Conseil Conc., 5 juillet 2005, n° 05-D-38
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques mises en œuvre sur le marché du transport public urbain de voyageurs
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de M. Avignon, par M. Nasse, vice-président, présidant la séance, MM. Piot, Bidaud, Honorat, Charrière-Bournazel, Combe, Mme Pinot, membres.
Le Conseil de la concurrence (section I),
Vu la lettre enregistrée le 7 juillet 2000, sous le numéro F 1248, par laquelle le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques relatives à l'exercice de la concurrence dans le secteur du transport public de voyageurs ; Vu l'article 81 du traité instituant la Communauté européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu les observations présentées par les sociétés Kéolis, Connex, Transdev et le commissaire du Gouvernement ; Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du gouvernement, les représentants des sociétés Kéolis, Connex et Transdev, entendus lors de la séance du 13 avril 2005 ; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
A. LE SECTEUR
1. LE CADRE RÉGLEMENTAIRE DU TRANSPORT PUBLIC DE VOYAGEURS
1. Aux termes de l'article 5 de la loi n° 82-1153 d'orientation des transports intérieurs, dite LOTI, le service public des transports comporte l'ensemble des missions qui incombent aux pouvoirs publics en vue d'organiser et de promouvoir le transport des personnes et des biens.
2. S'agissant des personnes, on distingue les transports routiers urbains et les transports routiers non urbains de personnes.
3. Les articles 27 et 28 de la loi définissent les modalités d'organisation des transports urbains. Ils précisent la notion de périmètre de transport urbain qui comprend le territoire d'une commune ou le ressort territorial d'un établissement public ayant reçu mission d'organiser les transports publics de personnes. Ils rendent obligatoire, dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants, l'élaboration d'un plan de déplacements urbains fixant les principes de l'organisation des transports de personnes et de marchandises, de la circulation et du stationnement dans le périmètre de transports urbains. Ce plan est élaboré ou révisé à l'initiative de l'autorité compétente pour l'organisation des transports urbains sur le territoire qu'il couvre. Il est arrêté par délibération de l'autorité organisatrice après avoir été soumis, pour avis, aux conseils municipaux, généraux et régionaux intéressés, ainsi qu'aux préfets.
4. En ce qui concerne le transport routier non urbain, l'article 29 de la même loi distingue quatre catégories de transport et définit leur mode d'organisation. La première de ces catégories concerne les services réguliers publics, qui englobent les lignes de service régulier ordinaire (SRO) et les lignes scolaires assurant la desserte des établissements d'enseignement.
5. A l'exception du plan de transport urbain (PTU), ces dispositions ne s'appliquent pas à la région Ile-de-France. En effet, dans cette région, la RATP bénéficie d'un monopole sur le transport public de passagers. Toutefois, la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 a ouvert une brèche dans le monopole de la RATP. En effet, en contrepartie de l'ouverture à la concurrence des nouvelles lignes en région parisienne, l'article 117 de cette loi prévoit : "En dehors de la région d'Ile-de-France et à l'étranger, la régie autonome des transports parisiens peut également, par l'intermédiaire de filiales, construire, aménager et exploiter des réseaux et des lignes de transport public de voyageurs, dans le respect réciproque des règles de concurrence".
6. Pour faire exécuter les transports réguliers, les collectivités publiques peuvent soit passer des marchés publics conformément au Code des marchés publics, soit confier, par délégation de service public, l'exécution de ces services à des entreprises publiques ou privées.
7. Les délégations de service public sont soumises, notamment, aux dispositions de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 modifiée relative à la prévention et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, dite loi Sapin, et codifiées dans le Code général des collectivités locales.
8. L'article L. 1411-1 dudit Code dispose que "les délégations de service public des personnes morales de droit public relevant du présent Code sont soumises par l'autorité délégante à une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes, dans les conditions prévues par un décret en Conseil d'État. La collectivité publique dresse la liste des candidats admis à présenter une offre après examen de leurs garanties professionnelles et financières et de leur aptitude à assurer la continuité du service public et l'égalité des usagers devant le service public. La collectivité adresse à chacun des candidats un document définissant les caractéristiques quantitatives et qualitatives des prestations ainsi que, s'il y a lieu, les conditions de tarifications du service rendu à l'usager. Les offres ainsi présentées sont librement négociées par l'autorité responsable de la personne publique délégante qui, au terme de ces négociations, choisit le délégataire". L'article L. 1411-2 prévoit que les conventions de délégations de service public doivent être limitées dans leur durée. Celle-ci est déterminée par la collectivité en fonction des prestations demandées au délégataire.
9. Ces conventions peuvent prendre diverses formes selon l'importance du risque financier pris par le délégataire. La caractéristique de ces contrats est qu'ils prévoient que la rémunération de l'exploitant qui supporte les aléas de la gestion est assurée par la perception d'un prix auprès de l'usager, complété par une subvention forfaitaire de la collectivité.
10. Le choix de la délégation ou du marché public, pour ce type de contrat, appartient à la collectivité publique concernée. Toutefois, le Conseil d'État, dans un arrêt du 15 avril 1996 "Préfet des Bouches-du-Rhône", a précisé le critère de distinction en indiquant que dans un marché public "la rémunération du cocontractant de l'administration n'est pas substantiellement assurée par les résultats de l'exploitation". Les collectivités publiques recourent le plus fréquemment à la procédure des marchés publics pour le transport scolaire.
2. LES ENTREPRISES
11. La demande de transport public de passagers est portée par les autorités organisatrices de transport, c'est-à-dire, selon les cas, les collectivités territoriales, les syndicats intercommunaux, les districts urbains, les communautés urbaines ou les communautés de villes et de communes.
12. Trois grands groupes d'envergure nationale et internationale se partagent la majeure partie du marché français et sont susceptibles, à côté d'entreprises indépendantes le plus souvent locales, de répondre aux appels d'offres de ces collectivités.
a) La société VIA-GTI devenue Kéolis
13. Cette société était détenue au moment des faits à 70 % par la banque Paribas, le groupe Vivendi détenant 12 % du capital. Dans le cadre d'une opération de concentration autorisée par le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie par lettre du 7 juin 2000, une nouvelle entité a été créée, détenue à 48 % par BNP-Paribas, à 43 % par la SNCF par le biais de sa filiale SNCF Participations, et enfin à 7 % par la société CGEA. Elle a fusionné en 2001 avec la société Cariane, filiale de la SNCF Participations, et a pris le nom de société Kéolis. Depuis le 4 septembre 2004, la SNCF n'est plus majoritaire dans le capital de la société, désormais détenue à 52,5 % par une société de capital-investissement britannique, la société 3I.
14. Ce groupe détient une part de marché de 40 % dans le transport urbain de passagers. Il est présent dans 89 réseaux urbains ou d'agglomération, dont ceux de Lyon, Lille, Nice, Saint- Etienne, Rennes, Lens, Dijon, Angers, Brest, Caen ... En interurbain, il a conclu des contrats dans 47 départements et 18 régions, sa part de marché étant d'environ 20 %.
15. Il est présent en Allemagne, Angleterre, Suède et Espagne, et réalise en 1998, 6,7 % de son chiffre d'affaires total à l'international.
b) La société CGEA Transport devenue société Connex
16. Filiale à 100 % de Véolia Environnement, la société CGEA, devenue société Connex, s'est hissée au premier rang européen dans le transport public de voyageurs. En France, que ce soit directement ou par l'intermédiaire de ses filiales locales ou nationales comme la CGFTE pour le transport urbain et la CFTI pour le transport interurbain, ce groupe gère, outre 13 réseaux urbains en Ile-de-France, 27 réseaux de transport urbain dont ceux de Bordeaux, Toulon, Rouen, Nancy, Nice, Cannes, Le Havre, Calais, Dunkerque et Amiens. A la suite du rachat, début 2002, des transports Verney, la plus importante société indépendante du secteur, le groupe a consolidé sa première place dans les transports interurbains. En 2004, il a réalisé 60 % de son chiffre d'affaires à l'international. Il est implanté en Allemagne, Royaume-Uni, Pays-Bas, Portugal, Suède ainsi qu'en Australie et aux Philippines.
c) La société Transdev
17. Filiale de la Caisse des dépôts et consignations, cette société a absorbé les sociétés Progecar et Transcet et gère 62 réseaux urbains, dont ceux de Toulouse, Nantes, Strasbourg, Grenoble, Montpellier, Orléans, Metz. Partenaire de nombreuses sociétés d'économie mixte créées par les collectivités locales, elle est le leader en France dans le transport en commun en site propre par bus ou tramways. Elle est également présente par le biais de ses filiales locales sur le transport interurbain et réalise 27 % de son chiffre d'affaires à l'international où sa présence déjà significative au Royaume-Uni et au Portugal est appelée à se développer avec l'alliance conclue, en 2002, avec la RATP et l'entrée de la régie dans son capital.
d) Evolution, en pourcentage, du nombre de réseaux urbains exploités en France (hors Ile-de-France) par les trois entreprises
18. On constate une stabilité globale des parts de marché de ces trois groupes sur ce segment le plus important du transport public routier en France. On estime parallèlement qu'à la suite de leurs récentes acquisitions, ils détiennent, en 2002, près de 80 % du marché français, particulièrement concentré sur les réseaux des grandes villes.
19. A l'époque des faits, les parts de marché étaient les suivantes :
<emplacement tableau>
3. LES MARCHÉS
20. L'enquête administrative menée sur un plan national a porté sur les conditions de passation des marchés publics de voyageurs ouverts ou renouvelés entre 1994 et 1999, particulièrement sur la période de 1996 à 1998. A ce titre ont été étudiés les 19 marchés de transport public urbain ainsi que les 7 marchés de transport interurbain et scolaire passés par des collectivités territoriales recensés dans les tableaux ci-après.
a) Marchés de transport public urbain
<emplacement tableau>
b) Marchés de transports publics interurbain et scolaire
<emplacement tableau>
c) Offres présentées lors du renouvellement des marchés du transport urbain (1996-1998)
<emplacement tableau>
B. LES PRATIQUES
1. SUR LES MARCHES DU TRANSPORT PUBLIC URBAIN
a) Les rencontres entre les dirigeants des trois groupes
21. Les notes manuscrites de M. X, directeur général adjoint de VIA-GTI, saisies dans son bureau montrent que les hauts responsables de VIA-GTI et de CGEA (M. Y est à l'époque chargé de mission auprès du président du groupe avant de devenir postérieurement aux faits directeur général de CGEA) se sont rencontrés à plusieurs reprises pour aborder ensemble la situation des marchés des villes suivantes :
Le 10/9/96
A Y CGEA
"Fréjus
Pb de renouvellement du contrat" (annexe 1 - cote 239).
22. Le 31-12-96 :
"A. Y
"- Loiret en A.O
- Lyon Interurbain
- Rouen Mettre fin à la Satar
Reprise des services par
Z.../CNA = (les 3/5)
A.../B...
C...
- Fréjus {Loi de Robien
Cahors {
- Morlaix
- Fréjus
- Nice
- ......
- Sète
- Thonon
- Lignes autour de Mantes
Alimentation de A.14
Préparer une réunion avec D.../E...
[Illisible] ...
- Italie : CGEA ne suit pas" (annexe 1 - cotes 251-252).
23. Le 20-2-97
"A. Y
UTP/Social OK
IdeF : AF confirmés. Principe d'une nouvelle réunion à quatre pour confirmer la mise
en œuvre des accords
Seine-Maritime - Dispositions Satar 2/3 CNA 1/3 CFTI
En pool Draguignan/St Tropez
Nice/
Allemagne
DEG 60 % - 40 % EVS - 100 Mi DM
Lignes Bavières
PEG a gagné 40 M" (annexe 1 - cote 263).
24. Lors d'une réunion le 18 avril 1997, on lit les indications suivantes :
"A. Y
"Nice Aéroport
Amiens A coordonner
Sens GT2 tient la corde
Auxerre GEA tient la corde" (annexe 1 - cote 274).
25. Le 17 juillet 1997 le point de plusieurs dossiers est fait :
"A. Y " Lille RATP Association avec CGEA
Chemin de fer de Provence
On remet une offre. Prime ? ...
Agen" (annexe 1 - cote 300).
26. Le 10 septembre les deux dirigeants évoquent les situations d'autres marchés :
"A Y
Satar/CFTP TVS
"Rouen - Tarbes - Dieppe
Saint-Claude/Nice/Bordeaux
Menton Appel à candidature ..."
(annexe 1 - cote 228).
27. Enfin, un autre document montre qu'une réunion a eu lieu avec M. F..., directeur général de Transdev, le 29 avril 1997, pour aborder plusieurs questions d'intérêt commun :
"Joël F... 29/04/97
Objectif : Modifier la structure du groupe pour de cash-flow
Soit accord global
soit accords ponctuels
2 dossiers chauds : Rennes et St-Etienne
Rennes: les élus poussent à avoir un seul interlocuteur.
Zone de contact : Nice/Cagnes-sur-Mer
Dossiers communs
Transdev Leader
Société commune. Holding
ou majorité Transdev" (annexe 1 - cote 277).
28. Sur la procédure interne d'instruction et d'élaboration des offres, le directeur général de Transdev a déclaré le 10 juin 1999 : "Pour les très grands dossiers (Lille, Rennes), la décision doit être validée par l'actionnaire de référence, la Caisse des dépôts, en la personne de Patrice Garnier, président de C3D" (annexe 3 - cote 695).
b) La stratégie de Kéolis et de Connex sur les marchés de la CUB de Bordeaux et des districts de Rouen et de Châteauroux Candidatures et résultats
29. La CUB de Bordeaux a lancé l'appel à candidatures en novembre 1994 après que le conseil de la communauté a décidé, le 22 juillet 1994, de prolonger d'un an l'ancienne concession assurée par la CGFTE. La commission compétente a reçu les candidatures de Transcet, CGFTE et VIA-GTI, ces deux dernières entreprises étant les seules à présenter une offre. Après audition des deux candidats, la commission a proposé, dans une séance du 10 mai 1995, de choisir la société CGFTE comme délégataire pour l'exploitation du réseau de transport. En novembre 1995, la CGFTE a organisé une consultation pour sous-traiter l'affrètement de certaines lignes urbaines. La société Citram, filiale de VIA-GTI a obtenu la ligne 93.
30. Un contrat de concession portant sur la construction et l'exploitation du réseau de transport public de l'agglomération rouennaise a été signé en mars 1991 entre le district et la société Sometrar dont l'actionnaire dominant est le groupe CGEA. Celle-ci, par une convention du 28 juin 1991, a confiée à la TCAR, filiale de CGFTE, l'exploitation exclusive du transport public régulier de voyageurs. Dans le cadre de ce contrat, conclu pour une durée de 30 ans, quatre conventions de sous-traitance ont été signées en juillet 1994 par la TCAR avec la Satar, filiale commune de VIA-GTI et CGEA ainsi qu'avec la CNA, filiale de VIA-GTI, qui, en juillet 1999, bénéficie de nouvelles conventions de sous-traitance portant sur 20 lignes internes et 16 lignes interurbaines affrétées qui lui sont attribuées sans mise en concurrence (annexe 5, cotes 1002 à 1010).
31. Le marché du transport de l'agglomération de Châteauroux a été lancé le 16 mars 1994. La commission d'agrément des candidatures a accepté cinq candidatures : celle du sortant TDI filiale de VIA-GTI, de CGEA, Verney, Cariane et celle de l'entreprise anglaise Southern Vectis. Après le désistement de Verney et Cariane, la commission d'ouverture des plis n'a finalement enregistré que deux offres, celles du sortant TDI et de Southern Vectis, l'entreprise CGEA ne déposant aucune proposition. Le SIVU de Châteauroux a décidé la reconduction du sortant, la nouvelle convention étant signée en janvier 1995 pour six ans.
