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Décisions

CJCE, 13 mai 2003, n° C-463/00

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

Royaume d'Espagne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rodríguez Iglesias

Présidents de chambre :

MM. Puissochet, Wathelet, Schintgen

Avocat général :

M. Ruiz-Jarabo Colomer.

Juges :

MM. Gulmann, Edward, La Pergola, Jann, Skouris, von Bahr, Rosas, Mmes Macken, Colneric

CJCE n° C-463/00

13 mai 2003

LA COUR,

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 21 décembre 2000, la Commission des Communautés européennes a introduit à l'encontre du Royaume d'Espagne, en vertu de l'article 226 CE, un recours visant à faire constater que les dispositions combinées des articles 2 et 3, paragraphes 1 et 2, ainsi que 1er de la Ley 5-1995 de régimen jurídico de enajenación de participaciones públicas en determinadas empresas (loi n° 5-1995 portant régime juridique de l'aliénation de participations publiques dans certaines entreprises), du 23 mars 1995 (BOE n° 72, du 25 mars 1995, p. 9366, ci-après la "loi n° 5-1995"), et les décrets royaux d'exécution promulgués en application de l'article 4 de ladite loi [décret royal n° 3-1996, du 15 janvier 1996, relatif à Repsol SA (BOE n° 14, du 16 janvier 1996, p. 1133, ci-après le "décret royal n° 3-1996"); décret royal n° 8-1997, du 10 janvier 1997, relatif à Telefónica de España SA et à Telefónica Servicios Móviles SA (BOE n° 10, du 11 janvier 1997, p. 907, ci-après le "décret royal n° 8-1997"); décret royal n° 40-1998, du 16 janvier 1998, relatif à Corporación Bancaria de España SA (Argentaria) (BOE n° 15, du 17 janvier 1998, p. 1851, ci-après le "décret royal n° 40-1998"); décret royal n° 552-1998, du 2 avril 1998, relatif à Tabacalera SA (BOE n° 80, du 3 avril 1998, p. 11370, ci-après le "décret royal n° 552-1998"), et décret royal n° 929-1998, du 14 mai 1998, relatif à Endesa SA (BOE n° 129, du 30 mai 1998, p. 17939, ci-après le "décret royal n° 929-1998")], dans la mesure où ils prévoient l'application d'un régime d'autorisation administrative préalable

- non justifié par des raisons impérieuses d'intérêt général,

- en l'absence de critères objectifs, stables et rendus publics, et

- non conforme au principe de proportionnalité,

sont incompatibles avec les articles 43 CE et 56 CE.

2 Par ordonnance du président de la Cour du 1er juin 2001, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord a été admis à intervenir au soutien des conclusions du Royaume d'Espagne.

Cadre juridique du litige

Droit communautaire

3 L'article 56, paragraphe 1, CE est libellé comme suit:

"Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites."

4 En vertu de l'article 58, paragraphe 1, sous b), CE:

"L'article 56 ne porte pas atteinte au droit qu'ont les États membres:

[...]

b) de prendre toutes les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements, notamment en matière fiscale ou en matière de contrôle prudentiel des établissements financiers, de prévoir des procédures de déclaration des mouvements de capitaux à des fins d'information administrative ou statistique ou de prendre des mesures justifiées par des motifs liés à l'ordre public ou à la sécurité publique."

5 L'annexe I de la directive 88-361-CEE du Conseil, du 24 juin 1988, pour la mise en œuvre de l'article 67 du traité (JO L 178, p. 5), comporte une nomenclature des mouvements de capitaux visés à l'article 1er de cette directive. Elle énumère notamment les mouvements suivants:

"I. Investissements directs [...]

1) Création et extension de succursales ou d'entreprises nouvelles appartenant exclusivement au bailleur de fonds, et acquisition intégrale d'entreprises existantes

2) Participation à des entreprises nouvelles ou existantes en vue de créer ou maintenir des liens économiques durables

[...]"

6 En vertu des notes explicatives figurant à la fin de l'annexe I de la directive 88-361, on entend par "investissements directs":

"Les investissements de toute nature auxquels procèdent les personnes physiques, les entreprises commerciales, industrielles ou financières et qui servent à créer ou à maintenir des relations durables et directes entre le bailleur de fonds et le chef d'entreprise ou l'entreprise à qui ces fonds sont destinés en vue de l'exercice d'une activité économique. Cette notion doit donc être comprise dans son sens le plus large.

[...]

En ce qui concerne les entreprises mentionnées au point I 2 de la nomenclature et qui ont le statut de sociétés par actions, il y a participation ayant le caractère d'investissements directs, lorsque le paquet d'actions qui se trouve en possession d'une personne physique, d'une autre entreprise ou de tout autre détenteur donne à ces actionnaires, soit en vertu des dispositions de la législation nationale sur les sociétés par actions, soit autrement, la possibilité de participer effectivement à la gestion de cette société ou à son contrôle.

[...]"

7 La nomenclature figurant à l'annexe I de la directive 88-361 vise également les mouvements suivants:

"III. Opérations sur titres normalement traités sur le marché des capitaux [...]

[...]

A. Transactions sur titres du marché des capitaux

1) Acquisition par des non-résidents de titres nationaux négociés en bourse [...]

[...]

3) Acquisition par des non-résidents de titres nationaux non négociés en bourse [...]

[...]"

8 L'article 295 CE dispose:

"Le présent traité ne préjuge en rien le régime de la propriété dans les États membres."

