CJCE, 3e ch., 13 mars 1986, n° 54-85
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Mirepoix
LA COUR,
1. Par jugement du 4 février 1985, parvenu à la Cour le 25 février 1985, le Tribunal de police de Dijon a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative à l'interprétation des articles 30 et 36 du traité CEE, concernant la libre circulation des marchandises à l'intérieur de la communauté.
2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'une procédure pénale engagée contre M. Mirepoix, prévenu d'avoir importé, en vue de la vente sur le marché intérieur français, des oignons en provenance des Pays-Bas ayant fait l'objet d'un traitement au moyen d'une substance dénommée hydrazide maleique, dont l'emploi n'est pas autorisé en France.
3 Il ressort du dossier que cette substance est un produit chimique de synthèse appartenant au groupe des pesticides régulateurs de croissance. Lorsqu'elle est appliquée sur les feuilles de la plante, l'hydrazide maleique passe dans les tissus et ses résidus y persistent suffisamment longtemps pour empêcher la repousse pendant d'assez longues périodes. Il est constant que des oignons ainsi traités et mis sur le marché à l'état frais ne peuvent avoir une teneur égale à zéro en résidus de cette substance, au cours du délai normal de mise sur le marché.
4 C'est par l'application des dispositions combinées de l'article 6 de l'arrêté du 20 juillet 1956, relatif au commerce des fruits et légumes (JORF du 9.8.1956, p. 7627), des articles R. 5149 et R. 5158 du Code de la santé publique, et de l'arrêté ministériel du 31 juillet 1968, que l'utilisation de l'hydrazide maleique est interdite dans toutes les cultures et récoltes pour lesquelles leur emploi n'a pas été autorisé expressément par arrêté du ministre de l'agriculture.
5 Devant la juridiction nationale, le prévenu à contesté la validité, au regard du droit communautaire, de cette règlementation sur le fondement de laquelle il était poursuivi. Estimant que sa décision dépendait de la question de savoir si cette règlementation était compatible avec les articles 30 et 36 du traité CEE, le Tribunal de police de Dijon à sursis à statuer et a posé à la cour la question suivante :
" L'article 6 de l'arrêté du 20 juillet 1956 qui interdit la vente de fruits et légumes qui ont fait l'objet, avant ou après récolte, d'un traitement antiparasitaire ou chimique non autorisé, et qui a pour effet d'interdire l'importation en France des oignons en provenance notamment de hollande traités avec des substances éprouvées facilitant la conservation desdits oignons, substances au nombre desquelles se trouve l'hydrazide maleique, dont l'utilisation comme inhibiteur de germination est, semble-t-il, permise dans les autres pays de la CEE, est-il ou non constitutif d'une mesure ayant un effet équivalant à une mesure de restriction à l'importation au sens de l'article 30 du traité de Rome? "
6 Il y a lieu de rappeler tout d'abord que, statuant dans le cadre de l'article 177 du traité CEE, la cour n'a pas compétence pour apprécier la compatibilité de règles nationales avec le droit communautaire. Elle peut seulement fournir à la juridiction nationale des éléments utiles d'interprétation du droit communautaire. Il convient dans ces conditions de considérer que, par la question posée, le juge national demande en substance si, au regard des articles 30 et 36 du traité, une règlementation d'un Etat membre qui interdit la commercialisation de fruits et légumes qui ont fait l'objet d'un traitement antiparasitaire ou chimique non autorisé au moyen d'hydrazide maleique, et qui a pour effet d'interdire l'importation de produits ayant fait l'objet d'un tel traitement en provenance d'un autre Etat membre, peut être justifiée en tant que mesure nécessaire à la protection de la santé publique.