Les notes internes de VIA-GTI
32. Dans une note datée du 5 août 1994, adressée au directeur général adjoint du groupe, M. X, et intitulée "Métro de Bordeaux et conventions CUB" le directeur régional de VIA-GTI, M. G, écrit : "Je me suis entretenu avec M. H..., directeur de la CGFTE à Bordeaux, pour évoquer le problème des conventions CUB ...". A propos du renouvellement des ces conventions, il poursuit : "La logique voudrait que leur renouvellement fasse l'objet d'un appel d'offres. M. H... (directeur de la CGFTE gestion du transport en commun dans la CUB) n'y tient pas, car il ne souhaite pas changer d'exploitant, alors qu'il subit par ailleurs des pressions permanentes de deux sociétés d'Ambès, les sociétés Prévost et Ducart, qui veulent se positionner sur la CUB" (annexe 4 - cotes 963-964). L'exploitant qu'on ne désire pas changer est la filiale aquitaine de VIA, la société Citram.
33. Le même directeur régional de VIA-GTI adresse le 18 août 1994 une note à son directeur général dans laquelle on peut lire : "Je pense que le moment est venu d'entamer une négociation avec le CGEA sur les bases suivantes : consultation pour l'exploitation du réseau de surface : VIA Transport se présente sur cette consultation et fait une proposition qui couvre celle de la CGFTE. En contrepartie, CGEA dénoue le dossier de Rouen, facilite le renouvellement des conventions CUB de Citram Aquitaine, comme TDI sur la consultation de Châteauroux-Bus" (annexe 4 - cotes 965-966).
34. Sur cette note intitulée "Métro de Bordeaux et CGEA", M. X écrit de sa main : "A voir avec M. Y".
35. Au sujet du réseau de transport de la CUB, M. I, responsable du secteur interurbain de VIA, écrit à M. X dans une note manuscrite daté du 9 novembre 1994 : "Les dernières nouvelles émanant de H (via J. J) indiquent que la CUB, et non la CGFTE, rédige le cahier des charges ce qui laisse supposer une véritable consultation" (annexe 4 - cote 967).
36. Une autre note interne du 13 février 1995 relative aux lignes affrétées du réseau urbain de Bordeaux, adressée également au directeur général du groupe, fait le point des relations entre la CGFTE et les sociétés interurbaines, dont Citram filiale de VIA-GTI, bénéficiaires de l'affrètement de certaines lignes pénétrant dans le périmètre de la CUB. Y sont évoqués les scénarii possibles : "Dans une première phase, il est souhaitable que la situation actuelle soit conservée après le 1er janvier prochain. Ne serait-ce que pour préparer la phase suivante, il est nécessaire qu'il ne soit pas fait appel à d'autres entreprises. D'autre part, les équilibres actuels entre Citram, Cars de Bordeaux et OTS ne doivent pas être modifiés sensiblement", pour indiquer plus loin : "Lorsque l'activité de sous-traitance se développera, les règles de répartition de ce supplément auront dû être établies auparavant", et finalement conclure : "Avec un calendrier fonction du déroulement de l'appel d'offres du réseau urbain de Bordeaux, les principes des phases 1 à 4 ci-dessus devraient être examinés avec la CGEA" (annexe 4 - cotes 973-975).
c) La surveillance des marchés du transport urbain de Toulon, et interurbain et scolaire du département du Var
Candidatures et résultats
37. S'agissant du transport urbain à Toulon, le marché est lancé en mars 1994 par le SITCAT, le Syndicat intercommunal de l'agglomération toulonnaise. Le 20 avril 1995, la commission de sélection des candidatures enregistre la candidature de trois entreprises : celle de la CGEA par l'intermédiaire de la régie municipale des transports toulonnais (RMTT), société d'économie mixte qu'elle détient à 60 %, qui est titulaire du marché, ainsi que celles de Transdev et de VIA-GTI, cette dernière entreprise se désistant le 18 mai 1995, trois jours avant la date limite de remise des offres.
38. Le SITCAT négocie également, en décembre 1996, des conventions particulières relatives à des lignes urbaines à l'intérieur du PTU qui sont sous-traitées à la Sodretrav, filiale de VIA-GTI. Certaines lignes interurbaines pénétrant dans l'agglomération ont aussi fait l'objet d'affrètement en faveur essentiellement de la Sodetrav, mais également des sociétés Transvar et Littoral Cars, filiales de la CGEA.
39. En 1997, la Sodetrav a perdu la gestion de deux lignes scolaires régulières qui lui étaient sous-traitées par la RMTT, cette dernière ayant repris ces lignes à son compte. En revanche, en 1998, la Sodetrav a emporté les lots 1 et 3 du marché du transport périscolaire de la ville de Toulon, précédemment détenus par les filiales de la CGEA : RMTT et Transvar.
40. S'agissant du transport interurbain dans le département du Var, le Conseil général a lancé en 1998 une consultation portant sur les 133 lignes régulières du département, regroupées dans 37 lots au total. La commission d'ouverture des plis s'est réunie le 27 avril 1998.
41. Sur les 37 lots proposés, 22 n'ont obtenu qu'une seule offre alors que, sur 34 d'entre eux, l'autorité organisatrice avait enregistré au moins deux candidatures. La Sodetrav a déposé une offre pour les lots 1 à 4. Sur ces lots, les filiales de CGEA, Littoral Cars, Transvar, SVT et Rapides Varois, quoique ayant déposé des candidatures, se sont finalement désistées, laissant la Sodetrav seule en lice. A l'inverse, sur les lots 5, 13, 18, 31, 23 et 32, la Sodetrav s'est désistée laissant la voie libre aux filiales de la CGEA, les sociétés Littoral Cars et Rapides Varois.
Les relations GTI-CGEA à Toulon
42. Dans une note adressée le 18 juillet 1997 au directeur général du groupe VIA-GTI, M. K, directeur de la Sodetrav, rappelle ce qui s'est passé dans le réseau urbain de Toulon :
"- GTI ne s'est pas présenté contre CGEA pour le dossier du réseau urbain de Toulon. De ce fait, le SITCAT en a voulu à GTI et à la Sodetrav en parlant de collusion entre groupes.
- A cette occasion, j'ai pu à titre personnel faire l'agent de renseignements pour Monsieur Jean-Noël L en septembre 1995 ayant pu avoir connaissance de quelques éléments de dossier du concurrent Transdev.
- Conséquence de l'appel d'offres gagné par RMTT sur Toulon, certains services faits par Sodetrav pour RMTT ont été remis en appel d'offres.
Cet appel d'offres de volume déjà légèrement réduit (- 2 conducteurs) a été déclaré infructueux en raison des prix trop importants des postulants.
Prix ancienne convention en 1996 : 14,711 F HT/km
Prix proposé par Sodetrav : 16,000 F HT/km
Une négociation s'est ouverte, la Sodetrav a fait une proposition pour le futur contrat à 15,12 F HT/km (soit + 2,78 % par rapport au prix en cours).
Elle a été refusée par le SITCAT qui a fait intervenir la RMTT en la personne de Monsieur Jean-Noël L pour qu'il fasse une estimation du prix auquel la RMTT pourrait réaliser ces services.
La RMTT a proposé 14,25 F HT/km soit à - 3,14 % par rapport au prix en cours dans l'ancien contrat. Sodetrav a été obligé de s'aligner sur ce prix.
La sous-traitance concédée à Sodetrav est ainsi devenue : [Tableaux ...]
VIA-TI en national et Sodetrav en local qui avaient été l'un et l'autre d'une correction irréprochable vis-à-vis de CGEA en ont ressenti une rancour : la conviction d'avoir été trahis.
- En janvier 1997, la ville de Toulon a mis en concurrence un lot de périscolaires pour un an pour un chiffre d'affaires d'environ 250 KF : Sodetrav a remporté cet appel d'offres contre la RMTT" (annexe 7- cotes 1072-1077).
43. Il fait ensuite le point des développements récents :
" - Scolaires du Pradet vers le CES de Carqueiranne
Ces scolaires étaient de longue date sous-traités par RMTT à la Sodetrav. La RMTT les a repris à compter du 1er septembre 1997 au motif que la préfecture ne l'autorisait plus à faire de sous-traitance.
Enjeu pour Sodetrav : C.A. HT : 454 274 F/année pleine
Kms : 37 426 kms
Véhicules : 2 (2 conducteurs TP)
- Scolaires de La Garde
Ces scolaires exploités de longue date par Sodetrav ont été remis en concurrence pour trois ans : la RMTT qui connaissait nos anciens prix a soumissionné et les a emportés. Son directeur, M. M, m'a affirmé qu'il s'agissait pour lui de se "venger" des périscolaires de la ville de Toulon perdus plus tôt dans l'année.
Enjeu pour Sodetrav : CA HT : 422 497 F/année pleine
Kms : 24 547 kms
Véhicules : 2 (2 conducteurs TP)
- Affrètement par le SITCAT des lignes pénétrantes 29 et 39 Dans le contrat de conventionnement actuel avec le Conseil général du Var, ces lignes pénétrantes bénéficient d'un affrètement par le SITCAT pour leur partie incluse dans le PTU rétribué à la validation (c'est-à-dire en fonction des clients réels).
Les lignes 29 et 39 assurent avec un cadencement à la 1/2 heure 31 A/R quotidiens en semaine".
[Tableaux ...]
44. Il évalue enfin l'impact financier de ces changements sur la Sodetrav :
"Perte certaine des services scolaires du Pradet et de La Garde
(KF HT) LE PRADET LA GARDE TOTAL
<emplacement tableau>
L'agression de la CGEA coûtera à Sodetrav sur ces deux postes après déduction des coûts directs et des frais de siège : - 373,5 KF/an.
Pertes aléatoires sur lignes pénétrantes (lignes 29 et 39) Hypothèse extrême de perte totale de l'affrètement sur ces lignes par le SITCAT :
(KF HT) RECETTES 1996 RECETTES FUTURES
<emplacement tableau>
En marge 1 ou 2 la Sodetrav ne souffrirait pas de cette réduction de l'offre. Elle pourrait à terme s'en trouver mieux grâce à des économies de frais généraux à étaler sur un ou deux ans (suppression du site de Toulon, tant en gare routière qu'en dépôt avec report sur le garage de La Garde, par exemple) ...".
45. Et, il conclut en demandant à la direction générale de lui donner une ligne de conduite :
"- VIA-GTI doit-il considérer qu'il s'agit d'un conflit local ou de plus grande envergure ?
- Qui a commencé ?
* Sodetrav dit : RMTT dans le contrat d'affrètement des lignes 7 et 23
* RMTT dit : Sodetrav par le contrat périscolaire.
- Quelle est l'attitude à avoir à l'avenir pour les appels d'offres dans le Var pour la Sodetrav ?
- Question subsidiaire : les mêmes dirigeants de CGEA supervisent RMTT et les sociétés interurbaines Littoral Cars / SVT / Rapides Varois / Transvar / Esterel Cars. Si Sodetrav doit être agressif à l'avenir, cela doit-il être orienté contre la seule RMTT ou contre toutes les sociétés de CGEA ?
L'escalade de la 'guerre' trouvera des échéances dans les mois prochains sur :
* Les services privés pour l'armée : Automne 1997
* Les appels d'offres de réseaux des lignes interurbaines : Hiver 97/98
* Les périscolaires de Toulon : Fin 1997
* Les spéciaux scolaires départementaux : En fin 1998
* etc ...
Faut-il continuer, jusqu'à quel point ou signer une armistice ?
Toutes ces questions se posent à la Sodetrav mais il me semble que les réponses ont des implications hors du Var, donc elles doivent provenir également de la direction régionale ou de la direction générale.
Je vous remercie de votre attention sur ce dossier de grande importance pour le fonds de commerce de la Sodetrav.
Henri K..." (annexe 7 - cote 1077).
46. Invité à s'expliquer sur les renseignements fournis à Transdev en septembre 1995, le directeur de la Sodetrav a déclaré : "les renseignements fournis à M. L concernant les projets Transdev proviennent d'une conversation que j'ai surprise par hasard à l'hôtel Mercure de Hyères où je m'étais installé à mon arrivée dans le Var. J'ai fourni des renseignements au demeurant anodins (projet de logo et de développement sur une ligne) à M. L, par téléphone, la RMTT étant un partenaire commercial qui nous sous-traitait des lignes sur le PTU" (annexe 7 - cote 1063).
47. Dans le plan d'action pour 1998-2000 de la société Transvar, filiale de CGEA, on peut lire à propos de la création d'une nouvelle ligne Belgentier-Hyères : "Cette ligne voulue par la communauté de communes, sera créée à l'occasion des appels d'offres ... Cette ligne serait comprise dans le lot Transvar, ce qui suscite des frictions concurrentielles notables, principalement avec Sodetrav qui assure actuellement par spéciaux l'acheminement des élèves : la création de la ligne se solderait pour cette entreprise par la perte sèche de cette activité pour les collèges et lycées ... à l'horizon de la rentrée 1999" (annexe 8 - cote 1471).
48. En janvier 1997, lors d'une réunion de deux filiales communes des sociétés CGEA et VIAGTI, les sociétés Forums Cars et Esterel Cars, en présence des dirigeants nationaux des deux groupes, sont évoqués les prochains appels d'offres interurbains du Var et du réseau urbain de Fréjus dans un contexte de dégradation des relations avec la mairie de Fréjus, du fait de l'abandon, par ces sociétés, de plusieurs lignes urbaines. Les dirigeants conviennent que " l'exploitation de la ligne Fréjus-Saint Raphaël est un préalable pour pouvoir exploiter le réseau urbain de Fréjus " (annexe 8 - cote 1489). De fait, cette ligne comprise dans le lot 17 du marché pour le transport interurbain du Var, est attribué à Estérel Car, sans concurrence de l'autre entreprise.
d) Le plan d'action de la CGEA Connex en Lorraine
49. Ce plan, adressé au directeur du groupe, M. B, en septembre 1997 fait le point des relations avec les collectivités de la région :
"Avec le Conseil général de Meurthe-et-Moselle les relations sont historiquement bonnes et fondées sur l'image qu'ils ont à notre égard d'une entreprise sérieuse, fiable. Nous développons fortement notre positionnement d'entreprise partenaire, force de proposition et d'innovation, capable avec l'apport du groupe de les assister sur des projets novateurs. Avec les conseils généraux de la Meuse et des Vosges, les Rapides de Lorraine n'ont que très peu de relations compte tenu des accords tacites passés avec les transporteurs concurrents de non-agression. Cette situation méritera d'ailleurs une réflexion stratégique. Les relations avec le Conseil général de la Moselle sont essentiellement assurées par le centre de Metz, celui de Nancy n'intervenant qu'à l'occasion de problèmes ponctuels d'exploitation.
Les relations avec le Conseil régional sont correctes mais distantes ; il conviendra de développer des relations de plus grande proximité sur des bases similaires à celles évoquées pour la Meurthe-et-Moselle ..." (annexe 13 - cote 1804).
50. Il évoque la concurrence des grandes entreprises :
"Sur notre zone d'action la concurrence se caractérise par l'existence de plusieurs grands groupes nationaux et régionaux disposant d'une puissance de feu assez forte, et de peu de petits transporteurs.
Les grandes entreprises :
* les courriers Mosellans (GTI) : disposant d'un petit centre sur Nancy (18 cars), ils sont sur le même créneau que le nôtre (services réguliers) et affirment leur volonté de progresser en jouant la carte du conseil auprès des collectivités et se dotent de moyens en matière de réflexion marketing (à noter qu'ils se dotent d'un dépôt neuf sur Nancy opérationnel fin 1997) ;
* le groupe Piot : avec près de 500 cars sur la région, une importante activité tourisme mais aussi une très bonne implantation dans le tissu local, une situation financière fragile, le groupe a de gros besoins en chiffre d'affaires ; il cherche à pérenniser sa situation sur le terrain des services réguliers ; son association avec GTI dans la filiale commune Bus-Est pour la gestion de petits et moyens réseaux urbains, en font un concurrent à surveiller de près avec lequel l'entente actuelle est bonne mais fragile ;
* la STAHV : principalement implantée dans les Vosges ce groupe régional (+300 cars) s'est infiltré en Meurthe-et-Moselle à l'occasion du dernier conventionnement et dans le cadre d'une guerre ouverte avec le groupe Piot ayant engendré une baisse conséquence des prix ; il a décroché dernièrement l'exploitation du réseau urbain de Verdun ;
* Cariane Est : dans le créneau des lignes régulières, Cariane cherche à se développer et actuellement à récupérer du chiffre d'affaires perdu" (annexe 13 - cote 1805).
