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Décisions

CJCE, 19 septembre 1984, n° 94-83

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Albert Heijn BV

CJCE n° 94-83

19 septembre 1984

LA COUR,

1 Par jugement du 25 avril 1983, parvenu au greffe de la Cour le 25 mai 1983, l'Economische Politierechter (juge de police en matière économique) de l'Arrondissementsrechtbank de Haarlem a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, quatre questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 30 et 36 du traité CEE, concernant la libre circulation des marchandises à l'intérieur de la communauté.

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'une procédure pénale engagée contre l'entreprise Albert Heijn BV, de Zaandam, pour avoir détenu en stock en vue de la vente, ou du moins en vue de la livraison, une certaine quantité de pommes destinées à la consommation humaine, lesquelles pourraient être nuisibles à la santé du fait de la présence de 1,0 milligramme du pesticide dénommé Vinchlozoline par kilogramme de pommes.

3 L'article 16 de la loi néerlandaise sur les pesticides de 1962 (Bestrijdingsmiddelenwet) considéré comme n'ayant pas la qualité requise pour être commercialisées " les denrées alimentaires ou boissons ayant une teneur en un ou plusieurs pesticides... qui est supérieure à la teneur fixée par un règlement d'administration publique ou par les dispositions prises pour son application... "

4 En particulier, l'arrêté ministériel de 1965 sur les résidus (Residubeschikking), pris en application de l'arrêté royal sur les résidus de 1964 (Residubesluit), en vertu de l'habilitation contenue dans la loi sur les pesticides de 1962, établit les maxima admissibles de résidus de pesticides dans les denrées alimentaires et les boissons.

5 Concernant 94-83 la Vinchlozoline, la teneur en résidus généralement admise par l'arrêté en question est de zéro, sauf exceptions autorisant une tolérance précise pour certains fruits et légumes cités nommément, parmi lesquels ne figurent cependant pas les pommes.

6 Devant la juridiction nationale, l'entreprise Albert Heijn a soutenu que les pommes trouvées en son stock avec des résidus de Vinchlozoline provenaient d'Italie, où elles auraient été légalement commercialisées et que, par conséquent, l'interdiction de leur commercialisation aux Pays-Bas aurait été incompatible avec les dispositions du traité CEE concernant la libre circulation des marchandises.

7 Estimant que sa décision dépendait de la question de savoir si la règlementation néerlandaise susmentionnée était compatible avec les articles 30 et 36 du traité CEE et que, partant, une interprétation de ces dispositions lui était nécessaire pour rendre son jugement, l'Economische Politierechter à sursis a statuer et a posé à la Cour les questions suivantes :

" 1. Une interdiction de commercialiser dans un Etat membre des pommes importées d'un autre Etat membre, sur la base du fait que ces pommes contiennent des résidus d'un pesticide - non cité à l'annexe II à la directive du Conseil du 23 novembre 1976 (76-895-CEE) -, ce qui est contraire aux dispositions légales nationales en vigueur de la matière, lesquelles interdisent la commercialisation de denrées alimentaires et de boissons contenant des résidus d'un pesticide à moins que ces résidus restent inférieurs à un maximum fixe par produit et par pesticide, constitue-t-elle une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation interdite en vertu de l'article 30 du traité CEE?

2. Jusqu'a quel point la réponse à la première question dépend-elle de la réponse à celle de savoir si les pommes susvisées ont été produites et commercialisées dans l'Etat membre de provenance en conformité avec les dispositions légales qui y sont en vigueur?

3. a) Si la première question doit recevoir une réponse affirmative, les dispositions légales nationales qui y sont visées peuvent-elles alors être considérées comme une protection nécessaire de la santé publique en application de l'article 36 du traité CEE?

b) La réponse à la question posée sous 3 a) exige-t-elle qu'il soit constaté que l'interdiction applicable in concreto en rapport avec un pesticide déterminé pour des pommes est justifiée en tant que protection nécessaire de la santé publique, ou bien cette interdiction peut-elle également être considérée comme justifiée si elle a été décidée sur la base d'une politique générale qui vise a prévenir autant que possible la présence de résidus de pesticides dans les denrées alimentaires et les boissons et dans le cadre de laquelle la fixation d'une tolérance de résidus est seulement opérée lorsqu'un certain pesticide pour un produit déterminé apparaît nécessaire et lorsqu'il n'existe pas, du point de vue de la santé publique - compte tenu des habitudes alimentaires nationales -, des objections majeures à l'encontre de cette fixation?

4. a) Est-il important pour la réponse aux questions posées sous 3. que les dispositions légales nationales du pays importateur n'autorisent pas un résidu d'un pesticide déterminé pour certaines denrées alimentaires et boissons, mais fixent une quantité maximale admissible de résidus du même pesticide pour d'autres denrées alimentaires et boissons?

b) Ou concrètement : faut-il attacher de l'importance au fait qu'aux Pays-Bas un résidu de Vinchlozoline sur des pommes n'est pas autorisé, alors qu'il l'est pour d'autres produits agricoles et horticoles, tandis que le résidu de Vinchlozoline maximal autorisé pour certains de ces produits est même supérieur à la quantité constatée sur le lot de pommes litigieux ?'

