CJCE, 5e ch., 7 décembre 1993, n° C-109/92
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Stephan Max Wirth
Défendeur :
Landeshauptstadt Hannover
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Moitinho de Almeida
Avocat général :
M. Darmon
Juges :
MM. Edward, Zuleeg
Avocats :
Me Sharpston, Vogt
LA COUR (cinquième chambre),
1 Par ordonnance du 18 février 1992, parvenue à la Cour le 3 avril suivant, le Verwaltungsgericht Hannover a posé, en application de l'article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles sur l'interprétation dudit traité et, notamment, de ses articles 59, 60 et 62.
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant M. Wirth, de nationalité allemande, à la Landeshauptstadt Hannover (ci-après "défenderesse") au sujet de l'octroi d'une aide à la formation.
3 Il ressort du dossier que, à l'époque des faits, l'aide à la formation était régie, en Allemagne, par la Bundesausbildungsfoerderungsgesetz (loi fédérale sur l'encouragement individuel à la formation, ci-après "BAfoeG"), du 26 juillet 1971 (BGBl I, p. 1409), telle que modifiée par la zwoelftes Gesetz zur AEnderung des Bundesausbildungsfoerderungsgesetzes (douzième loi modificative de la BAfoeG), du 22 mai 1990 (BGBl I, p. 936). La plupart des dispositions de la douzième loi modificative de la BAfoeG, y compris celles qui se rapportent à l'article 5 de la BAfoeG, sont entrées en vigueur le 1er juillet 1990.
4 L'article 5, paragraphe 2, de la BAfoeG, modifiée, dispose notamment que:
"Une aide à la formation est versée aux intéressés ayant leur domicile permanent sur le territoire d'application de la présente loi et poursuivant des études dans un établissement de formation situé en dehors du territoire d'application de la présente loi, si
1) ces études sont profitables à la formation des intéressés dans l'état actuel de leur formation et si au moins une partie de cette formation peut être reconnue comme élément de la durée requise ou habituelle de la formation,
2) la formation ne peut pas être assurée sur le territoire d'application de la présente loi, si elle a été entreprise avant le 1er juillet 1990 et si les intéressés disposent de connaissances linguistiques suffisantes. ..."
5 Le 31 août 1990, M. Wirth, qui résidait alors à Tettnang en Allemagne, a sollicité l'octroi d'une aide à la formation au titre de la BAfoeG pour suivre des études de jazz-saxophone à la Hoogeschool Voor De Kunsten à Arnhem aux Pays-Bas. Pour justifier cette demande, il a expliqué qu'il était obligé de suivre ses études à l'étranger faute de place disponible dans les écoles allemandes.
6 Par décision du 1er novembre 1990, la défenderesse a rejeté cette demande. Elle a constaté que, compte tenu du fait que le demandeur avait son domicile permanent en Allemagne, une aide pour acquérir une formation à l'étranger ne pourrait lui être accordée, en application de l'article 5, paragraphe 2, de la BAfoeG, précité, que si cette formation pouvait lui être profitable en l'état de ses connaissances. Tel n'aurait pas été le cas en l'espèce puisque l'intéressé en était à son premier semestre d'études.
7 M. Wirth a introduit une réclamation contre cette décision. Il a fait valoir notamment que son domicile permanent se trouvait non pas en Allemagne mais aux Pays-Bas où il suivait ses études et que, partant, il avait droit à une aide à la formation au titre de l'article 6 de la BAfoeG. Selon cette disposition, un allemand ayant son domicile permanent dans un État étranger peut percevoir une aide à la formation lorsque les circonstances propres au cas particulier le justifient. M. Wirth estimait que cette condition était remplie en l'espèce puisqu'il n'avait pas pu s'inscrire dans une école allemande. Par décision du 5 février 1991, la Bezirksregierung Hannover a toutefois rejeté cette réclamation.
8 Le 8 mars 1991, M. Wirth a introduit un recours devant le Verwaltungsgericht Sigmaringen. Par décision du 7 juin 1991, ce tribunal s'est déclaré incompétent et a renvoyé l'affaire devant le Verwaltungsgericht Hannover.
