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Décisions

CJCE, 31 janvier 1984, n° 74-82

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

Irlande

CJCE n° 74-82

31 janvier 1984

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 19 février 1982, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire constater qu'en interdisant les importations et en adoptant le régime de licences d'importation en cause dans le secteur des carcasses, oeufs et produits de volaille, l'Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CEE.

2. La procédure précontentieuse a trouvé son point de départ dans un télex que les services de la Commission ont adressé, le 2 septembre 1981, au Gouvernement irlandais. Ce télex indiquait que, suite à la notification par le Royaume-Uni de nouvelles mesures applicables dans le secteur de la volaille et des oeufs eu égard à la maladie de Newcastle, il s'était avéré que la légalité non seulement des restrictions pratiquées par cet Etat membre mais aussi de celles applicables en Irlande pourrait être mise en cause. Pour cette raison, il était demandé " si l'Irlande maintient actuellement son interdiction d'importation des viandes fraîches de volaille, des oeufs et des volailles vivantes en provenance des Etats membres qui autorisent la vaccination ".

3. En réponse, le Gouvernement irlandais a indiqué par télex du 7 septembre 1981 que l'Irlande n'autorise pas l'importation de volailles vivantes, de viandes de volaille et d'oeufs en provenance des Etats membres qui permettent la vaccination contre la maladie de Newcastle. Le Gouvernement irlandais précisait dans le télex que cette politique d'importation a été appliquée par l'Irlande dès avant son adhésion à la Communauté et qu'elle visait à conserver à l'Irlande son statut de pays indemne de la maladie de Newcastle sans recourir à la vaccination.

4. La Commission a déduit de cette réponse que l'Irlande n'admettait sur son territoire que les volailles vivantes, les viandes de volaille et les oeufs en provenance de l'Irlande du Nord et du Danemark, ces deux pays étant les seules parties de la Communauté, hormis l'Irlande elle-même, ou une politique de non-vaccination a été appliquée depuis suffisamment de temps pour produire son plein effet.

5. Par lettre du 24 septembre 1981, la Commission a constaté que les mesures considérées étaient contraires à l'article 30 du traité et elle a invité le Gouvernement irlandais à présenter ses observations. Celui-ci a répondu par lettre du 23 octobre 1981, en affirmant que les mesures en cause étaient justifiées pour des raisons de protection de la santé des animaux. L'avis motivé a été notifié par lettre du 9 novembre 1981 ; l'Irlande était invitée à se conformer à cet avis dans un délai de cinq jours. La réponse du 7 décembre suivant, et une réponse additionnelle du 10 février 1982, réaffirmaient que les mesures en cause étaient justifiées. L'Irlande ne s'étant pas conformée à l'avis motivé, la Commission a saisi la Cour le 19 février 1982.

6. La requête ne concerne plus les importations de volailles vivantes ; elle se limite aux restrictions à l'importation de carcasses, oeufs et produits de volaille. En outre, la Commission a précisé dans la requête que son recours ne vise pas l'importation des oeufs à couver. Finalement, la Commission a admis que l'interdiction des importations en provenance d'autres parties de la Communauté que le Danemark et l'Irlande du Nord ne s'applique pas aux produits d'oeufs ayant été soumis à un traitement thermique d'un niveau suffisant pour inactiver le virus de la maladie de Newcastle.

7. Les mesures irlandaises qui continuent d'être contestées par la Commission trouvent leur base dans le " poultry, poultry carcases, poultry eggs and poultry products (restriction on importation) order 1971 " (si 1971 n° 139). Cet arrêté interdit l'importation de volailles et de carcasses, oeufs et produits de volaille sauf sous le couvert d'une licence accordée par le ministère de l'Agriculture et de la Pêche et aux conditions prévues par cette licence.

Sur la recevabilité

8. L'Irlande a invoqué plusieurs moyens d'irrecevabilité, dont le premier est fondé sur la façon, à son avis inadmissible, dont la Commission a engagé et conduit la procédure précontentieuse. Elle reproche notamment à la Commission d'avoir agi avec une précipitation excessive, probablement en vue de pouvoir lier son action contre l'Irlande à celle engagée contre le Royaume-Uni, alors qu'il n'y aurait eu aucune urgence particulière dans le cas irlandais.

