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Décisions

CJCE, 16 décembre 1986, n° 124-85

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

République hellénique

CJCE n° 124-85

16 décembre 1986

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la cour le 30 avril 1985, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire reconnaître que la République hellénique, en n'autorisant les importations de viandes fraîches de l'espèce bovine que sous certaines formes déterminées de découpes, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 22, paragraphe 1, du règlement n° 805-68 du Conseil, du 27 juin 1968, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine (JO L 148, p. 24), ainsi qu'en vertu des articles 30 et suivants du traité CEE.

2. En ce qui concerne les dispositions de la législation hellénique en cause et les moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

3. Quant à l'application de la réglementation en cause aux viandes indigènes et importées, il y a lieu de constater que les arrêtés du ministre du Commerce n°SE 6-1264 et E 6-1478 se réfèrent exclusivement aux importations de viande bovine fraîche. Bien que le libellé de l'article 1er de l'ordonnance n° 56-83 de la police des marchés concerne à la fois les importations de viande bovine et la viande bovine indigène, il résulte des explications données par le Gouvernement hellénique au cours de la procédure écrite et orale devant la Cour que l'ordonnance ne vise que le contrôle, le transfert de devises et l'élimination des pratiques frauduleuses des importateurs grecs. Il s'ensuit que la réglementation litigieuse dans son ensemble vise spécifiquement les produits importés et s'applique aux produits importés et aux produits nationaux selon des conditions différentes.

4. En ce qui concerne le commerce intracommunautaire dans le secteur de la viande bovine, il convient de rappeler que le règlement n° 805-68 établit, par son article 1er, l'organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine, et interdit, par son article 22, paragraphe 1, dans le commerce intérieur de la Communauté, toute restriction quantitative ou mesure d'effet équivalent. En outre, il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour que, dès lors que la Communauté a adopté des règlements portant établissement d'une organisation commune de marchés dans un secteur déterminé, les Etats membres sont tenus de s'abstenir de toute mesure qui serait de nature à y déroger ou à y porter atteinte. Enfin, en vertu de l'article 65, paragraphe 1, de l'acte relatif aux conditions d'adhésion de la République hellénique et aux adaptations des traités (JO L 291 du 19.11.1979, p. 17), " le régime applicable dans la Communauté... En matière de restrictions quantitatives et mesures d'effet équivalent s'applique en Grèce dès le 1er janvier 1981 ".

5. Dans ces circonstances, il importe de constater que la réglementation litigieuse n'est pas compatible avec le principe de la libre circulation des marchandises à l'intérieur de la Communauté sauf si elle ne comporte pas une entrave au commerce intracommunautaire ou si elle est justifiée par des raisons mentionnées à l'article 36 du traité.

6. En ce qui concerne l'effet des mesures litigieuses sur le commerce intracommunautaire, le Gouvernement hellénique est d'avis qu'elles n'entravent pas les courants commerciaux entre les Etats membres. Il fait valoir que depuis que les mesures sont en vigueur, le volume de viande bovine fraîche importée des autres Etats membres s'est au contraire accru.

7. A cet égard, il y a toutefois lieu de rappeler que selon la jurisprudence constante de la Cour il n'est pas nécessaire d'établir que des mesures restreignent effectivement les importations des produits concernés, mais qu'il suffit qu'elles aient un effet potentiel sur les importations qui pourraient avoir lieu en leur absence (arrêts du 20 février 1975, Commission/Allemagne, 12-74, Rec. p. 181, et du 24 novembre 1982, Commission/Irlande, 249-81, Rec. p. 4005). Les nombreuses plaintes des opérateurs économiques grecs auxquelles se réfère la Commission démontrent que, sans les mesures en question, le commerce entre la République hellénique et les autres Etats membres s'effectuerait plus facilement et pourrait même augmenter.

8. Cet argument du Gouvernement hellénique doit donc être rejeté.

9. Pour justifier la réglementation litigieuse, le Gouvernement hellénique avance ensuite la nécessité de contrôler le transfert de devises et de lutter contre des pratiques frauduleuses des importateurs grecs. En effet, les importateurs grecs auraient souvent joint des morceaux de viande de qualité inférieure à des morceaux de viande de qualité supérieure et ils auraient déclaré et facturé l'ensemble de morceaux comme étant de la viande de qualité supérieure. Ces pratiques auraient permis aux importateurs à la fois de transférer plus de devises que nécessaire à l'étranger pour acheter la viande et encore de vendre la viande en Grèce à des prix excessifs au détriment des consommateurs.

10. Plus précisément, le Gouvernement hellénique avance les arguments suivants : en premier lieu, sans les mesures en question, les autorités grecques auraient des difficultés administratives pour observer la formation de prix des différents morceaux de viande et contrôler les divers lots de marchandises ; en deuxième lieu, les mesures seraient nécessaires et adéquates pour lutter contre une fuite illicite de devises et, en troisième lieu, dans une optique plus générale et en se référant à l'arrêt de la Cour du 31 janvier 1984 (Luisi et Carbone, 286-82 et 26-83, Rec. p. 377), les mesures ayant pour seul objectif d'assurer que l'opération de change n'est pas utilisée dans un but autre que celui pour lequel elle a été autorisée, n'entrent pas dans le domaine de la libre circulation de marchandises. Ces mesures seraient en outre nécessaires pour la protection du consommateur grec.

11. Aucun de ces arguments ne peut être accueilli.

12. Quant au premier argument, il y a lieu de constater que des difficultés administratives ne peuvent pas justifier une restriction à la libre circulation des marchandises.

13. Quant au deuxième argument, il convient de rappeler d'abord que, selon une jurisprudence constante de la Cour, une réglementation nationale ne bénéficie pas de la dérogation au principe de la libre circulation des marchandises lorsque les objectifs visés par cette réglementation peuvent être atteints de manière aussi efficace par des mesures moins restrictives telles que le contrôle par sondage et les sanctions appropriées.

14. Quant au troisième argument, il y a lieu d'observer que l'arrêt du 31 janvier 1984, précité, d'une part, constate que la libéralisation des paiements prévue par l'article 106 du traité oblige les Etats membres à autoriser les paiements visés par cette disposition, et, d'autre part, précise que les Etats membres ont conservé le pouvoir de soumettre le transfert de devises à des contrôles en vue de vérifier s'il ne s'agit pas en réalité de mouvements de capitaux non libérés, notamment d'une transaction hors du domaine des échanges de marchandises ou de services. Toutefois, le même arrêt déclare que lesdits contrôles ne sauraient avoir pour effet de rendre illusoires les libertés reconnues par le traité. Il s'ensuit que des mesures qui, comme en l'espèce, entravent plus qu'il n'est nécessaire le commerce intracommunautaire, ne peuvent relever du pouvoir que les Etats membres conservent en matière de contrôle des transferts de devises.

15. Il résulte de ce qui précède que la République hellénique, en n'autorisant les importations de viandes fraîches de l'espèce bovine que sous certaines formes de découpes, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 22, paragraphe 1, du règlement n° 805-68 du Conseil, du 27 juin 1968, ainsi qu'en vertu de l'article 30 du traité.

Sur les dépens

16. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La partie défenderesse ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

déclare et arrête :

1°) la République hellénique, en n'autorisant les importations de viandes fraîches de l'espèce bovine que sous certaines formes de découpes, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 22, paragraphe 1, du règlement n° 805-68 du Conseil, du 27 juin 1968, ainsi qu'en vertu de l'article 30 du traité.

2°) la République hellénique est condamnée aux dépens.