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Décisions

CJCE, 17 juin 1997, n° C-70/95

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Sodemare SA, Anni Azzurri Holding SpA et Anni Azzurri Rezzato Srl

Défendeur :

Regione Lombardia

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rodríguez Iglesias

Présidents de chambre :

MM. Mancini, Moitinho de Almeida, Sevón

Avocat général :

M. Fennelly

Juges :

MM. Kakouris, Kapteyn, Gulmann, Jann, Ragnemalm, Wathelet, Schintgen

Avocats :

Mes Conte, Giacomini, Tanzella, Tavormina, Del Gaizo

CJCE n° C-70/95

17 juin 1997

LA COUR,

1 Par ordonnance du 2 mars 1995, parvenue à la Cour le 10 mars suivant, le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, cinq questions préjudicielles portant sur l'interprétation des articles 3, sous g), 5, 52, 58, 59, 85, 86, 90 et 190 du traité CE.

2 Ces questions ont été posées dans le cadre d'un recours en annulation introduit par la société de droit luxembourgeois Sodemare SA (ci-après "Sodemare") et par deux sociétés de droit italien, Anni Azzurri Holding SpA et Anni Azzurri Rezzato Srl, à l'encontre, tout d'abord, de l'article 18, paragraphe 3, sous a), de la Legge regionale Lombardia n° 39 du 11 avril 1980, concernant l'organisation et le fonctionnement des unités sociosanitaires locales (Bollettino ufficiale della Regione Lombardia n° 15 du 11 avril 1980, 3e supplément, ci-après la "loi de 1980"), ensuite, de l'acte n° 2157 du 3 décembre 1993 de la Regione Lombardia rejetant leur demande d'admission au régime de conventionnement pour le remboursement de prestations d'assurance sociale à caractère sanitaire et, enfin, de l'avis n° 41, du 7 septembre 1993, rendu par l'unité sociosanitaire locale. La Fédération des maisons de repos privées de Belgique est intervenue au soutien de ces trois sociétés.

3 Le décret italien du 8 août 1985 (GURI n° 191 du 14 août 1985, p. 5727), acte d'orientation et de coordination des régions et des provinces autonomes en matière d'activités à caractère sanitaire liées aux activités d'assistance sociale, opère une distinction entre les activités de pure assistance sociale directe et celles d'assistance sociale à caractère sanitaire. Les premières comprennent, notamment, les hospitalisations dans des structures protégées extrahospitalières se substituant entièrement, même de façon temporaire, à l'assistance familiale. Les activités d'assistance sociale à caractère sanitaire, quant à elles, sont directement et de façon prépondérante destinées à la protection de la santé du citoyen par des interventions soutenant l'activité sanitaire de prévention, soins et rééducation physique et psychique.

4 En vertu de l'article 6 dudit décret, la notion d'activités d'assistance sociale à caractère sanitaire peut notamment s'appliquer aux hospitalisations dans des structures protégées qui ont pour activité principale ou exclusive de dispenser des soins aux personnes âgées infirmes qui ne peuvent pas être soignées à domicile. Lorsque l'intervention sanitaire ne peut être séparée de l'intervention d'assistance sociale, les régions peuvent, dans le cadre des disponibilités financières du Fondo sanitario nazionale (Fonds sanitaire national), conclure des conventions avec les organismes publics ou, à défaut, avec des organismes privés.

5 La Legge regionale Lombardia n° 1, du 7 janvier 1986, concernant la réorganisation et la programmation des services d'assistance sociale (Bollettino ufficiale della Regione Lombardia n° 2 du 8 janvier 1986, 1er supplément, ci-après la "loi de 1986"), réglemente le système des services d'assistance sociale sur le territoire de la région de Lombardie. En vertu de cette loi, la réalisation de ce système est attribuée aux structures directement gérées par les communes et par les organismes responsables des services locaux ainsi qu'à celles dépendant d'autres organismes publics conventionnés au sens de la loi de 1980. De même, les opérateurs privés qui gèrent des structures réunissant les qualités prévues à l'article 18, paragraphe 3, de la loi de 1980 concourent à la réalisation du système d'assistance sociale.