51. Il analyse les risques liés au contexte démographique et au retard d'équipement de l'entreprise :
"- Les perspectives démographiques et en matière de mouvements migratoires sont défavorables à la région et donc à notre fonds de commerce actuel basé sur les services scolaires et les lignes régulières ; il faudra donc nous repositionner sous peine de voir notre chiffre d'affaires décliner lentement mais sûrement, d'autant que les outils dont se dote le Conseil général (billetterie, carte à puce) lui permettront de disposer d'une information complète ;
- Notre parc de véhicules a beaucoup vieilli ces dernières années alors même que tous nos concurrents ont fait la démarche inverse ; ainsi nous ne sommes plus en mesure de respecter nos engagements contractuels sur nos contrats avec les Conseils généraux alors qu'ils attendent de nous l'inverse ; par ailleurs, nous sommes en situation de fragilité sur les marchés concurrentiels du périscolaire et de l'occasionnel compte tenu de l'image de notre parc comparée à celle de nos concurrents qui ne manquent pas d'exploiter cette faille ...".
52. Il juge enfin l'entente actuelle entre les concurrents : "Dans le contexte économique précisé plus haut, l'entente actuelle entre les concurrents n'est pas viable dans le temps, surtout si l'avenir voit arriver un nouveau concurrent (Transcet), mais aussi dans la perspective d'appels d'offres sur des petits réseaux urbains ; les prix de vente pourraient en pâtir ..." (annexe 13 - cotes 1806-1807).
e) La stratégie de VIA-GTI et Transdev sur les marchés du transport urbain de Bar-le-Duc et d'Epernay
Caractéristiques et résultats des appels d'offres
53. La ville de Bar-le-Duc décide de lancer en octobre 1994 un appel à concurrence pour déléguer la gestion des transports urbains jusque là assurée par Les Rapides de la Meuse, filiale de VIA-GTI. Quatre entreprises demandent le dossier : le sortant Les Rapides de la Meuse, Transcet (devenue Transdev), Bus-Est société commune constituée entre le groupe lorrain Piot et VIA-GTI, et Les Rapides de Lorraine, filiale de CGEA. Réunie en janvier 1995, la Commission de délégation constate le dépôt d'une seule offre, celle de Bus-Est qui prend en charge la commercialisation, le contrôle et la gestion du réseau, laissant le sortant, Les Rapides de la Meuse, assurer l'exploitation proprement dite du réseau. On constate que Transcet et CGEA n'ont pas présenté d'offres.
54. Au même moment, le district urbain d'Epernay décide de lancer une procédure de délégation du transport en commun de la ville, jusque là géré par une société d'économie mixte, la SAEM Distransport dans laquelle la société Transcet détient 16 % des parts. Quatre entreprises sont admises à présenter leur candidature : Cariane, Verney, CGFTE et Distransport, alors que la société Bus-Est, n'ayant pas fourni d'attestation fiscale et des références suffisantes, n'est pas été autorisée, par la commission, à déposer une offre. Deux propositions sont finalement soumises à la commission : celle de la CGFTE et de la société Distransport, société d'économie mixte locale, qui est retenue. Dans le cadre de cette convention d'une durée de 5 ans, Distransport bénéficie d'un engagement très important de Transcet, filiale de la Caisse des dépôts et consignations. Celle-ci assure non seulement l'assistance technique du projet mais la Caisse des dépôts et consignations se dit prête à financer certains investissements dans le cadre d'un "prêt projet urbain" et à augmenter sa participation au capital de la SAEM Distransport.
55. Depuis au moins 1993, comme l'atteste le rapport d'activité de Distransport (annexe 14 - cote 1871), la société Transcet a une mission très large de réponse aux appels d'offres du district et de la ville d'Epernay allant du "chiffrage des coûts de fonctionnement et à l'élaboration de la proposition financière, à l'aide à la rédaction et à la confection des dossiers de réponse aux appels d'offres".
56. Le directeur général adjoint de VIA-GTI écrit le 2 février 1995 au président du district urbain d'Epernay : "Notre filiale Bus-Est nous a transmis votre lettre du 31 janvier dernier dans laquelle vous exposez les raisons de l'élimination de Bus-Est de la liste des candidats admis à présenter une offre pour la gestion du réseau de transport en commun du district urbain d'Epernay.
Je tiens à vous remercier d'avoir bien voulu nous apporter ces précisions. Il est bien évident que l'oubli de présentation des attestations concernant la TVA déqualifie notre filiale. Dans ces conditions, il ne saurait être question de quelque recours que ce soit" (annexe 14 - cote 1900).
Le comportement de Transdev
57. Figure dans le dossier une note du 23 novembre 1994 de M. N, chargé de mission auprès du président de Transdev, rédigée à l'intention des principaux dirigeants du groupe, relative à l'appel d'offres de la ville de Bar-le-Duc. Cette note, adressée à MM. O et F..., respectivement directeur du développement et directeur général du groupe Transdev, présente sommairement l'appel d'offres pour conclure : "Sans un appui logistique local, nos chances paraissent faibles".
58. Après la signature de l'expéditeur, on peut lire la mention manuscrite de M. O ainsi rédigée : "Bs >Ads copie à faire à JL.
>Il me semble néanmoins intéressant d'activer le dossier à partir de CDA (voir avec J. Ph. P) dans la mesure où nous avons besoin de monnaie d'échange avec GTI sur le dossier d'Epernay qui pourrait être disputé âprement" (annexe 10 - cotes 1573).
59. M. P est le directeur des Courriers de l'Aube (CDA), filiale de Transdev. Justifiant l'intérêt de la société pour Epernay, le directeur du développement du groupe a déclaré : "Quant au dossier d'Epernay, les projets d'extension à des activités périurbaines pouvaient laisser craindre l'ouverture de la SEM à l'exploitant périurbain (GTI). Or, la règle pour Transdev est de conserver un partenariat exclusif au sein de la SEM avec la collectivité en vue d'optimiser l'exploitation et de garantir les engagements d'actionnaires que Transdev prend auprès de la collectivité" (annexe 3 - cote 705).
f) L'échange des marchés de Laval et Chalon entre VIA-GTI et Transdev Caractéristiques et résultats des appels d'offres
60. En mars 1996, le syndicat intercommunal de l'agglomération lavalloise (le SITAL) lance un appel public à candidature pour la gestion des transports urbains. La commission d'ouverture des plis, réunie le 24 avril 1996, établit la liste des sociétés appelées à présenter une offre à savoir les entreprises Transdev, STAO, VIA-GTI et CGFTE.
61. La commission de délégation, réunie en février 1996, constate que seules deux entreprises ont remis une offre : la STAO, filiale du groupe Verney, et VIA-GTI. La CGFTE s'est désistée le 17 juin et Transdev le 21 juin. Le 13 novembre 1996, le SITAL décide de retenir l'entreprise VIA-GTI.
62. Un appel à candidatures est lancé au même moment par le syndicat des transports urbains de l'agglomération de Chalon-sur-Saône, le SITUC. Réunie le 3 mai 1996, la commission d'appel d'offres constate le dépôt de trois candidatures, celles de la STAC filiale de Transdev, de VIA-GTI et de la CFTI, filiale interurbaine de la CGEA, mais ne retient pas la candidature de cette dernière société qui a fourni un dossier incomplet. Le 13 juin, la société VIA-GTI écrit au SITUC pour lui dire qu'elle renonce à présenter une offre, laissant la voie libre à la filiale de Transdev.
63. Toutefois, saisi en référé par la CFTI, le Tribunal administratif de Dijon annule, le 9 juillet, la décision du SITUC du 17 juin de ne pas retenir la candidature de CGEA Transport. Le 25 juillet 1996, le SITUC lance un nouvel appel d'offres fixant au 2 septembre la date limite de remise des candidatures. Seule la STAC présente sa candidature et le 10 octobre la commission de délégation propose au SITUC d'approuver la convention négociée avec cette entreprise.
La stratégie de Transdev
64. Le 22 mai 1996, le directeur du développement du groupe, M. O adresse à M. N, à son directeur général ainsi qu'à deux experts du groupe une note dans laquelle il fait le point de l'action à mener sur l'appel d'offres de Laval : "Parmi les nouveaux appels d'offres actuellement lancés par les autorités organisatrices, nous sommes amenés à sélectionner ceux qui présentent les meilleures opportunités. A ce titre, nous ne répondons pas au dossier de l'Ile d'Abau.
En revanche, il convient d'organiser la réponse pour le dossier de Laval. L'équipe constituée sera pilotée par A. N ... Merci de prendre les dispositions en conséquence. Un comité d'engagement sera à programmer 10 à 15 jours avant la remise de l'offre soit le 20 juin" (annexe 15 - cote 1938).
65. Sur une note que lui adresse, le 3 juin, M. N pour faire le point du dossier, on peut lire la mention manuscrite portée par M. O :
"Bs Adec/D.P.
J'ai convenu avec JL qu'on échange Laval contre Chalon. Si OK on ne répond plus à Laval" (annexe 15 - cote 1939).
L'initiale JL est celle de Joël F, directeur général de Transdev.
g) Le pacte de non agression entre VIA-GTI et Transdev sur les marchés du transport public de Saint-Claude et d'Oyonnax
Caractéristiques et résultats des appels d'offres
66. A Saint-Claude un premier appel d'offres est organisé au début de 1995. Le 16 janvier 1995, la commission de délégation enregistre six candidatures : celles de Cars Jura Sud filiale de VIA-GTI et gestionnaire sortant, Jura Bus, Cariane, Verney, Crédoz et Gonnet Bustours filiale de Transdev. Le 12 avril, la commission émet un avis favorable à l'offre de Cariane qui a finalement proposé un contrat de collaboration avec la régie départementale des transports du Jura, Jura Bus, partenaire du Conseil général. Celui-ci s'opposant à cette collaboration, un nouvel avis de consultation est publié en décembre 1995. Le 29 janvier 1996, la commission de délégation retient les candidatures de la société Urbest du groupe VIA-GTI, qui succède à Cars Jura Sud avec laquelle elle collabore étroitement, ainsi que des sociétés Verney, Cariane, Jura Bus et Crédoz. En mars et avril, les sociétés Crédoz, Verney et Cariane se désistent, cette dernière indiquant que l'impossibilité de faire alliance lors de ce 2e appel d'offres avec la régie départementale lui interdisait de faire une offre réellement compétitive.
67. La régie départementale Jura Bus ne présente pas d'offre directement, se contentant d'être sous-traitant d'Urbest pour certaines lignes. Cette société, seule à avoir déposé une offre, est choisie comme délégataire, le 11 juillet 1996, pour la ville de Saint-Claude sur proposition de la commission qui, dans son rapport, a émis "les plus vives réserves sur le tour pris par la consultation dans la mesure où le jeu de la concurrence ne pouvait s'exercer, du fait de la présence d'une seule proposition".
68. En décembre 1997, le district urbain d'Oyonnax lance la consultation pour son réseau de transports urbains. La commission de délégation enregistre en janvier 1998 huit candidatures dont celles de la CGEA, Urbest, Transdev et Gonnet Bustour sa filiale. Toutes ces entreprises vont présenter une offre, Transdev et sa filiale Gonnet Bustour se présentant conjointement. Après analyse de ces offres, la commission de délégation du service public propose au président du district de négocier avec les trois entreprises ayant présenté les meilleures propositions : CGFTE, Urbest, Gonnet-Transdev. Le 8 juillet 1998, le Conseil du district décide de confier à Urbest l'exploitation du réseau.
La stratégie de Transdev
69. Dans les locaux de cette entreprise, a été saisie une note manuscrite rédigée par M. N à l'intention de M. O dans laquelle on peut lire :
"Alain N BS
Saint-Claude
Je viens d'avoir JP Q. Il souhaite que Gonnet ne réponde pas, suite à un pacte de non agression avec Mont Jura.
En contrepartie, Mont Jura lui laisserait la voie sur Oyonnax et chacun chez soi dans l'Ain.
Il souhaite avoir notre position.
17.01.96" (annexe 17 - cote 2048).
70. La société Mont Jura comme la société Urbest font partie du groupe VIA-GTI et sont en concurrence directe avec les filiales de Transdev.
71. Le lendemain de cette note, soit le 18 janvier 1996, M. Q, directeur de Gonnet, adresse à M. R, président de Bustours et à M. O, un fax de trois pages avec copie à M. N expliquant les raisons pour lesquelles sa société, Gonnet Bustours, ne souhaite pas répondre à l'appel d'offres de la ville de Saint-Claude :
"Notre position aujourd'hui (Bustours) est de ne pas concourir :
- Chances d'être retenus très limitées,
- Rentabilité du dossier faible,
- Réponse sur dossier Mont Jura (appel d'offres dans l'Ain),
- Charge de travail trop importante.
Si vous souhaitez cependant que notre candidature soit maintenue ou qu'une réponse ait lieu au niveau du Groupe, merci de me le préciser avant le 24 prochain.
Cordialement" (annexe 17 - cote 2050).
Au bas de ce document, on peut lire :
"Adc Bs
Répond-on ?
Plutôt non car échange avec Mont Jura"
et aussi :
"Ok pour BS" (annexe 17 - cote 2051).
72. La mention manuscrite "Ok pour BS" montre que le directeur de développement du groupe Transdev donne son accord à la position du responsable local de sa filiale. Il répond aussi à M. N en lui expliquant la raison de son accord à ne pas répondre : l'échange avec la société Mont Jura.
73. Sur le premier document, M. O a déclaré : "La note manuscrite de M. N qui m'est destinée relate la position de M. Q, directeur de Gonnet. Il estime ne pas pouvoir exploiter le réseau de Saint-Claude ne disposant pas de base technique locale" (annexe 3 - cote 704).
74. Sur le deuxième document, M. Q a déclaré :
"Lors du premier appel d'offres de Saint-Claude, Gonnet Bustours a concouru, après une étude sommaire du dossier.
L'appel d'offres ayant été déclaré infructueux, Gonnet Bustours qui avait pris les dimensions du dossier, n'a pas souhaité concourir à nouveau.
J'explique les raisons de cette abstention dans mon courrier interne du 18 janvier 1996 à M. O et M. R, président de Bustours.
En ce qui concerne le point 3 de cette note, il s'agit de situer les entreprises dans leur bassin d'implantation, Mont Jura à Saint-Claude et Bustours à Oyonnax (le temps de parcours entre les deux points étant d'environ 3/4 d'heure). N'ayant pas de contacts, ni bons ni mauvais avec Mont Jura, ceci confortait les éléments qui m'incitaient à ne pas répondre à ce dossier. Le terme de 'pacte de non agression' employé par M. N ne correspondait à aucune réalité : éventuellement il entérinait une situation géographique" (annexe 18 - cote 2062).
L'accord de VIA-GTI
75. Lors de la réunion du comité directeur du groupe tenue en décembre 1997, sont examinés les appels d'offres dans le Jura, le Doubs et l'Ain. La situation de la filiale Urbest est ainsi évoquée : "... accord avec la caisse sur Oyonnax. Rééquilibrage avec Mont Jura" (annexe 18 - cote 2108).
h) La surveillance par les trois groupes du marché du transport public à Sens Caractéristiques de l'appel d'offres et résultats
76. L'appel d'offres est lancé en novembre 1996, les entreprises intéressées ayant jusqu'au 3 janvier 1997 pour déposer une offre de candidature. Réunie en janvier 1997, la commission de délégation de service public enregistre les candidatures de VIA-GTI, des Rapides de Bourgogne, gestionnaire sortant filiale de Transdev, de CFTI-CGFTE et de Southern Vectis. Au vu de l'analyse détaillée des offres présentées par la commission de délégation, le 14 mai 1997, le district retient finalement Les Rapides de Bourgogne, société qui répond plus clairement au cahier des charges.
