Livv
Décisions

CA Paris, 9e ch. A, 2 avril 2001, n° 99-06402

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Chataignon

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Beauquis

Avocat général :

M. Guirimand

Conseillers :

M. Morel, Mme Filippini

Avocats :

Mes Balling, Cohen-Sabban.

TGI Paris, 12e ch., du 2 sept. 1999

2 septembre 1999

Rappel de la procédure :

La prévention :

H Olivier est prévenu d'avoir à Paris, en février et juin 1998, abusé frauduleusement de la situation de faiblesse de Mme Chataignon dont la particulière vulnérabilité due à son âge et à des déficiences physiques était apparente et connue de lui pour obliger cette personne à un acte qui lui a été gravement préjudiciable en l'espèce, la souscription d'un contrat d'assurance vie.

P Thierry est prévenu d'avoir à Paris, le 1er juillet 1998, abusé frauduleusement de la situation de faiblesse de Mme Chataignon dont la particulière vulnérabilité due à son âge et à des déficiences physiques était apparente et connue de lui pour obliger cette personne à un acte qui lui a été gravement préjudiciable en l'espèce, le versement d'une somme de 200 000 F sur un contrat d'assurance vie.

Le jugement :

Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré

H Olivier coupable d'abus de l'ignorance ou de la faiblesse d'une personne vulnérable pour l'obliger à un acte ou à une abstention néfaste, le 1er juillet 1998, à Paris, infraction prévue par l'article 313-4 du Code pénal et réprimée par les articles 313-4, 313-7 du Code pénal,

P Thierry coupable d'abus de l'ignorance ou de la faiblesse d'une personne vulnérable pour l'obliger à un acte ou à une abstention néfaste, le 1er juillet 1998, à Paris, infraction prévue par l'article 313-4 du Code pénal et réprimée par les articles 313-4, 313-7 du Code pénal,

et en application de ces articles, a condamné

H Olivier à la peine de 15 000 F d'amende,

P Thierry à la peine 30 000 F d'amende,

A reçu Mme Chataignon en sa constitution de partie civile et a condamné solidairement les prévenus à lui payer la somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts, toutes causes de préjudice confondues.

Les appels :

Appel a été interjeté par

Monsieur H Olivier, le 13 septembre 1999, sur les dispositions pénales et civiles.

Monsieur P Thierry, le 13 septembre 1999, sur les dispositions pénales et civiles.

M. le Procureur de la République, le 13 septembre 1999, contre Monsieur P Thierry et Monsieur H Olivier.

Décision :

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

En la forme :

Considérant qu'au vu des énonciations qui précèdent et des pièces de la procédure, les appels interjetés par Thierry P et Olivier H, prévenus, ainsi que par le Ministère public, sont intervenus dans les formes et délais prévus par la loi ; qu'ils seront donc déclarés recevables ;

Considérant que Madame Chataignon a été régulièrement citée ; qu'elle n'a pas comparu, ni ne s'est fait représenter ; qu'il y a lieu de statuer à son égard par arrêt de défaut ;

Au fond

Considérant qu'il résulte de la procédure que courant février 1998, deux agents d'assurance de la compagnie X, dont Monsieur H, se présentaient en soirée, vers 21 heures, au domicile de Madame Chataignon, âgée de 85 ans, pour être née le 18 février 1918 ; ces derniers après l'avoir saoulée de paroles l'amenaient, d'une part, à signer un contrat d'assurance-vie, alors qu'elle n'avait pu lire les documents n'ayant pas eu le temps de prendre sa loupe nécessaire pour la lecture, et d'autre part, à établir un chèque d'un montant de 2 100 F et à autoriser un prélèvement automatique de 1 000 F par mois ;

Qu' après avoir retrouvé ses esprits, et comprenant qu'elle avait fait une bêtise, Madame Chataignon, adressait en recommandé une lettre à la compagnie d' assurance X pour résilier ce contrat, et ce dans le délai de rétractation de 30 jours prévu audit contrat ;

