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Décisions

CJCE, 18 janvier 1979, n° 110-78

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ministère public, Chambre syndicale des agents artistiques et impresarii de Belgique ASBL

Défendeur :

Van Wesemael

CJCE n° 110-78

18 janvier 1979

LA COUR,

1. Attendu que, par deux jugements, rendus l'un et l'autre le 21 mars 1978, parvenus à la Cour de justice le 8 mai 1978, le Tribunal de première instance de Tournai a posé, en application de l'article 177 du traité CEE, plusieurs questions relatives à l'interprétation de la directive 67-43-CEE du Conseil du 12 janvier 1967 (JO n°10- 140) et de certaines dispositions du traité CEE relatives à la libre prestation des services ;

2. Que ces questions ont été soulevées à l'occasion de deux poursuites engagées contre deux personnes établies en Belgique et deux agents artistiques français établis en France, auxquels il est fait grief d'avoir violé les dispositions des articles 6 et 20 de l'arrêté royal belge du 28 novembre 1975, relatif à l'exploitation des bureaux de placement payants pour artistes du spectacle ;

3. Que, selon ces dispositions, " l'exploitation d'un bureau de placement payant pour artistes du spectacle est soumise à l'octroi d'une licence par le ministre qui à l'emploi dans ses attributions " et, " sauf convention de réciprocité entre la Belgique et leur pays, les bureaux de placement pour artistes du spectacle étrangers ne peuvent effectuer le placement en Belgique sans passer par l'intermédiaire d'un bureau de placement payant titulaire d'une licence " ;

4. Qu'il est dans chacun des deux litiges reproché au premier prévenu d'avoir eu recours, pour l'engagement d'artistes du spectacle, à un bureau de placement payant, situé en France, dont l'exploitant ne détient pas une licence en Belgique, et au second prévenu d'avoir effectué dans cet état des placements sans être passé par l'intermédiaire d'un bureau détenteur d'une licence en Belgique ;

5. Que les prévenus ont excipé de l'incompatibilité des dispositions nationales précitées avec le traité, en ce qu'elles feraient obstacle à la libre prestation des services visée aux articles 52, 55, 59 et 60 ;

6. Attendu que, les affaires ayant été jointes aux fins de la procédure orale, il y a lieu de maintenir la jonction aux fins de l'arrêt ;

7. Attendu que, l'activité en l'espèce visée s'analysant en une prestation de service, l'examen des questions posées par la juridiction nationale doit principalement procéder d'un examen des dispositions du traité relatives aux " services " ;

8. Attendu que, par la première question, il est demandé si les activités des bureaux de placement payants pour les artistes du spectacle se classent dans le groupe 839 de la classification internationale CITI, sous les termes " agences de placement " ;

9. Que, pour le cas où il serait répondu affirmativement à cette question, il est ensuite demandé si les activités des bureaux de placement susdits ont été effectivement et à bon droit libérées par la directive 67-43-CEE du Conseil du 12 janvier 1967 ;

10. Que, pour le cas où il serait répondu affirmativement à la question précédente, la juridiction nationale, par sa troisième question, demande si l'article 62 du traité autorise un Etat membre à reproduire, sans les aggraver, des dispositions discriminatoires qui existaient antérieurement dans sa législation ;

11. Qu'enfin, pour le cas où il devait apparaître que les bureaux de placement précités ne se classent pas dans le groupe 839, la juridiction nationale demande, dans sa quatrième question, si la Cour confirme l'interprétation selon laquelle ils se rangeraient dans le groupe 842 " non encore libéré " ;

12. Attendu que la directive du 12 janvier 1967, arrêtée par le Conseil en vertu des articles 54 et 63 du traité et du " programme général pour la suppression des restrictions à la libre prestation des services " établi par le Conseil le 18 décembre 1961 (JO 1962, n° 2-32), concerne la réalisation de la liberté d'établissement et de la libre prestation des services pour les activités non salariées relevant de certains groupes de la " classification internationale type, par industrie, de toutes les branches d'activité économique " (CITI), établie par le bureau statistique des nations unies ;

13. Que ce programme général, en énumérant à ses annexes I à IV les activités dont la libération devait être graduellement réalisée au cours de la période transitoire, selon l'échéancier fixé par les dispositions du titre V, a repris, pour chaque activité ou groupe d'activités, la classification internationale précitée, de sorte que celle-ci fait partie intégrante des actes communautaires en cause ;

14. Attendu que la première question vise à faire définir la classification des activités litigieuses au regard du groupe 839 de la classification CITI ;

15. Que cette classification définit le groupe 839 de la classe 82, branche 8 (" services ") comme un groupe résiduaire, concernant les " services fournis aux entreprises NCA " (Non compris ailleurs) ;

16. Que, dans sa version détaillée établie en 1964, elle précise expressément que, si les " agences de placement " relèvent de ce groupe, le " placement pour le personnel du théâtre et de la radio " en est pourtant exclu ;