9 Cette dernière juridiction a constaté que M. Wirth n'avait pas droit à une aide au titre de la BAfoeG. D'une part, son domicile permanent se situant en Allemagne, il ne pouvait invoquer l'article 6 de cette législation. D'autre part, comme il commençait son cycle d'études, il ne remplissait pas la condition posée par l'article 5 de la BAfoeG, modifiée.
10 Le Verwaltungsgericht Hannover a toutefois fait remarquer que, jusqu'à l'entrée en vigueur de la douzième loi modificative de la BAfoeG, une telle aide aurait pu être versée à M. Wirth. En effet, selon l'ancienne version de cette loi, il suffisait, pour qu'une aide à la formation soit accordée à un étudiant souhaitant faire des études à l'étranger, que cette formation ne puisse être assurée en Allemagne et que l'intéressé dispose de connaissances linguistiques suffisantes. Ces deux conditions auraient été remplies en l'occurrence.
11 Ayant des doutes quant à la conformité avec le droit communautaire du régime d'aide à la formation prévu par la douzième loi modificative de la BAfoeG, le Verwaltungsgericht Hannover a sursis à statuer et a posé les questions préjudicielles suivantes:
"1) Le fait de suivre des études, contre versement de droits de scolarité, dans un établissement d'enseignement supérieur d'un autre État membre constitue-t-il un recours à une prestation de services au sens de l'article 60 du traité CEE, dont l'article 62 interdit de soumettre de telles prestations à des restrictions nouvelles?
Les dispositions de l'article 1er, n 3a, de la douzième loi modificative de la Bundesausbildungsfoerderungsgesetz (loi fédérale sur l'encouragement individuel à la formation) peuvent-elles être considérées comme introduisant une restriction au sens de l'article 62 du traité CEE?
2) Est-il compatible avec le principe général d'égalité que, à titre d'exemple, un État membre ne verse à ses ressortissants des aides à la formation dans un établissement d'enseignement supérieur que si les études se déroulent sur le territoire national et non lorsqu'elles sont suivies dans un autre État membre?
2.2) Est-il compatible avec le principe général d'égalité qu'un État membre qui avait jusqu'alors versé des aides à la formation pour des études suivies dans un établissement supérieur d'un autre État membre, supprime ces aides sans tenir compte du point de savoir si cela va entraîner des dépenses supplémentaires ou non?"
12 Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, de la législation allemande applicable, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
Sur la première question
13 Par la première partie de sa première question, la juridiction de renvoi vise à savoir si des cours dispensés dans un établissement d'enseignement supérieur doivent être qualifiés de services au sens de l'article 60 du traité.
14 Il convient, à titre liminaire, de rappeler que, selon l'article 60, premier alinéa, du traité, ne sont comprises dans le chapitre concernant les services que les prestations fournies normalement contre rémunération.
15 Ainsi que la Cour l'a déjà souligné dans l'arrêt du 27 septembre 1988, Humbel (263-86, Rec. p. 5365, points 17, 18 et 19), la caractéristique essentielle de la rémunération réside dans le fait que celle-ci constitue la contrepartie économique de la prestation en cause, contrepartie qui est normalement définie entre le prestataire et le destinataire du service. Dans ce même arrêt, la Cour a estimé qu'une telle caractéristique fait défaut dans le cas de cours dispensés dans le cadre du système d'éducation nationale. D'une part, en établissant et en maintenant un tel système, l'État n'entend pas s'engager dans des activités rémunérées, mais accomplit sa mission dans les domaines social, culturel et éducatif envers sa population. D'autre part, le système en cause est, en règle générale, financé par le budget public et non par les élèves ou leurs parents. La Cour a ajouté que la nature de cette activité n'est pas affectée par le fait que les élèves ou leurs parents sont parfois obligés de payer certaines redevances ou frais de scolarité en vue de contribuer dans une certaine mesure aux frais de fonctionnement du système.
16 Ces considérations valent également pour les cours dispensés dans un institut d'enseignement supérieur dont le financement est assuré, pour l'essentiel, par des fonds publics.