77. Le rapport de la commission souligne que la proposition de VIA-GTI n'apporte pas de solutions détaillées pour les dessertes obligatoires à assurer, sépare les usagers scolaires et non scolaires ce qui nuit à la lisibilité du réseau et enfin ne donne aucun élément sur les charges d'investissement pour les véhicules.
Les discussions entre Transdev et GTI
78. Dans le bureau du directeur général de VIA-GTI, M. X, ont été saisies des notes manuscrites qui, à la date du 6 avril 1997, indiquent : "Sens. Nous avons joué pleinement le jeu avec Transdev" (annexe 19 - cote 2170).
79. Le 2 juin lors d'une réunion interne, M. S, président du groupe VIA-GTI, a déclaré :
"Transdev
Figer les positions actuelles" (annexe 19 - cote 2172).
L'analyse commune de VIA-GTI et CGEA
80. Au cours de leur rencontre, le 18 avril 1997, qui se déroule avant que l'autorité organisatrice ait décidé d'attribuer le marché, les directeurs généraux de VIA-GTI et de la CGEA conviennent (cf. § 23) que VIA a de fortes chances de l'emporter à Sens (annexe 1 - cote 274).
i) L'absence générale de concurrence entre les offres de VIA-GTI, CGEA et Transdev
81. Il a été constaté qu'à l'occasion des appels d'offres lancés pour le renouvellement des conventions de transport des villes de Bordeaux, Rouen, Châteauroux, Toulon, Bar-le-Duc, Epernay, Laval, Chalon, Saint-Claude, Oyonnax et Sens, ces entreprises ne se font jamais concurrence, soit qu'elles s'abstiennent de présenter une candidature ou une offre, soit qu'elles se désistent au dernier moment pour ne pas gêner l'une des autres entreprises.
Tableau des marchés et des offres déposées par les entreprises en 1996-1997-1998
<emplacement tableau>
82. Ce tableau élaboré à partir des éléments du rapport administratif sur le comportement des trois groupes à l'occasion des appels d'offres urbains fait apparaître :
* que sur 122 marchés où l'une au moins des entreprises s'est portée candidate, l'une au moins s'est maintenue jusqu'au stade de dépôt d'une offre dans 96 cas ;
* que dans 71 cas, l'entreprise qui a déposé une offre n'a eu en face d'elle la concurrence d'aucune des deux autres sociétés ;
* que les cas où ces trois sociétés sont toutes candidates sur un même appel d'offres sont extrêmement rares : zéro en 1996, quatre fois en 1997 et une fois en 1998. Dans deux de ces cas au surplus, à savoir les villes de Sens et d'Oyonnax, le maintien de leurs candidatures en concurrence apparente a été précédé d'un échange d'informations.
83. Par ailleurs, dans la période, un seul marché urbain est passé d'un groupe à l'autre : celui de Saint-Pierre de la Réunion perdu par la CGEA au profit d'une société d'économie mixte dans laquelle Transdev est présent.
2. SUR LES MARCHÉS DU TRANSPORT PUBLIC INTERURBAIN ET SCOLAIRE DE VOYAGEURS
a) Les échanges d'informations entre les dirigeants des groupes
84. Au paragraphe 21 ci-avant, il a été montré que le 31 décembre 1996, les dirigeants de VIA-GTI et de CGEA ont échangé au sujet des appels d'offres des départements du Loiret et du Rhône.
b) Le comportement des entreprises sur le marché du transport interurbain dans le Var, les Bouches-du-Rhône et en Charente Maritime
85. Aux paragraphes 37 à 40, il a été constaté que sur quatre lots du marché interurbain du Var, les filiales de la CGEA se sont désistées, laissant seule la Sodetrav, filiale de VIA-GTI pour emporter le marché. A l'inverse sur six autres lots, la Sodetrav n'a pas présenté d'offres face aux filiales de la CGEA.
86. Il a été également constaté aux paragraphes 48 à 52 qu'en Lorraine, l'entente entre ces trois concurrents les a amenés à répartir entre eux, sur la base du maintien des anciens titulaires, les marchés du transport interurbain et scolaire.
87. Le département de la Charente Maritime a attribué en juillet 1996, 43 lots de transport scolaire sur 45 proposés au total dans la consultation à Océcars, filiale de CGEA, et Citram Littoral, filiale de VIA-GTI. Lors du renouvellement de quatre lots en 1998, la filiale de VIA-GTI, Citram Littoral ne présente pas d'offre face aux filiales de CGEA qui obtiennent le marché. Dans un document faisant le point de la situation d'Océcars et Océtour, filiales de VIA-GTI dans le département, les dirigeants de ces entreprises écrivent :
"Lignes régulières ... Convention aux risques et périls avec le département de Charente Maritime. Echéance de la convention 2006. Le secteur desservi par Océcars est géographiquement homogène. La concurrence est faible. Elles sont le support du transport scolaire, il n'y a donc pas de circuit scolaire en concurrence" (annexe 20 - cote 2202).
88. L'étude des coûts au kilomètre de ce transport, pour l'année scolaire 1996/1997, montre une hausse de 37 % par rapport à l'année précédente pour les 16 lots qui ont été renouvelés en 1996 contre 16,7 % pour les autres.
89. Dans le département des Bouches-du-Rhône, sur cinq lignes interurbaines renouvelées en 1997 et 1998, trois sont conservées par l'entreprise sortante qui a été seule à présenter une offre dans deux cas. Une nouvelle ligne, créée pour la desserte des plages de la côte bleue, est attribuée à Transprovence, filiale de la CGEA. Une dernière ligne Aubagne-Marseille par autoroute revient au GIE de deux sociétés locales.
90. Sur 32 lignes scolaires proposées en consultation en 1998, 8 sont attribuées à l'entreprise, déjà titulaire, sans offre concurrente des 11 filiales au total que comptent les trois groupes de transport dans le département.
c) Le comportement des entreprises sur les marchés de la région Lorraine
91. Dans la Meuse, la société Les Rapides de La Meuse, filiale de VIA-GTI, obtient la totalité des lignes interurbaines renouvelées en 1998. La Commission de délégation, réunie le 17 avril 1998, enregistre les candidatures des Rapides de la Meuse, de Transcet, de Bus-Est et des Rapides de Lorraine, filiale de CGEA. Le 11 mai, à l'ouverture des plis, elle constate le dépôt de 3 offres, seule la société Les Rapides de La Meuse faisant des propositions sur tous les lots. Après avoir été candidat, Les Rapides de Lorraine, filiale de CGEA, se désistent. Le marché est finalement attribué en totalité aux Rapides de La Meuse.
92. La situation est identique sur le marché du transport scolaire, Les Rapides de la Meuse étant désignés le 8 juillet 1998 pour les 62 lots de ce marché. Les Rapides de Lorraine n'ont pas été candidats alors que Les Courriers de l'Aube, filiale de Transdev, candidat sur 19 lots, n'ont pas finalement présenté d'offre. On peut noter que le marché urbain de Barle- Duc est assuré à la même époque par la société Bus-Est, filiale de VIA.
93. Dans les Vosges, le marché du transport interurbain est dominé par la STAHV, entreprise régionale importante bien implantée dans le département, qui, dans le marché lancé en mars 1999, obtient 26 lignes. La société Les Rapides de Lorraine ne soumet une offre que sur deux lignes et en obtient une. La filiale de VIA-GTI, CTV, se présente sur une seule ligne qu'elle obtient également.
94. Dans ce département, les marchés du transport scolaire passés dans la période 1996-1997 sous forme de délégation de service public et à partir de 1998 sous la forme de marchés publics négociés sont partagés entre la STAHV, la SADAP du groupe Piot, Les Rapides de Lorraine et des petits transporteurs locaux.
95. En Meurthe-et-Moselle, Les Rapides de Lorraine dominent le marché des lignes interurbaines et des lignes scolaires qui doublent les premières. Lors de la consultation lancée en mars 1994 par le Conseil général, le marché des lignes régulières attribué pour 7 ans est divisé en de nombreux lots regroupés en 6 grands secteurs géographiques. Sur 17 lignes régulières recensées, Les Rapides de Lorraine ont présenté 8 offres et les Courriers Mosellans, filiale de VIA-GTI, sans jamais se faire concurrence y compris sur les lots où une pluralité de candidatures a été enregistrée.
96. Dans la Moselle, l'appel d'offres pour le transport interurbain a été lancé en août 1998. L'analyse des offres réalisée par la commission de délégation de service public réunie en avril 1999, fait apparaître que la concurrence a faiblement joué. Sur les 33 lots du marché regroupant au total 131 lignes, 23 ont fait l'objet d'une seule offre et sur les 23 réponses, 14 ont été faites en groupement réunissant dans 12 cas les entreprises exploitant déjà les lignes. Les Rapides de Lorraine et les Courriers Mosellans ne s'affrontent sur aucun lot et se présentent en groupement sur 7 d'entre eux.
97. Sur les prix proposés, le rapport présenté à la commission indique : "Les Rapides de Lorraine, Les Courriers Mosellans ainsi que d'autres entreprises Schon et Brullard notamment ont défini une grille de prix unique appliquée lorsque les entreprises répondent seule ou en groupement. Cette grille représente une hausse d'environ 20 % des prix actuellement pratiqués par Les Rapides de Lorraine ou Les Courriers Mosellans" (annexe 12 - cote 1671). Il souligne également la forte hausse des prix proposés dans le transport scolaire généralement comprise entre 25 et 35 % et pouvant atteindre 75 %, 200 % ou plus dans certains cas.
C. LES GRIEFS NOTIFIÉS
98. Au vu des faits analysés ci-dessus, ont été notifiés trois griefs sur le fondement de l'article L. 420-1 du Code de commerce et de l'article 81 du Traité CE.
99. Il a été reproché :
"Grief n° 1
* à la SA Kéolis et à la SA CGEA Connex, de s'être concertées pour limiter le jeu de la concurrence sur les marchés de la CUB de Bordeaux, du district de Rouen et de Châteauroux, de l'agglomération de Toulon et du département du Var, des départements de la Meuse, de la Moselle et des Vosges attribués par les autorités organisatrices des transports entre 1994 et 1999, soit en s'abstenant systématiquement de présenter des offres contre celle qui était titulaire du marché, soit en simulant une concurrence qui n'existait pas en fait en déposant des offres de couverture. Ces pratiques ont eu pour objet et pour effet, d'une part, d'élaborer en commun les stratégies de soumission et de geler la répartition de ces marchés entre ces groupes, d'autre part, compte tenu du faible nombre d'entreprises susceptibles de présenter des offres compétitives au plan technique et financier, d'enlever aux autorités organisatrices la possibilité de faire jouer le jeu de la concurrence lors du renouvellement de ces marchés.
Grief n° 2
* à la SA Kéolis et à la SA Transdev, de s'être concertées pour restreindre le jeu de la concurrence sur les marchés de Bar-le-Duc, Epernay, Laval, Chalon, Saint-Claude, Oyonnax et Sens attribués par les autorités organisatrices des transports entre 1994 et 1999 en s'abstenant systématiquement de présenter des offres contre l'entreprise membre de l'entente déjà titulaire du marché ou en remettant des dossiers incomplets ou peu offensifs n'ayant à l'avance aucune chance d'être retenus. Ces pratiques ont eu pour objet et pour effet de fixer à l'avance le bénéficiaire de ces marchés et d'empêcher les autorités organisatrices de transport de faire jouer pleinement les règles d'une libre concurrence fondée sur la présentation d'offres pleinement indépendantes découlant du choix autonome de chaque entreprise.
Grief n° 3
* à la SA Kéolis, à la SA CGEA Connex et à la SA Transdev, d'avoir organisé au plan national une concertation pour se répartir les marchés du transport public de voyageurs urbain, interurbain et scolaire venus à échéance entre 1994 et 1999. Cette concertation qui s'est traduite par des rencontres et échanges d'information entre leurs dirigeants a permis à ces groupes d'élaborer au plan national des stratégies communes de soumission et d'en suivre l'application au niveau local. Cette pratique a eu pour objet de déterminer à l'avance l'entreprise bénéficiaire des marchés et pour effet d'empêcher les autorités organisatrices de transport de faire jouer la concurrence".
100. Au stade du rapport, le rapporteur a considéré que, faute d'éléments suffisamment probants, devait être retirée la partie du grief n° 3 relative à l'entente nationale sur les marchés du transport interurbain et scolaire.
II. Discussion
A. SUR LA PROCÉDURE
1. SUR LA PRESCRIPTION
101. La société Kéolis estime que le Conseil ne peut sanctionner en tout état de cause des faits antérieurs au 13 novembre 1995 puisque, entre cette date et la demande du ministre de l'Economie du 13 novembre 1998, présentée au juge pour autoriser les opérations de visite et saisie, il n'existerait aucun acte ni intervention des enquêteurs de nature à tendre à la recherche et à la constatation des faits reprochés.
102. De son côté, la société Connex considère que les faits qui lui sont reprochés dans le cadre du marché des lignes interurbaines et scolaires du département de la Meurthe-et-Moselle sont couverts par la prescription dès lors que les seuls actes de recherche antérieurs à la date de l'ordonnance de visite et saisie délivrée par le juge sont, d'une part, un procès-verbal de communication de documents du 28 mars 1997 visant explicitement le secteur du transport urbain et non celui du transport interurbain, et d'autre part, deux lettres de la municipalité de Caen à la DGCCRF, des 18 juin et 15 juillet 1997, en réponse à la demande du représentant de la DGCCRF présentée au cours de l'appel d'offres pour le marché de cette ville.
103. Les tableaux présentés au paragraphe 20 ci-avant montrent que la plupart des marchés visés dans ce document ont été lancés entre 1996 et 1998. Aussi, à supposer même que les faits antérieurs au 13 novembre 1995 soient prescrits, ces pratiques, intervenues dans le délai légal de prescription, peuvent être sanctionnées.
104. S'agissant des marchés antérieurs, c'est-à-dire ceux lancés ou signés en 1994 et 1995, ni la demande d'enquête du ministre de l'Economie et des Finances du 13 mai 1998, ni l'ordonnance subséquente du juge délégué du Tribunal de grande instance de Nanterre en date du 27 novembre 1998 ne constituent les premiers actes de recherche et de constatation des pratiques reprochées aux entreprises.
105. Les services de la DGCCRF ont, à partir de 1997, adressé aux autorités organisatrices de transport des demandes d'information sur les conditions de déroulement des appels d'offres de Nancy, Le Havre, Calais, Cannes, Caen, Lille, Chauny, auxquels les entreprises en cause ont été candidates. Ils ont ainsi pu, par des actes régulièrement accomplis et datés, pour le premier, du 28 mars 1997, fournir au juge les éléments qui l'ont conduit à ordonner des visites et saisies dans les entreprises en cause. Dans sa requête aux fins d'autorisation de visite et saisies, le chef du service régional des enquêtes de concurrence a indiqué : "nous joignons à celle-ci [la requête] les documents cités dans la liste figurant en annexe. Ces documents comprennent outre la demande d'enquête du ministre, des procès-verbaux de communication de documents relatifs à des appels d'offres organisés par des acheteurs publics pour des prestations de transports publics de voyageurs et des informations relatives à ce secteur économique (articles de presse, extraits de banque de données)".
106. L'acte interruptif de prescription le plus ancien figurant au dossier est le procès-verbal de communication de documents du Syndicat intercommunal des transports publics de Cannes-Le Cannet établi le 28 mars 1997. Cette communication est intervenue dans le cadre de l'enquête administrative initiale sur des appels d'offres dans le transport public de voyageurs, enquête portant, sans distinction, sur le transport urbain et les autres transports. En conséquence, toutes les soumissions des entreprises en cause comme les échanges intervenus entre elles à partir du 28 mars 1994 relèvent des agissements qualifiables au regard des articles L. 420-1 ou L. 420-2 du Code de commerce car commis en période non prescrite. De ce fait, le Conseil de la concurrence peut également connaître des marchés relatifs au département de la Meurthe-et-Moselle qui ont été lancés en mars 1994 et pour lesquels les entreprises ont eu jusqu'au 11 avril pour présenter leurs candidatures et jusqu'au 24 mai 1994 pour préciser leurs offres.