6 Cette dernière loi régit en Lombardie le régime de conventionnement avec les organismes gérant les unités sociosanitaires locales (ci-après l'"USSL") pour la fourniture de prestations d'assistance sociale comprenant des services à caractère sanitaire. L'article 18, paragraphe 2, de la loi de 1980 prévoit que les opérateurs privés qui entendent participer à la programmation et à l'organisation des services des USSL doivent obtenir de la région, sur leur demande, un certificat d'aptitude à la conclusion des conventions avec les organismes gérant les USSL.

7 Aux termes de l'article 18, paragraphe 3, de la loi de 1980, l'aptitude à la conclusion des conventions est notamment subordonnée à l'absence de but lucratif.

8 En vertu de l'article 18, paragraphe 5, de la loi de 1980, la détention du certificat d'aptitude entraîne le droit de conclure des conventions avec les USSL. L'article 18, paragraphe 10, dispose que les conventions régissent les rapports financiers entre l'organisme public signataire et l'opérateur privé, prévoyant également la forme de remboursement de chaque prestation sur la base de tarifs prédéterminés dans les limites fixées par les plans régionaux d'assistance sociale et qui permettent, en toute hypothèse, le remboursement des coûts réels.

9 Par ailleurs, l'article 50 de la loi de 1986 soumet la gestion d'une résidence pour des personnes âgées ainsi que pour des personnes partiellement ou totalement dépendantes à l'octroi d'une autorisation de fonctionnement délivrée par la province à l'intérieur de laquelle est située la résidence.

10 Il ressort du dossier que le plan régional d'assistance sociale en vigueur au moment des faits du litige au principal, tel qu'il a été approuvé par le conseil régional de la Lombardie, impose aux résidences pour personnes âgées qui sont admises au régime de conventionnement des normes plus strictes en matière de personnel que celles prescrites lorsque ces résidences sont exclues du régime. La région finance les coûts des services d'assistance sociale à caractère sanitaire dans les résidences conventionnées à concurrence d'un certain montant maximal de remboursement par jour et par pensionnaire non autonome, indépendamment de l'éventuel état de nécessité de celui-ci.

11 Sodemare a constitué une société de capitaux de droit italien sous la dénomination Anni Azzurri Holding SpA. Cette dernière, que contrôle entièrement Sodemare, détient la totalité du capital social de diverses sociétés exploitant des résidences pour personnes âgées, dont la société dénommée Residenze Anni Azzurri Rezzato Srl.

12 Le 3 décembre 1992, cette dernière société a été autorisée à gérer une résidence pour personnes âgées par décret du président de la Provincia di Brescia, en application de l'article 50 de la loi de 1986. Le 29 avril 1993, elle a demandé au conseil régional de la Lombardie son admission au régime de conventionnement avec les organismes des USSL, qui lui aurait permis de bénéficier des remboursements pour les prestations à caractère sanitaire qu'elle doit obligatoirement fournir aux pensionnaires âgés non autonomes.

13 Par acte n° 2157 du 3 décembre 1993, la Regione Lombardia a, sur avis négatif de l'USSL, rejeté la demande de conventionnement au motif que la condition d'absence de but lucratif prévue à l'article 18, paragraphe 3, sous a), de la loi de 1980 n'était pas remplie.

14 La juridiction de renvoi a constaté que les requérantes au principal, tout en étant en activité et économiquement saines, fonctionnaient en dessous de leurs possibilités réelles dans la mesure où le nombre de lits occupés par des personnes âgées était sensiblement inférieur au nombre de places disponibles dans leurs résidences.

15 Elle a en outre relevé que la disposition litigieuse avait pour effet de réserver la fourniture des prestations d'assistance sociale à caractère sanitaire essentiellement aux sociétés sans but lucratif. Le fait de réserver les financements publics à ces sociétés aurait pour conséquence de faire supporter aux usagers des services d'une société qui poursuit un but lucratif un coût économique dont ils seraient exemptés s'ils requéraient la même prestation d'une société sans but lucratif.

