CJCE, 4 décembre 1986, n° 179-85
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République fédérale d'Allemagne
LA COUR,
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 3 juin 1985, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire reconnaître que la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CEE, en interdisant par les dispositions combinées du paragraphe 52, alinéa 3, point 2, de la loi sur le vin et du paragraphe 10, alinéa 2, du règlement sur les vins mousseux et les eaux-de-vie, de commercialiser des boissons telles que le " pétillant de raisins " dans la présentation dans laquelle ce produit est traditionnellement fabriqué et commercialisé dans son pays d'origine.
2. En ce qui concerne les dispositions de la législation et de la règlementation allemandes en cause, les règlements communautaires relatifs à l'organisation commune des marchés dans le secteur viti-vinicole, et les moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
3. Le " pétillant de raisins " est un produit fabriqué en France depuis 1956 à partir de jus de raisins ayant subi une fermentation partielle et a été constamment commercialisé dans des bouteilles dont la forme est similaire à celle de la bouteille traditionnelle de type champenois, assortie d'un bouchon fongiforme muselé. S'agissant d'un mout de raisins partiellement fermenté, ayant un titre alcoométrique volumique ne dépassant pas trois degrés, ce produit relève de la position 22.04 du tarif douanier commun, qui, en vertu de l'article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 337-79 du Conseil, du 5 février 1979, portant organisation commune du marché viti-vinicole, et de la définition qui en est donnée à l'annexe II, paragraphe 3, dudit règlement, est régi par l'organisation commune des marchés dans le secteur viti-vinicole, et notamment par le règlement n° 355-79 du Conseil du 5 février 1979.
4. Il est constant que les dispositions de la législation et de la règlementation allemandes en cause ont pour effet d'interdire la commercialisation du " pétillant de raisins " sur le marché allemand dans les bouteilles traditionnelles de type champenois.
5. La Commission soutient essentiellement que la législation et la règlementation en cause sont de nature à faire obstacle directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, à l'importation en provenance d'autres Etats membres et que, par suite, elles constituent une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation, incompatible avec l'article 30 du traité. En effet, bien qu'indistinctement applicables aux produits nationaux et importés, ces dispositions apporteraient aux échanges intracommunautaires des restrictions qui ne seraient pas nécessaires pour satisfaire à des exigences impératives tenant à la protection des consommateurs et à la loyauté des transactions commerciales.
6. Le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne fait essentiellement valoir que les dispositions litigieuses sont indistinctement applicables aux produits nationaux et aux produits importés, et qu'elles sont indispensables pour assurer tout à la fois la protection des consommateurs et la loyauté des transactions commerciales.
7. Il convient de rappeler liminairement, ainsi que la Cour l'a jugé dans l'arrêt du 13 mars 1984 (Prantl, 16-83, Rec. p. 1299), et comme c'est encore le cas en l'état actuel de l'évolution du droit communautaire, que la règlementation communautaire en matière d'organisation commune du marché viti-vinicole ne peut être regardée comme un système exhaustif comprenant toutes les dispositions utiles relatives à la présentation des vins, notamment en ce qui concerne la forme des bouteilles et la protection qui peut s'y rattacher. Il faut donc accepter le maintien des règles arrêtées par les Etats membres en cette matière, pour autant qu'elles ne méconnaissent pas les articles 30 et suivants du traité.
8. A cet égard, il y a lieu de relever, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté par le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne, que la législation et la règlementation en cause sont susceptibles de faire obstacle aux échanges intracommunautaires. En effet, les producteurs de l'Etat membre d'exportation, qui désireraient commercialiser du " pétillant de raisins " en République fédérale d'Allemagne, se verraient imposer l'obligation de conditionner ce produit pour ce marché déterminé dans des bouteilles différentes de celles qu'ils utilisent, aussi bien dans leur pays d'origine que sur le marché d'autres Etats membres. Cette commercialisation serait ainsi rendue plus difficile ou plus onéreuse.
9. Il apparaît donc que la législation et la règlementation en cause constituent une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative prohibée par l'article 30 du traité.
10. Toutefois, selon une jurisprudence constante de la Cour, en l'absence d'une règlementation commune exhaustive en matière de conditionnement des produits dont il s'agit, les obstacles à la libre circulation intracommunautaire résultant des disparités des règlementations nationales doivent être acceptés dans la mesure où une telle règlementation, indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importés, peut être justifiée comme étant nécessaire pour satisfaire à des exigences impératives tenant notamment à la défense du consommateur et à la loyauté des transactions commerciales.
