CJCE, 1re ch., 31 mai 1979, n° 132-78
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Denkavit Loire (SARL)
Défendeur :
État français Administration des Douanes
LA COUR,
1. Par jugement du 25 mai 1978, parvenu à la Cour le 12 juin, et complété par un jugement rectificatif du 6 juillet 1978, parvenu le 18 juillet 1978, le Tribunal d'instance de Lille a, en vertu de l'article 177 du traité CEE, posé trois questions relatives à l'interprétation des articles 9, 12 et 13 (première question) et 95 (deuxième question) du traité, ainsi que du règlement n° 2759-75 du Conseil du 29 octobre 1975 (JO n° L 282, p.1), portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de porc (troisième question).
2. Ces questions sont posées dans le cadre d'un litige opposant à l'administration des Douanes françaises un fabricant français d'aliments pour bétail, qui a importé, en provenance de la République fédérale d'Allemagne, un lot de saindoux, et la réponse à ces questions doit permettre à la juridiction nationale de décider si les dispositions du droit communautaire ci-dessus citées, s'opposent à la perception, sur ledit lot, à l'occasion de son importation, d'une taxe instaurée par la loi française n° 77-646 du 24 juin 1977 " portant création d'un taxe de protection sanitaire et d'organisation des marchés des viandes et suppression de la taxe sanitaire et de la taxe de visite et de poinçonnage " (JORF du 25 juin 1977, p. 3399).
3. Il résulte des éléments du dossier, transmis par la juridiction nationale, que la taxe en question frappe, d'une part, les viandes provenant de certains animaux abattus dans des abattoirs français et, d'autre part, les viandes et préparations de viande importées, lorsqu'elles proviennent d'animaux de la même sorte.
4. Cette taxe a, en ce qui concerne les viandes provenant d'abattages sur le territoire français, pour fait générateur l'opération d'abattage et elle est perçue dans les abattoirs publics ou privés, pour compte, suivant le cas, de l'état ou des collectivités locales ou groupements de collectivités locales, propriétaires des abattoirs, à l'occasion de l'abattage des animaux désignés à l'article 2 de la loi, le tarif étant fixé par kilogramme de viande net par année civile et la taxe étant due par les propriétaires d'animaux abattus en vue de leur vente. En ce qui concerne les viandes importées, l'article 4 de la loi dispose que la taxe 'frappe à l'importation les viandes, préparées ou non, des animaux mentionnés à l'article 2' et qu'elle est due par l'importateur ou le déclarant en douane lors du dédouanement pour la mise à la consommation. Elle est recouvrée suivant les mêmes règles et sous les mêmes garanties qu'en matière de droit de douane.
5. Selon le décret n° 77-899 du 27 juillet 1977 (JORF du 9 août 1977, p. 4136) fixant les conditions d'application de la loi n° 77-646, la taxe, en ce qui concerne les produits indigènes, frappe les viandes fraîches sur la base du poids de viande net tel que ce poids est défini aux articles 2 à 5 du décret. En ce qui concerne les produits importés, la taxe frappe, outre les viandes fraîches, un certain nombre de préparations à base de viande et les graisses désignées à l'article 9 du décret, par renvoi à des numéros de positions ou sous-positions tarifaires du tarif douanier commun. Sont notamment visés sous le n° 15.01 le saindoux et les autres graisses de porc. La taxe est perçue sur le poids net de la viande - en l'occurrence du saindoux - et son montant est par kilogramme identique à celui de la taxe perçue sur les viandes de porc indigènes à l'occasion de l'abattage.
6. Par une première question la juridiction nationale demande s'il est 'contraire à l'interdiction des taxes d'effet équivalant à des droits de douane à l'importation, au sens des articles 9, 12 et 13 du traité CEE, d'appliquer une taxe frappant les importations de saindoux destiné à l'utilisation dans les aliments des animaux et provenant d'un autre Etat membre, pour compenser la perception d'une taxe intérieure à l'abattage des animaux de l'espèce porcine'. Cette question vise, en substance, à savoir si la notion de taxe d'effet équivalent à un droit de douane - interdite dans le commerce intracommunautaire - s'étend à une imposition nationale de la nature de celle visée par la juridiction nationale, dans la mesure où cette taxe frappe, à l'occasion de leur importation, les produits importés en provenance des autres Etats membres, et notamment ceux de la position tarifaire n° 15.01 (saindoux et autres graisses de porc...).
