CJCE, 7 février 1979, n° 115-78
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Knoors
Défendeur :
Secrétaire d'État aux Affaires économiques
La Cour,
1. Attendu que, par ordonnance du 9 mai 1978, parvenue à la Cour le 12 du même mois, le College van Beroep voor Het Bedrijfsleven a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative à l'interprétation de la directive du Conseil 64-427 du 7 juillet 1964, relative aux modalités des mesures transitoires dans le domaine des activités non-salariées de transformation relevant des classes 23-40 CITI ['classification internationale type, par industrie, de toutes les branches d'activités économiques' des Nations Unies] (industrie et artisanat) (JO 1964, p. 1863) ;
2. Attendu qu'il résulte de la décision de renvoi que le requérant au principal, ressortissant néerlandais domicilié en Belgique, a été occupé, au cours d'un séjour prolongé dans cet Etat membre, comme travailleur salarié dans une entreprise d'installation-plomberie et qu'il a, depuis l'année 1970, exercé dans cet Etat la profession d'installateur-plombier en qualité de chef d'entreprise indépendant ;
3. Qu'ayant adressé aux autorités néerlandaises compétentes une demande en vue d'être autorisé à exercer la même profession dans son pays d'origine, il s'est vu opposer un refus en raison de la circonstance qu'il n'est pas en possession des qualifications professionnelles requises par la législation néerlandaise ;
4. Qu'à cette occasion, les autorités néerlandaises ont signifié à l'intéressé qu'il ne saurait bénéficier des dispositions de l'article 15, paragraphe 1, c), de la vestigingswet bedrijven 1954 (loi d'établissement), aux termes duquel l'autorisation d'exercer certaines professions peut être accordée dès lors que les dispositions d'une directive du Conseil des Communautés européennes en matière d'établissement impliquent l'octroi d'une telle autorisation ;
5. Qu'il a été précisé à cet égard, dans deux décisions successives du secrétaire d'Etat néerlandais aux Affaires économiques, que le demandeur ne saurait être considéré, en tant que citoyen néerlandais, comme étant bénéficiaire des dispositions de la directive pertinente, selon lesquelles lorsque, dans un Etat membre, l'accès à certaines activités économiques est subordonné à la possession de qualifications professionnelles déterminées, cet Etat membre reconnaît comme preuve suffisante de ces qualifications l'exercice effectif dans un autre Etat membre de l'activité considérée ;
6. Que, pour sa part, le requérant estime que la directive 64-427 aurait dû amener les autorités néerlandaises à lui accorder l'autorisation sollicitée ;
7. Qu'en vue de résoudre ce litige, le collège van Beroep voor Het Bedrijfsleven a formulé la question suivante :
La directive du Conseil 64-427 du 7 juillet 1964, relative aux modalités des mesures transitoires dans le domaine des activités non-salariées de transformation relevant des classes 23-40 CITI (industrie et artisanat), doit-elle être comprise en ce sens que sont également 'bénéficiaires', au sens visé à l'article 1, paragraphe 1, de la directive, les personnes possédant exclusivement la nationalité de l'Etat membre d'accueil et ayant toujours possédé celle-ci ?
