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Décisions

CJCE, 14 juillet 1981, n° 155-80

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Oebel

CJCE n° 155-80

14 juillet 1981

LA COUR,

1. Par ordonnance du 22 avril 1980, parvenue à la Cour le 2 juillet 1980, l'Amtsgericht Wiesbaden a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 7, 30 et 34 du traité CE, en vue d'être mis en mesure d'apprécier la conformité avec le droit communautaire d'une règlementation nationale portant sur le travail de nuit dans les boulangeries et pâtisseries.

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'une poursuite pour infraction à l'article 5 de la loi allemande, telle que modifiée le 23 juillet 1969, sur la durée du temps de travail dans les boulangeries et pâtisseries (Gesetz uber die arbeitszeit in backereien und konditoreien).

3. L'article 5, paragraphe 1, de la loi précitée prévoit en substance qu'il est interdit, les jours ouvrables, de travailler la nuit, sauf certaines dérogations, à la fabrication de produits de la boulangerie et de la pâtisserie de 22 heures à 4 heures. L'article 5, paragraphe 5, interdit de transporter des produits de la boulangerie ou de la pâtisserie en vue de les livrer aux consommateurs ou aux points de vente la nuit, entre 22 heures et 5 h 45. Selon le Gouvernement allemand, cette interdiction ne concerne pas le transport et la livraison à des grossistes, à des intermédiaires, comme par exemple des marchands de pain, à des distributeurs de produits de boulangerie et de pâtisserie ou à des entrepôts appartenant à l'entreprise.

4. Selon les observations des parties à l'instance, notamment du Gouvernement allemand, la législation litigieuse vise en premier lieu à protéger contre un travail de nuit permanent, susceptible de nuire à leur santé, les travailleurs des petites et moyennes entreprises de la boulangerie et de la pâtisserie, lesquelles ne disposent pas du personnel suffisant pour pouvoir organiser le travail par équipes. L'extension de l'interdiction aux grandes entreprises du secteur, capables quant à elles d'organiser le travail par équipes, aurait pour objet la protection des entreprises artisanales contre la concurrence industrielle.

5. Estimant que cette législation pourrait être incompatible avec le droit communautaire en ce qu'elle a pour effet d'exclure la livraison en temps utile de produits frais de la boulangerie et de la pâtisserie dans les Etats membres limitrophes de la République fédérale d'Allemagne et de créer ainsi une distorsion de la concurrence dans le cadre de la communauté, l'Amtsgericht Wiesbaden a posé les questions suivantes :

'1. L'article 7 du traité CEE doit-il être également compris en ce sens qu'il y a infraction à l'interdiction de discrimination lorsqu'un Etat membre de la Communauté crée, par une disposition légale, une situation affectant dans une mesure considérable la capacité concurrentielle de ses propres ressortissants par rapport aux ressortissants des autres Etats membres du même secteur professionnel ?

2. Les articles 30 et 34 du traité CEE doivent-ils être compris en ce sens que les effets crées par le paragraphe 5 de la loi allemande sur la durée du travail dans les boulangeries dans le cadre de l'exportation et de l'importation de produits frais du secteur doivent être considérés comme des mesures équivalant à une restriction quantitative à l'importation ou à l'exportation ?'

Sur la première question

6. Il ressort des motifs de l'ordonnance de renvoi que la première question vise à savoir si une règlementation d'un Etat membre qui, dans certaines régions limitrophes d'autres Etats membres dans lesquels il n'existerait pas de règlementation comparable, entraîne des distorsions de concurrence au détriment des opérateurs économiques établis sur le territoire du premier état doit être considérée comme discriminatoire au sens de l'article 7 du traité.

7. Comme la Cour l'a constaté itérativement, en dernier lieu dans son arrêt du 30 novembre 1978 (Bussone, 31-78, Recueil p. 2445), le principe de non-discrimination énoncé à l'article 7 n'est pas violé par une règlementation qui ne s'applique pas en fonction de la nationalité des opérateurs économiques mais en fonction du lieu de leur implantation.