Droit national

9 La loi n° 5-1995 régit les conditions de la privatisation d'entreprises du secteur public espagnol. Elle prévoit à ses articles 1er à 4:

"Article premier. Champ d'application subjectif

Entrent dans le champ d'application de la présente loi:

1. les entités à caractère commercial qui, à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, comptent une participation directe ou indirecte de l'État dans leur capital social supérieure à 25 % et sont contrôlées par l'associé étatique par l'un quelconque des moyens prévus par la législation commerciale applicable, pour autant que l'activité exercée par l'entité elle-même ou par le biais d'une participation dans d'autres sociétés présente l'une des composantes suivantes:

a) fournir des services essentiels ou des services publics formellement déclarés comme tels;

b) exercer des activités soumises par la loi et pour des raisons d'intérêt public à un régime administratif de contrôle spécifique, en particulier des sujets qui les exercent;

c) être soustraite en tout ou en partie à la libre concurrence aux termes de l'article 90 du traité instituant la Communauté économique européenne;

2. les entités à caractère commercial qui font partie d'un groupe, déterminé conformément à l'article 4 de la loi n° 24-1988, du 28 juillet 1988, relative au marché des valeurs, dans lequel l'une ou l'autre des entités mentionnées au point 1 ci-dessus détient une position dominante, pour autant qu'elles remplissent l'une des conditions visées aux passages sous a), b) et c) dudit point.

Article 2. Conditions d'application

Le régime d'autorisation administrative préalable défini aux articles 3 et suivants de la présente loi s'applique lorsque la participation publique de l'associé étatique dans les entités visées à l'article précédent s'inscrit dans l'un des cas suivants:

1. faire l'objet d'une aliénation en une fois ou par plusieurs actes successifs à concurrence d'un pourcentage égal ou supérieur à 10 % du capital social et pour autant que la participation directe ou indirecte de l'État dans ce capital devienne inférieure à 50 %;

2. être, en conséquence directe ou indirecte de tout acte ou toute opération, réduite à moins de 15 % du capital social.

Article 3. Autorisation administrative préalable

1. Lorsqu'il s'est produit un des cas d'application prévus à l'article précédent et que le décret royal visé à l'article 4 de la présente loi en dispose ainsi, peuvent être soumises à autorisation administrative préalable les décisions suivantes adoptées par les organes sociaux des entités commerciales mentionnées à l'article 1er de la présente loi:

a) la dissolution volontaire, la scission ou la fusion de l'entité;

b) l'aliénation ou la mise en gage, sous quelque forme et à quelque titre que ce soit, des actifs ou participations sociales nécessaires à la réalisation de l'objet social de l'entreprise et définis à cet effet;

c) la modification de l'objet social.

2. Lorsqu'il s'est également produit un des cas d'application définis à l'article 2 de la présente loi, peuvent être soumises à autorisation administrative préalable dans les conditions établies par le décret royal prévu à l'article suivant:

a) les opérations consistant en des actes de cession du capital social entraînant, en une seule fois ou en plusieurs actes successifs, la réduction d'un pourcentage égal ou supérieur à 10 % de la participation publique dans l'entreprise soumise au régime spécial prévu dans la présente loi;

b) l'acquisition directe ou indirecte, y compris par l'entremise de tiers fiduciaires ou intermédiaires, de participations au capital social ou d'autres valeurs pouvant ouvrir, directement ou indirectement, un droit à la souscription ou à l'acquisition de ces participations, lorsqu'elle entraîne la détention d'au moins 10 % du capital social.

[...]

Article 4. Régime de l'autorisation administrative

1. Le régime d'autorisation administrative préalable est établi par décret royal délibéré en Conseil des ministres sur proposition du ministre matériellement compétent et avis préalable du Conseil d'État.

2. Le décret royal établissant le régime visé au présent article doit être en vigueur avant la réalisation des actes de disposition figurant à l'article 2 et détermine:

a) son champ d'application subjectif;

b) les actes de dispositions concrets qui sont soumis à autorisation administrative préalable parmi ceux figurant à l'article 3;

c) l'organe compétent pour accorder l'autorisation;

d) l'expiration du régime d'autorisation administrative.

3. Sauf dans le cas prévu au paragraphe 2, sous d), ci-dessus, la modification ou la suppression du régime d'autorisation administrative sont soumises à la même procédure que celle prévue au paragraphe 1 du présent article."

10 Les dispositions d'application générales de la loi n° 5-1995 ont été fixées par le décret royal n° 1525-1995, du 15 septembre 1995 (BOE n° 230, du 26 septembre 1995, p. 28616, ci-après le "décret royal n° 1525-1995").

11 Par ailleurs, en application de l'article 4 de cette loi, les décrets royaux nos 3-1996, 8-1997, 40-1998, 552-1998 et 929-1998 prévoient le régime d'autorisation applicable à des entités opérant dans les secteurs du pétrole, des télécommunications, de la banque, du tabac et de l'électricité, respectivement. Ces décrets royaux déterminent chacun, ainsi que l'exige l'article 4, paragraphe 2, de la loi n° 5-1995, leur champ d'application subjectif, par référence à cette loi, les actes soumis au régime d'autorisation, l'organe administratif compétent pour accorder l'autorisation et la date d'expiration du régime, fixée selon les décrets entre le 5 octobre 2000 et le 8 juin 2008.

Procédure précontentieuse

12 Par lettre du 26 octobre 1998, la Commission a informé le Gouvernement espagnol qu'elle considérait que le régime d'autorisation administrative préalable instauré par la loi n° 5-1995 ainsi que par les décrets royaux n° 3-1996, 8-1997, 40-1998, 552-1998 et 929-1998 pourrait enfreindre les dispositions du traité CE relatives à la libre circulation des capitaux ainsi qu'à la liberté d'établissement. La Commission a donc invité ce Gouvernement à lui faire connaître ses observations dans un délai de deux mois.

13 Le Gouvernement espagnol a répondu à cette mise en demeure par lettre du 27 janvier 1999, dans laquelle il soutenait que les mesures en cause étaient conformes au droit communautaire. Dans une lettre du 18 mars 1999, ce Gouvernement a précisé son point de vue.

14 La Commission ayant jugé que les réponses ainsi apportées n'étaient pas satisfaisantes, elle a adressé au Royaume d'Espagne, en date du 2 août 1999, un avis motivé invitant cet État membre à s'y conformer dans un délai de deux mois.

15 Le Gouvernement espagnol a répondu à l'avis motivé par lettre du 3 novembre 1999. Dans cette lettre, il a expliqué en détail le système de privatisation, en Espagne, de certaines entreprises agissant dans le secteur public et il a répété son point de vue selon lequel les mesures en cause étaient compatibles avec le droit communautaire, en particulier avec les articles 43 CE et 56 CE ainsi que 295 CE.