9. A cet égard, le Gouvernement irlandais rappelle que les contrôles à l'importation qui font l'objet du litige ont été appliqués, selon des modalités en substance inchangées, depuis 1938. Dans de telles conditions, il serait déraisonnable de demander à un Etat membre, comme la Commission l'a fait dans son avis motivé, d'abolir ces contrôles, en ce qui concerne leurs effets à l'égard des autres Etats membres, dans un délai de cinq jours, ceci d'autant plus qu'en l'occurrence l'avis motivé a été établi quelques jours seulement après réception des observations très circonstanciées du Gouvernement irlandais, observations qui n'ont manifestement pas été prises en considération lors de l'élaboration de l'avis motivé.

10. Le Gouvernement irlandais conclut que la recevabilité d'un recours fondé sur l'article 169 du traité présuppose l'envoi préalable d'un avis motivé valide et que cette condition n'a pas été remplie en l'espèce.

11. La Commission reconnaît qu'elle doit laisser un délai raisonnable aux Etats membres pour se conformer à un avis motivé dans le cadre de la procédure prévue à l'article 169 du traité. Toutefois, elle fait valoir qu'elle a consenti à proroger le délai de cinq jours prévu par l'avis motivé, qu'elle a pris connaissance de la réponse irlandaise du 7 décembre 1981, et même de la réponse additionnelle du 10 février 1982, et qu'elle n'a présenté sa requête que le 19 février 1982. Les délais laissés à l'Irlande auraient donc été suffisants pour qu'elle puisse se conformer à l'avis motivé.

12. La Cour ne peut que marquer sa désapprobation du comportement de la Commission à cet égard. Il est en effet, comme le signale le Gouvernement irlandais, déraisonnable de laisser un délai de cinq jours à un Etat membre pour modifier une législation qui est restée applicable pendant plus de quarante années et qui, au surplus, n'a donné lieu à aucune action de la part de la Commission au cours de la période écoulée depuis l'adhésion de cet Etat membre à la Communauté. Il est en outre apparu qu'il n'y avait aucune urgence particulière.

13. Toutefois, les circonstances susmentionnées ne suffisent pas, à elles seules, pour entraîner la non-recevabilité du recours. En constatant formellement la violation du traité qui est reprochée à l'Etat membre concerné, l'avis motivé conclut la procédure précontentieuse prévue à l'article 169. Celle-ci a pour but de donner l'occasion à l'Etat membre, d'une part, de se mettre en règle avant que la Cour ne soit saisie et, d'autre part, de faire valoir ses moyens de défense à l'encontre des griefs retenus par la Commission. Ces finalités ont été respectées en l'occurrence, la Commission ayant attendu la réponse irlandaise à l'avis motivé avant de saisir la cour et l'Irlande ayant répondu, comme la Cour l'a pu constater, de façon motivée à la lettre de mise en demeure et a l'avis motivé, tout en signalant son désaccord complet avec les thèses de la Commission et sa volonté de maintenir la réglementation nationale contestée. Ces circonstances montrent, d'ailleurs, que le comportement regrettable de la Commission n'a pas eu de conséquences pour la suite du litige.

14. Il s'ensuit que les arguments avancés par le Gouvernement irlandais ne sont pas de nature à entraîner l'irrecevabilité du recours.

15. Le deuxième moyen d'irrecevabilité est déduit des interprétations opposées que les parties ont données à l'article 11, paragraphe 1, de la directive 71-118 du Conseil, du 15 février 1971, relative à des problèmes sanitaires en matière d'échanges de viandes fraîches de volaille (JO L 55, p. 23). L'Irlande soutient que l'argumentation de la Commission revient nécessairement à contester la validité de cette disposition et qu'une telle contestation n'est pas admissible alors que le Conseil, auteur de la directive, n'est pas partie au litige.

16. La Commission fait valoir que son interprétation ne met nullement en cause la validité de dispositions de la directive.

17. Dans ces conditions, il convient d'examiner ce moyen au moment d'aborder le problème d'interprétation ainsi soulevé, ce qui relève du fond.

18. Enfin, le Gouvernement irlandais soutient que la Commission a formulé un nouveau grief, relatif aux modalités du régime de licences appliqué en Irlande, dans son avis motivé et que, par conséquent, l'Irlande n'a pas eu l'occasion de présenter ses observations à ce sujet avant réception de l'avis motivé.

