CJCE, 3 février 1977, n° 53-76
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Procureur de la République de Besançon
Défendeur :
Les Sieurs Bouhelier
LA COUR,
1. Attendu que par jugement, en date du 19 mai 1976, enregistré au greffe de la Cour le 28 juin 1976, le Tribunal correctionnel de Besançon a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question relative à l'interpretation de l'article 34 du traité ;
2. Attendu qu'une loi française n° 48-1228 du 22 juillet 1948 a fixé le statut juridique des centres techniques industriels ayant pour objet notamment la garantie de la qualité dans l'industrie ;
3. Qu'un arrêté ministériel du 22 avril 1949 pris en application de cette loi a créé le Centre technique industriel - établissement d'utilité publique - appelé Cetehor ;
4. Que parmi ses missions, le Cetehor est chargé de contrôler la qualité des montres et mouvements de montres à échappement à ancre destinés à l'exportation ;
5. Que deux avis aux exportateurs du ministère des Finances et des Affaires économiques des 30 octobre 1962 et 24 novembre 1964 exigent une licence pour l'exportation de ces montres et mouvements de montres à l'exception des articles accompagnés d'un certificat de conformité délivré par Cetehor, certificat remplaçant alors la licence d'exportation ;
6. Attendu qu'il ressort du jugement de renvoi que les prévenus ont falsifié des attestations de contrôle délivrées par Cetehor et exporté, sous couvert de ces documents falsifiés, des montres à échappement à ancre dans d'autres Etats membres ;
7. Que pour expliquer ces falsifications, ces prévenus ont fait plaider que la rapidité des échanges commerciaux ne pouvait s'accommoder des délais inhérents à l'établissement de ces certificats ;
8. Attendu que c'est au regard de cette situation de fait et de droit que le tribunal correctionnel a posé la question suivante :
" Les mots restrictions quantitatives à l'exportation et mesures d'effet équivalent figurant à l'article 34 du traité CEE doivent-ils être entendus en ce sens qu'ils s'appliquent également à la réglementation légale d'un Etat membre qui exige pour l'exportation de certaines marchandises une licence ou un certificat de conformité qui se substitue à elle, ledit certificat ne donnant pas lieu à la perception d'une taxe et pouvant être refusé quand la qualité n'est pas conforme à certaines normes édictées par l'organisme auteur du certificat se substituant à la licence ? ".
9. Attendu que la question posée vise en premier lieu à savoir si l'exigence d'une licence à l'exportation d'un produit fabriqué dans un Etat membre vers un autre Etat membre constitue une restriction quantitative ou une mesure d'effet équivalent ;
10. Attendu que l'article 34 édicte que " les restrictions quantitatives à l'exportation, ainsi que toutes mesures d'effet équivalent sont interdites entre les Etats membres " ;
11. Qu'il résulte du caractère général du principe affirmé par cette disposition ainsi que de l'interprétation qui a déjà été donnée à celle-ci, qu'une législation nationale ne peut maintenir dans les rapports intracommunautaires l'exigence de licences d'exportation, même comme éléments de contrôle de qualité ;
12. Attendu que la seconde partie de la question est relative au point de savoir si un contrôle de qualité par un Etat membre assorti de l'interdiction d'exporter les produits qui ne répondent pas aux normes de qualité prévues par la réglementation nationale peut être qualifié de restriction quantitative à l'exportation ou de mesure d'effet équivalent ;
13. Attendu qu'aussi souhaitable que soit une politique de qualité de la part d'un Etat membre, celle-ci ne peut être développée dans l'espace communautaire que par des moyens conformes aux principes fondamentaux du traité ;
14. Qu'une réglementation du genre de celle de l'espèce ne peut être tenue pour compatible avec ces impératifs ;
15. Qu'en effet, les normes de qualité obligatoirement exigées ne s'appliquant qu'aux produits destinés à l'exportation et ne s'imposant pas aux produits commercialisés à l'intérieur de l'Etat membre, il en résulte une discrimination arbitraire entre ces produits, constitutive d'une entrave aux échanges intracommunautaires régis par l'article 34 du traité ;
16. Qu'en dehors des exceptions prévues par le droit communautaire, le traité fait ainsi obstacle à l'application, dans les rapports intracommunautaires, d'une législation nationale qui maintiendrait l'exigence des licences d'exportation ou de tout autre procédé similaire obligatoire pour la seule exportation, tel que des certificats de conformité, mesure d'effet équivalant aux restrictions quantitatives, en tant qu'ils sont susceptibles d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement le commerce intracommunautaire ;
17. Que de telles mesures sont interdites indépendamment de toute considération du but en vue duquel elles ont été instituées ;
18. Attendu qu'il y a donc lieu de répondre à la question posée que les termes " restrictions quantitatives à l'exportation et mesures d'effet équivalent " figurant à l'article 34 du traité CEE doivent être entendus en ce sens qu'ils s'appliquent à la réglementation d'un Etat membre exigeant pour la seule exportation de certaines marchandises une licence ou un certificat de conformité qui se substitue à elle et qui peut être refusé quand la qualité n'est pas conforme à certaines normes édictées par l'organisme auteur du certificat, même si celui-ci ne donne pas lieu à la perception d'une taxe ;
Quant aux dépens
19. Attendu que les frais exposés par le Gouvernement de la République française et la Commission des Communautés européennes qui ont soumis des observations à la Cour ne peuvent faire l'objet d'un remboursement ;
20. Que la procédure revêtant à l'égard des parties au principal le caractère d'un incident soulevé au cours du litige pendant devant le Tribunal correctionnel de Besançon, il appartient à celui-ci de statuer sur les dépens ;
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur la question à elle soumise par le Tribunal correctionnel de Besançon, par jugement en date du 19 mai 1976, dit pour droit :
Les termes " restrictions quantitatives à l'exportation et mesures d'effet équivalent " figurant à l'article 34 du traité CEE doivent être entendus en ce sens qu'ils s'appliquent à la réglementation d'un Etat membre exigeant pour la seule exportation de certaines marchandises une licence ou un certificat de conformité qui se substitue à elle et qui peut être refusé quand la qualité n'est pas conforme à certaines normes édictées par l'organisme auteur du certificat, même si celui-ci ne donne pas lieu à la perception d'une taxe.