16 Insatisfaite de ces réponses, la Commission a décidé de saisir la Cour du présent recours.

Sur la recevabilité

Moyens et arguments des parties

17 Le Gouvernement espagnol soulève trois moyens d'irrecevabilité.

18 En premier lieu, il fait valoir que les régimes instaurés par le décret royal n° 40-1998 ainsi que par le décret royal n° 552-1998, tel que modifié par le décret royal n° 67-2000, du 21 janvier 2000 (BOE n° 28, du 2 février 2000, p. 4700), sont venus à expiration, respectivement les 17 février 2001 et 5 octobre 2000. Dès lors, le recours devrait être déclaré irrecevable en ce qui concerne ces deux régimes.

19 Quant aux régimes instaurés par les décrets royaux nos 3-1996, 8-1997 et 929-1998, qui seraient encore en vigueur, le Gouvernement espagnol demande, en deuxième lieu, de rejeter le recours comme irrecevable, dans la mesure où il y aurait une incohérence entre les dispositions législatives indiquées par la Commission dans sa requête. En effet, la Commission mentionnerait uniquement l'article 1er, paragraphe 1, de la loi n° 5-1995, tandis que, en réalité, ce serait en vertu du paragraphe 2 de cet article - qui viserait les groupes d'entreprises - que lesdits régimes s'appliqueraient.

20 Selon le Gouvernement espagnol, en troisième lieu, la requête doit être déclarée irrecevable en ce qui concerne l'article 3, paragraphe 1, de la loi n° 5-1995, qui viserait les décisions des organes sociaux, dans la mesure où la Commission se référerait dans ses observations aux "opérations", visées au paragraphe 2 de cet article, et non pas à de telles décisions.

21 La Commission demande à la Cour de rejeter les moyens d'irrecevabilité.

22 Quant aux régimes instaurés par les décrets royaux nos 40-1998 et 552-1998 modifié, elle fait valoir qu'ils ont expiré après la fin du délai fixé par l'avis motivé pour s'y conformer, à savoir après le 2 octobre 1999. Or, il découlerait d'une jurisprudence constante que l'existence d'un manquement doit être appréciée en fonction de la situation telle qu'elle se présente au terme de ce délai.

23 Quant à l'absence prétendue de mention de l'article 1er, paragraphe 2, de la loi n° 5-1995 dans la requête, la Commission soutient qu'elle y a, à plusieurs reprises, mentionné cet article de manière générale, sans faire aucune distinction entre ses deux paragraphes. Même si la Cour devait considérer les groupes comme exclus du recours, cela n'impliquerait pas qu'il est irrecevable en ce qui concerne les sociétés mères. En tout état de cause, pour ce qui est du décret royal n° 8-1997 relatif à Telefónica de España SA et à Telefónica Servicios Móviles SA, celui-ci ne concernerait pas le groupe entier, mais viserait explicitement deux entreprises du groupe.

24 Quant aux décisions des organes sociaux, aussi bien la première page de la requête que les conclusions de cette dernière mentionneraient les paragraphes 1 et 2 de l'article 3 de la loi n° 5-1995. Par ailleurs, le corps de la requête ferait spécifiquement mention des décisions sociales ou se référerait de façon plus globale à l'ensemble des opérations soumises à autorisation. Il ne saurait donc être prétendu que le recours manque de précision.

Appréciation de la Cour

25 En ce qui concerne le premier moyen d'irrecevabilité, il suffit de constater qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour que l'existence d'un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l'État membre telle qu'elle se présentait au terme du délai fixé dans l'avis motivé et que les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour (voir, notamment, arrêt du 5 décembre 2002, Commission/Luxembourg, C-174-01, non encore publié au Recueil, point 18). Eu égard au fait que l'avis motivé date du 2 août 1999 et que le délai pour s'y conformer est de deux mois, l'expiration, les 17 février 2001 et 5 octobre 2000 respectivement, des régimes instaurés par les décrets royaux nos 40-1998 et 552-1998 modifié ne saurait influer sur l'existence d'un manquement éventuel au terme de ce délai.

26 Le premier moyen d'irrecevabilité doit donc être rejeté.

27 En ce qui concerne les deuxième et troisième moyens d'irrecevabilité, il y a lieu de relever que l'article 38, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure prévoit que la requête doit contenir l'objet du litige et l'exposé sommaire des moyens invoqués. Or, en l'espèce, il ressort à suffisance de la requête que le recours vise en particulier les décrets royaux d'exécution promulgués en application de la loi n° 5-1995, dont certains concernent des entreprises autonomes et d'autres des groupes d'entreprises, et que les dispositions de cette loi ne sont citées que dans la mesure où elles constituent la base légale des décrets en cause. Il n'importe donc pas que la Commission ne se soit pas référée, chaque fois, explicitement au paragraphe 1 ou au paragraphe 2 de l'article 1er de la loi n° 5-1995. En ce qui concerne les décisions des organes sociaux visées à l'article 3, paragraphe 1, de cette loi, il ressort avec évidence de la requête que le recours vise les mesures prises en application de l'article 3, paragraphe 1, de ladite loi de la même manière que celles prises en application du paragraphe 2 de cet article. La requête est par conséquent claire et dépourvue d'ambiguïté.

28 Il y a donc lieu de rejeter les deuxième et troisième moyens d'irrecevabilité.

29 Il en résulte que le recours est recevable dans son ensemble. Sur le fond

Moyens et arguments des parties

30 Dans sa requête, la Commission se réfère, à titre liminaire, à sa communication 97-C 220-06, du 19 juillet 1997, concernant certains aspects juridiques touchant aux investissements intracommunautaires (JO C 220, p. 15, ci-après la "communication de 1997"). Elle rappelle que, dans cette communication, elle a fait connaître son point de vue quant à l'interprétation des dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux et à la liberté d'établissement dans le cadre de mesures prises par un État membre lors de la privatisation d'une entreprise publique.