19. Dans sa duplique, le Gouvernement irlandais a précisé ce moyen dans le sens que l'avis motivé et la requête seraient fondés sur deux violations séparées des règles du droit communautaire, l'Irlande ayant, d'après la Commission, d'une part appliqué un régime de licences d'importation autres que " licences générales ouvertes " et, d'autre part, fermé ses frontières aux importations de produits de volaille sur la base de ce régime de licences. En revanche, la lettre de mise en demeure n'aurait pas fait cette distinction, mais se serait bornée à la constatation que les mesures restrictives n'étaient pas justifiées.

20. Ce moyen doit être rejeté. S'il est vrai que, dans le cadre de la procédure prévue à l'article 169, le recours intenté par la Commission doit avoir le même objet que l'avis motivé, alors que celui-ci doit être précédé par une mise en demeure, rien n'empêche la Commission de préciser, dans l'avis motivé, les griefs qu'elle a déjà fait valoir de façon plus globale dans la lettre de mise en demeure. En effet, la réponse à celle-ci peut donner lieu à un nouvel examen de ces griefs.

21. Il résulte de toutes ces considérations qu'il y a lieu de procéder à l'examen du fond.

Sur le fond

A) L'interdiction des importations

22. Par ce grief, la Commission reproche à l'Irlande d'appliquer des mesures qui ont pour effet d'empêcher les importations des carcasses et viandes de volaille, des oeufs non destinés à être couvés et des produits d'oeufs autres que ceux ayant subi un traitement thermique, en provenance des Etats membres qui permettent la vaccination contre la maladie de Newcastle.

23. L'Irlande reconnaît qu'elle applique de telles mesures, mais elle estime que celles-ci sont justifiées sur la base, d'une part, de l'article 11, paragraphe 1, de la directive 71-118 et, d'autre part, de l'article 36 du traité.

24. L'article 11, paragraphe 1, en question est ainsi libellé :

" sans préjudice des paragraphes 2 à 4, les dispositions des Etats membres en matière de police sanitaire relative aux échanges de volailles vivantes et de viandes fraîches de volaille restent applicables jusqu'à l'entrée en vigueur de dispositions communautaires éventuelles. "

Les paragraphes 2 à 4 de cet article concernent les mesures qu'un Etat membre peut prendre en cas d'apparition d'une maladie épizootique sur le territoire d'un autre Etat membre, si cette apparition est susceptible de créer le danger de propagation de la maladie par l'introduction de viandes fraîches de volaille en provenance du dernier Etat.

25. Selon le Gouvernement irlandais, le paragraphe 1 de l'article 11 doit être interprété en ce sens qu'il prévoit que les Etats membres sont en droit de continuer d'appliquer, dans l'attente de l'entrée en vigueur de règles communautaires éventuelles, les dispositions nationales en matière de police sanitaire qui s'appliquaient au moment de l'entrée en vigueur de la directive. Ce moment se situe pour l'Irlande au 1er janvier 1973, date de son adhésion à la Communauté. Etant donné qu'aucune disposition communautaire en la matière n'a été adoptée jusqu'a présent, la législation irlandaise telle qu'elle était appliquée à cette date continue, en vertu du droit communautaire, de régir les importations des produits en cause.

26. La Commission conteste cette interpretation. Elle fait valoir que l'article 11, paragraphe 1, de la directive ne peut avoir pour but d'étendre le champ d'application de l'article 36 du traité et de sauvegarder ainsi des législations nationales contraires à l'article 30 du traité.

27. C'est cet argument de la Commission qui a donné lieu à la thèse irlandaise selon laquelle la Commission aurait considéré que l'article 11, paragraphe 1, de la directive est contraire à l'article 36 du traité.

28. La Cour observe d'abord, à cet égard, que la directive 71-118, tout en ayant pour objet de procéder à un rapprochement des dispositions des Etats membres en matière sanitaire, traite plus particulièrement de l'harmonisation du contrôle des importations de viandes de volaille provenant d'un autre Etat membre qui s'avéreraient impropres à la consommation humaine. C'est ainsi que le certificat de salubrité qui doit accompagner, en vertu de l'article 8 de la directive, les viandes fraîches de volaille expédiées du territoire d'un Etat membre à celui d'un autre comporte une attestation de salubrité certifiant que les viandes concernées sont reconnues " propres à la consommation humaine ". Seul l'article 11 concerne les risques sanitaires que les échanges de viandes de volaille pourraient créer pour le cheptel aviaire de l'Etat membre d'importation.

