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Décisions

CJCE, 24 novembre 1977, n° 65-77

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Razanatsimba

CJCE n° 65-77

24 novembre 1977

LA COUR,

1. Attendu que, par arrêt du 18 mai 1977, parvenu à la Cour le 27 du même mois, la Cour d'appel de Douai a posé à la Cour, en vertu de l'article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 62 de la convention entre les états d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, d'une part, et la communauté économique européenne, d'autre part, signée à Lome le 28 février 1975, publiée en annexe au règlement n° 199-76 du conseil du 30 janvier 1976 (JO n° L 25, p. 1), désignée ci-après par l'expression " la convention de Lome ", en rapport avec le droit d'établissement des avocats dans la République française ;

2. Attendu qu'il apparaît du dossier que le demandeur au principal, ressortissant malgache, titulaire de la licence en droit et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat, acquis conformément à la législation française, a demandé son admission au stage auprès du barreau de Lille ;

3. Que le conseil de l'ordre, après avoir constaté que, sans préjudice de l'enquête et des contrôles habituels, l'impétrant possède les qualifications professionnelles lui permettant de solliciter son admission, à réserve sa position en ce qui concerne l'application de la condition de nationalité formulée en ces termes par l'article 11 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (journal officiel de la République française du 5 janvier 1972, p. 131) : " être français, sous réserve des conventions internationales " ;

4. Que, le demandeur s'étant prévalu à cet égard de l'article 62 de la convention de Lome, le conseil de l'ordre, invoquant l'article 177 du traité CEE, avait, par décision du 14 décembre 1976, adresse à la Cour de justice une demande de décision préjudicielle portant sur deux questions de contenu identique à celles qui font l'objet de l'arrêt de renvoi de la Cour de Douai (affaire 3-77, JO 1977, n° C 40, p. 8) ;

5. Que, sur recours formé par le procureur général, la cour d'appel a, par l'arrêt cité, annulé la décision du conseil de l'ordre au motif que celui-ci, lorsqu'il statue en matière d'admission au stage, ferait acte d'autorité administrative, mais non de juridiction et que, dès lors, il n'aurait pas qualité pour saisir la Cour de justice d'une demande de décision préjudicielle en vertu de l'article 177 du traité ;

6. Que, par voie de conséquence, la Cour de justice a prononce la radiation de l'affaire 3-77, par ordonnance du 15 juin 1977 (JO n° C 185, p. 1) ;

7. Qu'il résulte, en outre, de l'arrêt susdit qu'en vertu de l'annulation de la décision du conseil de l'ordre, l'affaire relative à l'admission du demandeur au stage a été dévolue dans son ensemble à la cour d'appel ;

8. Attendu que la juridiction nationale, considérant que la solution de l'affaire dont elle se trouve saisie exige l'interprétation de l'article 62 de la convention de Lome, a posé deux questions préjudicielles ainsi libellées :

" 1°) l'article 62 de la convention de Lome du 28 février 1975 emporte-t-il le droit, pour un ressortissant d'un état ACP, et singulièrement pour une personne de nationalité malgache, de s'établir sur le territoire d'un Etat membre, et singulièrement sur le territoire français, sans condition de nationalité ?

2°) la réserve contenue dans l'article 62 susvisé a-t-elle pour effet de permettre à un Etat membre d'exiger, pour une activité déterminée et en l'espèce pour la profession d'avocat, la nationalité de cet état ou d'un autre Etat membre ? "

Sur la première question

9. Attendu qu'aux termes de l'article 62 de la convention de Lome, " en ce qui concerne le régime applicable en matière d'établissement et de prestation de services, les états ACP, d'un côté, et les Etats membres, de l'autre, traitent sur une base non discriminatoire les ressortissants et sociétés des Etats membres et les ressortissants et sociétés des états ACP respectivement. Toutefois, si pour une activité déterminée, un état ACP ou un Etat membre n'est pas en mesure d'assurer un tel traitement, les Etats membres ou les états ACP, selon le cas, ne sont pas tenus d'accorder un tel traitement pour cette activité aux ressortissants et sociétés de l'état en question " ;

10. Attendu que, dans son mémoire écrit, le demandeur au principal a assimilé l'effet de l'article 62 de la convention de Lome aux dispositions du traité CEE en matière d'établissement et invoque, en sa faveur, les considérations qui sont à la base de l'arrêt de la Cour du 21 juillet 1974, Reyners/Etat belge, affaire 2-74 (Recueil 1974, p. 631) ;