16 C'est dans ces conditions que le Tribunale amministrativo regionale a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions suivantes:

"1) Une réglementation nationale qui, bien qu'elle concerne une matière entrant `dans le champ d'application' des traités communautaires, est dépourvue de toute motivation doit-elle être tenue pour illégale au regard du droit communautaire en application de l'article 190 du traité et, donc, inapplicable par le juge national, ces conséquences étant limitées aux cas - auxquels semble appartenir la présente espèce - où la règle nationale crée une situation de fait ambiguë en laissant les sujets de droit concernés dans un état d'incertitude quant aux possibilités qui leur sont réservées de faire appel au droit communautaire?

[Il s'agit des cas dans lesquels l'État membre a `l'obligation' (qui selon la Corte costituzionale italienne est une `obligation précise', voir Corte cost. sent. (4 juillet), 11 juillet 1989, n° 389: point 4 des motifs, dernier alinéa) d'éliminer de son ordre juridique interne les dispositions incompatibles avec le droit communautaire (en ce qui concerne cette obligation d'éliminer de telles règles, voir l'arrêt de la Cour Commission/Italie du 24 mars 1988, 104-86, Rec. p. 1799). Cette obligation a été énoncée par la Cour à `plusieurs reprises'.]

2) Une règle nationale qui réserve (sans motiver) aux `sociétés' sans but lucratif la fourniture d'une catégorie entière de services, également importants sur le plan financier, est-elle contraire à l'article 58 du traité dans la mesure où elle opère une distinction stricte entre les sociétés à but lucratif et les sociétés sans but lucratif?

3) Les articles 52, 58 et 59 du traité s'opposent-ils à ce qu'une réglementation nationale fasse obstacle à l'exercice d'une activité libérale en imposant, à une entreprise d'un État membre qui souhaite s'établir en application du traité dans un autre État membre, de choisir entre l'exercice de cette activité sous une forme non économique, adoptant dans ce cas une structure juridique formellement prescrite qui n'a rien à voir avec la structure requise aux fins de l'établissement, et - si elle entend exercer son activité sous une forme économique - la prise en charge du coût de prestations qui devrait être supporté par le service de santé publique?

4) L'article 59 du traité s'oppose-t-il à ce qu'une réglementation nationale dirige, selon les modalités établies par l'ordre juridique interne, les usagers des services sociaux - auxquels l'ordre juridique interne reconnaît le droit de choisir leur prestataire - exclusivement vers les entreprises auxquelles l'État rembourse, uniquement en raison de leur structure juridique, les coûts des prestations de santé que toute entreprise autorisée est tenue de fournir, cette réglementation ayant pour effets, d'une part, de canaliser la demande de services vers des prestataires déterminés et, d'autre part, de priver l'usager d'une réelle liberté de choix?

5) Les articles 3, sous f), 5, 85 et 86 du traité, éventuellement lus en relation avec l'article 90, s'opposent-ils à la réglementation en question en ce que, du fait du mécanisme prévu par l'ordre interne, elle permet

a) aux seules sociétés qui présentent une structure juridique déterminée d'offrir, sans coûts à charge de l'entreprise, des prestations qui complètent les services qu'elles offrent à titre onéreux,

b) à ces mêmes sociétés de se présenter sur le marché comme une catégorie d'entreprises possédant des caractéristiques analogues sur les plans qualitatif et quantitatif et, en conséquence, d'être considérées dans une large mesure par les usagers comme une entité unitaire,

c) de canaliser vers les entreprises visées à la lettre b) la demande de prestations de services dans le secteur de l'assistance aux personnes âgées,

d) d'imposer aux entreprises l'obligation de fournir, à leur charge, des prestations complétant les services qu'elles offrent à titre onéreux,

et a pour conséquence

e) de susciter des ententes ayant pour effet d'imposer aux entreprises qui n'en font pas partie l'obligation de fournir, à leur charge, des prestations complétant les services qu'elles offrent, et d'en répercuter les coûts sur les usagers,

f) d'obliger à transférer sur ces derniers la charge économique de ces prestations qui sont gratuites lorsque les usagers s'adressent aux entreprises participant à l'entente?"