29. Les paragraphes 2 à 5 de l'article 11 prévoient les mesures à prendre et les procédures à suivre en cas d'apparition d'une maladie épizootique sur le territoire d'un des Etats membres. Pour ce qui est des autres risques sanitaires que les échanges de viandes pourraient créer pour le cheptel aviaire, le paragraphe 1 de l'article se borne à indiquer que les dispositions nationales " restent applicables " jusqu'à l'entrée en vigueur de mesures communautaires.

30. Dans ce contexte, le paragraphe 1 de l'article 11 n'apparaît pas comme tendant à geler la situation telle qu'elle existait au moment de l'entrée en vigueur de la directive. Cette disposition doit être entendue comme laissant aux Etats membres la compétence pour édicter les règles en matière de police sanitaire relatives aux viandes fraîches de volaille, dans l'attente de mesures communautaires. Il s'ensuit qu'elle ne peut pas avoir pour effet de soustraire les Etats membres à leur obligation de respecter, dans le domaine couvert par l'article 11, paragraphe 1, de la directive, les interdictions prévues aux articles 30 et 36 du traité.

31. Le problème à résoudre doit, dès lors, être examiné essentiellement au regard de l'article 36 du traité, qui prévoit d'ailleurs expressément que des restrictions d'importation doivent être " justifiées " par des raisons de protection de la santé des animaux.

32. Pour la Commission, il ne fait pas de doute que les interdictions d'importation appliquées par l'Irlande ne sont pas justifiées par de telles raisons. La Commission soutient, à cet effet, que, selon les statistiques disponibles, l'incidence de la maladie de Newcastle dans la Communauté a considérablement régressé au cours des dernières années. Depuis 1976, aucun foyer n'aurait été détecté en France, alors qu'un seul foyer se serait déclaré en Grande- Bretagne ; une forte proportion du cheptel aviaire de ces deux pays n'aurait cependant pas été vaccinée. La Commission en déduit que le virus sauvage, c'est-à-dire le virus autre que celui utilisé pour le vaccin, et dont la présence peut être dissimulée par la vaccination, est extrêmement rare sinon inexistant dans la plupart des Etats membres.

33. Le Gouvernement irlandais, après avoir rappelé le caractère extrêmement contagieux de la maladie de Newcastle et les conséquences économiques très graves que son apparition entraînerait pour l'Irlande, allègue que l'état de santé très satisfaisant du cheptel aviaire en Irlande résulte précisément de la politique que le Gouvernement irlandais a suivie dans ce domaine, politique basée sur l'abattage obligatoire des volatiles contaminés en cas d'apparition de la maladie, sur la défense de vacciner au motif que la vaccination pourrait masquer la présence du virus contagieux, et sur l'interdiction d'importation de volaille vivante et de viandes de volaille en provenance de pays qui admettent la vaccination. Cette interdiction constitue ainsi, aux yeux du Gouvernement irlandais, le corollaire nécessaire de la politique d'abattage qu'il a choisi ; elle n'aurait pas été introduite pour des raisons de politique commerciale.

34. Le Gouvernement irlandais souligne, à cet égard, que c'est à lui que revient la responsabilité de la santé des animaux sur le territoire de l'Irlande ; cette responsabilité implique le pouvoir de faire le choix entre les deux systèmes qui ont été élaborés pour combattre la maladie de Newcastle, celui basé sur l'abattage obligatoire et la défense de vacciner et celui reposant sur une vaccination généralisée ou sélective. Si le choix effectué a pour effet de restreindre les importations, ces restrictions sont admises par l'article 36 du traité.

35. Le Gouvernement irlandais a soumis des études vétérinaires à la Cour pour prouver que, dans les pays ou la vaccination est permise, comme la Belgique, certains tests montrent que les virus sauvages subsistent bien que dissimulés par les effets de la vaccination.

