CJCE, 2e ch., 8 novembre 1979, n° 15-79
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
P.B. Groenveld BV
Défendeur :
Produktschap voor Vee en Vlees
LA COUR,
1. Par ordonnance du 26 janvier 1979, enregistrée au greffe de la Cour le 2 février 1979, le Collège Van Beroep Voor Het Bedrijfsleven a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 34 du traité CEE, en vue d'apprécier la compatibilité avec le droit communautaire de l'article 3, paragraphe 1, du décret " Verordening Been Verwerking Vlees 1973 ", arrêté le 5 décembre 1973 par le Produktschap Voor Vee En Vlees, qui interdit, sauf dérogation expresse, à tout fabricant de charcuterie de détenir en stock et de transformer de la viande chevaline.
2. Cette question a été posée à l'occasion d'un recours introduit par un négociant en gros de viande de cheval, désireux d'étendre ses activités à la fabrication de saucissons à base de viande de cheval, contre le refus du Produktschap Voor Vee En Vlees, partie défenderesse au principal, de l'exempter de l'interdiction énoncée par l'article 3, paragraphe 1, du décret précité.
3. Il résulte de l'ordonnance de renvoi, et plus particulièrement du point 7 de ladite ordonnance, que la réglementation en cause a été introduite en vue de protéger les exportations néerlandaises de charcuterie à destination d'Etats membres et de pays tiers, qui constituent d'importants marchés d'exportation et où existe une prévention contre la consommation de viande de cheval, voire même où l'importation de produits contenant de la viande de cheval serait interdite. Comme il serait pratiquement impossible de déceler la présence de viande de cheval dans la charcuterie, la seule méthode permettant d'assurer que celle-ci ne contient pas de viande de cheval consisterait à interdire aux fabricants de charcuterie de détenir en stock et de transformer de la viande de cheval. De même, les exportations de charcuterie vers les Etats-Unis devraient être accompagnées d'un certificat établissant que les produits en cause sont conformes à des prescriptions à tout le moins équivalentes à celles établies par la réglementation des Etats-Unis en la matière, qui prévoit une semblable interdiction. L'article 3, paragraphe 1, du décret précité s'appliquerait uniquement à la fabrication industrielle de charcuterie, mais non à la détention en stock ou la vente au détail de charcuterie chevaline par les boucheries. Il ressort en outre du dossier que la réglementation en cause n'affecte pas les importations et réexportations de charcuterie chevaline originaires d'autres Etats membres et de pays tiers.
4. S'interrogeant sur la compatibilité de cette réglementation avec le droit communautaire, le Collège Van Beroep Voor Het Bedrijfsleven a posé la question suivante :
" L'article 34 du traité instituant la Communauté économique européenne, éventuellement en liaison avec toute autre disposition de ce traité et/ou avec un quelconque principe fondamental de ce dernier, doit-il être interprété dans le sens d'une incompatibilité avec lui de l'interdiction énoncée à l'article 3, paragraphe 1, du décret, de détenir en stock ou de transformer de la viande de cheval, compte tenu aussi du but et de la portée de cette interdiction tels qu'ils ont été exposés au point 7 de la présente ordonnance ? "
5. A titre d'observation préliminaire, il y a lieu de relever que le secteur concerné par la mesure nationale en cause, à savoir celui de la viande chevaline, n'est régi par aucune réglementation communautaire spécifique. La directive n° 77-99-CEE du Conseil du 21 décembre 1976 (JO 1977 n° L 26, p. 85), relative à des problèmes sanitaires en matière d'échanges intracommunautaires de produits à base de viande, citée par la Commission dans ses observations écrites, traite d'un problème entièrement distinct de celui qui fait l'objet de la mesure nationale en cause. Il s'ensuit que la compatibilité avec la règle communautaire d'une réglementation du type de celle visée dans le litige au principal doit être appréciée uniquement au regard des articles 30 et suivants du traité.
6. L'article 34 du traité CEE dispose que " les restrictions quantitatives à l'exportation, ainsi que toutes mesures d'effet équivalent sont interdites entre les Etats membres ".
7. Cette disposition vise les mesures nationales qui ont pour objet ou pour effet de restreindre spécifiquement les courants d'exportation et d'établir ainsi une différence de traitement entre le commerce intérieur d'un Etat membre et son commerce d'exportation, de manière à assurer un avantage particulier à la production nationale ou au marché intérieur de l'état intéressé, au détriment de la production ou du commerce d'autres Etats membres. Tel n'est pas le cas d'une prohibition comme celle de l'espèce qui s'applique objectivement à la production de marchandises d'un certain type sans faire une distinction selon que celles-ci sont destinées au marché national ou à l'exportation.
8. Cette appréciation n'est pas modifiée par la circonstance que la réglementation en cause a pour but, entre autres, de sauvegarder la réputation de la production nationale de charcuterie sur certains marchés d'exportation, à l'intérieur de la Communauté et dans des pays tiers, où existent des obstacles d'ordre psychologique ou réglementaire à l'égard de la consommation de viande chevaline, alors que la même prohibition s'applique de manière identique à la production commercialisée sur le marché intérieur de l'Etat membre en question. Le caractère objectif de cette prohibition n'est pas altéré par le fait que la réglementation en vigueur aux Pays-Bas permet la vente au détail de charcuterie chevaline par les boucheries. En effet, cette tolérance exercée au niveau du commerce local n'a pas pour effet d'entamer une prohibition appliquée à l'échelle de la fabrication industrielle du même produit, quelle que soit sa destination.
9. Il y a donc lieu de répondre à la question posée que, dans l'état actuel de la réglementation communautaire, une mesure nationale interdisant à tout fabricant de charcuterie de détenir en stock et de transformer de la viande de cheval n'est pas incompatible avec l'article 34 du traité si elle ne comporte aucune différence de traitement entre produits destinés à l'exportation et produits commercialisés à l'intérieur de l'Etat membre concerné.
Sur les dépens
10. Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement . La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (deuxième chambre),
Statuant sur la question à elle soumise par le Collège Van Beroep Voor Het Bedrijfsleven par ordonnance du 26 janvier 1979, dit pour droit :
Dans l'état actuel de la réglementation communautaire, une mesure nationale interdisant à tout fabricant de charcuterie de détenir en stock et de transformer de la viande de cheval n'est pas incompatible avec l'article 34 du traité si elle ne comporte aucune différence de traitement entre produits destinés à l'exportation et produits commercialisés à l'intérieur de l'Etat membre concerné.