8. Attendu que le domaine d'application personnel de la directive 64-427 doit être déterminé en fonction, d'une part, de l'objet propre de cette directive et, d'autre part, des dispositions qui en forment la base et le cadre, à savoir les programmes généraux pour la suppression des restrictions à la libre prestation des services et à la liberté d'établissement du 18 décembre 1961 (JO 1962, p. 32 et 36 respectivement), ainsi que les dispositions afférentes du traité ;
9. Attendu que la directive 64-427 vise à faciliter la réalisation de la liberté d'établissement et de la libre prestation des services, dans un large éventail d'activités professionnelles relevant de l'industrie et de l'artisanat, en attendant l'harmonisation des conditions d'accès aux activités en cause dans les différents Etats membres, préalable indispensable à une libéralisation complète dans ce domaine ;
10. Que, plus particulièrement, cette directive tient compte des difficultés résultant de la circonstance que, dans certains Etats membres, il existe, en ce qui concerne les activités en cause, un régime de liberté d'accès et d'exercice, alors que d'autres Etats membres appliquent des conditions plus ou moins rigoureuses comportant la possession d'un titre de formation professionnelle pour l'admission à certaines professions ;
11. Qu'en vue de résoudre les problèmes créés par cette disparité, l'article 3 de la directive dispose que, lorsque, dans un Etat membre, l'accès à l'une des activités visées par la directive ou l'exercice de celle-ci est subordonné à la possession de qualifications déterminées, 'cet Etat membre reconnaît comme preuve suffisante de ces connaissances et aptitudes l'exercice effectif dans un autre Etat membre de l'activité considérée';
12. Que cet article précise, en outre, ce qu'il faut entendre par 'exercice effectif' d'une profession, en fixant notamment des durées minimales pendant lesquelles celle-ci doit avoir été pratiquée ;
13. Qu'en contrepartie, l'article 5 de la même directive règle, en ce qui concerne les Etats membres où l'accès à l'une des activités mentionnées n'est pas subordonné à la possession de qualifications professionnelles déterminées, la situation des personnes en provenance d'un Etat membre où de telles qualifications sont requises ;
14. Que le domaine d'application personnel est déterminé, pour l'essentiel, par l'article 1, paragraphe 1, de la directive, aux termes duquel 'les Etats membres prennent, dans les conditions indiquées ci-après, les mesures transitoires suivantes en ce qui concerne l'établissement sur leur territoire des personnes physiques et des sociétés mentionnées au titre I des programmes généraux ainsi qu'en ce qui concerne la prestation de services par ces personnes et sociétés, ci-après dénommées bénéficiaires, dans le secteur des activités non-salariées de transformation';
15. Que le programme général pour la suppression des restrictions à la libre prestation des services désigne, dans le premier tiret de son titre I, comme bénéficiaires les 'ressortissants des Etats membres établis à l'intérieur de la Communauté', sans faire de distinction selon la nationalité ou la résidence des personnes concernées ;
16. Que la même conception est reprise par le titre I du programme général pour la suppression des restrictions à la liberté d'établissement, qui désigne comme bénéficiaires, dans son premier et son troisième tirets, les 'ressortissants des Etats membres', sans distinction de nationalité ou de résidence ;
17. Qu'on peut donc retenir que la directive 64-427 repose sur une conception large des 'bénéficiaires' de ses dispositions, en ce sens que les ressortissants de tous les Etats membres doivent pouvoir profiter des mesures de libération qu'elle prévoit, dès lors qu'ils relèvent objectivement de l'une des situations envisagées par la directive, sans qu'il soit permis d'établir une différence de traitement en fonction de leur résidence ou de leur nationalité ;
18. Qu'ainsi, les dispositions de la directive peuvent être invoquées par les ressortissants de tous les Etats membres se trouvant dans les conditions d'application définies par la directive, et ceci même à l'égard de l'Etat dont ils sont les nationaux ;
19. Que cette interprétation se justifie par les exigences découlant de la libre circulation des personnes, de la liberté d'établissement et de la libre prestation des services garanties par les articles 3, lettre c, 48, 52 et 59 du traité ;