107. Le Conseil peut donc valablement se prononcer sur l'ensemble des griefs notifiés, sans que puisse lui être opposée la prescription des faits.
2. SUR LA DURÉE DE LA PROCÉDURE
108. La société Kéolis fait valoir que la notification de griefs adressée le 11 septembre 2003 porte sur des faits antérieurs à 1998. Elle estime que cette durée de la procédure, que rien ne justifie, ne lui permet pas de répondre complètement aux griefs notifiés du fait que depuis la survenue des faits litigieux, la société VIA-GTI a connu, d'une part, d'importantes restructurations internes qui l'ont fait passer sous le contrôle de la SNCF et ont été marquées dans le cadre d'une opération de concentration autorisée le 7 juin 2000 par le ministre de l'Economie et des Finances, par la cession au groupe CGEA de plusieurs filiales interurbaines, et que, d'autre part, deux dirigeants nationaux de VIA-GTI et trois directeurs régionaux ont quitté le groupe. Elle demande en conséquence au Conseil de tenir compte de ces circonstances dans le calcul d'une éventuelle sanction.
109. Compte tenu tant du nombre de marchés que de l'importance des nombreux documents à analyser, la durée de l'instruction qui s'est écoulée entre la saisine du ministre en juillet 2000 et l'envoi de la première notification de griefs en septembre 2003 ne paraît pas anormale.
110. Elle n'a pu, en toute hypothèse, gêner la défense d'un grand groupe qui, après sa prise de contrôle par la SNCF, a renforcé sa position sur le marché du transport urbain et interurbain de passagers dans la ligne d'une orientation stratégique qui restait constante malgré les changements d'actionnaires. La société Kéolis ne démontre pas concrètement en quoi le départ de plusieurs de ses dirigeants, qui, au demeurant, ont été entendus durant l'enquête administrative, l'a réellement empêchée de réunir des informations et de développer des arguments utiles à sa défense. Aussi, en l'absence de démonstration établissant que la durée de l'instruction a compromis l'exercice des droits de la défense, la procédure ne saurait être déclarée irrégulière du seul fait de sa durée. Par ailleurs, la Cour d'appel de Paris a retenu, dans un arrêt du 8 septembre 1998, "qu'à supposer le délai excessif (...) la sanction qui s'attache à la violation de l'obligation pour le Conseil de se prononcer dans un délai raisonnable (...) n'est pas l'annulation ou la réformation de la décision mais la réparation du préjudice résultant de la durée excessive du procès". Cette jurisprudence a été confirmée par la Cour de cassation dans son arrêt du 13 juillet 2004, relatif à des pratiques constatées à l'occasion de grands travaux dans le secteur du génie civil.
111. Il convient donc d'écarter ce moyen.
3. SUR L'ÉTENDUE DES SAISIES AUTORISÉES PAR LE JUGE
112. Les parties exposent que les enquêteurs auraient outrepassé le champ de l'autorisation de visite et de saisie délivrée par le juge délégué du Tribunal de grande instance de Nanterre dans son ordonnance du 27 novembre 1998. Les enquêteurs auraient saisi des documents afférents à d'autres marchés que ceux nommément visés dans les pièces versées par la DGCCRF à l'appui de sa requête et qui seraient, au surplus, étrangers au champ de l'habilitation judiciaire limitée au "secteur du transport urbain de voyageurs". Les entreprises estiment, d'une part, que tous les documents relatifs au transport interurbain, non visé par l'ordonnance, doivent être écartés de la procédure et, que, d'autre part, seuls les documents relatifs aux marchés de transport urbain des villes ou agglomérations de Nancy, Le Havre, Calais, Cannes-Le Cannet, Caen, Lille et Chauny, visés dans l'ordonnance du juge, peuvent leur être opposés.
113. Contrairement à ce que soutiennent les entreprises, le juge n'a pas entendu limiter la recherche des preuves aux seuls marchés analysés dans son ordonnance et qui lui ont été présentés par la Direction nationale des enquêtes de concurrence, à titre d'exemples, pour l'éclairer sur la situation de la concurrence dans le secteur.
114. La pratique courante suivie par les enquêteurs consiste en effet à produire devant le juge, à l'appui de leur requête, des éléments sur des marchés particuliers, à titre d'illustration des présomptions de pratiques anticoncurrentielles pesant sur les autres marchés du même secteur, afin d'obtenir du juge une autorisation dont le champ excède ces seuls marchés, décrits dans l'ordonnance du juge, pour s'étendre à tout le secteur concerné. La Cour de cassation a validé cette pratique dans un arrêt du 18 mai 1999 (Suburbaine de canalisation et de grands travaux), dans lequel elle a jugé que "la liste des marchés pour lesquels cette ordonnance avait relevé l'existence de présomptions n'était pas exhaustive, les marchés mentionnés n'étant que des illustrations de la pratique dont la preuve était recherchée dans un secteur déterminé".
115. En l'espèce, il ressort du contenu même de l'ordonnance que le juge a donné aux enquêteurs le pouvoir de procéder "à l'ensemble des visites et à la saisie de tous les documents nécessaires pour apporter la preuve que dans le secteur du transport urbain de voyageurs, les pratiques, dans la mesure où elles ont été énoncées et présumées par notre ordonnance, entrent dans le champ de celles prohibées par les points 2 et 4 de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 modifié ...". Il ne fait donc aucun doute que l'habilitation du juge, visant des sociétés dont "l'implantation nationale leur a permis d'obtenir des marchés dans des communes situées sur l'ensemble du territoire", concernait, outre les marchés nommément cités à titre d'illustration, tous les marchés afférents au même secteur, à savoir le "marché du transport urbain de personnes".
116. Par ailleurs, dans un arrêt du 14 janvier 2003, la Cour d'appel de Paris a jugé qu'"il n'est pas interdit à l'administration de saisir des documents, pour partie utiles à la preuve des agissements retenus, dès lors que ces pièces ne sont pas étrangères à l'autorisation accordée puisqu'elles étaient susceptibles de limiter la concurrence, par le jeu de compensations réciproques, entre les mêmes sociétés et à la même époque sur des marchés individualisés". La Cour de cassation, dans un arrêt du 13 juillet 2004, a confirmé cette analyse, observant que "l'Administration a saisi des documents couvrant un champ plus vaste que celui du marché du Pont de Normandie susceptible de caractériser une entente de répartition entre entreprises de génie civil 'pour la réalisation de grands chantiers de travaux publics, ainsi que des pièces pouvant matérialiser cette concertation portant sur d'autres ponts ou des infrastructures de TGV ; (...) en retenant que ces pièces n'étaient pas étrangères à l'autorisation accordée et étaient pour partie utiles à la preuve des agissements retenus dès lors qu'elles concernaient des pratiques concertées susceptibles de limiter la concurrence par un jeu de compensations réciproques entre les mêmes sociétés et à la même époque sur différents marchés individualisés, faisant ainsi ressortir le lien entre le marché public visé par l'ordonnance et les autres marchés publics en cause, la cour d'appel, qui a écarté le détournement de procédure allégué, a statué à bon droit sans dénaturer l'ordonnance invoquée et a légalement justifié sa décision".
117. En l'espèce, les documents saisis relatifs au transport interurbain sont utiles à la démonstration des pratiques d'entente dans le secteur du transport public urbain de voyageurs. Les entreprises en effet exercent indifféremment leurs activités sur les deux secteurs du transport urbain et interurbain. Elles considèrent elles-mêmes qu'elles font un seul métier, celui de transport public de voyageurs.
118. Cette appréciation des liens entre les deux secteurs d'activité est du reste reprise dans une circulaire du 18 novembre 1993, dans laquelle le ministre de l'équipement indique aux préfets : "Il vous appartient alors de souligner auprès des collectivités concernées (département et autorité organisatrice urbaine) les intérêts -économiques mais aussi ceux des usagers- qui s'attachent à une prise en compte globale et réfléchie de l'ensemble des problèmes de transports urbains et non urbains à l'intérieur du périmètre de transports urbains. La recherche de la complémentarité des réseaux, tant en matériel d'offre de transport que d'amélioration des conditions des dessertes et d'harmonisation tarifaire, notamment, doit être poursuivie dans toute la mesure du possible, et un rôle actif vous est à cet égard dévolu".
119. Il apparaît aussi que la gestion d'un réseau urbain n'est pas sans incidence sur l'attribution des lignes interurbaines pénétrant dans le plan de déplacement urbain et que, bien souvent, les filiales locales des entreprises en cause soumissionnent aux appels d'offres aussi bien dans le transport urbain que dans le transport interurbain.
120. En tout état de cause, compte tenu de la jurisprudence citée plus haut, aucune interdiction d'utiliser des documents relatifs au transport interurbain pour apporter la preuve de pratiques intervenues dans le secteur du transport urbain ne saurait être déduite de l'ordonnance du juge dès lors que celui-ci, pour déterminer les marchés où des pratiques anticoncurrentielles étaient présumées, a lui-même utilisé des pièces relatives au marché du transport interurbain du département du Calvados.
121. Toutefois, il apparaît que si les documents saisis relatifs aux marchés interurbains ont légitimement permis, compte tenu de l'imbrication de ces marchés avec ceux du transport urbain de voyageurs, d'apporter des éléments sur l'objet et les effets des ententes dans le secteur du transport urbain, ces documents portent sur une catégorie de marchés qui n'était pas visée par l'ordonnance du président du Tribunal de Nanterre. Aussi seules les parties des griefs relatives aux faits observés sur le marché urbain seront examinées, sans qu'il soit besoin de se pencher sur les parties des griefs n° 1 et 3 relatives aux marchés scolaires et interurbains.
B. SUR LE FOND
122. Pour la clarté de l'exposé, les faits visés au grief n° 3 seront examinés en premier. Seront examinés ensuite les faits visés aux griefs n° 1 et 2.
1. SUR L'ENTENTE NATIONALE ENTRE LES SOCIÉTÉS KÉOLIS, Connex ET TRANSDEV DANS LE SECTEUR DU TRANSPORT PUBLIC URBAIN DE VOYAGEURS (GRIEF N° 3)
123. Il est reproché à la SA Kéolis, à la SA Connex et à la SA Transdev d'avoir organisé, au plan national, une concertation pour se répartir les marchés urbains du transport public de voyageurs venus à échéance entre 1994 et 1999. Cette concertation, qui s'est traduite par des rencontres et échanges d'informations entre leurs dirigeants, a permis à ces groupes d'élaborer, au plan national, des stratégies communes de soumission et d'en suivre l'application au niveau local. Cette concertation a éliminé toute concurrence de sorte que, dans la quasi-totalité des renouvellements de marché, l'entreprise sortante l'a emporté.
124. Les entreprises expliquent que l'absence de concurrence qui leur est reprochée n'est pas due à une concertation organisée entre elles, mais résulte de la structure juridique et économique de ces marchés. Toute concertation serait inutile, selon elles, dès lors que les autorités organisatrices de transport, dans le cadre des procédures de délégation de service public utilisées, peuvent refuser de choisir la meilleure proposition, que ce soit en terme de prix ou de qualité du service. Dès lors, l'échange d'informations portant, notamment, sur les prix proposés préalablement à la remise des offres serait sans objet.
125. Les entreprises soutiennent aussi que la stabilité des marchés s'explique par les risques financiers importants pris par les entreprises qui s'engagent sur des prévisions de coût de gestion des réseaux et de recettes et aussi par le coût élevé de l'élaboration d'une proposition qui peut varier, selon l'importance des sites à gérer, de 46 000 à 760 000 euro. Dans ces conditions, le gestionnaire sortant bénéficie d'un avantage qui dissuade les concurrents de faire des offres offensives.
126. Ainsi, chaque entreprise, constatant que son intérêt est simplement de conserver les marchés dont elle est déjà attributaire et observant, grâce à la répétition des comportements des autres, que telle paraît être aussi la conviction de ses deux compétitrices, ne ferait aucun effort pour leur enlever des marchés. De la sorte, soutiennent-elles, la stabilité d'ensemble du marché et la faible concurrence générale, qu'elles reconnaissent, résultent de la juxtaposition de leurs trois comportements parallèles mais, en aucun cas, d'une entente. Il existerait donc une règle implicite " chacun chez soi " expliquant les résultats constatés, dont la mise en œuvre ne nécessiterait aucun échange explicite, ou collusion volontaire, caractéristique de l'entente.
127. Mais il est fait grief aux trois entreprises en cause d'avoir, par des pratiques collusives de " coopération explicite ", instauré un cartel.
128. En l'espèce, le marché pertinent est le marché national du transport public urbain de voyageurs. Sur ce marché, les trois groupes en cause occupent, ensemble, environ 60 % du marché, et il subsiste un grand nombre de petites entreprises susceptibles, localement, de leur faire concurrence. Mais on relève qu'à chaque remise en concurrence d'un marché local, c'est le sortant qui, le plus souvent, l'emporte. La recherche d'éventuelles pratiques portant atteinte à la concurrence nécessite donc d'examiner l'origine des " effets coordonnés " entre opérateurs en situation oligopolistique. Ces effets peuvent résulter soit d'un simple parallélisme des comportements (l'on parle alors de coordination implicite), soit d'une entente matérialisée par un accord de volonté (l'on parle alors de coordination explicite).
129. Les entreprises mises en cause allèguent que les effets coordonnés s'expliquent par la structure juridique et économique de ces marchés et par les risques importants pris par une entreprise lorsqu'elle tente de s'implanter sur un marché nouveau. En séance, elles ont soutenu la thèse que le parallélisme de leurs comportements résulte de ces caractéristiques des marchés.
130. Pour que le simple parallélisme des comportements explique la présence d'effets coordonnés sur un marché oligopolistique, trois conditions sont nécessaires. En premier lieu, chaque membre de l'oligopole a connaissance du comportement des autres membres du fait d'un degré de transparence suffisant du marché, et la répétition de ce comportement sur des marchés successifs permet d'identifier la règle commune à laquelle il obéit, au point que le comportement de chacun est déterminé, sans ambiguïté, par cette règle, et que ce comportement devient prévisible et vérifiable par tous les autres ; en deuxième lieu, des mécanismes crédibles de représailles existent à un degré suffisant pour inciter les membres de l'oligopole à ne pas s'écarter de la règle de comportement commune, ces représailles pouvant être exercées sur le même marché lorsqu'il donne lieu à des attributions répétitives ou sur des marchés connexes lorsque les mêmes entreprises y sont présentes et vulnérables ; en troisième lieu, ni le pouvoir de marché des demandeurs, ni l'offre des "francs-tireurs" (mavericks) n'est en état de faire dévier la coordination.
131. Lorsque ces circonstances sont réunies, les comportements des membres de l'oligopole peuvent, de facto, se trouver coordonnés du fait qu'ils se conforment individuellement à la règle commune, sans qu'aucune concertation relevant d'un accord de volonté ne soit nécessaire entre eux. Cette situation ne révèle pas un comportement illicite. C'est la thèse défendue par les entreprises mises en cause.
132. Mais les effets coordonnés peuvent aussi résulter de l'entente : c'est la coordination explicite. Il en est ainsi lorsque la seule application décentralisée et individuelle de la règle commune ou la seule disponibilité de l'information spontanément fournie par le marché sont insuffisantes pour assurer le parallélisme des comportements. Cette circonstance peut provenir d'aléas affectant les marchés, comme par exemple l'apparition de lots nouveaux ou de conflits imprévus, rendant nécessaire d'adapter le comportement commun à la situation nouvelle crée par la survenance de ces aléas. Elle se rencontre aussi lorsque les informations dont disposent les entreprises sur leurs comportements réciproques leur apparaissent insuffisantes pour anticiper ces comportements, ce qui impose d'améliorer ces informations de façon volontariste. Les entreprises éprouvent alors le besoin d'unir leur volonté pour organiser l'échange d'information et mettre en œuvre la règle de comportement, de sorte que la coordination devient explicite. Un tel comportement relève de l'entente prohibée.
