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Décisions

CJCE, 18 juin 1975, n° 94-74

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Industria Gomma Articoli Vari IGAV

Défendeur :

Ente nazionale per la cellulosa e per la carta ENCC

CJCE n° 94-74

18 juin 1975

LA COUR,

1. Attendu que, par ordonnance du 14 novembre 1974, parvenue au greffe de la Cour le 16 décembre suivant, le Pretore d'Abbiategrasso a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, plusieurs questions visant à l'interprétation des articles 13, paragraphe 2, 85 et 86 du traité;

2. Que ces questions ont été soulevées dans le cadre d'une action judiciaire intentée par la demanderesse au principal contre l'ente Nazionale per la Cellulosa e per la carta (ENCC) au sujet de contributions réclamées par cet organisme lors de la commercialisation de produits de papier en provenance d'autres Etats membres de la Communauté, en vertu de la loi n° 868 du 13 juin 1940 (Gazzetta Ufficiale n° 170 du 22.7.1940) et de la loi n° 168 du 28 mars 1956 (Gazzetta Ufficiale n° 79 du 3.4.1966);

3. Qu'en vue de juger de la compatibilité, avec les dispositions du traité, du mécanisme fiscal institué par ces actes législatifs, le juge national a demandé à la Cour de préciser la notion de "taxes d'effet équivalant à des droits de douane" telle qu'elle est définie dans l'arrêt du 19 juin 1973, affaire 77-72, Capolongo (Recueil, p. 611), de dire si le paragraphe 2 de l'article 13, portant suppression de ces taxes, a un effet direct, d'indiquer la date à partir de laquelle cet effet peut être invoqué, enfin, de déterminer à certains égards le champ d'application des règles de concurrence des articles 85 et 86;

4. Attendu qu'il convient de rappeler, dans ce contexte, que par communication publiée au journal officiel le 26 septembre 1972 (JO C 98, p. 1), la Commission a ouvert une procédure, au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité, à l'égard du régime italien d'aides, géré par l'ENCC et financé par la taxe parafiscale sur certains papiers et cartons, ainsi que sur la pâte à papier;

5. Qu'à la suite de l'enquête menée, la Commission a exigé, en ce qui concerne ce régime d'aides, certaines modifications qui ont été acceptées par la République italienne, ainsi qu'il résulte d'une note adressée le 20 novembre 1974 par la Commission au Gouvernement de cet Etat membre;

6. Que, dans cette note, la Commission a constaté que "les modifications apportées par les autorités italiennes au régime en cause rendent celui-ci compatible avec les dispositions du traité en matière d'aides";

7. Qu'il convient de faire remarquer au regard de ce qui précède que le litige pendant devant le Pretore d'Abbiategrasso concerne la période antérieure à la modification du régime litigieux;

Sur la notion de taxes d'effet équivalant à des droits de douane

8. Attendu que, par la première question, il est demandé d'interpréter, dans l'article 13, paragraphe 2, la notion de "taxes d'effet équivalant à des droits de douane" au regard d'une redevance du type de la contribution perçue par l'ENCC lors de la commercialisation de papier, de carton et de pâte à papier importés, compte tenu, à la fois, des modalités de perception de cette redevance et de la destination du produit de celle-ci;

9. Qu'aux fins de l'interprétation de cette notion, il y a lieu de retenir, en ce qui concerne la contribution litigieuse, les trois éléments ci-après:

a) Que la contribution est perçue par un organisme autonome de droit public, dépourvu de caractère commercial,

b) Qu'elle est appliquée indistinctement aux produits nationaux comme aux produits provenant des autres Etats membres,

c) Que la recette est affectée à certaines activités de développement et de recherche intéressant l'industrie de la cellulose et du papier, la plus grande partie étant cependant réservée au versement de subventions en faveur du papier de presse, lui-même exempt de contribution;

10. Attendu que, ainsi qu'il a été dit pour droit dans l'arrêt du 19 juin 1973 auquel il est fait référence par le juge national, l'interdiction de l'article 13, paragraphe 2, vise toute taxe exigée à l'occasion ou en raison de l'importation et qui, frappant spécifiquement un produit importé à l'exclusion du produit national similaire, a pour résultat, en altérant son prix de revient, d'avoir sur la libre circulation des marchandises la même incidence restrictive qu'un droit de douane;

11. Que le fait qu'une contribution est perçue par un organisme autonome de droit public plutôt que par l'Etat lui-même et est utilisée par cet organisme aux fins voulues par la législation applicable n'entraîne aucune différence en ce qui concerne la qualification éventuelle de cette charge fiscale comme taxe d'effet équivalant à des droits de douane, la prohibition de l'article 13, paragraphe 2, étant rattachée uniquement à l'effet de telles charges et non aux modalités de leur perception;