Qu'elle recevait à nouveau la visite des deux mêmes agents qui arrivaient à la convaincre de maintenir ce contrat ;

Qu'elle adressait le 15 juin 1998 une seconde lettre à la compagnie d'assurance pour résilier à nouveau le contrat et demander la restitution des sommes versées, leur indiquant notamment "qu'elle n'acceptait jamais un prélèvement automatique même pour son fils" ;

Que Monsieur P, inspecteur régional de l'agence X, pour Paris et les départements des Yvelines et Hauts-de-Seine décidait alors de lui rendre visite et parvenait, le 1er juillet 1998, à lui faire verser à titre de placement libre la somme de 200 000 F ;

Que le 18 août 1998 Madame Chataignon se rendait au commissariat des Grandes Carrières pour porter plainte pour abus de faiblesse expliquant notamment qu'elle avait cru que Monsieur P était venu pour lui rendre son argent et qu'elle n'avait compris l'importance du chèque effectué qu'après l'appel du Crédit Lyonnais qui suivait ses comptes qui l'avait informée qu'elle avait vidé son compte courant ;

Considérant que l'information révélait que Madame Chataignon ne disposait plus sur son compte courant que d'une somme de 10 000 F après le versement des 200 000 F ;

Qu'elle avait auparavant souscrit auprès du Crédit Lyonnais un contrat d'assurance-vie pour une valeur de 100 000 F, ce qui avait pour effet qu'en cas de décès de celle-ci les membres de sa famille n'auraient pu récupérer l'intégralité de la somme souscrite, et que seule une partie serait revenue sans droit de succession, étant donné que tout contrat souscrit par une personne après 70 ans est limité à 200 000 F ;

Considérant que l'expert en gérontologie désigné par le magistrat instructeur relevait dans son rapport que Madame Chataignon ;

- ne présentait pas de troubles manifestes de la compréhension, ni de la mémoire ;

- elle présentait des troubles de vue, en rapport avec une cataracte et avait ainsi des difficultés très importantes pour lire ; les caractères de la taille de ceux utilisés dans le presse ne pouvant être lus qu'avec une loupe et un par un ;

- elle présentait des troubles de l'audition, la voix haute étant perçue avec difficultés, et devait porter une prothèse auditive, qu'elle possède, mais n'utilise pas en raison, selon ses dires, que les piles sont hors d'usage ;

- était pour ainsi dire pas autonome, et ne se déplaçait que précautionneusement avec une canne ou un déambulateur quand elle est à son domicile, et devait descendre les quatre étages de son immeuble " à reculons " ;

Que l'ensemble de ces déficits, non exceptionnels en raison de son grand âge et de ses antécédents, sont par contre de nature à diminuer son autonomie de jugement par le fait de ne pas pouvoir, ni par la lecture, ni par l'audition, recueillir tous les éléments: permettant de se forger une opinion sur une proposition qui lui est faite ; que par ailleurs l'absence d'autonomie et sa fragilité mettent la patiente dans une position de faiblesse réelle et ressentie ne lui permettant d'envisager de se défendre ;

Qu'il concluait que Madame Chataignon par la perte de son autonomie de déplacement, par ses facultés visuelles et auditives altérées a perdu une partie de son autonomie de jugement et de sa résistance psychologique aux sollicitations et demandes commerciales d'autrui ;

Considérant que Messieurs H et P contestent avoir abusé de quelque manière que ce soit de Madame Chataignon et soutiennent d'une part, que les diverses visites dont à fait l'objet Madame Chataignon ne constituent pas un abus frauduleux mais ne sont que l'expression du déroulement normal d'une démarche commerciale normale, qui visait à convaincre un client des avantages qu'il peut tirer d'un produit et d'autre part, que l'état de vulnérabilité de Madame Chataignon n'est pas avéré, celle-ci n'étant pas atteinte de déficience intellectuelle, l'âge de celle-ci et ses handicaps physiques ne pouvant être perçus comme une altération de ses capacités de compréhension; qu'enfin la souscription du contrat ne présentait pas de caractère gravement préjudiciable, le produit vendu n'étant pas hors de proportion avec ses besoins réels, ni ne l'avait mise en situation de dilapider son patrimoine ;