8 Par ces questions, la juridiction nationale demande en substance à savoir, au vu des articles 30 et 36 du traité, si une règlementation d'un Etat membre qui interdit la commercialisation des pommes en provenance d'un autre Etat membre au motif qu'il y a sur ou dans ces pommes une quantité de Vinchlozoline supérieure à celle qui est prescrite par la loi dans le premier Etat membre, pourrait se justifier en tant que protection nécessaire de la sainte publique.

9 Avant de répondre aux questions posées, il y a lieu de constater, comme l'a fait observer à juste titre l'ordonnance de renvoi, que l'usage du pesticide dont il s'agit en l'espèce, n'est pas règlementé par la directive 76-895 du Conseil, du 23 novembre 1976, concernant la fixation de teneurs maximales pour les résidus de pesticides sur et dans les fruits et légumes (JO L 340, p. 26).

10 Sur ces questions, les Gouvernements allemand et néerlandais font valoir que l'interdiction en question se justifierait par les exigences de la protection de la santé publique, du fait que les pesticides sont des substances très nocives en soi, et qu'il n'était pas nécessaire avant de prendre des mesures de protection de vérifier si la Vinchlozoline sur les pommes était nocive.

11 Pour l'entreprise Albert Heijn, une interdiction comme celle en question est disproportionnée par rapport à l'objectif de protection de la santé publique, étant donné que le pesticide en cause serait connu des autorités nationales et toléré sur un certain nombre de fruits et légumes.

12 Pour la Commission, il y a lieu de concilier les besoins de la production végétale et les impératifs de la protection de la santé humaine et animale en tenant compte des progrès de la connaissance scientifique en matière de pesticides et des habitudes alimentaires de la population ; il appartiendrait au juge national d'examiner en l'espèce les raisons de l'interdiction de la Vinchlozoline sur ou dans les pommes.

13 Il est constant que les pesticides représentent des risques importants pour la santé des hommes et des animaux et pour l'environnement, ce qui a d'ailleurs été reconnu au niveau communautaire, notamment dans le cinquième considérant de la directive 76-895 du Conseil, précitée, selon lequel les " pesticides n'ont pas uniquement des répercussions favorables sur la production végétale, étant donné qu'il s'agit, en règle générale, de substances toxiques ou de préparations a effet dangereux ".

14 Comme la Vinchlozoline n'est pas règlementée par cette directive, les Etats membres sont en principe autorisés à arrêter des mesures relatives aux teneurs maximales admissibles en résidus de ce pesticide, tout en tenant compte du fait que cette autorisation est elle-même limitée par le traité, et notamment par la dernière phrase de l'article 36.

15 En adoptant de telles mesures, les Etats membres doivent tenir compte du fait que les pesticides sont des substances à la fois nécessaires à l'agriculture et nocives à la santé humaine et animale. Le fait que les quantités absorbées par le consommateur, notamment sous la forme de résidus sur les denrées alimentaires, sont imprévisibles et incontrôlables, justifie la nécessité de mesures rigoureuses afin de limiter les risques encourus par le consommateur.

16 Dans la mesure où la règlementations communautaire en la matière ne couvre pas certains pesticides, les Etats membres peuvent règlementer la présence des résidus de ces pesticides sur les denrées alimentaires d'une façon qui peut varier d'un pays à l'autre en fonction des conditions climatologiques, de la composition de l'alimentation habituelle de la population ainsi que de l'état de la santé de la population. Dans ce contexte, ils peuvent différencier, pour le même pesticide, la teneur permise pour des aliments différents.

17 Une telle règlementation nationale peut donc s'insérer dans le cadre d'une politique générale de prévention de la présence des résidus de pesticides sur les aliments.

18 Les autorités de l'Etat membre importateur sont cependant tenues de revoir la teneur maximale prescrite s'il leur apparaît que les raisons qui ont conduit à sa fixation, ont été modifiées, par exemple, à la suite de la découverte d'un nouvel usage pour tel ou tel pesticide.

19 Il convient donc de répondre aux questions posées que les articles 30 et 36 du traité CEE ne font pas obstacle à ce qu'un Etat membre interdise l'importation des pommes en provenance d'un autre Etat membre au motif qu'il y a sur ou dans ces pommes une quantité de Vinchlozoline supérieure à celle qui est prescrite par la loi dans le premier Etat membre, même si la teneur maximale admissible en Vinchlozoline prescrite dans le premier Etat membre diffère des teneurs prescrites pour d'autres denrées alimentaires ou boissons.

Sur les dépens

20 Les frais exposés par les Gouvernements italien, allemand, néerlandais et par la Commission des communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulève devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par l'Economische Politierechter de l'Arrondissementsrechtbank de Haarlem, par jugement du 25 avril 1983, dit pour droit :

Les articles 30 et 36 du traité CEE ne font pas obstacle à ce qu'un Etat membre interdise l'importation de pommes en provenance d'un autre Etat membre au motif qu'il y a sur ou dans ces pommes une quantité de Vinchlozoline supérieure à celle qui est prescrite par la loi dans le premier Etat membre, même si la teneur maximale admissible en Vinchlozoline prescrite dans le premier Etat membre diffère des teneurs prescrites pour d'autres denrées alimentaires ou boissons.