12. Que, par contre, la circonstance qu'une taxe est appliquée sans distinction aux produits nationaux comme aux produits provenant des autres Etats membres soulève la question de savoir si l'imposition en cause relève de l'interdiction de l'article 13, paragraphe 2, ou de la règle de non-discrimination en matière d'impositions intérieures posée par l'article 95;

13. Qu'une même imposition ne saurait, dans le système du traité, appartenir simultanément aux deux catégories mentionnées, étant donné que les taxes visées par l'article 13, paragraphe 2, doivent être purement et simplement supprimées alors que, pour l'application des impositions intérieures, l'article 95 prévoit seulement l'élimination de toute forme de discrimination, directe ou indirecte, dans le traitement des produits nationaux d'un Etat membre et des produits originaires des autres Etats membres;

14. Que ne sont pas à considérer comme taxes d'effet équivalent les charges pécuniaires relevant d'un régime général de redevances intérieures appréhendant systématiquement les produits nationaux et les produits importés selon les mêmes critères;

15. Qu'il en serait cependant autrement si une telle contribution limitée à des produits déterminés était exclusivement destinée à alimenter des activités qui profitent spécifiquement aux produits nationaux imposés, de manière que la charge fiscale incombant à ces derniers serait partiellement ou totalement compensée;

16. Qu'un tel mécanisme fiscal n'aurait, en effet, d'un régime d'impositions intérieures que l'apparence et pourrait dès lors, en raison de son caractère protecteur, être qualifié de taxe d'effet équivalant à des droits de douane, de sorte que la prohibition de l'article 13, alinéa 2, serait applicable;

17. Qu'une telle qualification supposerait cependant qu'il y eut une correspondance clairement établie entre, d'une part, la perception d'une contribution fiscale prélevée indistinctement sur les produits concernés, nationaux ou importés, et, d'autre part, l'avantage assuré, au moyen de ressources provenant de la même contribution, aux seuls produits nationaux;

18. Qu'il y a donc lieu de répondre à la première question qu'une contribution relevant d'un régime général de redevances intérieures, appréhendant systématiquement les produits nationaux et les produits importés selon les mêmes critères, peut néanmoins constituer une taxe d'effet équivalant à un droit de douane à l'importation, lorsque cette contribution est exclusivement destinée à alimenter des activités qui profitent spécifiquement au produit national appréhendé;

19. Attendu que, par la deuxième question, il est demandé si l'article 13 paragraphe 2, est directement applicable et s'il engendre dans le chef des particuliers un droit subjectif leur permettant d'échapper aux taxes interdites par cette disposition;

Qu'il est encore demandé si ce droit subjectif a pris naissance le 31 décembre 1969, date à laquelle a pris fin la période transitoire, ou le 1er juillet 1968, date à laquelle ont été supprimés les droits de douane à l'intérieur de la Communauté;

20. Que ces questions ont été posées pour le cas où la contribution litigieuse devrait être considérée comme une taxe d'effet équivalant à un droit de douane;

21. Attendu qu'il relève du juge national de qualifier la contribution litigieuse soit comme taxe d'effet équivalant à un droit de douane, soit comme imposition intérieure au sens de l'article 95, compte tenu des critères juridiques ci-dessus indiqués;

Qu'il convient donc, à titre éventuel, de donner une réponse aux questions posées;

22. Attendu, comme la Cour l'a déjà indiqué dans l'arrêt du 19 juin 1973 auquel il a été fait référence, que l'article 13, paragraphe 2, se prête parfaitement, par sa nature même, à produire des effets directs dans les relations juridiques entre les Etats membres et leurs justiciables;

23. Que, sous réserve de dispositions spécifiques éventuelles, cet effet s'est produit à partir de l'expiration de la période de transition, soit au 1er janvier 1970;

24. Qu'en effet, la décision du Conseil du 26 juillet 1966 relative à la suppression des droits de douane parallèle à la mise en application du tarif douanier commun au 1er juillet 1968 (JO, p. 2971) repose sur la conception d'une accélération sélective d'actions qui devaient, dans leur ensemble, être menées à bien au plus tard pour la fin de la période de transition;

25. Que, dans ces conditions, cette décision ne s'applique qu'aux mesures qui y sont expressément visées, c'est-à-dire aux droits de douane proprement dits et aux restrictions quantitatives;

26. Qu'il convient donc de répondre qu'en principe, l'effet direct de l'article 13, paragraphe 2, ne peut être invoqué qu'à partir du 1er janvier 1970;

27. Attendu que la requérante au principal a présenté au surplus un large éventail de critiques à l'égard du régime d'importation de papier, de carton et de pâte à papier en Italie;

28. Qu'elle estime que le régime fiscal appliqué en vertu de la législation italienne est discriminatoire à l'égard des produits importés des autres Etats membres et que l'interposition de l'ENCC a un effet restrictif sur les échanges au point d'éliminer pratiquement les chances du commerce intracommunautaire sur le marché italien;