133. Pour déterminer à quel type de coordination - par simple parallélisme de comportement ou par une coordination explicite - appartiennent les effets observés, il convient d'examiner : en premier lieu (I), s'il existe un faisceau d'indices graves, précis et concordants concourant à la démonstration d'un accord de volonté entre les trois entreprises pour, d'une part, coordonner de manière explicite, au niveau national, leurs comportements en vue de l'attribution des marchés (a), et d'autre part mettre en place une surveillance active des comportements allant jusqu'à la possibilité de représailles, condition pour rendre stable et pérenne cette entente nationale (b). L'examen du premier point (a) est nécessaire pour déterminer l'objet anticoncurrentiel de l'éventuelle entente, alors que celui du second (b) est utile pour rechercher si une telle entente a pu revêtir un caractère stable et durable (" cartel "). En second lieu (II), il convient d'examiner si des éléments au dossier plaident en faveur de l'existence de contre-pouvoirs de marché, au profit des maîtres d'ouvrage ou des "francs tireurs", une telle recherche étant utile à l'appréciation de l'effet anticoncurrentiel de l'éventuelle entente.
I. Sur l'existence d'un faisceau d'indices graves précis et concordants
a)L'accord de volonté entre les entreprises pour coordonner de manière explicite, au niveau national, leurs comportements en vue de l'attribution des marchés
134. Les éléments tirés du dossier montrent que les trois entreprises en cause ont explicitement coordonné leurs comportements au moyen de deux coordinations bilatérales, entre Kéolis et Connex d'une part, Kéolis et Transdev de l'autre sur le marché national du transport urbain de voyageurs. Sept indices " graves, précis et concordants " révèlent l'accord de volonté de ces entreprises afin de se partager le marché. 1er indice : Les rencontres entre les dirigeants
135. Les éléments relevés aux paragraphes 21 à 27 ci-dessus font apparaître : d'une part, qu'en 1996 et 1997 les dirigeants de Kéolis et de Connex se sont rencontrés à six reprises pour parler de la situation de 22 marchés urbains ; d'autre part, qu'une rencontre a eu lieu entre le directeur général de VIA-GTI et de Transdev pour évoquer un accord entre les deux groupes.
136. Au cours de ces rencontres, les dirigeants de VIA-GTI et CGEA ont examiné ensemble, comme en témoignent les notes prises par le directeur général adjoint de VIA-GTI qui participait à ces réunions, les appels d'offres des réseaux urbains répartis sur l'ensemble du territoire : grandes villes comme Nice, Amiens, Bordeaux, Rouen, Lille ou Nantes ; villes moyennes comme Toulon, Sens, Auxerre, Agen, Cahors, Tarbes, Cannes, Epernay ou Saint-Claude ; villes plus petites telles Morlaix, Dieppe, Draguignan, Fréjus, Saint-Tropez, Sète, Thonon, et Menton, tandis que les dirigeants de VIA-GTI et Transdev ont discuté, selon les notes de ce même dirigeant, des appels d'offres de Rennes, Saint-Etienne, Nice et Cagnes-sur-Mer.
137. La présence, dans ces réunions, de dirigeants qui décidaient de la stratégie commerciale de leur groupe et discutaient des marchés au moment de leur renouvellement, manifeste leur volonté de définir ensemble leur politique de soumission. Les expressions utilisées par les dirigeants de VIA-GTI et de CGEA, telles "Fréjus. Pb [problème] de renouvellement du contrat" lors de la réunion du 10 septembre 1996, "Amiens à coordonner" à la réunion du 18 avril 1997, "chemin de fer de Provence. On remet une offre" à la réunion du 17 juillet 1997, "Menton Appel à candidature" rejoignent les propos échangés entre les dirigeants de VIA-GTI et de Transdev lors de leur rencontre du 29 avril 1997 au cours de laquelle ils évoquent "soit accord global, soit accords ponctuels" ou "zone de contact : Nice/Cagnes-sur-Mer". Elles concordent pour attester un échange d'informations sur des marchés, conséquence d'une volonté de coordonner explicitement leur comportement.
138. Les trois entreprises estiment que ces rencontres ne révèlent aucune intention anticoncurrentielle. La société Connex indique que rien ne démontre que M. Y a participé aux réunions du 31 décembre 1996 et du 10 septembre 1997 et qu'une coordination des politiques de soumission pour la ville de Sens entre CGEA et VIA-GTI ne peut pas être déduite de la réunion du 18 avril 1997 alors que l'offre de la CGEA a été écartée le 25 mars par la commission d'examen des offres, ni même de la réunion du 17 juillet qui ne contient aucun indice de concertation. La société VIA-GTI avance qu'aucune des réunions visées n'a eu un caractère tripartite. La société Transdev remarque, enfin, que la rencontre du 29 avril 1997 entre son directeur général et le directeur général de VIA-GTI a été motivée par les interrogations des deux groupes sur les relations difficiles existant entre leurs filiales communes à Rennes et Saint-Etienne.
139. Mais contrairement à ce qu'indique la société Connex, le nom de M. Y, chargé de mission près du directeur général et futur directeur général lui-même, figure bien dans les notes retraçant les questions discutées lors de la réunion du 31 décembre 1996 au cours de laquelle ont été envisagés un certain nombre de marchés et évoquées des questions d'intérêt commun qui liaient les deux groupes, comme la situation de la Satar, filiale commune aux deux entreprises à Rouen. La présence de ce dirigeant ne fait pas non plus de doute dans les autres réunions, y compris celle du 18 avril, où il est question du marché de Sens à un moment où se poursuivaient encore les négociations avec VIA-GTI, CFTI-CGFTE et la filiale locale de Transdev, seules entreprises avec l'entreprise anglaise Southern Vectis à avoir déposé une offre. Si, au vu du rapport d'analyse des offres, la proposition de la société en cause n'a pas été jugée convaincante, celle-ci ne pouvait à cette date savoir qu'elle ne serait pas retenue, dès lors que la commission de délégation de service public statuant sur les offres a eu lieu le 6 mai soit postérieurement à la réunion des deux directeurs généraux.
140. A supposer même que les discussions sur Rennes et Saint Etienne n'aient été motivées que par les problèmes rencontrés par les filiales communes de VIA-GTI et Transdev opérant dans ces deux villes, il n'en reste pas moins, tout d'abord, que ces entreprises ont lié la solution de ces deux dossiers, qu'elles qualifient de "chauds", à la concession d'un accord plus large et que, d'autre part, au cours de cette même réunion, la situation des villes de Nice et de Cagnes-sur-Mer a été abordée, non au titre de leurs filiales communes, mais du fait qu'elles étaient en contact sur cette zone.
141. Il importe peu, enfin, dans ces conditions, qu'aucune rencontre réunissant les trois entreprises ne soit démontrée dans ce dossier dès lors que, dans ces échanges bilatéraux, VIA-GTI, la plus importante des trois, servait de pivot de fait à l'entente, et constituait l'interface naturel entre les deux autres pour coordonner leur stratégie d'ensemble.
142. En conséquence, ces éléments constituent un premier indice grave et précis de la coordination explicite à laquelle ont participé les dirigeants des entreprises VIA-GTI et Connex d'une part, VIA-GTI et Transdev de l'autre. 2er indice : La coordination des comportements au plan local et national (les cas de Bordeaux, Rouen et Châteauroux dans les échanges Kéolis-Connex)
143. Les notes du 5 (§ 32) et du 18 août 1994 (§ 33) ainsi que la note du 13 février 1995 (§ 36) des responsables locaux et nationaux de VIA-GTI, adressées à leur direction générale, éclairent le mécanisme de la coordination des offres entre les sociétés.
144. Le 5 août 1994, le directeur de VIA-GTI à Bordeaux écrit au directeur général adjoint du groupe : "Je me suis entretenu avec M. H..., directeur de la CGFTE (filiale de CGEA / Connex) à Bordeaux, pour évoquer le problème des conventions CUB". La manière dont ces conventions vont être prochainement renouvelées préoccupe visiblement les deux entreprises. D'après VIA-GTI "La logique voudrait que leur renouvellement fasse l'objet d'un appel d'offres. M. H... n'y tient pas car il ne souhaite pas changer d'exploitant ...".
145. Or, l'exploitant que l'on ne veut pas changer est pour l'essentiel la société Citram, filiale précisément de VIA-GTI, qui bénéficie de lignes affrétées au sein du périmètre de la CUB.
146. Les deux entreprises suivent de très près l'évolution des choses, comme le montre la note du responsable du secteur interurbain de VIA-GTI qui écrit le 9 novembre 1994 (§ 35) : "les dernières nouvelles émanant de H... (via J. J...) indiquent que la CUB et non la CGFTE, rédige le cahier des charges ce qui laisse supposer une véritable consultation".
147. Ce suivi coordonné des marchés a pour objectif non seulement de figer les positions mais aussi de se répartir la sous-traitance future dans le cadre d'un accord d'ensemble, comme l'indique la note du 13 février 1995 adressée au directeur général de VIA-GTI. On peut y lire : "Dans une première phase, il est souhaitable que la situation actuelle soit conservée après le 1er janvier prochain. Ne serait-ce que pour préparer la phase suivante, il est nécessaire qu'il ne soit pas fait appel à d'autres entreprises ... Lorsque l'activité de soustraitance se développera, ces règles de répartition de ce supplément auront dû être établies auparavant".
148. La note interne du 13 février 1995 sur la sous-traitance et l'affrètement des lignes à l'intérieur de la CUB illustre bien le souci des entreprises en place de figer les positions acquises et de fixer à l'avance la répartition des lignes que le nouvel exploitant du réseau urbain va devoir attribuer.
149. Les entreprises contestent cette analyse, estimant que la concurrence a joué entre elles autant qu'il était possible. La société Connex conteste la valeur des documents des 5 et 18 août 1994, 9 novembre 1994 et 13 février 1995, au motif qu'ils sont purement internes au groupe et qu'ils ne démontrent pas, selon elle, que les contacts envisagés ont réellement eu lieu. La société Kéolis constate que les suggestions de répartition de ces marchés formulées par son directeur régional à Bordeaux sont restées lettre morte.
150. Mais les documents saisis dans le cadre de l'enquête administrative, notamment ceux évoqués aux paragraphes 21 à 27, et, pour le cas particulier de Bordeaux, la note du 5 août 1994, montrent que les rencontres entre les dirigeants des deux groupes n'étaient pas seulement envisagées mais qu'elles ont eu réellement lieu. Pour cette dernière, elle établit que l'entretien entre les directeurs de la CGFTE et de VIA-GTI Bordeaux a porté non seulement sur la question des lignes affrétées mais aussi sur le renouvellement imminent de la convention de transport de la CUB.
151. Cette coordination explicite n'est pas seulement d'application locale. La réalisation de ces objectifs supposait l'intervention des groupes au plan national. C'est ce que pense le responsable de VIA à Bordeaux pour les lignes affrétées ou sous-traitées, dont l'attribution dépendra finalement du gestionnaire retenu pour le réseau urbain de Bordeaux, et qui demande dans la note du 13 février 1995 un examen commun de ces problèmes avec la CGEA (§ 36).
152. C'est pourquoi, aussi, la note du 18 août 1994 appelle à une coordination de la politique des entreprises qui dépasse le cadre local des marchés de la CUB de Bordeaux : "Je pense que le moment est venu d'entamer une négociation avec le CGEA sur les bases suivantes : consultation pour l'exploitation du réseau de surface : VIA Transport se présente sur cette consultation et fait une proposition qui couvre celle de la CGFTE. En contrepartie, CGEA dénoue le dossier de Rouen, facilite le renouvellement des conventions CUB de Citram Aquitaine, comme TDI sur la consultation de Châteauroux-Bus".
153. Les termes de ces documents sont explicites : il s'agit d'"entamer une négociation" avec le concurrent pour lui proposer que VIA "couvre" la proposition de ce concurrent CGFTE (CGEA) à Bordeaux, avec "en contrepartie" que le concurrent "dénoue le dossier de Rouen" et "facilite le renouvellement des conventions" dont bénéficient les filiales de VIA (Citram à Bordeaux et TDI à Châteauroux). La date de ces propositions se situe au moment où les appels d'offres évoqués sont en cours de négociation. Ces propositions, adressées par un directeur régional au directeur général, jettent une lumière crue sur les méthodes ouvertement discutées au sein de VIA-GTI quant à la façon d'affronter la concurrence sur le marché.
154. Le fait que ces propositions aient été discutées entre les dirigeants des deux concurrents, au plan local, avant de remonter vers le directeur général de l'un d'eux, rapproché du fait que, au niveau des directions générales, les dirigeants se rencontraient pour parler des marchés constitue un indice précis et grave de coordination explicite entre les deux entreprises VIA-GTI et CGEA Connex.
155. La répartition finalement constatée de ces marchés, en tout point conforme au souhait exprimé par le directeur régional de VIA-GTI à Bordeaux confirme en outre la portée de cet indice.
156. Le caractère anticoncurrentiel de ces échanges est, enfin, conforté par les comportements effectifs des deux concurrents sur le marché de Bordeaux, comme il sera vu plus loin lors de l'examen du grief n° 1.
157. En conclusion, les éléments réunis à propos des marchés des trois villes en cause constituent un deuxième indice grave et précis de la coordination explicite de VIA-GTI et CGEA Connex, organisée selon une dimension nationale : des villes comme Rouen et Châteauroux sont éloignées de Bordeaux mais leurs marchés peuvent donner lieu à coordination dès lors que leur date d'échéance coïncide avec le renouvellement en cours à Bordeaux, et que les directions générales, dont relèvent les entités locales en cause, coordonnent la répartition convenue. 3ème indice : Le "jeu" entre Transdev et VIA-GTI à Sens
158. Les documents saisis relatifs au marché de la ville de Sens apportent un troisième indice de coordination explicite : en premier lieu, la mention "Sens. Nous avons joué pleinement le jeu avec Transdev" figure dans les notes manuscrites du directeur général de VIA-GTI datées du 6 avril 1997 (§ 78) ; en second lieu, la mention "Sens, GT2 [en l'espèce VIAGTI] tient la corde" figure dans les notes manuscrites du même, relatant la réunion du 18 avril 1997 avec un dirigeant de CGEA (§ 24) ; en troisième lieu, la déclaration du président du groupe VIA-GTI du 2 juin 1997 "TRANSDEV : figer les positions actuelles" (§ 79) retrace ses propos au cours d'une réunion interne.
159. La société Kéolis conteste la valeur probante des notes du 6 avril 1997, postérieures à la date de remise des offres, tandis que la société Transdev fait remarquer qu'il y a eu une véritable concurrence à Sens où, pour conserver le réseau, elle a dû accepter de réviser à la baisse le montant de sa proposition de 8 965 000 F à 8 552 000 F, ce qui exclut toute offre de couverture. Elle a indiqué en séance qu'elle a dû, en outre, produire une étude supplémentaire sur les dessertes pour que sa proposition l'emporte.
160. Le fait que ce document soit postérieur d'un peu plus d'un mois à la date limite de dépôt des offres fixée au 27 février n'enlève rien à sa portée intrinsèque. Il contient un élément non équivoque caractérisant la manière selon laquelle les entreprises jouent un jeu anticoncurrentiel, jeu dont l'une des parties vient de se terminer à Sens, alors qu'au cours de cette même réunion du 6 avril de futurs appels d'offres sont évoqués, comme ceux de Charleville et d'Annonay.