17 Toutefois, comme le Royaume-Uni l'a relevé dans ses observations, s'il est vrai que la plupart des établissements d'enseignement supérieur sont financés de cette façon, il en existe néanmoins qui sont financés pour l'essentiel par des fonds privés, notamment par les étudiants ou leurs parents, et qui cherchent à réaliser un bénéfice commercial. Lorsqu'ils sont dispensés dans de tels établissements, les cours deviennent des services au sens de l'article 60 du traité. Le but poursuivi par ces établissements consiste en effet à offrir un service contre rémunération.
18 Il découle toutefois des termes de la question posée que la juridiction de renvoi vise uniquement l'hypothèse où l'établissement d'enseignement est financé par des fonds publics et ne perçoit des étudiants que des droits de scolarité (Gebuehren).
19 Il convient dès lors de répondre à la première partie de la première question que les cours dispensés dans un établissement d'enseignement supérieur dont le financement est assuré pour l'essentiel par des fonds publics ne constituent pas des services au sens de l'article 60 du traité.
20 Par la deuxième partie de sa première question, la juridiction de renvoi vise à savoir si les dispositions des articles 59 ou 62 du traité s'opposent à ce qu'un État membre, postérieurement à l'entrée en vigueur du traité, instaure une législation selon laquelle les ressortissants nationaux, domiciliés dans cet État, ne peuvent prétendre à une aide à la formation que si celle-ci est suivie sur le territoire de cet État et non sur le territoire d'un autre État membre, alors que la législation antérieure ne prévoyait pas une telle condition.
21 Il y a lieu de relever à cet égard que, dès lors que l'établissement en cause n'est pas un prestataire de services au sens de l'article 60 du traité, la question de l'application de l'article 59 ne se pose pas. Il en va de même pour l'article 62 du traité, en vertu duquel les États membres n'introduisent pas de nouvelles restrictions à la liberté effectivement atteinte, en ce qui concerne la prestation des services, à l'entrée en vigueur du traité. Dans l'arrêt du 4 octobre 1991, Society for the Protection of Unborn Children Ireland (C-159-90, Rec. p. I-4685, point 29), la Cour a en effet déjà jugé que cette disposition, qui a un caractère complémentaire par rapport à celles de l'article 59, ne saurait interdire des restrictions qui ne relèvent pas du domaine d'application de ce dernier article.
22 Il convient dès lors de répondre à la deuxième partie de la première question posée que ni l'article 59 ni l'article 62 ne s'opposent à un régime d'aide à la formation dans la mesure où sont en cause des études suivies dans un établissement dont les activités ne constituent pas des services au sens de l'article 60 du traité.
Sur la deuxième question
23 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si le principe général de non-discrimination s'oppose à ce qu'un État membre n'octroie des aides à la formation à ses ressortissants que si ces derniers poursuivent leurs études sur le territoire national et non sur le territoire d'un autre État membre, alors que dans le passé cet État membre avait octroyé des aides à ses ressortissants poursuivant leurs études en dehors du territoire national.
24 Cette question suppose que le droit communautaire s'applique à la matière en cause.
25 Or, la Cour a déjà constaté - notamment dans l'arrêt du 21 juin 1988, Lair/Universitaet Hannover (39-86, Rec. p. 3161), qui a été prononcé à propos d'un litige relatif à l'octroi d'une aide à la formation prévue par la même législation nationale que celle qui est en cause en l'espèce au principal que, au stade actuel de l'évolution du droit communautaire, une aide accordée aux étudiants pour l'entretien et pour la formation échappe en principe au domaine d'application du traité.
26 Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de répondre à la deuxième question.
Sur les dépens
27 Les frais exposés par le gouvernement allemand, par le gouvernement du Royaume-Uni et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre),
Statuant sur les questions à elle soumises par le Verwaltungsgericht Hannover, par ordonnance du 18 février 1992, dit pour droit:
1) Les cours dispensés dans un établissement d'enseignement supérieur dont le financement est assuré pour l'essentiel par des fonds publics ne constituent pas des services au sens de l'article 60 du traité CEE.
2) Ni l'article 59 ni l'article 62 du traité ne s'opposent à un régime d'aide à la formation dans la mesure où sont en cause des études suivies dans un établissement dont les activités ne constituent pas des services au sens de l'article 60 du traité CEE.