11. Attendu, cependant, que le texte de l'article 62 ne permet pas de retenir une telle argumentation ;

12. Qu'en effet, ce texte, se référant aux deux groupes d'états liés par la convention de Lome, les états ACP et les Etats membres de la CEE, dispose que tout état appartenant à l'un des deux groupes traité sur une base non discriminatoire les ressortissants de tout état appartenant à l'autre groupe ;

13. Que, par contre, le texte n'a pas pour objet d'assurer l'égalité de traitement entre les ressortissants d'un état ACP et ceux d'un Etat membre de la CEE ;

14. Que, plus particulièrement, cette disposition n'oblige ni les états ACP ni les Etats membres de la CEE a assurer, aux ressortissants d'un état appartenant à l'autre groupe, un traitement identique à celui réservé à leurs propres ressortissants ;

15. Attendu que la conclusion qui précède laisse cependant ouverte la question de savoir si les ressortissants d'un état ACP seraient éventuellement en droit d'invoquer, en vertu de la règle de non-discrimination de l'article 62 de la convention de Lome, les avantages particuliers, accordés en matière d'établissement par un Etat membre à d'autres états ACP ;

16. Qu'il résulte, en effet, des renseignements communiqués par le Gouvernement français, sur demande de la Cour, que la République française a conclu, avec un petit nombre d'états ACP, des conventions d'établissement ou des conventions judiciaires fondées sur l'application réciproque du traitement national ;

17. Qu'il a été précisé, en outre, qu'une convention judiciaire fondée sur le principe du traitement national en matière d'établissement des avocats existait antérieurement entre la République française et la République malgache, mais qu'à l'initiative de ce dernier état, ces dispositions ont été remplacées ultérieurement par une convention limitée, en ce qui concerne les avocats, à la libre prestation de services dans des cas déterminés ;

18. Que l'existence de ces régimes particuliers, dans les rapports entre la République française et certains parmi les états ACP, soulève la question de savoir si la clause de non-discrimination de l'article 62 de la convention de Lome doit éventuellement être comprise comme assurant, en France, à un ressortissant malgache, le même traitement que celui assure aux ressortissants des états ACP ainsi favorisés ;

19. Attendu que, pour répondre à cette question, il suffit de constater qu'il n'est pas porté atteinte à la règle de non-discrimination de l'article 62 par le fait qu'un Etat membre réserve éventuellement un traitement plus favorable aux ressortissants d'un état ACP, pour autant que ce traitement résulte des dispositions d'un accord international comportant des droits et des avantages réciproques ;

20. Attendu qu'il y a donc lieu de répondre à la première question que l'article 62 de la convention de Lome n'emporte pas le droit, pour un ressortissant d'un état ACP, de s'établir sur le territoire d'un Etat membre, sans condition de nationalité, en ce qui concerne l'exercice de professions réservées par la législation de cet état à ses propres nationaux ;

Sur la deuxième question

21. Attendu qu'une réponse à la deuxième question, visant à préciser la portée de la réserve contenue dans la deuxième phrase de l'article 62 de la convention de Lome, ne serait nécessaire que dans l'hypothèse où l'interprétation de la première phrase du même article aurait eu pour effet d'assurer l'application du traitement national en faveur des ressortissants des ACP, en ce qui concerne la profession en cause ;

22. Que tel n'étant pas le cas, en l'occurrence, la deuxième question peut rester sans réponse ;

es

Quant aux dépens

23. Attendu que les frais exposés par le Gouvernement de la République française et par la commission des communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement ;

24. Que la procédure revêtant à l'égard des parties au principal le caractère d'un incident soulevé au cours de la procédure engagee devant la juridiction nationale, il appartient a celle-ci de statuer sur les dépens ;

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par la Cour d'appel de Douai, par arrêt du 18 mai 1977, dit pour droit :

L'article 62 de la convention ACP-CEE, signée le 28 février 1975, à Lome, entre les états d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, d'une part, la communauté économique européenne, d'autre part, n'emporte pas le droit, pour un ressortissant d'un état ACP, de s'établir sur le territoire d'un Etat membre de la CEE, sans condition de nationalité, en ce qui concerne l'exercice de professions réservées par la législation de cet état à ses propres nationaux.