161. Les propos qui y sont rapportés sont ceux du directeur régional de VIA à Lyon chargé de répondre à la consultation de la ville de Sens, et qui, à ce titre, a négocié en janvier et février avec le district pour finaliser la proposition de l'entreprise. Dans ces conditions, la date de la note n'en démontre pas moins que les échanges entre les deux groupes ont eu lieu dans la phase de négociation avec le district qui a précédé la remise des offres, la proposition finale de la commission de délégation étant présentée à la collectivité le 25 avril.
162. Si VIA-GTI estime le 18 avril 1997 qu'elle "tient la corde" à Sens, c'est qu'elle connaissait le montant des propositions faites par les autres entreprises ayant déposé une offre, à savoir Transdev et la CGEA Connex. De fait, il ressort du procès-verbal de la commission de délégation de service public du district de l'agglomération sensonnaise du 28 juin 1997 que la proposition de VIA-GTI était la moins disante, confirmant ainsi l'analyse faite par les dirigeants de VIA-GTI et CGEA lors de leur réunion du 18 avril.
163. En conséquence, ces documents non seulement constituent un indice d'échanges d'informations préalablement au dépôt des offres sur le marché public de Sens, mais surtout ils témoignent du "jeu" des deux groupes en cause, VIA-GTI et Transdev, "pleinement joué" à Sens selon les notes du directeur général du groupe perdant, rédigées un mois plus tard. L'existence d'un "jeu" entre les deux groupes destiné à "figer (leurs) positions", attestée par ces documents, constitue le troisième indice grave et précis de coordination explicite.
4ème indice : Les "monnaies d'échange "à Bar-le-Duc et à Epernay
164. Un quatrième indice est contenu dans une note du 23 novembre 1994 (§ 57) interne à Transdev, relative aux dossiers d'appel d'offres de Bar-le-Duc et d'Epernay.
165. A Bar-Le-Duc, VIA-GTI, par l'intermédiaire de ses filiales "Les Rapides de la Meuse" et "Bus Est", va se succéder à lui-même ("Les Rapides" sont sortants), après avoir affronté, du moins en apparence, la concurrence de Transdev (§ 53). A Epernay, c'est Distransport, entreprise liée à Transdev, qui se succède à elle-même après avoir affronté, de même, la concurrence de Bus Est (§ 54).
166. La note du 23 novembre 1994 émane d'un chargé de mission auprès du président du groupe Transdev ; elle est adressée au directeur du développement et au directeur général. Elle exprime les doutes de son auteur quant aux chances de Transdev de remporter le marché de Bar-Le-Duc : "Sans un appui logistique local, nos chances paraissent faibles". Mais sur son exemplaire de la note, le directeur du développement ajoute la mention manuscrite "Il me semble néanmoins intéressant d'activer le dossier à partir de CDA (voir avec J.Ph. P) dans la mesure où nous avons besoin de monnaie d'échange avec GTI sur le dossier d'Epernay qui pourrait être disputé âprement". L'entreprise CDA est une filiale de Transdev.
167. Les entreprises en cause soutiennent que la note citée et les commentaires qu'elle a suscités ne constituent qu'un reflet de la stratégie générale du groupe. En outre, elles nient que les marchés de Bar-Le-Duc et d'Epernay aient été l'occasion d'une entente en alléguant les conditions particulières ayant prévalu sur ces marchés, comme il en sera discuté plus loin à propos du grief n° 2.
168. Contrairement à ce que les parties soutiennent, la note de la société Transdev, rédigée juste avant la date limite de remise des offres sur les deux marchés, n'est pas un document de stratégie générale du groupe mais le constat de la tactique de ce groupe qui, face au risque de perdre un marché, ne réagit pas en accentuant sa concurrence pour tenter de triompher sur ce même marché, mais décide au contraire "d'activer le dossier" d'un autre marché à partir d'une de ses filiales présente sur cet autre marché, afin de disposer "d'une monnaie d'échange". Il ne s'agit donc pas d'une stratégie générale potentielle mais du constat, bien réel, d'une tactique d'entente tendant à laisser le réseau de Bar-le-Duc à VIA-GTI pour pouvoir négocier à son profit le réseau d'Epernay.
169. Cette recherche d'une "monnaie d'échange" n'est pas compatible avec la simple mise en œuvre de comportements parallèles dans le cadre d'une coopération tacite, mais constitue un indice d'existence d'une coopération explicite. Il apparaît en conséquence que les éléments ci-dessus évoqués constituent le quatrième indice précis et grave de coopération explicite, ici entre VIA-GTI et Transdev.
5ème indice : " L'échange " des marchés
170. Le cinquième indice d'existence d'une coopération explicite, ici entre les entreprises VIA-GTI et Transdev, figure dans la note du 3 juin 1996 (§ 65) dans laquelle le directeur du développement de Transdev écrit de sa main : "J'ai convenu avec J.L. qu'on échange Laval contre Chalon. Si OK on ne répond plus à Laval". JL désigne M. Joël F..., directeur général de Transdev.
171. Les situations particulières des marchés de Laval et de Chalon seront discutées lors de l'examen du grief n° 2. Au moment où cette note est rédigée, les dirigeants de Transdev savent que les trois groupes ont déposé une candidature sur ces deux villes, dont les marchés sont lancés à la même période. De fait, VIA-GTI va gagner le marché de Laval et Transdev celui de Chalon.
172. La société Transdev conteste que l'expression "on échange Laval contre Chalon" constitue l'indice de l'entente envisagée entre les deux gestionnaires sortants, VIA-GTI à Laval et Transdev à Chalon. Elle allègue qu'il ne s'agit pas d'un échange entre elle et Kéolis mais d'un changement de stratégie interne de l'entreprise qui a considéré, après avoir étudié le dossier de Laval, qu'il valait mieux faire porter ses efforts sur Chalon, compte tenu en particulier de l'extension du réseau à 18 nouvelles communes.
173. De son côté, la société Kéolis explique son désistement, sur le premier appel d'offres de Chalon, par cette extension qui lui imposait des études impossibles à réaliser dans le délai de réponse imparti par la collectivité et, sur le deuxième, par la période des vacances durant laquelle s'est déroulée la consultation.
174. Mais ces considérations techniques montrent seulement que les raisons qui ont poussé ces entreprises à rester l'une à Laval, l'autre à Chalon étaient, à leurs yeux, objectivement fondées. Elles pourraient expliquer que ces deux entreprises choisissent de faire porter leur effort concurrentiel sur la ville où elles disposent d'avantages effectifs et utilisent ces avantages pour y proposer des prestations à des prix particulièrement compétitifs. Mais le mot "échange", selon les dires mêmes de Transdev, n'évoque pas spontanément l'hypothèse d'un choix fait par chacune des deux entreprises indépendamment de l'autre. Or, l'"échange" n'est pas compatible avec une situation de simple parallélisme de comportement ; il constitue le cinquième indice précis et grave d'une coopération explicite, ici de VIA-GTI et de Transdev.
6ème indice : Les pactes de non-agression dans le Jura, le Doubs et l'Ain
175. Ces pactes sont révélés par deux notes de Transdev des 17 et 18 janvier 1996 (§ 69 et 71), relatives aux appels d'offres des villes de Saint-Claude et Oyonnax. Ils sont confirmés dans une note (§ 75) relative à une réunion du comité directeur de VIA-GTI en décembre 1997.
176. La note du 17 janvier évoque ce pacte et propose de l'activer au moment où est lancé l'appel d'offres de la ville de Saint-Claude. Le chargé de mission du groupe écrit dans ce sens au directeur du développement de Transdev : "Je viens d'avoir JP Q. Il souhaite que Gonnet ne réponde pas, suite à un pacte de non-agression avec Mont Jura. En contrepartie, Mont Jura lui laisserait la voie sur Oyonnax et chacun chez soi dans l'Ain. Il souhaite avoir notre position". C'est dans cette note qu'apparaît explicitement l'expression de la règle "chacun chez soi".
177. La note du 18 janvier est aussi adressée au directeur du développement du groupe Transdev sous la forme d'une demande de sa filiale sur la position à prendre à Saint- Claude : "Si vous souhaitez cependant que notre candidature soit maintenue ou qu'une réponse ait lieu au niveau du Groupe, merci de me le préciser avant le 24 prochain". Elle confirme qu'une réponse à cette question, sur la mise en œuvre du pacte de non-agression, est attendue au niveau du groupe.
178. Cette réponse est donnée à la filiale d'abord par le chargé de mission auprès du président de Transdev qui, à la question de savoir s'il faut répondre, précise d'abord "Plutôt non car échange avec Mont Jura" et ensuite de manière claire et définitive par la mention portée sur cette note "OK pour BS". BS désigne les initiales de Bernard O, directeur du développement du groupe Transdev.
179. La note sur la réunion du comité directeur de VIA-GTI tenue en décembre 1997 apporte la confirmation que l'accord entre les deux entreprises s'est effectivement concrétisé dans le Jura, le Doubs et l'Ain. Il est aussi évoqué : "accord avec la caisse sur Oyonnax. Rééquilibrage avec Mont Jura". La "caisse" désigne la Caisse des dépôts et consignations.
180. La société Transdev avance que l'expression "pacte de non-agression" entérinait simplement une situation géographique correspondant aux bassins d'implantation des entreprises : Mont Jura et VIA à Saint-Claude, Bustour et donc Transdev à Oyonnax. Les entreprises en cause fournissent, en outre, des motifs techniques propres à démontrer que cette répartition des marchés était avantageuse pour elles. Mais elles n'expliquent pas l'existence de "pactes de non agression". Les mentions de ces pactes relevées dans les notes précitées ne montrent pas une répartition géographique qui serait le fruit d'un comportement parallèle et autonome des entreprises mais une volonté de se répartir à l'avance ces marchés. En effet, le "pacte de non-agression" évoqué dans la note du 17 janvier résulte de contacts entre les filiales locales des deux groupes qui ont demandé à leur siège ce qu'il fallait faire. La réponse à cette question a été donnée par la direction générale qui, en indiquant dans la note du 18 janvier que la société n'allait pas répondre à l'appel d'offres de la ville de Saint-Claude, confirmait la réalité de cet accord. Elle est donnée également au niveau de la direction générale de VIA qui a entériné non seulement l'accord avec la Caisse des dépôts et consignations, principal actionnaire de Transdev, sur Oyonnax, mais a précisé en outre l'objet de cet accord qui portait sur un rééquilibrage avec sa filiale locale. Le fait que ce rééquilibrage ait été évoqué non seulement pour Saint- Claude et Oyonnax mais aussi à propos des appels d'offres dans le Jura, le Doubs et l'Ain montre bien que la démarche des entreprises décrite dans ces notes revêtait une dimension générale de répartition concertée des marchés.
181. Ces éléments constituent le sixième indice précis et grave de coopération explicite entre les entreprises, ici VIA-GTI et Transdev.
7ème indice : Le déploiement de l'entente en Lorraine, sur un marché connexe
182. Le plan d'action de la CGEA en Lorraine (§ 49 à 52) constitue le septième indice. Il porte sur un marché connexe, celui des transports interurbains et scolaires. Il est cité ici en ce qu'il illustre la méthode utilisée par ces mêmes entreprises pour établir leur coopération explicite, et qu'il montre que cette coopération s'étendait sur un champ plus vaste que celui du marché des transports urbains. Il expose : "Avec les conseils généraux de la Meuse et des Vosges, les Rapides de Lorraine n'ont que très peu de relations compte tenu des accords tacites passés avec les transporteurs concurrents de non-agression" et élargit l'analyse à toute la région : "Dans le contexte économique précisé plus haut, l'entente actuelle entre les concurrents n'est pas viable dans le temps, surtout si l'avenir voit arriver un nouveau concurrent ...".
183. Les sociétés en cause avancent, qu'en toute hypothèse, le Conseil ne peut utiliser ce document qui, relatif à des marchés de transport interurbain, a été irrégulièrement saisi par les enquêteurs.
184. La société Kéolis estime que ce document, purement interne à CGEA, ne prouve pas que VIA-GTI ou ses filiales ont participé à une concertation alors que, dans tous les départements de la région, elles ont déposé des offres, notamment contre la STAHV, une entreprise régionale bien implantée, le rapport administratif soulignant même que la société CTV, filiale de VIA-GTI, a lutté pour emporter des marchés dans les Vosges.
185. Connex considère que l'expression "accords tacites" de non-agression passés avec "les transporteurs concurrents" renvoie à des stratégies individuelles non offensives qui, s'expliquant par des raisons autres que l'atteinte à la concurrence, ne sont pas condamnables.
186. Compte tenu de l'analyse développée aux paragraphes 112 à 121 ci-avant, si le Conseil ne peut utiliser ce document pour formuler des griefs dans le transport interurbain, il lui est, en revanche, loisible d'en tirer des éléments susceptibles d'éclairer la coopération explicite dans le secteur du transport urbain.
187. Le plan d'action Metz-Nancy de la CGEA, opposable à l'entreprise qui l'a rédigé comme à celle qui y est mentionnée, contient l'indice clair que dans la Meuse et dans les Vosges, un accord tacite de non-agression a été noué avec VIA-GTI. Il s'applique aussi aux départements de la Moselle et de la Meurthe-et-Moselle dans lesquels agit la société Les Courriers Mosellans, avec laquelle une entente existe, même si le directeur du groupe VIA-GTI ne la juge pas viable dans le temps à cause de l'arrivée de nouveaux concurrents.
188. Dans le marché du transport interurbain de la Moselle, les entreprises ont élaboré une grille commune des prix des services commerciaux appliquée dans tous leurs appels d'offres. Elles se sont donc entendues pour ne pas se faire concurrence sur un élément essentiel de leurs propositions.
189. En conséquence, il apparaît que le document analysé ci-dessus et conforté par les résultats des appels d'offres, est un indice grave et précis de ce que le maintien d'une situation de non-concurrence entre les deux groupes VIA-GTI et CGEA dans la région Lorraine n'a pas été le fruit d'un simple parallélisme de comportement mais la résultante d'un accord entre des groupes sur les stratégies de développement de leurs filiales. Ce partage se réalise en Lorraine soit en s'abstenant de toute proposition concurrentielle susceptible d'amener la collectivité à choisir entre une pluralité d'offres, soit en déposant des offres groupées dénuées de toute justification économique ou technique réelle.
190. En conclusion, les six indices graves et précis concernant des pratiques de coopération explicites sur le marché national du transport urbain de voyageurs, complétés d'un septième indice propre à éclairer ces mêmes pratiques sur un marché connexe, non couvert par le grief, mais de nature à présenter les "compensations" évoquées par la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 14 janvier 2003 (§ 116), constituent un faisceau d'indices graves, précis et concordants d'un accord de volonté ayant un objet anticoncurrentiel entre les entreprises VIA-GTI, Connex et Transdev pour coordonner de manière explicite leurs comportements sur le marché national du transport urbain de voyageurs.
b) La surveillance des marchés et la possibilité de représailles
191. Sur un marché oligopolistique, la coopération explicite permet de déterminer une ligne de conduite commune. Mais la mise en œuvre de cette conduite commune demande, d'une part, que l'observance de cette ligne par chaque entreprise puisse être vérifiée par chacune des autres, et, d'autre part, que la déviance éventuelle de la ligne commune, "chacun chez soi", adoptée puisse être sanctionnée par la mise en œuvre de représailles.
192. En l'espèce, la structure du marché, en premier lieu, rend vérifiable, par chacune des trois entreprises en cause, la soumission des deux autres à la ligne commune adoptée : les appels d'offres sont connus, les entreprises y répondant le sont aussi, la phase de négociation du marché ne peut qu'améliorer l'information dont bénéficient les entreprises participantes, enfin, le gagnant est connu. Ainsi, toute déviance de la ligne "chacun chez soi" est immédiatement connue. En second lieu, les possibilités d'exercer des représailles est ouverte : chaque marché local spécifique est signé pour une période longue, mais sur le marché de dimension nationale ces marchés spécifiques se renouvellent tout au long de l'année, offrant à chaque fois l'opportunité de "jouer"; en outre, il existe de nombreux marchés connexes à celui du transport urbain : marchés scolaires, marchés interurbains, marchés "militaires" comme à Toulon, etc. Les occasions d'exercer des représailles et les marchés sur lesquels les exercer sont donc multiples.