31 En vertu du point 7 de la communication de 1997, toute mesure subordonnant à une autorisation administrative préalable l'exercice du droit d'acquérir des participations de contrôle, l'exercice intégral des droits de vote y attachés et la gestion d'une entreprise devrait être considérée comme une restriction applicable tant aux opérations d'investissement direct effectuées par des investisseurs ressortissants d'un autre État membre qu'à celles d'investissement de portefeuille, dans la mesure où les procédures d'autorisation instaurées pourraient être utilisées afin d'empêcher les opérateurs souhaitant effectuer des investissements de portefeuille d'acquérir des participations non majoritaires dépassant les limites établies.

32 Selon la Commission, la possibilité prévue par la législation nationale en cause de subordonner certains actes à une autorisation administrative préalable ne respecte pas les conditions indiquées dans la communication de 1997 et viole ainsi les articles 43 CE et 56 CE.

33 En ce qui concerne plus particulièrement la libre circulation des capitaux, la Commission se réfère à l'arrêt du 14 mars 2000, Église de scientologie (C-54-99, Rec. p. I-1335, point 14), d'où il résulterait qu'une disposition nationale qui subordonne un investissement direct étranger à une autorisation préalable constitue une restriction aux mouvements de capitaux.

34 S'il est exact que les États membres peuvent, en vertu d'exceptions prévues par le traité, imposer des restrictions à la libre circulation des capitaux et à la liberté d'établissement dans certaines circonstances liées à l'exercice de l'autorité publique, à l'ordre public, à la sécurité publique et à la santé publique, de telles exceptions devraient être interprétées de façon restrictive et leur portée ne pourrait être déterminée unilatéralement par les États membres. En outre, elles devraient satisfaire au critère de proportionnalité, être conformes au principe de sécurité juridique et ne pas être mises en œuvre à des fins purement économiques (voir arrêts du 31 mars 1993, Kraus, C-19-92, Rec. p. I-1663, et du 30 novembre 1995, Gebhard, C-55-94, Rec. p. I-4165).

35 Des considérations d'ordre purement économique ou administratif ne sauraient en tout état de cause constituer une raison impérieuse d'intérêt général susceptible de justifier des restrictions aux libertés prévues par le traité. Ainsi, l'entreprise de fabrication de tabac Tabacalera SA et l'association bancaire Corporación Bancaria de España SA (Argentaria) ne pourraient, de prime abord, être visées par une justification tirée de raisons impérieuses d'intérêt général. Les régimes d'autorisation visant les autres entreprises en cause ne prévoiraient aucune condition et pourraient être appliqués dans toute situation, au gré de l'administration. Par ailleurs, en ce qui concerne Telefónica de España SA et Telefónica Servicios Móviles SA, le décret royal n° 8-1997 couvrirait également des services de téléphonie mobile en dehors de l'Espagne. Quant à Endesa SA, cette société aurait été créée en particulier pour favoriser le développement du groupe dont elle fait partie dans les marchés internationaux et spécialement en Amérique du Sud. Elle ne contribuerait donc évidemment pas au maintien d'un service stratégique pour l'économie espagnole.

36 Selon la Commission, le régime litigieux, spécialement l'article 3, paragraphe 2, de la loi n° 5-1995, mais aussi le paragraphe 1 de cet article, viole en tout état de cause le principe de proportionnalité. Un régime d'autorisation administrative préalable, qui serait nécessairement plus contraignant qu'un régime de contrôle a posteriori, devrait être subordonné à des critères très stricts. Cela ne serait cependant pas le cas en l'espèce: le régime en cause ne serait pas transparent, les conditions de délivrance de l'autorisation ne seraient ni définies ni prévisibles et ledit régime ne permettrait pas aux particuliers de connaître précisément l'étendue de leurs droits et obligations.

37 Le Gouvernement espagnol n'aurait pas démontré que l'autorisation administrative préalable constitue la méthode la moins contraignante dont il dispose ni qu'elle représente le seul moyen efficace pour surveiller, contrôler et, éventuellement, interdire certains investissements qui sont contraires aux objectifs poursuivis. Par ailleurs, ce régime conférerait à l'administration la faculté d'opérer arbitrairement une discrimination à l'encontre des investisseurs ressortissants d'autres États membres.

38 À l'audience, la Commission a indiqué qu'elle partageait les appréciations formulées par la Cour dans le cadre d'arrêts prononcés dans des affaires de nature comparable après l'introduction du recours, à savoir les arrêts du 4 juin 2002, Commission/Portugal (C-367-98, Rec. p. I-4731); Commission/France (C-483-99, Rec. p. I-4781), et Commission/Belgique (C-503-99, Rec. p. I-4809). La Cour aurait jugé par ces arrêts que des régimes d'autorisation préalable tel celui de l'espèce sont incompatibles avec la libre circulation des capitaux.

39 Le Gouvernement espagnol fait valoir, à titre subsidiaire vu qu'il invoque l'irrecevabilité du recours, que cette appréciation de la Commission est dénuée de fondement et que le recours doit être rejeté sur le fond. Il expose tout d'abord en détail le processus de privatisation du secteur des entreprises publiques en Espagne ainsi que l'encadrement constitutionnel de cette opération pour démontrer leur parfaite légalité au regard du droit national. Le Royaume d'Espagne aurait seulement entendu arrêter, au début du processus de privatisation, des mesures d'accompagnement garantissant que la mission spécifique confiée aux entités concernées serait menée à bien.

40 Ce Gouvernement renvoie ensuite au décret royal n° 1525-1995, qui indique, dans son exposé des motifs, que "le régime d'autorisation instauré par la loi n° 5-1995 du 23 mars et, partant, le présent décret royal seront appliqués en conformité avec les dispositions du traité instituant la Communauté européenne en matière de droit d'établissement et de libre circulation des capitaux". Il en résulterait que le droit communautaire est également parfaitement respecté.

41 Le Gouvernement espagnol se réfère en outre au principe de neutralité du traité quant au régime de la propriété, consacré à l'article 295 CE. Il partage l'opinion émise par l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans les conclusions présentées dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts précités Commission/Portugal, Commission/France et Commission/Belgique, selon laquelle des régimes similaires en vigueur au Portugal, en France et en Belgique devraient être considérés comme compatibles avec le droit communautaire en vertu de l'article 295 CE. Il fait valoir que, dans la mesure où les États membres peuvent légitimement opter pour la privatisation d'entreprises du secteur public, il convient d'appliquer le principe juridique "qui peut le plus, peut le moins".