11. A cet égard, il convient de rappeler, ainsi que la Cour l'a jugé dans son arrêt du 13 mars 1984 (Prantl, précité), qu'on ne saurait contester dans son principe la justification de mesures législatives ou règlementaires destinées à éviter la confusion aux yeux du consommateur entre des vins et produits d'origines et de qualités différentes. Ce souci est tout particulièrement respectable dans un domaine où les traditions et les spécificités jouent un rôle important. Néanmoins, il y a lieu de faire remarquer que, dans un régime de Marché commun, la défense des consommateurs et la loyauté des transactions commerciales, en matière de présentation des vins et des produits relevant de l'organisation commune du marché viti-vinicole, doivent être assurées dans un respect mutuel des usages loyalement et traditionnellement pratiqués dans les différents Etats membres.
12. S'agissant de l'argument présenté par le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne et tire de la protection des consommateurs, il importe de relever que les dispositions communautaires relatives à l'étiquetage des vins et des produits relevant de cette organisation commune de marchés, notamment les articles 22 et 23 du règlement n° 355-79, relatifs à la désignation et à l'étiquetage des produits autres que les vins de table et les vins de qualité produits dans des régions déterminées, constituent une règlementation particulièrement élaborée permettant d'éviter les confusions redoutées. De ce point de vue, l'indication sur l'étiquette des bouteilles de " pétillant de raisins " de la nature exacte du produit en cause et de son titre alcoométrique volumique inférieur à 3° est suffisante pour prévenir toute confusion dans l'esprit des consommateurs.
13. Si le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne fait encore valoir que la législation et la règlementation en cause seraient conformés à un certain nombre de règlements et de directives communautaires ou encore de conventions internationales, il suffit de relever qu'en tout état de cause, l'ensemble de ces dispositions ont pour seul objet d'édicter des interdictions de tromperie ou des interdictions de présentation susceptible d'induire en erreur les consommateurs. Elles n'ont pas pour effet de permettre à un Etat membre de s'affranchir du principe fondamental de libre circulation des marchandises et de réserver certaines formes de bouteilles ou certains types de conditionnement à un nombre limité de boissons, alors que précisément l'information du consommateur peut être assurée convenablement par un étiquetage approprié.
14. En ce qui concerne l'argument tiré par le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne de la loyauté des transactions commerciales, il convient de relever, ainsi qu'il ressort du dossier et des débats menés devant la Cour :
- que le " pétillant de raisins ", des l'origine de sa production en 1956, a été légalement et constamment commercialisé, en France et dans d'autres Etats membres, dans sa présentation originale constituée par la bouteille traditionnelle champenoise assortie de son système de fermeture classique. On ne saurait, des lors, soutenir qu'une telle présentation est utilisée sur le marché allemand à des fins de concurrence déloyale ou en vue d'exploiter la renommée d'autres produits ;
- que, par ailleurs, depuis longtemps, la bouteille traditionnelle de type champenois, assortie de son système de fermeture classique, est utilisée dans les Etats membres pour embouteiller, non seulement, les champagnes et vins mousseux, mais également plusieurs autres boissons comme le cidre ou des boissons à base de fruits, sans pour autant conférer à leurs producteurs un droit exclusif sur ce type de présentation et sans que la loyauté des transactions commerciales s'en soit trouvée affectée ;
- qu'enfin la règlementation allemande elle-même autorisé l'utilisation de la bouteille traditionnelle de type champenois pour conditionner non seulement les vins mousseux, mais encore des boissons pétillantes à base de fruits ou de baies.
15. Dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner si le conditionnement litigieux présente effectivement une utilité technique et économique pour le producteur de " pétillant de raisins ", la commercialisation sur le marché allemand de ce produit dans la bouteille dans laquelle il a été constamment et légalement commercialisé depuis sa mise sur le marché, il y à trente ans, doit être regardée comme satisfaisant aux exigences qui s'attachent au respect mutuel des usages loyalement et traditionnellement pratiques dans les différents Etats membres.
16. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le recours de la Commission doit être accueilli.
Sur les dépens
17. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La République fédérale d'Allemagne ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux depens.
Par ces motifs,
LA COUR,
Déclare et arrête :
1). La République fédérale d'Allemagne, en interdisant par les dispositions combinées du paragraphe 52, alinéa 3, point 2, de la loi sur le vin, et du paragraphe 10, alinéa 2, du règlement sur les vins mousseux et les eaux-de-vie, de commercialiser les boissons telles que le " pétillant de raisins " dans la présentation dans laquelle ce produit est traditionnellement fabriqué et commercialisé dans son pays d'origine, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité.
2. La République fédérale d'Allemagne est condamnée aux depens.