Sur la première question

17 Il ressort de l'ordonnance de renvoi que la première question porte sur l'obligation de motiver une réglementation nationale de portée générale qui, telle que celle en cause dans le litige au principal, interdit aux sociétés poursuivant un but lucratif de participer à un système d'assistance sociale par la conclusion de conventions qui donnent droit au remboursement par les autorités publiques des coûts de services d'assistance sociale à caractère sanitaire.

18 La juridiction de renvoi demande donc en substance si le droit communautaire, et notamment l'article 190 du traité, pose des conditions relatives à la motivation d'une réglementation nationale de portée générale qui relève du domaine d'application du droit communautaire, dès lors que cette réglementation laisse les sujets de droit concernés dans un état d'incertitude quant aux possibilités qu'ils ont de se prévaloir du droit communautaire.

19 A cet égard, il y a lieu de constater que l'obligation de motivation consacrée par l'article 190 du traité ne concerne que les actes des institutions. Certes, le droit communautaire impose l'obligation de motiver les décisions nationales affectant l'exercice d'un droit fondamental conféré par le traité aux particuliers (voir, notamment, arrêt du 15 octobre 1987, Heylens e.a., 222-86, Rec. p. 4097, points 14 à 17). Une telle obligation ne concerne cependant, compte tenu de sa finalité, que les décisions individuelles prises à l'encontre de ces derniers et contre lesquelles ils doivent disposer de recours de nature juridictionnelle, et non pas les actes nationaux de portée générale.

20 Il y a donc lieu de répondre à la première question que le droit communautaire, et notamment l'article 190 du traité, ne pose pas de conditions à la motivation d'une réglementation nationale de portée générale qui relève du droit communautaire.

Sur les deuxième, troisième, quatrième et cinquième questions

21 Par ces questions, la juridiction de renvoi demande en substance si les articles 3, sous g), 5, 52, 58, 59, 85, 86 et 90 du traité s'opposent à ce qu'un État membre permette aux seuls opérateurs privés ne poursuivant pas de but lucratif de concourir à la réalisation de son système d'assistance sociale par la conclusion de conventions qui donnent droit au remboursement par les autorités publiques des coûts de services d'assistance sociale à caractère sanitaire.

22 Le concours des opérateurs privés à la réalisation du système d'assistance sociale à travers de telles conventions étant subordonné à la condition qu'ils ne poursuivent aucun but lucratif, il convient d'examiner cette condition (ci-après la "condition d'absence de but lucratif") au regard des dispositions du traité mentionnées par la juridiction de renvoi.

Sur les articles 52 et 58 du traité (deuxième et troisième questions)

23 Les deuxième et troisième questions visent la situation d'une société à but lucratif, établie au Luxembourg, qui a constitué une ou plusieurs sociétés à but lucratif en Italie afin d'y exploiter des résidences pour personnes âgées.

24 La société luxembourgeoise participant, de façon stable et continue, à la vie économique en Italie, cette situation relève, par conséquent, des dispositions du chapitre relatif au droit d'établissement, à savoir les articles 52 à 58 du traité, et non de celui relatif aux services (voir, en ce sens, arrêts du 21 juin 1974, Reyners, 2-74, Rec. p. 631, point 21, et du 30 novembre 1995, Gebhard, C-55-94, Rec. p. I-4165, point 25).

25 S'agissant de l'article 58 du traité pris isolément (deuxième question), il y a lieu de rappeler que cette disposition a pour effet d'assimiler, pour l'application du chapitre relatif au droit d'établissement, aux personnes physiques ressortissantes des États membres les sociétés constituées en conformité avec la législation d'un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration ou leur principal établissement à l'intérieur de la Communauté, tout en excluant du bénéfice de ce chapitre les sociétés ne poursuivant pas de but lucratif (voir arrêt du 6 novembre 1984, Fearon, 182-83, Rec. p. 3677, point 8). Dès lors que cette disposition se borne à définir le champ d'application personnel des dispositions relatives au droit d'établissement, elle ne saurait s'opposer en tant que telle à une réglementation nationale, telle que celle en cause dans le litige au principal.