7 Selon M. Mirepoix, partie défenderesse au principal, la règlementation nationale en cause est contraire à l'article 30 du traité et ne saurait bénéficier des dérogations prévues par l'article 36. En effet, il ne subsisterait plus de véritable incertitude sur la nocivité du produit en cause, la règlementation française ne serait pas strictement limitée à ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif de protection de la santé et l'interdiction qu'elle édicte omettrait de concilier le souci de protection de la santé et l'impératif de mise en œuvre de bonnes techniques de production et de commercialisation des produits agricoles.
8 Le Gouvernement français a fait valoir que la règlementation communautaire ne comprenant aucune disposition relative à l'utilisation de l'hydrazide maleique, les Etats membres conservent compétence pour règlementer la présence des résidus de ce pesticide dans les denrées alimentaires. L'interdiction édictée par la règlementation en cause serait justifiée du fait que la présence de résidus toxiques résulte nécessairement d'un traitement des oignons au moyen de l'hydrazide maleique. Dès lors, la question préjudicielle posée par le juge national devrait conduire à une solution identique à celle retenue par la cour dans l'arrêt du 19 septembre 1984 (Albert Heijn, 94-83, Rec. 1984, p. 3263).
9 Selon le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne, la mesure en cause constituerait une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation, au sens de l'article 30 du traité, mais serait à l'évidence justifiée par des raisons de protection de la santé et de la vie des personnes au sens de l'article 36 du traité. Il conviendrait, en effet, de tenir compte, d'une part, de l'incertitude des connaissances scientifiques sur les effets de ces pesticides, et d'autre part, des habitudes alimentaires des consommateurs, des conditions climatiques et des autres utilisations de l'hydrazide maleique qui diffèrent d'un Etat membre à l'autre. En effet, puisque c'est la quantité totale de ce pesticide et de substances aux effets voisins absorbée par le consommateur qui est décisive, les Etats membres seraient fondés à en règlementer l'utilisation de façon différente, même s'ils s'accordent sur la dose quotidienne maximale admissible.
10 La Commission a également insisté sur la similitude de la présente espèce avec celle ayant donné lieu à l'arrêt Heijn précité, en faisant remarquer toutefois qu'alors que dans cette dernière la règlementation nationale fixait une teneur maximale admissible du pesticide, la règlementation nationale en cause dans la présente espèce interdit tout traitement des oignons par l'hydrazide maleique. Selon la Commission, " les articles 30 et 36 du traité font obstacle à ce qu'un Etat membre interdise l'importation de fruits et légumes en provenance d'un autre Etat membre, au seul motif que ceux-ci ont fait l'objet dans le second état d'un traitement non autorisé par la règlementation du premier état. Il ne pourrait en être autrement que si le traitement en cause dépassait ceux acceptés par cet Etat membre pour des traitements comparables sur son territoire, dans le cadre de sa politique de pesticides dans les denrées alimentaires. A cet effet, les autorités de l'Etat membre importateur seraient tenues de prendre l'initiative de se procurer les renseignements nécessaires en demandant à l'importateur de présenter les données dont il dispose, en prenant contact avec les autorités de l'Etat membre qui a autorisé le traitement et en tenant compte des informations scientifiques disponibles ". Dans la mesure où une règlementation nationale ne permettrait pas de procéder à un tel examen, ce qui serait le cas de celle en cause, elle serait contraire aux articles 30 et 36 du traité.
11 Il convient liminairement de constater que l'usage du pesticide dont il s'agit en l'espèce n'est règlementé ni par la directive 76-895 du Conseil, du 23 novembre 1976, concernant la fixation de teneurs maximales pour les résidus de pesticides sur et dans les fruits et légumes (JO L 340, p. 26), ni par la directive 79-117 du Conseil, du 21 décembre 1978, concernant l'interdiction de mise sur le marché et l'utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant certaines substances actives (JO L 33, p. 36).
12 L'interdiction prononcée par un Etat membre de toute utilisation de l'hydrazide maleique pour l'ensemble des cultures et récoltes et l'interdiction d'importation de tous produits traités avec une telle substance qui en résulte sont de nature à affecter les importations en provenance d'autres Etats membres ou le traitement au moyen de cette substance est totalement ou partiellement admis. Une telle règlementation constitue, de ce fait, une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative.