36. Enfin, le Gouvernement irlandais attire l'attention sur le fait que le régime qu'il a mis en place protége le cheptel aviaire non seulement contre la maladie de Newcastle mais également contre d'autres maladies aviaires telles que la laryngotrachéite infectieuse, le coryza de dinde, l'infection d'Arizona, la variole aviaire et la rage. En effet, la non-vaccination du cheptel aurait pour conséquence que toute maladie aviaire pourrait immédiatement être constatée et qu'ainsi les mesures appropriées pourraient être prises sans délai.

37. Il y a lieu tout d'abord de retenir le point de vue défendu par le Gouvernement irlandais et selon lequel, dans l'état actuel de la législation communautaire, le choix du système pour combattre la maladie de Newcastle appartient aux autorités des Etats membres. Toutefois, les effets de la politique sanitaire ainsi choisie sur les importations des autres Etats membres ne peuvent dépasser les limites posées par le droit communautaire.

38. Au cours de la procédure devant la Cour, la Commission a clarifié son argumentation dans le sens qu'elle accepte que les interdictions d'importation litigieuses ont été introduites et maintenues pour des raisons de protection de la santé des animaux. La Commission n'allègue pas que ces interdictions constituent un moyen de discrimination arbitraire ou une restriction déguisée dans le commerce entre les Etats membres au sens de l'article 36, deuxième phrase, du traité.

39. La Commission estime cependant que les interdictions en question ne sont pas justifiées au regard de l'article 36 au motif qu'elles sont excessives et que leur influence négative sur la libre circulation des marchandises dans la Communauté est disproportionnée par rapport à leur objet sanitaire. C'est cette thèse qu'il convient donc d'examiner.

40. A cet égard, il y a lieu de rappeler certaines circonstances de fait que la Cour a déjà constatées dans son arrêt du 15 juillet 1982 (Commission/Royaume-Uni, affaire 40-82, Recueil p. 2793). D'une part, les statistiques disponibles montrent une diminution constante de l'apparition de la maladie de Newcastle dans toute la Communauté au cours des six dernières années ; en 1981, les seuls Etats membres où quelques apparitions de la maladie ont été constatées sont l'Italie (deux) et la Grèce (douze). D'autre part, la pratique dans les pays qui permettent la vaccination consiste à soumettre une partie seulement du cheptel aviaire à la vaccination (en 1981 : 40 % en France et en Grande-Bretagne) ; normalement, la vaccination touche en premier lieu les poules pondeuses et les volatiles reproducteurs, et non les animaux destinés à l'abattage.

41. Dans ces conditions, le risque de contamination du cheptel aviaire irlandais par des virus sauvages qui se seraient installés dans des volatiles vaccinés et qui seraient restés actifs dans les carcasses de ces animaux ou dans les produits de viande préparés à partir de ces carcasses, est extrêmement faible. Le problème est de savoir si ce risque est à ce point aléatoire qu'il ne saurait justifier une prohibition totale des importations en provenance des Etats membres qui permettent la vaccination.

42. Sur ce point, il faut reconnaître que l'état de santé aviaire est extrêmement satisfaisant en Irlande depuis des années, qu'un tel état peut cependant, du point de vue du risque de contamination, rendre le cheptel très réceptif et qu'il peut donc justifier des mesures qui seraient sans objet dans d'autres circonstances.

43. Néanmoins, la Cour considère que les interdictions litigieuses excèdent ce qui peut être justifié par l'article 36 du traité. Est en effet en tout cas disproportionnée à l'objectif recherché l'interdiction d'importer des carcasses et viandes de volaille lorsque ces importations proviennent d'un pays où aucun foyer n'a été détecté au cours d'un certain nombre d'années et lorsque, au surplus, il est établi que les carcasses et viandes en cause sont des carcasses et viandes de volatiles non vaccinés.

44. Si donc l'article 36 du traité permet que l'Irlande continue d'effectuer des contrôles et de restreindre, le cas échéant, les importations afin de préserver son cheptel aviaire de la maladie de Newcastle, cette disposition est pourtant violée lorsque cet Etat membre procède à une interdiction totale des importations de carcasses et de viandes de volaille en provenance de tous les Etats membres à l'exception du Danemark et de l'Irlande du Nord.

