques dénoncées par le saisissant à l'encontre de l'Ilec ne sont pas susceptibles d'être qualifiées au regard des dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et de l'article 81 du traité.
43. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L. 464-6 du Code de commerce et de prononcer un non-lieu à poursuivre la procédure.
Décision
Article unique. - Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.