13 Cependant, ainsi que la cour l'a relevé dans son arrêt du 19 septembre 1984, Heijn, précité, les pesticides représentent un danger important pour la santé des hommes et des animaux et pour l'environnement, ce qui a été reconnu au niveau communautaire, notamment dans le cinquième considérant de la directive 76-895 du Conseil, précitée, selon lequel " les pesticides n'ont pas uniquement des répercussions favorables sur la production végétale, étant donné qu'il s'agit en général de substances toxiques ou de préparations à effets dangereux ". Il appartient dès lors aux Etats membres, en application de l'article 36 et à défaut d'harmonisation en la matière, de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé et de la vie des personnes, tout en tenant compte des exigences de la libre circulation des marchandises telles qu'elles sont énoncées par le traité et notamment par la dernière phrase de cet article.
14 Dès lors, il convient de rappeler, ainsi que la cour l'avait affirmé dans l'arrêt Heijn précité, qu'en adoptant des mesures relatives à l'utilisation des pesticides les Etats membres doivent tenir compte du fait que ces substances sont à la fois nécessaires à l'agriculture et nocives à la santé humaine et animale. Le fait que les quantités absorbées par le consommateur, notamment sous la forme de résidus sur les denrées alimentaires, sont imprévisibles et incontrôlables justifie la nécessité de mesures rigoureuses afin de limiter les risques encourus par les consommateurs, comme l'a soutenu à juste titre le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne.
15 Ainsi, dans la mesure ou la règlementation communautaire en la matière ne couvre pas certains pesticides, les Etats membres peuvent règlementer la présence des résidus de ces pesticides sur les denrées alimentaires d'une façon qui peut varier d'un pays à l'autre en fonction des conditions climatologiques, de la composition de l'alimentation habituelle de la population, ainsi que de l'état de santé de cette dernière.
16 Toutefois, les autorités de l'Etat membre importateur sont tenues de revoir une interdiction d'utilisation d'un pesticide ou une teneur maximale prescrite s'il leur apparaît que les raisons qui ont conduit à édicter de telles mesures ont été modifiées, par exemple à la suite de la découverte d'un nouvel usage pour tel ou tel pesticide, ou de l'évolution des données disponibles résultant de la recherche scientifique.
17 Elles doivent également permettre, selon une procédure facilement accessible aux opérateurs économiques, l'octroi de dérogations à la règlementation édictée, lorsqu'il apparaît qu'un usage déterminé du pesticide en cause ne présente pas de danger pour la santé publique.
18 Il convient donc de répondre à la question posée que, dans l'état actuel de la règlementation communautaire relative aux produits alimentaires traités avec des pesticides, les articles 30 et 36 du traité, non plus qu'aucune autre disposition du droit communautaire, ne font obstacle à ce qu'un Etat membre applique aux fruits et légumes importés d'un autre Etat membre sa règlementation nationale interdisant la commercialisation de ces produits lorsqu'ils ont fait l'objet d'un traitement à l'hydrazide maleique.
Sur les dépens
19 Les frais exposés par le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne et par la Commission des communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant à l'égard des parties au principal le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (troisième chambre),
Statuant sur la question a elle soumise par le Tribunal de police de Dijon, par jugement du 4 février 1985, dit pour droit :
Dans l'état actuel de la règlementation communautaire relative aux produits alimentaires traités avec des pesticides, les articles 30 et 36 du traité, non plus qu'aucune autre disposition du droit communautaire, ne font obstacle à ce qu'un Etat membre appliqué aux fruits et légumes importés d'un autre Etat membre sa règlementation nationale interdisant la commercialisation de ces produits lorsqu'ils ont fait l'objet d'un traitement à l'hydrazide maleique.