7. Ainsi que la Cour l'a reconnu à différentes reprises, et notamment dans son arrêt du 25 janvier 1977 (affaire n° 46-76, Bauhuis, Recueil p. 1), toute charge pécuniaire, unilatéralement imposée, quelles que soient son appellation et sa technique, et frappant les marchandises en raison du fait qu'elles franchissent la frontière, lorsqu'elle n'est pas un droit de douane proprement dit, constitue une taxe d'effet équivalent au sens des articles 9, 12, 13 et 16 du traité. Pareille charge échappe toutefois à cette qualification si elle constitue la rémunération d'un service effectivement rendu à l'importateur ou à l'exportateur, d'un montant proportionné audit service. Elle y échappe également si elle relève d'un système général de redevances intérieures appréhendant systématiquement, selon les mêmes critères, les produits nationaux et les produits importés ou exportés, en quel cas elle tombe dans le champ d'application, non des articles 9, 12, 13 et 16, mais dans celui de l'article 95 du traité.
8. Il y a toutefois lieu de souligner que, pour relever d'un système général d'impositions intérieures, la charge à laquelle est soumis un produit importé doit frapper un produit intérieur et un produit importé identique d'un même impôt au même stade de commercialisation, et que le fait générateur de l'impôt doit, lui aussi, être identique pour les deux produits. Il ne suffit donc pas que l'imposition frappant le produit importé ait pour but de compenser une charge frappant le produit intérieur similaire - ou ayant frappé ce produit ou un produit dont il est dérivé - à un stade de production ou de commercialisation antérieur à celui auquel est appréhendé le produit importé. Soustraire une taxe perçue à la frontière à la qualification de taxe d'effet équivalent, alors qu'elle ne frappe pas le produit national similaire ou qu'elle le frappe à des stades de commercialisation différents, ou encore, sur la base d'un fait générateur d'impôt différent, parce que cette taxe viserait à compenser une charge fiscale intérieure affectant le même produit - outre que cela ne tiendrait pas compte des charges fiscales ayant pesé sur le produit importé dans l'Etat membre de provenance - priverait de son contenu et de sa portée l'interdiction des taxes d'effet équivalant à des droits de douane.
9. Il y a donc lieu de répondre à la première question que constitue une taxe d'effet équivalant à un droit de douane, au sens des articles 9, 12 et 13 du traité, une taxe qui, à l'occasion de leur importation, frappe des viandes préparées ou non, et notamment des lots de saindoux, alors que les produits intérieurs similaires ne sont pas frappés ou le sont suivant des critères différents, notamment en raison d'un fait générateur d'impôt différent.
10. Les deux autres questions n'ont été posées par la juridiction de renvoi que pour le cas où la Cour jugerait qu'une taxe de la nature de celle visée échapperait à la qualification de taxe d'effet équivalant à un droit de douane. Il s'ensuit qu'une réponse à ces questions est, compte tenu de la réponse donnée à la première question, devenue sans objet.
Sur les dépens
11. Les frais exposés par le Gouvernement de la République française et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent pas faire l'objet de remboursement. La procédure revêtant à l'égard des parties au principal le caractère d'un incident, soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (première chambre),
Statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunal d'instance de Lille, par jugement du 25 mai 1978 complété par un jugement rectificatif du 6 juillet 1978, dit pour droit:
Constitue une taxe d'effet équivalant à un droit de douane, au sens des articles 9, 12 et 13 du traité CEE, une taxe qui, à l'occasion de leur importation, frappe des viandes préparées ou non, et notamment des lots de saindoux, alors que les produits intérieurs similaires ne sont pas frappés ou le sont suivant des critères différents, notamment en raison d'un fait générateur d'impôt différent.