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Décisions

CJCE, 5e ch., 6 juin 1984, n° 97-83

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

CMC Melkunie BV

CJCE n° 97-83

6 juin 1984

LA COUR,

1. Par arrêt en date du 10 mai 1983, parvenu à la Cour le 27 mai 1983, le Hoge Raad a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation des dispositions du traité CEE relatives à la libre circulation des marchandises à l'intérieur de la communauté.

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'une procédure pénale engagée contre un importateur néerlandais pour détention en stock de produits laitiers impropres à la consommation humaine en violation des dispositions du Melkbesluit du 25 octobre 1974 (arrêté sur le lait) qui, prises sur la base des articles 14 et 16 de la Warenwet du 28 décembre 1935, loi portant prescriptions relatives à la dénomination et à la qualité des marchandises (Stb. 1935, n° 793), modifiée, fixent les conditions auxquelles les produits laitiers pasteurises ou stérilisés doivent satisfaire pour être commercialisés sur le marché néerlandais.

3. En vertu de l'article 34, paragraphe 3, du Melkbesluit, les produits laitiers pasteurises doivent, notamment, répondre, à la date limite de vente au détail, aux conditions suivantes :

'A) Ne pas contenir des bactéries coliformes cultivables dans un millilitre de produit ;

B) le nombre de micro-organismes cultivables ne doit pas être supérieur à 50 000 par millilitre, sauf pour la crème fouettée, pour laquelle ce chiffre ne doit pas dépasser 200 000.

4. L'analyse, effectuée par les services de contrôle néerlandais, de cinq lots du produit qui avait été importé de République fédérale d'Allemagne en vue de sa commercialisation aux Pays-Bas, a révélé, à la date limite de vente indiquée sur l'emballage du produit ou immédiatement avant, la présence, d'une part, de micro-organismes cultivables, dont le nombre s'établissait par millilitre successivement à 9 millions pour les deux premiers lots, 18 millions pour le troisième, 90 millions pour le quatrième et 82 000 pour le cinquième et, d'autre part, de bactéries coliformes cultivables dans les troisième et quatrième lots.

5. Relaxée des poursuites engagées contre elle par jugement du tribunal de police en date du 16 avril 1981, la société Melkunie a été condamnée par un arrêt du 7 mai 1982 du Gerechtshof d'Amsterdam, a cinq amendes de 4 000 florins chacune " pour violation à cinq reprises par une personne morale d'une prescription imposée par l'article 16 de la Warenwet ".

6. La société Melkunie s'est pourvue contre cette décision devant le Hoge Raad qui a sursis à statuer et posé les questions préjudicielles suivantes :

I - Lorsqu'elles sont appliquées en liaison avec les prescriptions visées au point 6 du présent arrêt à des marchandises importées d'un autre Etat membre des communautés européennes, les dispositions du Melkbesluit (Warenwet) de 1974, et en particulier les conditions exigées à l'article 34, paragraphe 3, de cet arrêté pour les marchandises qualifiées de " pasteurisées ", à savoir :

A) Qu'il ne doit pas être possible de déceler l'existence de bactéries coliformes cultivables dans un millilitre de produits ;

B) Et que le nombre de micro-organismes cultivables ne doit pas être supérieur à 50 000 par millilitre, sauf pour la crème fouettée pour laquelle ce chiffre peut aller jusqu' a 200 000 ;

Doivent-elles être considérées comme des mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives à l'importation au sens de l'article 30 du traité CEE ?

II - Si la réponse à la première question est affirmative, l'exigence de telles conditions et leur application à des marchandises importées d'un autre Etat membre des Communautés européennes sont-elles néanmoins justifiées au titre de l'article 36 du traité CEE par l'une des raisons visées dans cette disposition du traité et en particulier par des raisons tenant à la protection de " la santé des personnes " ?

7. S'il n'appartient pas à la Cour, dans le cadre de l'article 177 du traité, de se prononcer sur la compatibilité des dispositions d'une règlementation nationale avec le traité, elle est, par contre, compétente pour fournir à la juridiction nationale tous éléments d'interprétation relevant du droit communautaire qui peuvent lui permettre de juger de cette compatibilité.