42 En tout état de cause, le régime d'autorisation administrative préalable découlant de la loi n° 5-1995 serait compatible avec la libre circulation des capitaux et la liberté d'établissement. Quant aux décisions des organes sociaux énumérées à l'article 3, paragraphe 1, de cette loi, elles seraient toutes relatives au maintien de l'objet social de l'entreprise ou de son patrimoine et se justifieraient donc par le maintien de la continuité de l'entreprise. Par ailleurs, les conditions auxquelles un investisseur ressortissant d'un autre État membre peut acquérir des participations de contrôle, visées au paragraphe 2 de cet article, seraient les mêmes que celles applicables aux ressortissants espagnols. Le régime en cause ne créerait donc pas de discrimination en raison de la nationalité.

43 Si la réglementation litigieuse était éventuellement susceptible de toucher à la liberté d'établissement, la libre circulation des capitaux ne serait assurément pas restreinte. En effet, le régime d'autorisation administrative préalable n'aurait pas pour objectif de limiter l'accès des capitaux provenant d'autres États membres aux marchés financiers nationaux ou de réglementer le régime juridique des opérations réalisées à cette fin. Le droit positif en vigueur dans chaque État membre constituerait une des données du marché, qui ne saurait être réputée contraire à la libre circulation des capitaux. Par ailleurs, le régime en cause porterait uniquement sur les droits politiques des actionnaires tels les droits de vote, à l'exclusion de leurs droits économiques.

44 Le régime d'autorisation administrative préalable se justifierait, en tout état de cause, par des raisons impérieuses d'intérêt général, liées à un intérêt stratégique ainsi qu'à la nécessité de garantir la continuité des services publics. Des références à cette garantie figureraient dans chacun des décrets royaux en cause. En effet, il reviendrait aux États membres d'assurer la sécurité de l'approvisionnement, la solidarité économique et sociale ainsi que la protection des intérêts des consommateurs.

45 Le régime en cause respecterait également le principe de proportionnalité. La garantie de continuité du service public constituerait un critère clair, objectif et non discriminatoire, qui respecterait également le principe de sécurité juridique même s'il donne lieu à l'application d'un pouvoir discrétionnaire. Par ailleurs, l'administration serait toujours soumise aux règles de droit dans l'exercice d'un tel pouvoir.

46 Une liste exhaustive des motifs de refus de l'autorisation administrative en cause, telle que l'exige la Commission, ne serait pas nécessaire, mais paralyserait l'action de l'administration.

47 De plus, tous les actes d'application de la réglementation en cause seraient soumis à un contrôle juridictionnel selon les voies de droit nationales, lesquelles trouveraient même leur fondement dans les articles 9.3, 103 et 106 de la Constitution espagnole. Le régime faisant l'objet du recours ne manquerait donc pas de transparence.

48 Le Gouvernement espagnol se réfère enfin à l'article 86, paragraphe 2, CE. Sans exposer en détail son argumentation, il fait valoir que cette disposition constitue une règle générale qui autorise les États membres à adopter des mesures qui dérogent non seulement aux articles du traité relatifs à la concurrence, mais aussi à ses autres dispositions.

49 Le Gouvernement du Royaume-Uni, intervenu au soutien des conclusions du Gouvernement espagnol, fait valoir qu'une distinction doit être établie entre le pouvoir légal de soumettre à une autorisation préalable l'acquisition de parts dans une société, tel que prévu à l'article 3, paragraphe 2, de la loi n° 5-1995, et celui de s'opposer à des décisions de la société relatives à la cession de biens ou d'actifs ou à d'autres décisions concernant la gestion quotidienne, tel qu'il résulte du paragraphe 1 de cet article. À l'inverse du premier type de pouvoir, le second ne serait assurément pas de nature à constituer une restriction à la liberté d'établissement ou à la libre circulation des capitaux et ne nécessiterait donc pas de justification.

50 L'analyse de la Commission serait erronée en ce que celle-ci considérerait que toute mesure qui gêne ou rend moins attrayant l'exercice des libertés prévues par le traité doit être non seulement dépourvue d'effet discriminatoire, mais également justifiée par des raisons tenant à un recours proportionné à des exigences légales. Il découlerait clairement de la jurisprudence de la Cour que des mesures qui ne restreignent pas l'accès au marché ne doivent pas être ainsi justifiées (voir, en particulier, arrêt du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard, C-267-91 et C-268-91, Rec. p. I-6097, point 17).

Appréciation de la Cour

Sur l'article 56 CE

51 Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que l'article 56, paragraphe 1, CE met en œuvre la libre circulation des capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers. À cet effet, il dispose, dans le cadre des dispositions du chapitre du traité intitulé "Les capitaux et les paiements", que toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites.

52 Si le traité ne définit pas les notions de mouvements de capitaux et de paiements, il est constant que la directive 88-361, ensemble avec la nomenclature qui lui est annexée, a une valeur indicative pour définir la notion de mouvements de capitaux (voir arrêt du 16 mars 1999, Trummer et Mayer, C-222-97, Rec. p. I-1661, points 20 et 21).

53 En effet, les points I et III de la nomenclature reprise à l'annexe I de la directive 88-361 ainsi que les notes explicatives y figurant indiquent que l'investissement direct sous forme de participation à une entreprise par la détention d'actions ainsi que l'acquisition de titres sur le marché des capitaux constituent des mouvements de capitaux au sens de l'article 56 CE. En vertu desdites notes explicatives, l'investissement direct, en particulier, est caractérisé par la possibilité de participer effectivement à la gestion d'une société et à son contrôle.