17. Que ce texte range sous le groupe 841 l'" engagement d'artistes et figurants " dans le secteur de la cinématographie et des services auxiliaires, et sous le groupe 842 des services " tels que les agences de placement du personnel de théâtre ", dans le domaine du théâtre et des services connexes ;

18. Qu'en conséquence, les bureaux de placement payants pour les artistes du spectacle ne se classent pas dans le groupe 839 de la classification internationale CITI sous les termes " agences de placement " ;

19. Attendu qu'il ressort des deuxième et quatrième questions que la juridiction nationale n'a posé le problème de la classification des activités litigieuses, dans le cadre de la CITI, que pour déterminer si ces activités ont été libérées au sens des dispositions de l'article 59 du traité relatives a la libre prestation des services ;

20. Que les termes " non encore libéré ", figurant dans la quatrième question, in fine, laissent présumer qu'en posant cette question, la juridiction nationale est partie de la prémisse selon laquelle la libération de ces activités ne peut être considérée comme réalisée, même après la période de transition, que dans la mesure où elle est prévue dans un acte communautaire, tel que la directive 67-43-CEE du Conseil précitée ;

21. Que, dans le cadre de la coopération judiciaire instituée par l'article 177 entre juridictions nationales et cour de justice, appelées à contribuer directement et réciproquement à l'application uniforme du droit communautaire dans tous les Etats membres, la Cour peut dégager du libellé des questions formulées par la juridiction nationale - eu égard aux données exposées par celle-ci, et notamment à la question générale, qu'elle s'est posée, de la " conformité de l'arrêté royal litigieux avec le traité de Rome " - les éléments de droit communautaire nécessaires pour que cette juridiction puisse résoudre le problème juridique dont elle est saisie, en conformité avec le droit communautaire ;

22. Qu'il échet donc, en l'espèce, d'examiner si et dans quelle mesure les activités en cause sont libérées au sens des articles 59 a 66 du traité, même en l'absence d'un acte communautaire arrêté par le Conseil, tel que la directive susdite ;

23. Attendu que cette question doit être résolue dans le cadre de l'ensemble du chapitre relatif aux services, en tenant compte, pour le surplus, des dispositions relatives au droit d'établissement, auxquelles il est renvoyé par l'article 66 ;

24. Attendu qu'aux termes de l'article 59, alinéa 1, du traité, " ... Les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de la communauté sont progressivement supprimées au cours de la période de transition, à l'égard des ressortissants des Etats membres de la communauté... " ;

25. Qu'en fixant à la fin de la période de transition la réalisation de la libre prestation des services, cette disposition, interprétée à la lumière de l'article 8, paragraphe 7, du traité, prescrit une obligation de résultat précise, dont l'exécution devait être facilitée, mais non conditionnée, par la mise en œuvre d'un programme de mesures progressives ;

26. Qu'il s'ensuit, partant, que les impératifs de l'article 59 du traité, dont la mise en œuvre devait être progressivement réalisée, pendant la période de transition, au moyen des directives visées à l'article 63, sont devenus d'application directe et inconditionnelle à l'expiration de ladite période ;

27. Que ces impératifs, qui imposent la libre prestation des services, comportent l'élimination de toutes discriminations à l'encontre du prestataire en raison de sa nationalité ou de la circonstance qu'il est établi dans un Etat membre autre que celui ou la prestation doit être fournie ;

28. Que, compte tenu de la nature particulière de certaines prestations de services, telles que le placement d'artistes du spectacle, on ne saurait considérer comme incompatibles avec le traité des exigences spécifiques imposées aux prestataires, qui seraient motivées par l'application de règles professionnelles, justifiées par l'intérêt général ou par la nécessite d'assurer la protection de l'artiste, incombant a toute personne établie sur le territoire dudit état, dans la mesure où le prestataire ne serait pas soumis à des prescriptions similaires dans l'Etat membre où il est établi ;

29. Que, lorsque l'exercice de l'activité de placement dont il s'agit est subordonné, dans l'état où la prestation est fournie, à la délivrance d'une licence, ainsi qu'a la surveillance des autorités compétentes, cet état ne saurait cependant, sous peine de méconnaître les impératifs de l'article 59 du traité, imposer aux prestataires établis dans un autre Etat membre soit de satisfaire à de telles conditions, soit de passer par l'intermédiaire d'un titulaire de licence, que si une telle exigence s'avère objectivement nécessaire en vue de garantir l'observation des règles professionnelles et d'assurer ladite protection ;

30. Qu'une telle exigence ne s'avère pas objectivement nécessaire, lorsque la prestation est effectuée par un bureau de placement relevant de l'administration publique d'un Etat membre, ou que le prestataire, établi dans un autre Etat membre, y détient une licence délivrée à des conditions comparables à celles exigées par l'état où la prestation est fournie et si ses activités sont soumises, dans le premier état, à une surveillance adéquate concernant toute activité de placement, quel que soit l'Etat membre destinataire de la prestation ;