8. Dans cette perspective, il convient de considérer que le Hoge Raad interroge la Cour sur les points de savoir :

- Si une règlementation nationale qui interdit la commercialisation de produits pasteurisés, légalement produits et commercialisés dans l'Etat membre d'exportation au motif que ceux-ci ne répondent pas aux exigences microbiologiques posées dans l'Etat membre d'importation, constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative au sens de l'article 30 ;

- Si la réponse à la première question est affirmative, dans quelles conditions l'article 36 du traité autorise une telle restriction d'importation pour des motifs de protection de la santé et de la vie des personnes.

Sur la première question

9. Il convient d'observer que les exigences microbiologiques touchant la production et la commercialisation du lait et des produits laitiers n'ont été réglées par le législateur communautaire ni dans le cadre de l'organisation commune du marché des produits laitiers, ni dans celui de l'harmonisation des législations nationales en la matière.

10. Si les Etats membres sont, par conséquent, en droit de fixer les normes auxquelles les produits destinés à la consommation humaine doivent satisfaire sur leur territoire respectif, les règlementations nationales en question ne peuvent cependant échapper au champ d'application des articles 30 et suivants du traité. Selon une jurisprudence constante, l'interdiction des mesures d'effet équivalent mentionnée à l'article 30 vise, en effet, toute règlementation commerciale des Etats membres susceptible de faire obstacle directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, au commerce intracommunautaire.

11. Il y a donc lieu de répondre à la première question qu'une règlementation nationale qui interdit la commercialisation de marchandises légalement produites et commercialisées dans le pays d'exportation au motif que celles-ci ne répondent pas aux exigences microbiologiques posées dans l'Etat membre d'importation, constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative au sens de l'article 30 du traité CEE.

Sur la seconde question

12. Selon une jurisprudence constante, il résulte de l'article 36 qu'une règlementation nationale ayant, ou étant susceptible d'avoir, un effet restrictif sur les échanges n'est compatible avec le traité que dans la mesure ou elle est nécessaire aux fins d'une protection efficace de la santé et de la vie des personnes. Aussi la dérogation de l'article 36 ne saurait-elle jouer lorsque la santé et la vie des personnes peuvent être protégées de manière aussi efficace par des mesures moins restrictives des échanges intracommunautaires.

13. A cet égard, la société Melkunie fait valoir, en premier lieu, que le produit en cause remplit les conditions posées par la règlementation de l'Etat membre d'exportation, et que celle-ci offrirait des garanties équivalentes à celles qui sont posées dans l'Etat membre d'importation. Dans ces conditions, la nécessaire collaboration entre Etats membres devrait conduire l'état d'importation à exiger des produits importés le respect des seules normes de l'état d'exportation. Elle soutient, en second lieu, que l'article 36 ne saurait justifier une règlementation du type de la règlementation néerlandaise, celle-ci allant au-delà de ce qu'exige un strict souci de protection de la santé publique.

14. Eu égard au premier argument de la société Melkunie, il y a lieu d'observer que, s'il est exact, comme la Cour l'a maintes fois constaté, et notamment dans l'arrêt du 8 février 1983 (Commission/Royaume-Uni, 124-81, Recueil 1983, p. 203), qu'une collaboration entre les autorités des Etats membres est susceptible de faciliter et d'alléger les contrôles aux frontières tout en permettant aux autorités de l'état d'importation de s'assurer de la conformité des marchandises importées avec les exigences de la législation sanitaire nationale, il n'en demeure pas moins que cette collaboration ne saurait faire obstacle au droit de chaque Etat membre d'édicter et d'appliquer sa propre règlementation protectrice de la santé publique. Une telle règlementation est compatible avec les règles du traité, des lors que les exigences de l'article 36 se trouvent respectées. Il doit être établi, à cet effet, que ces normes sont nécessaires à une protection efficace de la santé et de la vie des personnes résident dans l'état d'importation, et ne constituent ni un moyen de discrimination arbitraire, ni une restriction déguisée dans le commerce entre Etats membres.

15. S'agissant de savoir si les règles posées par le Melkbesluit sont justifiées au regard de l'article 36 du traité, il ressort, en premier lieu, du dossier que la présence de bactéries coliformes cultivables dans un produit laitier traduit le risque d'une présence de micro-organismes pathogènes et constitue, par conséquent, une indication directe d'un danger réel que présente ce produit pour la santé des personnes. Il y a donc lieu d'admettre qu'une exigence, visant à exclure dans un tel produit la présence de toute bactérie coliforme cultivable, est justifiée au sens de l'article 36 du traité.