20. Qu'en effet, ces libertés, fondamentales dans le système de la Communauté, ne seraient pas pleinement réalisées si les Etats membres pouvaient refuser le bénéfice des dispositions du droit communautaire à ceux de leurs ressortissants qui ont fait usage des facilités existant en matière de circulation et d'établissement et qui ont acquis, à la faveur de celles-ci, les qualifications professionnelles visées par la directive dans un pays membre autre que celui dont ils possèdent la nationalité ;
21. Attendu que le Gouvernement néerlandais fait valoir à l'encontre de cette solution, d'une part, que l'alinéa 1 de l'article 52 prévoit la suppression des 'restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre dans le territoire d'un autre Etat membre' et, d'autre part, qu'aux termes de l'alinéa 2 du même article, la liberté d'établissement comporte l'accès aux activités non-salariées dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement 'pour ses propres ressortissants';
22. Qu'il résulterait de ces dispositions que le traité ne considère pas comme bénéficiaires des mesures de libération prévues les ressortissants de l'Etat d'accueil et que ceux-ci resteraient donc soumis entièrement aux dispositions de leur législation nationale ;
23. Qu'au surplus, le Gouvernement néerlandais attire l'attention sur le danger de voir les ressortissants d'un Etat membre se soustraire à l'application de leurs prescriptions nationales en matière de formation professionnelle au cas où ils seraient autorisés à invoquer, à l'égard de leurs propres autorités nationales, les facilités créées par la directive ;
24. Attendu que, s'il est vrai que les dispositions du traité en matière d'établissement et de prestations de services ne sauraient être appliquées à des situations purement internes à un Etat membre, il n'en reste pas moins que la référence, par l'article 52, aux 'ressortissants d'un Etat membre' désireux de s'établir 'dans le territoire d'un autre Etat membre ', ne saurait être interprétée de manière à exclure du bénéfice du droit communautaire les propres ressortissants d'un Etat membre déterminé, lorsque ceux-ci, par le fait d'avoir résidé régulièrement sur le territoire d'un autre Etat membre et d'y avoir acquis une qualification professionnelle reconnue par les dispositions du droit communautaire, se trouvent, à l'égard de leur Etat d'origine, dans une situation assimilable à celle de tous autres sujets bénéficiant des droits et libertés garantis par le traité ;
25. Qu'on ne saurait cependant méconnaître l'intérêt légitime qu'un Etat membre peut avoir d'empêcher qu'à la faveur des facilités créées en vertu du traité, certains de ses ressortissants ne tentent de se soustraire abusivement à l'emprise de leur législation nationale en matière de formation professionnelle ;
26. Qu'en l'occurrence, il convient cependant de considérer que, compte tenu de la nature des professions en cause, les conditions précises formulées par l'article 3 de la directive 64-427, en ce qui concerne la durée des périodes d'occupation professionnelle, ont pour effet d'exclure, dans les secteurs envisagés, le risque d'abus signalé par le Gouvernement néerlandais ;
27. Qu'il convient de souligner, au surplus, qu'il est toujours loisible au Conseil d'éliminer, en vertu des pouvoirs que lui donne l'article 57 du traité, la cause d'éventuelles fraudes à la loi, en assurant l'harmonisation des conditions de formation professionnelle dans les différents Etats membres ;
28. Attendu qu'il y a donc lieu de répondre à la question posée que la directive du Conseil 64-427 du 7 juillet 1964, relative aux modalités des mesures transitoires dans le domaine des activités non-salariées de transformation relevant des classes 23-40 CITI (industrie et artisanat), doit être comprise en ce sens que sont également 'bénéficiaires', au sens de l'article 1, paragraphe 1, de la directive, les personnes possédant la nationalité de l'Etat membre d'accueil ;
Quant aux dépens :
29. Attendu que les frais exposés par le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement ;
30. Que la procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant le College van Beroep voor Het Bedrijfsleven, il appartient à celui-ci de statuer sur les dépens ;
LA COUR,
Statuant sur la question à elle soumise par le College van Beroep voor Het Bedrijfsleven par ordonnance du 9 mai 1978, dit pour droit :
La directive du Conseil 64-427 du 7 juillet 1964, relative aux modalités des mesures transitoires dans le domaine des activités non-salariées de transformation relevant des classes 23-40 CITI (industrie et artisanat), doit être comprise en ce sens que sont également 'bénéficiaires', au sens de l'article 1, paragraphe 1, de la directive, les personnes possédant la nationalité de l'Etat membre d'accueil.