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Décisions

CJCE, 6e ch., 5 juin 1997, n° C-398/95

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Syndesmos ton en Elladi Touristikon kai Taxidiotikon Grafeion

Défendeur :

Ypourgos Ergasias

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Mancini

Avocat général :

M. Lenz

Juges :

MM. Murray, Kapteyn, Ragnemalm, Schintgen

Avocats :

Mes Tagaras, Loverdos, Papadimitriou, Pimplis

CJCE n° C-398/95

5 juin 1997

LA COUR (sixième chambre),

1 Par ordonnance du 7 novembre 1995, parvenue à la Cour 18 décembre suivant, le Symvoulio Epikrateias a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 59 et 60 du même traité.

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un recours en annulation introduit par Syndesmos ton en Elladi Touristikon kai Taxidiotikon Grafeion (Union des bureaux de tourisme et de voyages de Grèce, ci-après le "SETTG") contre l'arrêté n° 10505-1988 du ministre du Travail (Journal officiel du Gouvernement hellénique 68/5.2.1988, tome B, ci-après l'"arrêté").

3 Il ressort du dossier au principal que l'arrêté a déclaré exécutoire la décision arbitrale n° 54-1987 du Defterovathmio Dioikitiko Diaititiko Dikastirio Athinon lequel avait confirmé la décision arbitrale n° 55-1987 du Protovathmio Dioikitiko Diaititiko Dikastirio Athinon. Cette dernière décision avait résolu le conflit collectif de travail entre le SETTG et l'Enosi Efopliston Epivatikon Plion (Union des armateurs de navires de transport de personnes, ci-après l'"EEEP"), d'une part, et le Somateio Diplomatouchon Xenagon (Association des guides touristiques diplômés, ci-après le "SDX"), d'autre part, concernant les conditions de rémunération et de travail des guides touristiques d'Athènes, du Pirée et des environs.

4 Les décisions arbitrales sont fondées sur l'article 37 de la loi n° 1545-1985 qui dispose: "Les guides touristiques titulaires de l'autorisation d'exercer la profession de guide touristique et qui sont liés à des bureaux de tourisme et de voyages, à des membres de [l'EEEP] ou à des agences de voyages établies à l'étranger, directement ou par l'intermédiaire des agences qui sont leurs succursales en Grèce, se trouvent, aux fins de l'exécution des programmes d'activités touristiques mis sur pied par ces organismes, dans les liens d'un contrat de travail et, pour leurs relations avec leurs employeurs, ils sont soumis aux dispositions pertinentes de la législation hellénique du travail."

5 Estimant que le litige soulevait un problème d'interprétation du droit communautaire, le Symvoulio Epikrateias a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions suivantes:

"1) L'article 37 de la loi n° 1545-1985 qui, pour autant que les conditions qu'il énonce soient réunies, rend obligatoire entre les parties la forme juridique du contrat de travail, qui est la forme usuelle des prestations de services rendues par les guides touristiques dans les conditions mentionnées par ledit article, est-il contraire aux articles 59 et suivants du traité?

2) En cas de réponse affirmative, cette disposition est-elle justifiée par des raisons d'intérêt général liées au maintien de la paix sociale dans le secteur sensible des prestations de services touristiques, lequel revêt, pour l'État hellénique, pays touristique, un intérêt raisonnable, justifiant une intervention réglementaire?"

Sur la première question

6 Il ressort de l'ordonnance de renvoi que la première question doit être entendue comme tendant, en substance, à savoir si une réglementation d'un État membre qui, en rendant obligatoire entre les parties la forme juridique du contrat de travail, empêche les bureaux de tourisme et de voyages, quel que soit le lieu où ils sont établis, de conclure, dans le cadre de l'exécution des programmes touristiques qu'ils mettent sur pied dans cet État membre, un contrat de prestation de services avec un guide touristique titulaire d'une autorisation d'y exercer la profession constitue une entrave au sens de l'article 59 du traité.