31. Attendu que le Gouvernement belge fait valoir que l'activité de placement en question tomberait sous les dispositions de la convention n°96 de l'organisation internationale du travail concernant les bureaux de placement payants, révisée à Genève le 1er juillet 1949, qui admettrait que des mesures de contrôle soient adoptées par les autorités compétentes sur ces bureaux ;

32. Qu'aux dires du Gouvernement belge, cette convention, approuvée en Belgique par la loi du 3 mars 1958, serait " strictement respectée par l'arrêté royal du 28 novembre 1975 qui pose en principe général que l'exploitation des bureaux de placement payants est interdite (article 2) et qui n'admet, à ce principe général, qu'une seule " dérogation ", laquelle vise exclusivement les bureaux de placement payants pour artistes du spectacle à la condition expresse que leur exploitation soit conforme aux strictes conditions légales prévues " ;

33. Attendu que la convention internationale précitée pose le principe général de l'interdiction des bureaux de placement payants à fins lucratives et, à cet effet, prévoit à son article 3, paragraphe 1, que ces bureaux " seront supprimés dans un délai limité dont la durée sera spécifiée par l'autorité compétente " ;

34. Que, d'autre part, l'article 5, paragraphe 1, de la convention prévoit que " des dérogations aux dispositions de l'article 3 de la convention seront accordées exceptionnellement par l'autorité compétente à l'égard des catégories de personnes définies de façon précise par la législation nationale, au placement desquelles il ne saurait être convenablement pourvu dans le cadre du service public de l'emploi... " ;

35. Qu'ainsi, le maintien des bureaux de placement payants ne correspondant pas a une obligation découlant de la convention n° 96, le Gouvernement belge ne saurait se prévaloir de celle-ci pour écarter les dispositions du traité en matière de libre prestation des services ;

36. Que les obligations découlant de la convention n° 96 ne sauraient dès lors être opposées à l'application des dispositions du droit communautaire dans le secteur considéré ;

37. Qu'au surplus, rien dans la convention n'empêche un Etat membre qui fait usage de la dérogation prévue à l'article 5 d'appliquer cette clause à l'égard d'un prestataire établi dans un autre Etat membre, dans des conditions conformes aux exigences de l'article 59 du traité, telles que ci-dessus indiquées ;

38. Que, par ailleurs, il ressort même de l'article 20 de l'arrêté belge du 28 novembre 1975 que, en cas de convention de réciprocité entre la Belgique et leurs pays, les bureaux de placement pour artistes du spectacle étrangers peuvent effectuer le placement en Belgique sans passer par l'intermédiaire d'un bureau de placement payant titulaire d'une licence belge ;

39. Attendu que, pour toutes ces raisons, il y a lieu de répondre que lorsque l'exercice de l'activité des bureaux de placement payants pour artistes du spectacle est subordonne, dans l'état ou la prestation est fournie, à la délivrance d'une licence, cet état ne saurait imposer aux prestataires établis dans un autre Etat membre, soit de satisfaire à cette condition, soit de passer par l'intermédiaire d'un bureau de placement payant titulaire d'une telle licence, dès lors que la prestation est effectuée par un bureau de placement relevant de l'administration publique d'un Etat membre, où que le prestataire détient dans l'Etat membre où il est établi une licence délivrée à des conditions comparables à celles exigées par l'état où la prestation est fournie et ses activités sont soumises, dans le premier état, à une surveillance adéquate, concernant toute activité de placement, quel que soit l'Etat membre destinataire de la prestation ;

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Sur les dépens

40. Attendu que les frais exposés par le Gouvernement belge et la commission des communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement ;

41. Que la procédure revêtant le caractère d'un incident soulevé au cours de la procédure pénale pendant devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens ;

La Cour,

Statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunal de première instance de Tournai, par jugements du 21 mars 1978, dit pour droit :

1°) les bureaux de placement payants pour les artistes du spectacle ne se classent pas dans le groupe 839 de la classification internationale CITI sous les termes " agences de placement ".

2°) les impératifs de l'article 59 du traité, dont la mise en œuvre devait être progressivement réalisée, pendant la période de transition, au moyen des directives visées à l'article 63, sont devenus d'application directe et inconditionnelle à l'expiration de ladite période.

3°) lorsque l'exercice de l'activité des bureaux de placement payants pour artistes du spectacle est subordonné, dans l'état où la prestation est fournie, à la délivrance d'une licence, cet état ne saurait imposer aux prestataires établis dans un autre Etat membre, soit de satisfaire à cette condition, soit de passer par l'intermédiaire d'un bureau de placement payant titulaire d'une telle licence, des lors que la prestation est effectuée par un bureau de placement relevant de l'administration publique d'un Etat membre, ou que le prestataire détient dans l'Etat membre où il est établi une licence délivrée à des conditions comparables à celles exigées par l'état où la prestation est fournie, et ses activités sont soumises, dans le premier état, à une surveillance adéquate, concernant toute activité de placement, quel que soit l'Etat membre destinataire de la prestation.