Sur ce

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces constatations que le harcèlement dont Madame Chataignqn a fait l'objet, visant à faire pression sur elle pour la faire revenir à deux reprises sur sa volonté de résiliation, constitue un acte frauduleux, d'autant que l'âge de la victime et ses divers handicaps physiques n'ont pu échapper aux deux prévenus ;

Considérant qu'il est indéniable que Madame Chataignon a subi des pressions qui, en raison de sa vulnérabilité due à son grand âge, à ses nombreux handicaps physiques qui l'empêchaient de se défendre et de s'opposer aux sollicitations extérieures, l'ont amenée à souscrire un contrat contre sa volonté, celle-ci étant farouchement opposée à tout prélèvement automatique, et désireuse de conserver l'intégralité de ses liquidités sur son compte-courant ainsi que cela ressort très clairement des déclarations de Monsieur Vigouroux, son conseiller financier au Crédit Lyonnais

Considérant, à l'évidence, que la souscription d'une assurance-vie dont la victime ne voulait pas constitue pour elle un préjudice manifeste puisqu'elle se voyait déposséder de la quasi-totalité de ses avoirs bancaires, constituant ses liquidités immédiates ;

Considérant qu'il convient, en outre, de souligner que Madame Chataignon avait régulièrement résilié son contrat d'assurance-vie dans le délais de 30 jours prévu au contrat ; que dès lors Monsieur H au cours du second démarchage aurait dû lui faire souscrire un nouveau contrat donnant possibilité à la victime de le résilier dans les mêmes conditions ;

Considérant que Monsieur H, qui était payé à la commission sur le montant des sommes souscrites et Monsieur P, dont le salaire comprenait une prime de rentabilité, étaient ainsi incités à vendre le maximum de produits financiers ;

Considérant qu'il apparaît dès lors que le délit tel que visé à la prévention est caractérisé en tous ses éléments à l'encontre des deux prévenus ; qu'en conséquence le jugement déféré sera confirmé sur la déclaration de culpabilité ;

Considérant que les faits présentent un caractère de gravité certain, compte tenu de leur nature ; qu'il convient d'aggraver les peines en infligeant aux prévenus, outre, une peine d'amende, une peine d'emprisonnement assortie du sursis ;

Considérant que compte tenu de la déclaration de culpabilité intervenue à l'encontre des deux prévenus, la constitution de partie civile de Madame Chataignon est recevable et fondée ;

Considérant que la cour estime que les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice direct et actuel résultant pour la partie civile des agissements frauduleux de Messieurs H et P ;

qu'en conséquence le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions civiles ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement à l'égard de Messieurs H et P, par défaut à l'égard de Madame Chataignon, partie civile, et en second ressort; En la forme : Reçoit les appels de Messieurs H et P, prévenus et du Ministère public ; Au fond : Confirme le jugement entrepris sur la déclaration de culpabilité l'infirme sur le prononcé de la peine, Condamne Thierry P à la peine de 6 mois d'emprisonnement avec sursis et 30 000 F d'amende, Condamne Olivier H à la peine de 6 mois d'emprisonnement avec sursis et 15 000 F d'amende, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions civiles. Ne pouvons informer, en raison de son absence, la partie civile de la possibilité pour elle de saisir dans le délai d'un an la commission d'indemnisation des victimes d'infractions dans le cadre des conditions visées aux articles 706-3 et suivants du Code de procédure pénale. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable chaque condamné. Droits fixes de procédure soumis aux dispositions de l'article 1018 A du Code Général des Impôts-