54 À la lumière de ces considérations, il convient d'examiner si constitue une restriction aux mouvements de capitaux entre les États membres le régime, résultant de la loi n° 5-1995 et des décrets royaux nos 3-1996, 8-1997, 40-1998, 552-1998 et 929-1998, qui soumet à une autorisation préalable de l'administration nationale les décisions d'entités commerciales portant sur

- la dissolution, la scission ou la fusion de l'entité;

- l'aliénation ou la mise en gage des actifs ou des participations sociales nécessaires à la réalisation de l'objet social;

- une modification de l'objet social;

- les opérations de cession du capital social entraînant la réduction d'un pourcentage égal ou supérieur à 10 % de la participation de l'État, et

- l'acquisition de participations entraînant la détention d'au moins 10 % du capital social, lorsque la participation de l'État dans le capital social de l'entité a été réduite d'au moins 10 % et est devenue inférieure à 50 % ou que cette participation a été réduite à moins de 15 % du capital social.

55 Le Gouvernement espagnol fait valoir, à titre liminaire, que les mesures prévues à l'article 3, paragraphe 2, de la loi n° 5-1995 s'appliquent sans distinction de nationalité. Il ne s'agirait donc pas d'un traitement discriminatoire en ce qui concerne les ressortissants d'autres États membres. Par conséquent, les mesures en cause ne constitueraient pas une restriction à la libre circulation des capitaux.

56 Cet argument ne peut être accueilli. En effet, il résulte des points 44 et 40, respectivement, des arrêts précités Commission/Portugal et Commission-France que l'interdiction prévue à l'article 56 CE va au-delà de l'élimination d'un traitement inégal des opérateurs sur les marchés financiers en raison de leur nationalité.

57 Une réglementation qui, comme l'article 3, paragraphe 2, de la loi n° 5-1995, limite l'acquisition de participations constitue une restriction à la libre circulation des capitaux.

58 S'agissant des mesures prévues à l'article 3, paragraphe 1, de la loi n° 5-1995, le Gouvernement du Royaume-Uni, se fondant, à cet égard, sur l'arrêt Keck et Mithouard, précité, fait valoir qu'elles ne restreignent pas l'accès au marché et qu'elles ne sont donc pas de nature à affecter la libre circulation des capitaux.

59 Cet argument ne saurait être accueilli. Les mesures en cause n'ont pas des effets analogues à ceux des réglementations que l'arrêt Keck et Mithouard, précité, a considérées comme échappant au domaine d'application de l'article 30 du traité CE (devenu, après modification, article 28 CE).

60 Selon cet arrêt, n'est pas apte à entraver le commerce entre les États membres l'application à des produits en provenance d'autres États membres de dispositions nationales qui limitent ou interdisent, sur le territoire de l'État membre d'importation, certaines modalités de vente, pourvu, en premier lieu, qu'elles s'appliquent à tous les opérateurs concernés exerçant leur activité sur le territoire national et, en second lieu, qu'elles affectent de la même manière, en droit comme en fait, la commercialisation des produits nationaux et de ceux en provenance d'autres États membres. La raison en est qu'elle n'est pas de nature à empêcher l'accès de ces derniers au marché de l'État membre d'importation ou à le gêner davantage qu'elle ne gêne celui des produits nationaux (arrêt du 10 mai 1995, Alpine Investments, C-384-93, Rec. p. I-1141, point 37).

61 Or, en l'espèce, s'il est vrai que les restrictions en cause concernant les opérations d'investissements sont indistinctement applicables tant aux résidents qu'aux non-résidents, il convient néanmoins de constater qu'elles affectent la situation de l'acquéreur d'une participation en tant que telle et sont donc de nature à dissuader les investisseurs d'autres États membres d'effectuer de tels investissements et, partant, de conditionner l'accès au marché (voir, également, arrêt de ce jour, Commission/Royaume-Uni, C-98-01, non encore publié au Recueil, point 47).

62 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la réglementation fondée, d'une part, sur l'article 3, paragraphe 2, de la loi n° 5-1995 ainsi que, d'autre part, sur le paragraphe 1 de cet article constitue une restriction aux mouvements des capitaux au sens de l'article 56 CE.

63 Cette appréciation ne saurait être modifiée par le fait, invoqué par le Gouvernement espagnol, que le décret royal n° 1525-1995 prévoit dans son exposé des motifs que le régime en cause doit être appliqué en conformité avec le droit communautaire.

64 En effet, d'une part, une telle affirmation ne saurait rendre compatible avec le droit communautaire, à défaut de justification appropriée, l'exigence d'une autorisation préalable. D'autre part, une telle règle abstraite ne saurait garantir avec certitude que l'application concrète du régime en cause serait toujours effectuée conformément aux exigences du droit communautaire.

65 Il convient donc d'examiner si et, le cas échéant, dans quelles conditions une justification de la restriction litigieuse peut être admise s'agissant des différentes entreprises visées par les décrets royaux en cause.

66 Ainsi que la Cour l'a jugé (voir arrêts précités Commission/Portugal, point 47; Commission/France, point 43, et Commission/Belgique, point 43), ne sauraient être niées les préoccupations pouvant, selon les circonstances, justifier que les États membres gardent une certaine influence dans les entreprises initialement publiques et ultérieurement privatisées, lorsque ces entreprises agissent dans les domaines des services d'intérêt général ou stratégiques.

67 Ces préoccupations ne sauraient toutefois permettre aux États membres d'exciper de leurs régimes de propriété, tels que visés à l'article 295 CE, pour justifier des entraves aux libertés prévues par le traité, qui résultent de privilèges dont ils assortissent leur position d'actionnaire dans une entreprise privatisée. En effet, ledit article n'a pas pour effet de faire échapper les régimes de propriété existant dans les États membres aux règles fondamentales du traité (voir arrêts précités Commission/France, point 44, et Commission/Belgique, point 44).

68 La libre circulation des capitaux, en tant que principe fondamental du traité, ne peut être limitée par une réglementation nationale que si celle-ci est justifiée par des raisons visées à l'article 58, paragraphe 1, CE ou par des raisons impérieuses d'intérêt général. En outre, afin d'être ainsi justifiée, la réglementation nationale doit être propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elle poursuit et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour qu'il soit atteint, en vue de répondre au critère de proportionnalité (voir, en ce sens, arrêts précités Commission/Portugal, point 49; Commission/France, point 45, et Commission/Belgique, point 45).