8. Il s'ensuit qu'une règlementation nationale qui ne distingue pas les assujettis, de façon directe ou indirecte, en raison de la nationalité n'est pas contraire à l'article 7, même si elle affecte la capacité concurrentielle des opérateurs qui y sont soumis.

9. Par ailleurs, comme la Cour l'a déclaré dans son arrêt du 3 juillet 1979 (Van dam, 185 à 204-78, Recueil p. 2361), on ne saurait considérer comme contraire au principe de non-discrimination l'application d'une législation nationale en raison de la seule circonstance que, prétendument, d'autres Etats membres appliqueraient des dispositions moins rigoureuses.

10. Il y a donc lieu de répondre à la première question que l'article 7 du traité CEE doit être compris en ce sens qu'il n'interdit que les discriminations en raison de la nationalité des opérateurs économiques. L'article 7 n'est donc pas violé, même si un Etat membre crée, par une disposition légale ne distinguant pas, de façon directe ou indirecte, en raison de la nationalité, une situation affectant la capacité concurrentielle des opérateurs économiques établis sur son territoire par rapport aux opérateurs économiques établis dans d'autres Etats membres.

Sur la deuxième question

11. Par la deuxième question, le juge national désire savoir si les effets, au regard de l'exportation et de l'importation de produits frais du secteur, crées par une législation nationale relative aux heures de fabrication dans les boulangeries et pâtisseries, telle que la loi allemande en cause, sont à considérer comme des mesures d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation ou à l'exportation au sens des articles 30 et 34 du traité.

En ce qui concerne la restriction de la fabrication

12. On ne saurait contester que l'interdiction de fabrication avant quatre heures du matin dans le secteur de la boulangerie et de la pâtisserie, considérée comme telle, constitue un choix de politique économique et sociale légitime, conforme aux objectifs d'intérêt général poursuivis par le traité. En effet, cette interdiction vise à améliorer les conditions de travail dans un secteur notoirement sensible qui est caractérisé, du point de vue du processus de production, par des particularités tenant tant à la qualité des produits qu'aux habitudes des consommateurs.

13. Ces circonstances expliquent que plusieurs Etats membres de la Communauté ainsi qu'un certain nombre d'états tiers ont soumis la fabrication pendant la nuit dans ce secteur à des règlementations comparables. Il convient à cet égard de relever notamment la convention n° 20 de l'Organisation Internationale du Travail, du 8 juin 1925, concernant le travail de nuit dans les boulangeries, qui interdit, sous réserve de certaines exceptions, la fabrication pendant la nuit du pain, de la pâtisserie ou de produits similaires.

14. Le prévenu a soutenu que l'interdiction de fabriquer des produits de la boulangerie et de la pâtisserie avant quatre heures du matin constitue une entrave à l'exportation, interdite par l'article 34 du traité. Ceci vaudrait notamment pour les produits qui doivent être livrés frais en temps utile pour le petit déjeuner et qui doivent donc être fabriqués pendant la nuit précédant immédiatement le jour de la vente.

15. Toutefois, comme la Cour l'a déjà constaté dans son arrêt du 8 novembre 1979 (Groenveld, 15-79, Recueil p. 3409), l'article 34 vise les mesures nationales qui ont pour objet ou pour effet de restreindre spécifiquement les courants d'exportation et d'établir ainsi une différence de traitement entre le commerce intérieur d'un Etat membre et son commerce d'exportation, de manière à assurer un avantage particulier à la production nationale ou au marché intérieur de l'état intéressé.

16. Tel n'est manifestement pas le cas d'une règlementation comme celle de l'espèce, qui relève de la politique économique et sociale et qui s'applique en fonction de critères objectifs à l'ensemble des entreprises d'un secteur déterminé, établies sur le territoire national, sans créer une différence de traitement quelconque en raison de la nationalité des opérateurs et sans distinguer entre le commerce à l'intérieur de l'état intéressé et celui d'exportation.