16. Eu égard à la seconde exigence, fixant un plafond de micro-organismes cultivables non pathogènes, la société Melkunie et la Commission font valoir tout d'abord que l'état des connaissances scientifiques actuelles ne permet pas de fixer la quantité maximale de tels micro-organismes que l'homme peut absorber journellement sans risque grave. Elles déclarent ensuite que ce n'est qu'a partir d'une concentration de 1 à 2 millions de ces micro-organismes par millilitre du produit en cause, beaucoup plus forte que celle de 50 000 retenue par la règlementation litigieuse, qu'apparaîtrait éventuellement un danger pour la santé humaine. Elles estiment, enfin, que la fixation d'un plafond de micro-organismes non pathogènes à la date limite de vente d'un produit pasteurisé serait excessivement sévère, et qu'il suffirait de poser une exigence de ce type au sortir du processus de pasteurisation.

17. Il convient de noter en premier lieu que, selon les pièces du dossier, les Etats membres qui fixent un plafond de micro-organismes non pathogènes retiennent des chiffres du même ordre de grandeur que celui de 50 000 retenu par le Melkbesluit, même si cette exigence est posée à des stades différents du processus de commercialisation.

18. S'il apparaît ensuite que les données disponibles, en l'état actuel de la recherche scientifique, ne permettent pas de fixer avec certitude le nombre précis de micro-organismes non pathogènes au-delà duquel un produit laitier pasteurisé présenté un danger pour la santé, il appartient aux Etats membres, à défaut d'harmonisation en la matière, de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé et de la vie des personnes, tout en tenant compte des exigences de la libre circulation des marchandises. De ce point de vue, une règlementation nationale visant à ce que le produit laitier en cause soit exempt, au moment de sa consommation, d'un nombre de germes simplement susceptible de faire courir un risque à la santé de certains consommateurs particulièrement sensibles, doit être regardée comme conforme aux exigences de l'article 36.

19. Pour apprécier la validité d'une règle fixant le nombre maximal de ces micro-organismes à la date limite de vente des produits laitiers, et non à la date de leur consommation, il apparaît enfin légitime, ainsi que le soutient le Gouvernement néerlandais, de prendre en considération les habitudes nationales selon lesquelles de tels produits sont conservés pendant un certain délai par les particuliers, dans des conditions moins favorables que dans les installations des distributeurs, avant d'être consommés. Il convient donc que le juge national tienne compte, pour apprécier la validité de la norme en cause, de la vitesse de multiplication des micro-organismes pendant le délai qui sépare, normalement, la vente de ces produits de leur consommation.

20. Il y a donc lieu de répondre à la seconde question qu'est conforme aux exigences de l'article 36 du traité CEE une règlementation nationale :

A) Qui exclut la présence, dans un produit laitier pasteurise, de bactéries coliformes cultivables ;

B) Qui vise a exclure la présence dans ce produit laitier, au moment de sa consommation, d'un nombre de micro-organismes non pathogènes susceptible de faire courir un risque à la santé des consommateurs les plus sensibles, et qui fixe, à cet effet, un nombre maximum de ces micro-organismes à la date de vente du produit, en fonction de la détérioration de celui-ci pendant le délai qui s'écoule entre sa vente et sa consommation.

Sur les dépens

21. Les frais exposés par le Gouvernement danois, le Gouvernement néerlandais et la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulève devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par le Hoge Raad, par arrêt du 10 mai 1983, dit pour droit :

1) Une règlementation nationale qui interdit la commercialisation de marchandises légalement produites et commercialisées dans le pays d'exportation au motif que celles-ci ne répondent pas aux exigences microbiologiques posées dans l'Etat membre d'importation, constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative au sens de l'article 30 du traité CEE.

2) Est conforme aux exigences de l'article 36 du traité CEE une règlementation nationale :

A) Qui exclut la présence dans un produit laitier pasteurise, de bactéries coliformes cultivables ;

B) Qui vise à exclure la présence dans ce produit laitier, au moment de sa consommation, d'un nombre de micro-organismes non pathogènes susceptible de faire courir un risque à la santé des consommateurs les plus sensibles, et qui fixe, à cet effet, un nombre maximal de ces micro-organismes à la date de vente du produit, en fonction de la détérioration de celui-ci pendant le délai qui s'écoule entre sa vente et sa consommation.