69 S'agissant d'un régime d'autorisation administrative préalable tel que celui visé en l'espèce, la Cour a déjà jugé qu'il doit être proportionnel au but poursuivi, de manière telle que le même objectif ne saurait être atteint par des mesures moins restrictives, notamment par un système de déclarations a posteriori (voir, en ce sens, arrêts du 14 décembre 1995, Sanz de Lera e.a., C-163-94, C-165-94 et C-250-94, Rec. p. I-4821, points 23 à 28; du 20 février 2001, Analir e.a., C-205-99, Rec. p. I-1271, point 35; Commission/Portugal, précité, point 50, et Commission/France, précité, point 46). Un tel régime doit être fondé sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l'avance des entreprises concernées, et toute personne frappée par une mesure restrictive de ce type doit pouvoir disposer d'une voie de recours (arrêts précités Analir e.a., point 38; Commission/Portugal, point 50, et Commission/France, point 46).

70 En l'espèce, le Gouvernement espagnol fait valoir que le régime en cause est justifié par des raisons impérieuses d'intérêt général liées à des besoins stratégiques ainsi qu'à la nécessité de garantir la continuité des services publics. À cet égard, il convient de constater d'emblée que l'entreprise Tabacalera SA, qui produit du tabac, et le groupe Corporación Bancaria de España SA (Argentaria), qui est un groupe de banques commerciales opérant dans le secteur bancaire traditionnel et dont il n'a pas été allégué qu'elles effectueraient des tâches relevant d'une banque centrale ou d'un organe similaire, ne constituent pas des entités destinées à fournir des services publics. Effectuant seulement une référence à "certaines lignes d'activité" qui auraient été auparavant de la compétence de caisses d'épargne publiques, le Gouvernement espagnol n'établit pas l'existence de circonstances spécifiques d'où il résulterait que ce groupe bancaire assume une fonction de service public. Il s'ensuit que les régimes en cause relatifs à Tabacalera SA et à Corporación Bancaria de España SA (Argentaria) ne sauraient être justifiés.

71 En ce qui concerne les trois autres entités en cause, qui agissent dans les secteurs du pétrole, des télécommunications et de l'électricité, il ne saurait être nié que l'objectif de garantir la sécurité de l'approvisionnement de tels produits ou la fourniture de tels services en cas de crise, sur le territoire de l'État membre en cause, peut constituer une raison de sécurité publique (voir, pour des circonstances similaires, arrêts précités Commission/France, point 47, et Commission/Belgique, point 46) et, partant, justifier éventuellement une entrave à la libre circulation des capitaux.

72 Cependant, la Cour a également jugé que les exigences de la sécurité publique doivent, notamment en tant que dérogation au principe fondamental de la libre circulation des capitaux, être entendues strictement, de sorte que leur portée ne saurait être déterminée unilatéralement par chacun des États membres sans contrôle des institutions de la Communauté. Ainsi, la sécurité publique ne saurait être invoquée qu'en cas de menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société (voir, notamment, arrêts précités Église de scientologie, point 17; Commission/France, point 48, et Commission/Belgique, point 47).

73 Il convient donc de vérifier si la réglementation en cause relative à ces trois entités permet d'assurer dans l'État membre concerné, en cas de menace réelle et grave, un approvisionnement minimal en produits pétroliers et en électricité ainsi qu'un niveau minimal de services de télécommunications et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire à cette fin.

74 À cet égard, en ce qui concerne le grief de la Commission relatif à l'article 3, paragraphe 2, de la loi n° 5-1995, il y a lieu de rappeler que le régime instauré par cette disposition prévoit que, d'une part, les opérations de cession du capital social entraînant la réduction d'un pourcentage égal ou supérieur à 10 % de la participation de l'État, pour autant que cette participation soit devenue inférieure à 50 % ou que cette participation ait été réduite à moins de 15 % du capital social, et, d'autre part, l'acquisition de participations entraînant la détention d'au moins 10 % du capital social doivent être approuvées par un représentant de l'État. L'exercice de ce droit de l'État n'est soumis, selon les textes applicables, à aucune condition. Il n'est aucunement indiqué aux investisseurs concernés les circonstances spécifiques et objectives dans lesquelles une autorisation préalable sera accordée ou refusée.

75 Une telle indétermination ne permet pas aux particuliers de connaître l'étendue de leurs droits et de leurs obligations découlant de l'article 56 CE, en sorte qu'un tel régime doit être considéré comme étant contraire au principe de sécurité juridique (arrêt Commission/France, précité, point 50).

76 En effet, l'administration dispose en la matière d'un pouvoir discrétionnaire particulièrement large qui constitue une atteinte grave à la libre circulation des capitaux et peut aboutir à réduire celle-ci à néant. Le régime visé va donc au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif invoqué par le Gouvernement espagnol, à savoir la prévention d'une atteinte à l'approvisionnement en produits pétroliers et en électricité ainsi qu'aux services de télécommunications.

77 En ce qui concerne le grief de la Commission relatif à l'article 3, paragraphe 1, de la loi n° 5-1995, qui concerne l'autorisation administrative préalable des décisions de dissolution, de scission ou de fusion de l'entité, d'aliénation ou de mise en gage des actifs ou des participations sociales nécessaires à la réalisation de l'objet social des entreprises ainsi que de modification de l'objet social, le Gouvernement espagnol a fait valoir à l'audience que le régime ainsi instauré doit être admis parce qu'il présente des similitudes avec le régime examiné dans l'arrêt Commission/Belgique, précité, qui aurait été approuvé par la Cour dans la mesure où il concernait uniquement certains actifs des sociétés en cause ainsi que certaines décisions de gestion, et non pas des limitations relatives aux personnes des investisseurs ou à leurs participations en tant que telles.