45. Cette conclusion n'est pas invalidée par les allégations de la partie défenderesse concernant les maladies aviaires autres que la maladie de Newcastle. Il résulte de l'instruction de l'affaire que, pour autant que ces maladies ont fait leur apparition dans le cheptel aviaire de la Communauté au cours des dernières années, elles ne se propagent pas normalement par les carcasses et viandes de volaille ou par des oeufs non destinés à être couvés. Même s'il n'est pas possible, du point de vue vétérinaire, d'exclure tout risque de contamination par cette voie, il est constant que ce risque n'est certainement pas supérieur à celui de contamination par la maladie de Newcastle.

46. Il découle de toutes ces considérations que le recours de la Commission doit être accueilli sur ce point.

B) Le régime de licences

47. Le second reproche que la Commission fait à l'Irlande est celui d'avoir mis en place un régime de licences d'importation. Un tel régime serait, de par sa nature même, contraire aux dispositions des articles 30 et 36 du traité, sauf dans le cas où les licences en question seraient des licences générales et ouvertes.

48. Etant donné que la Commission a présenté ce grief de manière abstraite, indépendamment du régime d'importation actuellement appliqué en Irlande, à savoir une interdiction totale des importations des produits litigieux sauf en provenance du Danemark ou de l'Irlande du Nord, la Cour interprète ce grief dans le sens que la législation irlandaise, sur laquelle cette interdiction est basée, serait contraire aux articles 30 et 36 dans la mesure où elle permet d'instaurer une pratique administrative exigeant des licences d'importation autres que licences générales et ouvertes.

49. Il y a lieu, à cet égard, d'observer que si l'exigence, même formelle, d'une licence est contraire à l'article 30 du traité, il n'en résulte pas nécessairement que cette mesure ne puisse en aucun cas être justifiée au regard de l'article 36. Il convient, dès lors, de rechercher si un régime de licences constitue, du fait de la possibilité éventuelle de parvenir au même but par des mesures moins contraignantes, une mesure disproportionnée par rapport à l'objectif recherché.

50. Dans le cas particulier de l'Irlande, dont le cheptel aviaire présente les caractéristiques ci- dessus évoquées, une telle disproportion ne peut être constatée. Si, pour le moment, et étant donné l'état de santé du cheptel aviaire dans les autres Etats membres, une interdiction totale des importations n'est pas permise par l'article 36, cette disposition n'oblige pas le législateur irlandais à modifier les dispositions nationales applicables de telle façon qu'aucune licence d'importation, autre qu'une licence générale et ouverte, ne puisse être exigée en ce qui concerne les importations des produits litigieux en provenance des autres Etats membres.

51. Il y a lieu d'ajouter que la question de savoir si des mesures nationales visant la santé des animaux peuvent comporter, ou non, un régime de licences d'importation sans violer l'article 36 du traité, ne se prête pas à une réponse uniforme dans tous les cas d'espèce. En effet, cette réponse est fonction de la relation qui existe dans un cas concret entre, d'une part, la gêne occasionnée par les charges administratives et financières que comporte un tel régime et, d'autre part, les dangers et risques pour la santé animale impliqués par les importations en cause. En l'occurrence, ces dangers et risques peuvent, dans certaines circonstances, peser plus lourdement.

52. Le recours ne peut donc être accueilli dans son second chef.

53. Dès lors, il faut conclure que l'Irlande, en appliquant des mesures qui ont pour effet d'empêcher toute importation de carcasses et viandes de volaille, des oeufs non destinés à être couvés et des produits d'oeufs autres que ceux ayant subi un traitement thermique, en provenance des Etats membres qui permettent la vaccination contre la maladie de Newcastle, a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu du traité, et que le recours doit être rejeté pour le surplus.

Sur les dépens

54. Aux termes de l'article 69, paragraphe 3, du règlement de procédure, la Cour peut compenser les dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. En l'espèce, il y a lieu de compenser les dépens en ce sens que chaque partie supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

La Cour

Déclare et arrête :

1°) en appliquant des mesures qui ont pour effet d'empêcher toute importation de carcasses et viandes de volaille, des oeufs non destinés à être couvés et des produits d'oeufs autres que ceux ayant subi un traitement thermique, en provenance des Etats membres qui permettent la vaccination contre la maladie de Newcastle, l'Irlande a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu du traité.

2°) le recours est rejeté pour le surplus.

3°) chaque partie supportera ses propres dépens.