7 A titre liminaire, il y a lieu d'observer que les activités d'un guide touristique peuvent être exercées sous deux régimes distincts. Un bureau de tourisme peut faire appel aux guides qu'il emploie lui-même, mais il peut également engager des guides touristiques indépendants. Dans ce dernier cas de figure, le service est rendu par le guide touristique au bureau de tourisme et constitue une activité rémunérée au sens de l'article 60 du traité (voir arrêt du 26 février 1991, Commission/Grèce, C-198-89, Rec. p. I-727, points 5 et 6).

8 Il convient également de rappeler que l'article 59 du traité s'applique non seulement lorsque le prestataire et le destinataire du service sont établis dans des États membres différents, mais également dans tous les cas où un prestataire de services offre des services sur le territoire d'un État membre autre que celui dans lequel il est établi, quel que soit le lieu où sont établis les destinataires de ces services (arrêt Commission/Grèce, précité, points 8 à 10).

9 Il y a donc lieu d'examiner d'abord si une réglementation telle que celle en cause dans le litige au principal est, dans les cas visés par l'article 59, susceptible d'affecter le droit à la libre prestation de services des guides touristiques indépendants originaires d'un autre État membre.

10 A cet égard, le SDX soutient que cette réglementation ne s'applique qu'aux guides touristiques établis en Grèce, étant donné qu'elle vise uniquement ceux qui sont autorisés à y exercer cette profession. En effet, il découlerait de l'arrêt Commission/Grèce, précité, qu'une telle autorisation, qui suppose la possession d'un diplôme, ne peut être exigée des guides touristiques originaires d'un autre État membre lorsqu'ils accompagnent un groupe de touristes en Grèce.

11 Cette argumentation ne saurait être accueillie.

12 Le seul fait que les guides touristiques originaires d'un autre État membre n'aient pas besoin d'une telle autorisation lorsqu'ils accompagnent un groupe de touristes en Grèce ne permet pas de conclure qu'ils ne puissent avoir intérêt, afin d'avoir une meilleure qualification, à acquérir un tel diplôme et à se munir ainsi de l'autorisation d'y exercer la profession. Dans un tel cas, la réglementation leur est applicable.

13 Il s'ensuit qu'une telle réglementation est susceptible d'affecter le droit à la libre prestation des services des guides touristiques indépendants originaires d'un autre État membre lorsqu'ils sont titulaires d'une autorisation d'exercer la profession dans le premier État et qu'ils offrent leurs services, aux fins de l'exécution des programmes d'activités touristiques organisés dans cet État par des bureaux de tourisme ou de voyages, quel que soit le lieu où ces bureaux sont établis à l'intérieur de la Communauté.

14 Il convient ensuite d'examiner si une réglementation telle que celle en cause dans le litige au principal constitue une entrave à la libre prestation des guides touristiques indépendants originaires d'autres États membres.

15 Il est constant que cette réglementation s'applique sans distinction à tous les guides touristiques autorisés.

16 Toutefois, l'article 59 du traité exige non seulement l'élimination de toute discrimination à l'encontre du prestataire de services en raison de sa nationalité, mais également la suppression de toute restriction, même si elle s'applique indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres États membres, lorsqu'elle est de nature à prohiber ou à gêner autrement les activités du prestataire établi dans un autre État membre dans lequel il fournit légalement des services analogues (arrêt du 25 juillet 1991, Saeger, C-76-90, Rec. p. I-4221, point 12).

17 Force est de constater qu'une telle réglementation, en qualifiant impérativement de contrat de travail, au sens du droit national, le rapport de prestation d'un guide touristique dans le cadre de l'exécution des programmes touristiques dans cet État, prive le guide touristique originaire d'un autre État membre de la faculté d'exercer son activité dans le premier État membre à titre indépendant.

18 Une telle réglementation constitue dès lors une entrave à la liberté des guides touristiques qui sont originaires d'autres États membres de fournir de tels services à titre indépendant.

19 Il y a donc lieu de répondre à la première question qu'une réglementation d'un État membre qui, en rendant obligatoire entre les parties la forme juridique du contrat de travail, empêche les bureaux de tourisme et de voyages, quel que soit le lieu où ils sont établis, de conclure, dans le cadre de l'exécution des programmes d'activités touristiques qu'ils mettent sur pied dans cet État membre, un contrat de prestation de services avec un guide touristique titulaire d'une autorisation d'y exercer sa profession et originaire d'un autre État membre constitue une entrave au sens de l'article 59 du traité.