78 À cet égard, il y a lieu de relever qu'il résulte des points 49 à 52 de l'arrêt Commission/Belgique, précité, d'abord, que le régime examiné dans cet arrêt était un régime d'opposition a posteriori, lequel est moins restrictif qu'un régime d'autorisation préalable tel que celui de l'espèce (voir, en ce sens, arrêt du 5 mars 2002, Reisch e.a., C-515-99, C-519-99 à C-524-99 et C-526-99 à C-540-99, Rec. p. I-2157, point 37). Ensuite, le premier régime était caractérisé par le fait qu'il énumérait de manière spécifique les actifs stratégiques concernés ainsi que les décisions de gestion qui pouvaient ponctuellement être remises en cause. Enfin, l'intervention de l'autorité administrative était strictement limitée aux cas où les objectifs de la politique énergétique étaient compromis. Toute décision prise dans ce cadre devait être formellement motivée et était soumise à un contrôle juridictionnel efficace.

79 Ces critères ne sont pas remplis par le régime découlant de l'application combinée de l'article 3, paragraphe 1, de la loi n° 5-1995, et des décrets royaux relatifs aux entités concernées des secteur du pétrole, des télécommunications et de l'électricité. En effet, les "actifs ou participations sociales nécessaires à la réalisation de l'objet social de l'entreprise et définis à cet effet", visés à l'article 3, paragraphe 1, sous b), de cette loi, ne sont déterminés précisément que dans certains desdits décrets. La dissolution volontaire, la scission ou la fusion de l'entité ou la modification de son objet social, visées aux passages sous a) et c) de ce paragraphe, ne constituent pas, à l'inverse des décisions en cause dans l'affaire à l'origine de l'arrêt Commission/Belgique, précité (point 50), des décisions de gestion spécifiques, mais des décisions fondamentales dans la vie d'une entreprise. De même, l'intervention de l'autorité administrative n'est soumise en l'espèce, contrairement aux circonstances caractérisant l'affaire relative au Royaume de Belgique, à aucune condition restreignant le pouvoir discrétionnaire de cette autorité. Le fait qu'un recours en justice semble possible contre de telles décisions ne saurait modifier cette appréciation, dans la mesure où ni la loi ni les décrets en cause ne fournissent au juge national des critères suffisamment précis pour lui permettre de contrôler l'exercice du pouvoir discrétionnaire de l'autorité administrative.

80 Vu l'absence de critères objectifs et précis résultant du régime en cause, il y a lieu de conclure que celui-ci va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif invoqué par le Gouvernement espagnol.

81 Cette appréciation ne saurait être remise en cause par le fait que les trois décrets royaux concernés instaurent un régime limité à une durée de dix ans. En effet, le fait qu'un manquement aux obligations découlant du traité ait un caractère limité dans le temps ne modifie nullement sa qualification comme manquement.

82 Cette appréciation ne saurait non plus être remise en cause par l'argument que le Gouvernement espagnol tire de l'article 86, paragraphe 2, CE. À cet égard, il y a lieu de relever que, s'il est vrai que cette disposition, lue en combinaison avec le paragraphe 1 dudit article, vise à concilier l'intérêt des États membres à utiliser certaines entreprises, notamment du secteur public, en tant qu'instrument de politique économique ou sociale avec l'intérêt de la Communauté au respect des règles de concurrence et à la préservation de l'unité du marché commun (arrêts du 19 mars 1991, France/Commission, C-202-88, Rec. p. I-1223, point 12, et du 23 octobre 1997, Commission/Pays-Bas, C-157-94, Rec. p. I-5699, point 39), il n'en demeure pas moins que l'État membre doit exposer de façon circonstanciée les raisons pour lesquelles, en cas de suppression des mesures incriminées, l'accomplissement, dans des conditions économiquement acceptables, des missions d'intérêt économique général dont il a chargé une entreprise serait, à ses yeux, mis en cause (arrêt Commission/Pays-Bas, précité, point 58).

83 Or, le Gouvernement espagnol n'a nullement expliqué pourquoi tel serait le cas en l'espèce. Par conséquent, l'argument tiré de l'article 86, paragraphe 2, CE doit également être rejeté.

84 Il convient donc de constater que, en maintenant en vigueur les dispositions des articles 2 et 3, paragraphes 1 et 2, de la loi n° 5-1995 ainsi que les décrets royaux nos 3-1996, 8-1997, 40-1998, 552-1998 et 929-1998, dans la mesure où ils prévoient l'application d'un régime d'autorisation administrative préalable, le Royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 56 CE.

Sur l'article 43 CE

85 La Commission demande encore la constatation d'un manquement à l'article 43 CE, à savoir à la liberté d'établissement dans la mesure où elle concerne les entreprises.

86 À cet égard, il convient de relever que, dans la mesure où la réglementation en cause comporte des restrictions à la liberté d'établissement, de telles restrictions sont la conséquence directe des obstacles à la libre circulation des capitaux examinés ci-dessus, dont elles sont indissociables. Dès lors, une violation de l'article 56 CE ayant été constatée, il n'est pas nécessaire d'examiner séparément les mesures en cause à la lumière des règles du traité relatives à la liberté d'établissement.

Sur les dépens

87 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume d'Espagne et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens. En application de l'article 69, paragraphe 4, premier alinéa, de ce règlement, le Royaume-Uni, qui est intervenu au litige, supporte ses propres dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

Déclare et arrête:

1) En maintenant en vigueur les dispositions des articles 2 et 3, paragraphes 1 et 2, de la Ley 5-1995 de régimen jurídico de enajenación de participaciones públicas en determinadas empresas (loi n° 5-1995 portant régime juridique de l'aliénation de participations publiques dans certaines entreprises), du 23 mars 1995, ainsi que le décret royal n° 3-1996, du 15 janvier 1996, relatif à Repsol SA, le décret royal n° 8-1997, du 10 janvier 1997, relatif à Telefónica de España SA et à Telefónica Servicios Móviles SA, le décret royal n° 40-1998, du 16 janvier 1998, relatif à Corporación Bancaria de España SA (Argentaria), le décret royal n° 552-1998, du 2 avril 1998, relatif à Tabacalera SA et le décret royal n° 929-1998, du 14 mai 1998, relatif à Endesa SA, dans la mesure où ils prévoient l'application d'un régime d'autorisation administrative préalable, le Royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 56 CE.

2) Le Royaume d'Espagne est condamné aux dépens.

3) Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord supporte ses propres dépens.