Qu'elle fait valoir, en particulier, que les modifications introduites dans la législation italienne à la suite des instances de la Commission seraient la reconnaissance de ce que ce régime était, en tout cas jusqu'à l'élimination des incompatibilités constatées, contraire aux dispositions du traité en matière d'aides publiques;

Qu'elle en tire la conséquence qu'une contribution destinée à alimenter le fonctionnement d'un tel régime devrait être considérée comme une taxe prohibée par le traité;

29. Attendu que le fait qu'une redevance perçue par un Etat membre soit utilisée en vue de financer un régime d'aides reconnu incompatible avec le traité n'imprime pas à elle seule à cette redevance le caractère d'une taxe d'effet équivalant à un droit de douane;

30. Que, quels que soient par ailleurs les doutes que l'on peut faire valoir au sujet de la compatibilité avec le traité du régime litigieux et de l'intervention de l'ENCC dans le domaine du commerce intracommunautaire, notamment du point de vue de la prohibition des mesures d'effet équivalant aux restrictions quantitatives, il reste que la Cour n'a pas été interrogée par la juridiction nationale sur ces aspects;

31. Qu'en dépit de la référence faite par cette juridiction, dans son ordonnance de renvoi, au principe de la libre circulation des marchandises, à l'objectif de la fusion des divers marchés nationaux en un marché unique ainsi qu'à l'élimination de toute forme de discrimination par le traité, la Cour ne se trouve pas saisie de questions suffisamment précises pour prendre en considération les objections soulevées par la requérante au principal;

Que ces arguments doivent dès lors être écartés dans le cadre de la présente procédure;

Sur le régime de la concurrence

32. Attendu que, par la troisième question, il est demandé, en substance, si la redistribution des charges et des avantages entre, d'une part, les importateurs de papier, de carton et de pâte à papier et, d'autre part, les producteurs ou consommateurs nationaux des mêmes marchandises, ainsi que l'intervention de l'ENCC dans le cadre de cette redistribution ne portent pas atteinte aux règles de concurrence des articles 85 et 86 du traité;

33. Attendu que le traité comporte, en plus des règles de concurrence applicables aux entreprises, dont les articles 85 et 86, auxquels il a été fait référence par la juridiction nationale, un ensemble diversifié de dispositions relatives aux atteintes portées au fonctionnement normal du régime de la concurrence par l'action des Etats;

34. Que tel est l'objet, notamment, de l'article 90, dans la mesure où il fixe un régime particulier en faveur des entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal, des articles 92 a 94, concernant le régime des aides publiques, des articles 101 et 102, relatifs aux distorsions résultant de dispositions de droit public susceptibles de fausser les conditions de concurrence sur le Marché commun, ainsi que de l'article 37, relatif aux monopoles nationaux présentant un caractère commercial;

35. Que les activités d'un organisme de caractère public, même autonome, si tant est que ses interventions ont lieu dans l'intérêt public et sont dépourvues de caractère commercial, relèvent des dispositions citées et non des articles 85 et 86;

36. Qu'il appartient aux justiciables et aux juridictions nationales de prendre les initiatives appropriées, dans la mesure où les interventions de l'Etat ou de ses organismes décentralisés porteraient atteinte à des règles qui seraient de nature à pouvoir être directement invoquées en justice;

Qu'il incombe, en outre, à la Commission de veiller à ce que les dispositions du traité en la matière soient respectées par les autorités des Etats membres;

37. Qu'il convient donc de répondre à la question posée que, selon le système du traité, les dispositions des articles 85 et 86 ne sont pas applicables aux activités du genre de celles qui sont visées par la question;

Quant aux dépens

38. Attendu que les frais exposés par le Gouvernement de la République italienne et la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement;

Que la procédure revêtant à l'égard des parties au principal le caractère d'un incident soulevé au cours du litige pendant devant le Pretore d'Abbiategrasso, il appartient à celui-ci de statuer sur les dépens;

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par le Pretore d'Abbiategrasso par ordonnance du 14 novembre 1974, dit pour droit:

1) Une contribution relevant d'un régime général de redevances intérieures appréhendant systématiquement les produits nationaux et les produits importés selon les mêmes critères, peut néanmoins constituer une taxe d'effet équivalant à un droit de douane à l'importation, lorsque cette contribution est exclusivement destinée à alimenter des activités qui profitent spécifiquement au produit national appréhendé;

2) L'article 13, paragraphe 2, produit, par sa nature même, des effets directs dans les relations juridiques entre les Etats membres et leurs justiciables, et ce à partir du 1er janvier 1970;

3) Les dispositions des articles 85 et 86 ne sont pas applicables aux activités du genre de celles qui sont visées par la juridiction nationale.