26 S'agissant de l'article 52 du traité, lu en combinaison avec l'article 58 du traité (troisième question), il convient de rappeler que le droit d'établissement, prévu à ces dispositions, est reconnu tant aux personnes physiques ressortissantes d'un État membre de la Communauté qu'aux personnes morales au sens de l'article 58. Il comporte, sous réserve des exceptions et conditions prévues, l'accès sur le territoire de tout autre État membre à toutes sortes d'activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises, la création d'agences, de succursales ou de filiales (voir arrêt Gebhard, précité, point 23).

27 Afin d'apprécier la compatibilité de la condition d'absence de but lucratif avec ces dispositions du traité, il y a lieu tout d'abord de rappeler que, comme la Cour l'a déjà jugé dans les arrêts du 7 février 1984, Duphar e.a. (238-82, Rec. p. 523, point 16), et du 17 février 1993, Poucet et Pistre (C-159-91 et C-160-91, Rec. p. I-637, point 6), le droit communautaire ne porte pas atteinte à la compétence des États membres pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale.

28 Il importe de constater que la condition d'absence de but lucratif, mentionnée à l'article 18, paragraphe 3, sous a), de la loi de 1980, s'inscrit dans le cadre du système d'assistance sociale, établi par la loi de 1986, qui vise notamment à promouvoir et à sauvegarder la santé des personnes à travers l'aide des services d'assistance sociale et sanitaire et à agir en faveur des personnes dépendantes n'ayant pas de famille ou dont la famille n'est pas en mesure de s'occuper d'elles, en réalisant ou en favorisant leur réinsertion dans des familles ou des milieux communautaires adaptés.

29 Il ressort du dossier au principal que ce système d'assistance sociale, dont la réalisation est en principe confiée aux autorités publiques, est fondé sur le principe de la solidarité qui se traduit par le fait qu'il est destiné prioritairement à l'assistance de ceux qui se trouvent dans un état de nécessité, en raison de l'insuffisance des revenus familiaux, de l'absence totale ou partielle d'autonomie ou du risque de marginalisation et, ensuite seulement, dans les limites découlant de la capacité des structures et ressources disponibles, à l'assistance d'autres personnes, qui, toutefois, sont tenues à en supporter, à proportion de leur situation économique, les coûts, selon des tarifs déterminés eu égard aux revenus familiaux.

30 Dans le cadre de la loi de 1986, les organismes privés réunissant les qualités prévues à l'article 18, paragraphe 3, de la loi de 1980, notamment la condition d'absence de but lucratif, et qui sont admis au régime de conventionnement concourent à la réalisation du système d'assistance sociale ainsi conçu qui détermine la qualité des services à rendre aux destinataires de l'assistance ainsi que le niveau de remboursement des coûts de services fournis par ces organismes.

31 Selon le Gouvernement italien, la condition d'absence de but lucratif s'avère être le moyen le plus cohérent au regard des finalités exclusivement sociales du système en cause au principal. Les choix effectués en termes d'organisation et de fourniture d'assistance par les opérateurs privés ne poursuivant pas de but lucratif ne seraient pas influencés par l'exigence de tirer des bénéfices de la prestation de services afin que ces opérateurs poursuivent à titre prioritaire les finalités sociales.

32 A cet égard, il y a lieu de constater que, en l'état actuel du droit communautaire, un État membre peut, dans le cadre de sa compétence retenue pour aménager son système de sécurité sociale, considérer qu'un système d'assistance sociale, tel que celui en cause au principal, implique nécessairement, en vue d'atteindre ses objectifs, que l'admission d'opérateurs privés à ce système en tant que prestataires de services d'assistance sociale soit subordonnée à la condition qu'ils ne poursuivent aucun but lucratif.

33 Par ailleurs, l'impossibilité pour les sociétés qui poursuivent un but lucratif de concourir automatiquement à la réalisation d'un système légal d'assistance sociale d'un État membre par la conclusion d'une convention qui donne droit au remboursement par les autorités publiques des coûts de services d'assistance sociale à caractère sanitaire n'est pas susceptible de placer les sociétés à but lucratif d'autres États membres dans une situation de fait ou de droit désavantageuse par rapport à celle des sociétés à but lucratif de l'État membre d'établissement.