Sur la seconde question

20 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande si une telle entrave peut être justifiée par des raisons d'intérêt général liées au maintien de la paix sociale dans le secteur sensible des prestations de services touristiques, lequel revêt, pour la République hellénique, pays touristique, un intérêt raisonnable justifiant une intervention réglementaire.

21 En vertu d'une jurisprudence constante, la libre prestation de services, en tant que principe fondamental du traité, ne peut être limitée que par des réglementations justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général et s'appliquant à toute personne ou entreprise exerçant une activité sur le territoire de l'État destinataire. En particulier, les restrictions doivent être propres à garantir la réalisation de l'objectif qu'elles poursuivent et ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre (arrêts du 25 juillet 1991, Saeger, précité, point 15; Gouda e.a., C-288-89, Rec. p. I-4007, points 13 à 15; du 31 mars 1993, Kraus, C-19-92, Rec. p. I-1663, point 32, et du 30 novembre 1995, Gebhard, C-55-94, Rec. p. I-4165, point 37).

22 S'agissant de la question de savoir si le maintien de la paix sociale peut constituer une raison impérieuse d'intérêt général justifiant la réglementation en cause dans le litige au principal, il ressort de l'ordonnance de renvoi qu'elle a été adoptée afin de régler les conflits qui existent depuis longtemps entre les guides touristiques et les bureaux de tourisme et de voyages et d'éviter ainsi que le tourisme, et donc l'économie du pays, n'en subisse les conséquences négatives. A cet égard, le Gouvernement hellénique a lui-même indiqué, lors de la procédure orale, que l'adoption de la réglementation avait pour objet le bon fonctionnement de l'économie nationale.

23 Or, le maintien de la paix sociale en tant que moyen de mettre fin à un conflit collectif et d'éviter ainsi qu'un secteur économique, et donc l'économie d'un pays, n'en subisse les conséquences négatives doit être considéré comme un objectif de nature économique qui ne peut constituer une raison d'intérêt général justifiant une restriction d'une liberté fondamentale garantie par le traité (voir arrêt Gouda e.a., précité, point 11).

24 Par ailleurs, ainsi que l'a relevé M. l'avocat général au point 66 de ses conclusions, aucune des parties qui ont présenté des observations dans la présente procédure n'a soutenu qu'il était nécessaire, pour maintenir la paix sociale, de restreindre l'activité, à titre indépendant, des guides touristiques originaires d'autres États membres dans le cadre de l'exécution des programmes d'activités touristiques organisés en Grèce par des bureaux de tourisme et de voyages.

25 Il convient donc de répondre à la seconde question qu'une telle réglementation ne peut être justifiée par des raisons d'intérêt général liées au maintien de la paix sociale en tant que moyen de mettre fin à un conflit collectif et d'éviter ainsi qu'un secteur économique, et donc l'économie du pays, n'en subisse les conséquences négatives.

Sur les dépens

26 Les frais exposés par le Gouvernement hellénique ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par le Symvoulio Epikrateias, par ordonnance du 7 novembre 1995, dit pour droit:

1) Une réglementation d'un État membre qui, en rendant obligatoire entre les parties la forme juridique du contrat de travail, empêche les bureaux de tourisme et de voyages, quel que soit le lieu où ils sont établis, de conclure, dans le cadre de l'exécution des programmes d'activités touristiques qu'ils mettent sur pied dans cet État membre, un contrat de prestation de services avec un guide touristique titulaire d'une autorisation d'y exercer sa profession et originaire d'un autre État membre constitue une entrave au sens de l'article 59 du traité CE.

2) Une telle réglementation ne peut être justifiée par des raisons d'intérêt général liées au maintien de la paix sociale en tant que moyen de mettre fin à un conflit collectif et d'éviter ainsi qu'un secteur économique, et donc l'économie du pays, n'en subisse les conséquences négatives.