En ce qui concerne la restriction du transport et de la livraison

17. Le prévenu conteste également l'interdiction de transporter et de livrer des produits de la boulangerie et de la pâtisserie aux consommateurs et aux points de vente avant 5 h 45 du matin, rattachée à la règlementation de la fabrication de nuit, contestée devant le juge national. Il fait valoir que cette interdiction comporte des mesures d'effet équivalant à des restrictions à la fois à l'importation et à l'exportation par le fait qu'elle empêcherait, d'une part, les fabricants établis dans les autres Etats membres de livrer des pâtisseries en temps utile aux consommateurs et aux points de vente en République fédérale d'Allemagne et, d'autre part, les fabricants établis en République fédérale d'Allemagne de livrer en temps utile dans les autres Etats membres.

18. Selon le Gouvernement allemand, l'interdiction du transport et de la livraison avant 5 h 45 a pour seul but d'assurer le respect de l'interdiction de la fabrication de nuit qui, autrement, échapperait à une surveillance efficace des autorités compétentes. Il aurait été indispensable d'étendre cette interdiction également aux produits en provenance des autres Etats membres, sinon les producteurs établis sur le territoire allemand seraient désavantagés par rapport à la concurrence étrangère, ce qui serait contraire au principe d'égalité. Par conséquent, soustraire les produits en provenance d'autres Etats membres à cette interdiction empêcherait non seulement de la maintenir pour les produits nationaux, mais également de maintenir la réglementation du temps de la fabrication.

19. A cet égard, il faut constater que l'effet restrictif d'une règlementation du temps du transport et de la livraison des produits de boulangerie et de pâtisserie, complétant la règlementation du temps de fabrication de ces produits, doit être apprécié en tenant compte de son champ d'application.

20. Si une telle règlementation se limite au seul transport en vue de la livraison aux consommateurs individuels et aux points de vente au détail sans pour autant affecter le transport et la livraison à des entrepôts ou à des intermédiaires, elle ne peut avoir pour effet de restreindre les importations ou les exportations entre Etats membres. Dans ce cas, les échanges intracommunautaires restent en effet possibles à tout moment, sous la seule réserve que la livraison aux consommateurs et au commerce de détail est limitée de la même manière pour tous les producteurs, quel que soit le lieu de leur établissement. Dans ces conditions, une telle règlementation n'est pas contraire aux articles 30 et 34 du traité.

21. Il y a donc lieu de répondre à la deuxième question que les articles 30 et 34 du traité CEE ne s'opposent pas à une règlementation nationale interdisant pendant la nuit avant une certaine heure du matin la fabrication des produits de la boulangerie et de la pâtisserie ainsi que le transport et la livraison de ces produits aux consommateurs individuels et aux points de vente au détail.

Sur les dépens

22. Les frais exposés par le Gouvernement allemand, le Gouvernement français et la Commission, qui ont soumis des observations à La Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par l'Amtsgericht de Wiesbaden par ordonnance du 22 avril 1980, dit pour droit :

1) L'article 7 du traité CEE doit être compris en ce sens qu'il n'interdit que les discriminations en raison de la nationalité des opérateurs économiques. L'article 7 n'est donc pas violé, même si un Etat membre crée, par une disposition légale ne distinguant pas, de façon directe ou indirecte, en raison de la nationalité, une situation affectant la capacité concurrentielle des opérateurs économiques établis sur son territoire par rapport aux opérateurs économiques établis dans d'autres Etats membres.

2) Les articles 30 et 34 du traité CEE ne s'opposent pas à une règlementation nationale interdisant pendant la nuit avant une certaine heure du matin la fabrication des produits de la boulangerie et de la pâtisserie ainsi que le transport et la livraison de ces produits aux consommateurs individuels et aux points de vente au détail.