34 Au vu de ce qui précède, la condition d'absence de but lucratif ne saurait être considérée comme étant contraire aux articles 52 et 58 du traité.

35 Il convient dès lors de répondre aux deuxième et troisième questions que les articles 52 et 58 du traité ne s'opposent pas à ce qu'un État membre permette aux seuls opérateurs privés ne poursuivant pas de but lucratif de concourir à la réalisation de son système d'assistance sociale par la conclusion de conventions qui donnent droit au remboursement par les autorités publiques des coûts de services d'assistance sociale à caractère sanitaire.

Sur l'article 59 du traité (quatrième question)

36 Les requérantes au principal font valoir que, s'étant établies en Italie, elles fournissent à partir de cet État, dans leurs résidences de repos, des services de nature principalement hôtelière à des destinataires établis dans d'autres États membres. En raison du caractère transfrontalier de ces prestations de services, elles seraient donc en droit de se prévaloir des dispositions du traité en matière de libre prestation de services pour s'opposer à la réglementation en cause.

37 A cet égard, il y a lieu de rappeler que le droit à la libre prestation de services peut être invoqué par une entreprise à l'égard de l'État dans lequel elle est établie, dès lors que les services sont fournis à des destinataires établis dans un autre État membre (arrêts du 17 mai 1994, Corsica Ferries, C-18-93, Rec. p. I-1783, point 30; du 14 juillet 1994, Peralta, C-379-92, Rec. p. I-3453, point 40, et du 10 mai 1995, Alpine Investments, C-384-93, Rec. p. I-1141, point 30).

38 En revanche, ces mêmes dispositions ne visent pas la situation d'un ressortissant d'un État membre qui se rend sur le territoire d'un autre État membre et y établit sa résidence principale, en vue d'y bénéficier d'une prestation de services pendant une durée indéterminée (voir arrêt du 5 octobre 1988, Steymann, 196-87, Rec. p. 6159, point 17). En effet, ces dispositions ne peuvent être appliquées aux activités dont tous les éléments se cantonnent à l'intérieur d'un seul État membre (arrêts du 18 mars 1980, Debauve e.a., 52-79, Rec. p. 833, point 9, et du 23 avril 1991, Hoefner et Elser, C-41-90, Rec. p. I-1979, point 37).

39 En l'occurrence, il y a lieu de constater que les ressortissants originaires d'autres États membres qui se rendent en Italie pour séjourner dans les résidences des requérantes au principal entendent bénéficier à titre permanent ou pour une durée indéterminée des services rendus dans ces résidences. En effet, ainsi qu'il ressort du dossier, c'est dans un tel cadre que les requérantes au principal offrent essentiellement à leurs pensionnaires de les accueillir.

40 Il y a donc lieu de répondre à la quatrième question que l'article 59 du traité ne vise pas la situation d'une société qui, s'étant établie dans un État membre en vue d'y exploiter des résidences pour personnes âgées, fournit des services aux pensionnaires qui, à cette fin, séjournent à titre permanent ou pour une période indéterminée dans ces résidences.

Sur les articles 3, sous g), 5, 85, 86 et 90 du traité (cinquième question)

41 Il convient de rappeler que, par eux-mêmes, les articles 85 et 86 du traité concernent uniquement le comportement des entreprises et ne visent pas des mesures législatives ou réglementaires émanant des États membres. Il résulte cependant d'une jurisprudence constante que les articles 85 et 86, lus en combinaison avec l'article 5 du traité, imposent aux États membres de ne pas prendre ou maintenir en vigueur des mesures, même de nature législative ou réglementaire, susceptibles d'éliminer l'effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises (voir, notamment, arrêts du 5 octobre 1995, Centro Servizi Spediporto, C-96-94, Rec. p. I-2883, point 20, et du 17 octobre 1995, DIP e.a., C-140-94, C-141-94 et C-142-94, Rec. p. I-3257, point 14).

42 La Cour a déjà jugé qu'il y a violation des articles 5 et 85 lorsqu'un État membre soit impose ou favorise la conclusion d'ententes contraires à l'article 85 ou renforce les effets de telles ententes, soit retire à sa propre réglementation son caractère étatique en déléguant à des opérateurs privés la responsabilité de prendre des décisions d'intervention d'intérêt économique (arrêts précités Centro Servizi Spediporto, point 21, et DIP e.a., point 15).

43 Il y a lieu de constater que, en l'espèce au principal, aucun élément du dossier ne permet de conclure que la réglementation en cause ait imposé ou favorisé la conclusion de telles ententes par les entreprises qui ont été admises au régime de conventionnement avec les USSL ou en ait renforcé les effets. Par ailleurs, rien n'indique que, dans le cadre d'une telle réglementation, les pouvoirs publics aient délégué leurs compétences à des opérateurs économiques privés.

44 S'agissant des articles 3, sous g), 5 et 86 du traité, ils ne pourraient s'appliquer à une réglementation telle que celle en cause au principal que dans l'hypothèse où il serait prouvé que cette réglementation confère à une entreprise une situation de puissance économique qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs (arrêts précités Centro Servizi Spediporto, point 31, et DIP e.a., point 24).

45 La Cour a jugé que l'article 86 du traité interdit des pratiques abusives résultant de l'exploitation, par une ou plusieurs entreprises, d'une position dominante sur le marché commun, ou dans une partie substantielle de celui-ci, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'être affecté par ces pratiques (arrêt du 27 avril 1994, Almelo e.a., C-393-92, Rec. p. I-1477, point 40).

46 Pour conclure à l'existence d'une position dominante collective, il faudrait que les entreprises en cause soient suffisamment liées entre elles pour adopter une même ligne d'action sur le marché (arrêt Almelo e.a., précité, point 42).

47 En l'occurrence, rien ne permet de conclure qu'une réglementation nationale qui, telle que celle en cause au principal, soumet la conclusion de conventions avec les USSL donnant droit au remboursement de coûts liés à la prestation de services d'assistance sociale à caractère sanitaire à la condition que l'opérateur privé ne poursuive aucun but lucratif confère aux entreprises individuelles, admises au régime de conventionnement, une position dominante ou aboutit à créer des liens suffisamment importants entre elles qui impliquent une position dominante collective.

48 Dans ces circonstances, l'article 86, lu en combinaison avec l'article 90 du traité, ne saurait pas non plus s'appliquer.

49 Il résulte des considérations qui précèdent que les articles 85 et 86, lus en combinaison avec les articles 3, sous g), 5 et 90 du traité, ne s'appliquent pas à une réglementation nationale qui permet aux seuls opérateurs privés ne poursuivant pas de but lucratif de concourir à la réalisation d'un système d'assistance sociale par la conclusion de conventions qui donnent droit au remboursement par les autorités publiques des coûts de services d'assistance sociale à caractère sanitaire.

Sur les dépens

50 Les frais exposés par les Gouvernements italien et néerlandais, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia, par ordonnance du 2 mars 1995, dit pour droit:

1) Le droit communautaire, et notamment l'article 190 du traité CE, ne pose pas de conditions à la motivation d'une réglementation nationale de portée générale qui relève du droit communautaire.

2) Les articles 52 et 58 du traité CE ne s'opposent pas à ce qu'un État membre permette aux seuls opérateurs privés ne poursuivant pas de but lucratif de concourir à la réalisation de son système d'assistance sociale par la conclusion de conventions qui donnent droit au remboursement par les autorités publiques des coûts de services d'assistance sociale à caractère sanitaire.

3) L'article 59 du traité CE ne vise pas la situation d'une société qui, s'étant établie dans un État membre en vue d'y exploiter des résidences pour personnes âgées, fournit des services aux pensionnaires qui, à cette fin, séjournent à titre permanent ou pour une période indéterminée dans ces résidences.

4) Les articles 85 et 86, lus en combinaison avec les articles 3, sous g), 5 et 90 du traité CE, ne s'appliquent pas à une réglementation nationale qui permet aux seuls opérateurs privés ne poursuivant pas de but lucratif de concourir à la réalisation d'un système d'assistance sociale par la conclusion de conventions qui donnent droit au remboursement par les autorités publiques des coûts de services d'assistance sociale à caractère sanitaire.