193. Plusieurs éléments du dossier démontrent que les entreprises en cause non seulement ont utilisé les possibilités offertes par les caractéristiques du marché pour vérifier leur soumission réciproque à la ligne de conduite commune, mais encore ont agi de façon volontaire pour améliorer cette vérification. Par ailleurs, lorsque des événements imprévus sont venus troubler le "jeu", des représailles ont été effectivement étudiées, comme le montre l'exemple de Toulon.
La surveillance de l'arrivée d'un nouveau concurrent
194. La rédaction du plan d'action de la CGEA en Lorraine, analysé aux paragraphes 49 à 52, a été motivée en particulier par la menace que faisait courir à l'entente entre les deux groupes présents dans cette région l'arrivée d'un nouveau concurrent. Dans cette hypothèse, l'entente n'a pas été jugée viable dans le temps, notamment dans la perspective des futurs appels d'offres sur les petits réseaux urbains. La filiale de la CGEA s'est adressée à la société-mère pour qu'elle définisse une stratégie à partir des éléments fournis sur l'état de la concurrence au plan local et, souligne le document, "dans la perspective d'appels d'offres sur des petits réseaux urbains".
195. Cette surveillance était donc assurée conjointement par les filiales et les sociétés-mères, celles-ci pouvant seules décider au niveau national avec les autres groupes des stratégies particulières à mettre en œuvre pour organiser une riposte quand un nouveau concurrent s'annonce sur de nouveaux marchés qui vont s'ouvrir.
La surveillance nationale des appels d'offres
196. D'autres éléments montrent que les sociétés-mères ne se sont pas contentées de laisser à leurs filiales locales la surveillance des appels d'offres. Dans une réunion du 18 avril 1997 (§ 24), les dirigeants de VIA-GTI et de CGEA se sont directement impliqués dans la coordination de leurs offres à Amiens, et ont observé la procédure de négociation à Auxerre et à Sens. Cet élément, qui n'a pas été contesté par les parties en cause, atteste l'implication des directions générales dans la surveillance de la coopération explicite. Par ailleurs, ainsi qu'il a été montré au paragraphe 136, les dirigeants des groupes ont parlé ensemble de la situation des appels d'offres dans 27 villes réparties sur l'ensemble du territoire.
L'exercice de représailles à l'encontre des contrevenants à l'entente
197. La possibilité d'exercer des représailles pour faire pression sur un partenaire récalcitrant est également envisagée comme le montre l'exemple de Toulon.
198. La note que le directeur de la filiale de VIA-GTI à Toulon, SODETRAV, adresse au directeur général du groupe, analysée aux paragraphes 42 à 45, illustre ce mécanisme.
199. La note expose les circonstances à la suite desquelles le syndicat intercommunal en charge des transports a activé la concurrence en faisant agir une régie municipale de transport, la RMTT. Cette irruption de la concurrence dans le "jeu" a mis en défaut la règle "chacun chez soi" et poussé au conflit SODETRAV et sa concurrente CGEA à laquelle RMTT est liée. La note explique : "VIA-TI en national et SODETRAV en local qui avaient été l'un et l'autre d'une correction irréprochable vis-à-vis de CGEA en ont ressenti une rancour : la conviction d'avoir été trahis". On constate que pour ce directeur de filiale, la mise en concurrence équivaut à une trahison par rapport à l'attitude de "correction irréprochable" qui prévalait antérieurement.
200. La note poursuit : "Qui a commencé ? SODETRAV dit : RMTT (...) ; RMTT dit : SODETRAV (...). Quelle attitude à avoir à l'avenir pour les appels d'offres dans le Var pour la SODETRAV ? Question subsidiaire : (...) Si SODETRAV doit être agressif à l'avenir, cela doit-il être orienté contre la seule RMTT ou contre toutes les sociétés de CGEA ? L'escalade de la "guerre" trouvera des échéances dans les prochains mois sur : [suit une liste de marchés connexes]". Ainsi, la réaction envisagée n'est pas une plus forte agressivité concurrentielle sur le marché perdu mais la préparation de représailles sur des marchés connexes où la possibilité semble ouverte de plus facilement punir le déviant ("qui a commencé ?") qui s'est écarté de l'attitude de "correction irréprochable" qui prévalait tant "en national" qu'"en local".
201. L'auteur de la note pose, enfin, la question principale : "Faut-il continuer, jusqu'à quel point, ou signer un armistice ?". Il est en effet stratégique de déterminer s'il faut continuer dans la voie des représailles -coûteuses- ou s'il n'est pas plus sage de revenir à l'attitude de "correction irréprochable". C'est donc à la direction du groupe que la question est adressée : "Toutes ces questions se posent à la SODETRAV mais il me semble que les réponses ont des implications hors du Var, donc elles doivent provenir également de la direction régionale ou de la direction générale".
202. Pour qu'une coopération explicite soit pérenne, il faut que les représailles soient possibles : l'affaire de Toulon montre que c'est le cas. Le fait que l'alternative proposée à la direction nationale soit la mise en œuvre de représailles sur les marchés qui vont être lancés fin 1997 et en 1998 ou la signature d'un armistice, témoigne clairement du rôle des sociétés-mères qui ont seules le pouvoir de faire respecter les accords entre leurs filiales. Les conditions et circonstances des surveillances et représailles sont les derniers éléments qui s'ajoutent et complètent le faisceau des sept indices démontrant l'entente par coopération explicite. Ils montrent que l'entente présentait les caractères de stabilité et de pérennité propres au cartel.
II. Sur les effets du cartel
La stabilité des attributaires
203. Le tableau présenté au paragraphe 81 montre le comportement des entreprises sur les 122 marchés où l'une des trois au moins s'est portée candidate en 1996, 1997 et 1998. Il apparaît, d'une part, que sur les 100 marchés où au moins une offre a été déposée par l'une d'entre elles, le marché est attribué, dans 74 % des cas, sans aucune offre concurrente des deux autres. Durant cette période, d'autre part, un seul marché passe d'une entreprise à une autre, celui de Saint-Denis de la Réunion, attribué à une société d'économie mixte dans laquelle Transdev est majoritaire.
204. Cette stabilité est confirmée par une étude d'un organisme spécialisé le CERTU qui, pour l'année 1997, note que dans la plupart des cas la délégation est attribuée à l'entreprise titulaire de l'ancien contrat, deux réseaux seulement ayant changé de groupe, celui d'Annemasse passé de la société Agir à VIA-GTI et celui de Douai passé de la CGEA à Cariane.
205. Les chiffres permettent de constater que, si les changements de titulaires sont généralement très rares, ils sont inexistants entre les trois groupes en cause, le passage, observé à Saint- Denis de la Réunion, de CGEA à Transdev s'expliquant davantage par la décision de la collectivité publique de constituer une société d'économie mixte que par le jeu normal de la concurrence entre les deux entreprises.
206. Il est donc établi que la coopération explicite et les possibilités de représailles ont permis aux trois entreprises en cause de mettre effectivement en œuvre la règle "chacun chez soi" et de figer leurs situations réciproques et d'éliminer entre elles toute concurrence.
L'impossibilité pour les autres entreprises de faire échec aux trois entreprises en cause
207. Déjà à l'époque des faits, les entreprises capables de répondre aux appels d'offres urbains, principalement dans les moyennes et grandes villes, sont peu nombreuses en raison même des contraintes techniques et financières inhérentes à la gestion du transport collectif, et encore accrues par la mise en œuvre de la loi Sapin.
208. L'examen des données communiquées dans le rapport administratif d'enquête (pages 80 à 88) relatives aux résultats des appels d'offres en 1996, 1997 et 1998 montre que lorsqu'un des membres au moins du cartel présente une offre, dans aucun cas, les entreprises tierces ne sont capables de l'emporter.
209. A l'inverse, dans les 19 cas où ces dernières emportent le marché face à l'offre de l'une ou l'autre des entreprises membres du cartel, elles sont reconduites en tant que gestionnaire sortant.
210. Aussi, il apparaît que les entreprises moins importantes, pouvant bénéficier localement d'une bonne implantation régionale, n'ont jamais été en mesure de troubler le jeu des trois grandes. De même, les maîtres d'ouvrage, à supposer qu'ils l'aient voulu, n'ont pas été en état de peser sur ces pratiques.
Les effets de l'entente sur les prix
211. Les conditions dans lesquelles sont conclus les contrats de délégation de service public en matière de transport urbain rendent difficile l'appréciation des effets d'une "coopération explicite" sur les prix de ces marchés dans la mesure où la négociation entre l'autorité organisatrice et les entreprises, imposée par la procédure de délégation, porte aussi bien sur le coût d'exploitation du réseau qui détermine le montant de la subvention forfaitaire que la collectivité s'engage à verser que sur les éléments techniques, administratifs et sociaux de la gestion des réseaux. Le "prix" du transport urbain est une notion plus complexe que pour les transports interurbains ou scolaires où le prix du passager par kilomètre permet des comparaisons plus simples.
212. Cependant les éléments figurant au dossier montrent que les pratiques en cause ne sont pas restées sans effet sur les prix du transport urbain. D'après un rapport sur l'impact de l'application de la loi Sapin dans les transports collectifs urbains réalisé en mai 1997 par le Centre d'études techniques de l'équipement de Lyon, sur 21 appels d'offres, la limitation du coût du service délégué a été la principale préoccupation de l'autorité organisatrice dans 15 cas, soit dans 71 % des dossiers.
213. Dans ces conditions, dès lors qu'il a été démontré que les entreprises, susceptibles réellement d'entrer en compétition sur ces marchés, ont coopéré pour éviter de se faire concurrence, les subventions forfaitaires versées par ces collectivités ont été nécessairement plus importantes que celles qui auraient résulté du libre jeu de la concurrence.
214. Cet état de fait est prouvé a contrario dans le Var où le document présenté au paragraphe 42 montre que la mise en concurrence réelle de certaines lignes à l'intérieur du périmètre du transport urbain de Toulon permet de diminuer le coût pesant sur la collectivité de 3,14 % par rapport à l'année précédente. Dans ce même document, il apparaît aussi que le taux net de marge de la Sodetrav sur l'ensemble des lignes urbaines, départementales et scolaires, est de 7 % du chiffre d'affaires mais monte à 16 % pour le seul transport scolaire.
215. Sur les marchés connexes des transports interurbain et scolaire, le dossier fournit des éléments qui éclairent l'impact d'une entente sur les prix du transport, là où ces prix sont plus directement mesurables.
216. A titre d'éclairage extérieur de la question, on peut citer : en Lorraine, pour justifier l'entente dans la perspective des appels d'offres sur les petits réseaux urbains (§ 52) CGEA note qu'en cas de rupture de cette entente, "les prix de vente pourraient en pâtir" ; lors de la réunion de la commission de délégation de service public du 22 avril 1999 relative au schéma départemental du transport interurbain de la Moselle, "Monsieur Jansen attire l'attention de la commission sur le fait que les prix proposés pour les transports scolaires sont très élevés par rapport aux prix actuels" ; cette commission estime, pour les lignes interurbaines, que "les prix kilométriques des tarifs commerciaux ont augmenté de 15 à 20%" et pour les transports scolaires, "que les grandes entreprises ont demandé des tarifs kilométriques en très forte hausse par rapport à la situation initiale, généralement comprise entre 25% et 35 % et pouvant atteindre dans certains cas des proportions très importantes (75 %, 200 %, voire plus)" (annexe 12, cote 1672).
217. Les éléments rapportés aux paragraphes 212 à 216 montrent que, dans le secteur du transport public collectif, qu'il soit urbain, interurbain ou scolaire, des pratiques de coopération explicite qui tendent à empêcher la soumission d'offres réellement concurrentes, permettent aux entreprises présentes dans tous les secteurs de ce marché d'imposer des prix élevés aux collectivités publiques.
III. Conclusion relative au grief n° 3
218. Au total, il est établi que les sociétés Kéolis, Connex et Transdev ont explicitement coordonné leurs comportements, au plan national, dans le cadre des procédures de délégation de service public en matière de transport collectif urbain. Il est établi que les directions générales étaient informées des résultats de la surveillance étroite opérée par les filiales, pour nourrir les entretiens que les trois directions avaient entre elles, et que des représailles étaient possibles, sur ce marché ou sur des marchés connexes, en cas de dévoiement à la ligne de conduite commune adoptée : "chacun chez soi". Il est établi que ni les donneurs d'ordre, ni les "francs tireurs" n'ont pu s'opposer à la mise en œuvre de cette ligne de conduite et qu'il en est résulté une hausse des prix.
219. Ainsi, ce n'est pas par un simple parallélisme de comportement qu'a été appliquée la ligne de conduite commune "chacun chez soi". Cette règle de coopération tacite ne pouvait suffire à régler tous les problèmes : apparition de marchés nouveaux, possibilités de gagner des parts sur les marchés détenus par de petites entreprises, efforts des maîtres d'ouvrage pour rompre le "jeu" ou encore, conflits nés d'une"trahison" comme à Toulon. C'est bien une coopération explicite qui a été mise en œuvre au niveau des directions générales. Ces pratiques sont constitutives d'une entente à objet anticoncurrentiel. Elles entrent de ce seul fait dans les prévisions de l'article L. 420-1 du Code de commerce. En outre, une surveillance active du marché allant jusqu'à l'étude des représailles possibles a rendu l'entente stable et pérenne, ce qui lui confère les caractéristiques d'un cartel. Enfin, ni les "francs tireurs" ni les maîtres d'ouvrage n'ont pu s'opposer à la mise en œuvre des pratiques : le partage du marché est resté globalement stable. L'entente a eu des effets anticoncurrentiels, ce qui la rend également illicite au regard de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
220. En conséquence, il est établi que les entreprises Kéolis, Connex et Transdev ont constitué un cartel sur le marché national du transport urbain de voyageurs, en instituant une entente horizontale stable et pérenne pour se partager ces marchés et ne pas se faire concurrence. Ces pratiques de cartel sont contraires aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
2. SUR L'APPLICATION LOCALE PAR LES SOCIÉTÉS VIA-GTI, DEVENUE KÉOLIS, ET CGEA D'UNE PART, PAR LES SOCIÉTÉS VIA-GTI, DEVENUE Kéolis, ET TRANSDEV D'AUTRE PART, DE LEUR ENTENTE NATIONALE (GRIEFS N° 1 ET 2)
221. Dans le cadre de leur entente nationale, les sociétés Kéolis et Connex d'une part, Kéolis et Transdev d'autre part, ont mis en œuvre des pratiques anticoncurrentielles sur plusieurs marchés locaux de transport urbain, objet des deux premiers griefs qui leur ont été notifiés.
222. La démonstration qui vient d'être faite de l'existence d'un cartel national associant les entreprises VIA-GTI (Kéolis), CGEA et Transdev rend, en principe, inutile la vérification qu'il existait des ententes particulières sur certains des marchés locaux où ces entreprises étaient présentes, de telles ententes locales n'étant pas dissociables de la pratique générale du cartel national dont elles ne sont que l'aboutissement. Il convient, à cet égard, de remarquer que le fonctionnement général du cartel n'exigeait pas qu'il soit doublé d'une entente locale sur chaque marché particulier, seuls les cas dans lesquels le cartel rencontrait des difficultés justifiant que ces cas soient examinés par les entreprises parties à l'entente nationale.
223. Si le Conseil éprouve le besoin d'examiner les griefs n° 1 et 2, ce n'est donc pas pour les sanctionner de manière additionnelle, dans les cas où ils seraient établis : il s'agit seulement, pour lui, de remplir sa mission de manière exhaustive, en statuant sur l'ensemble des griefs notifiés.
224. Le grief n°1 porte sur des échanges d'informations, entre les sociétés VIA-GTI (Kéolis) et Connex, préalables à la remise des offres pour des marchés particuliers : il convient donc d'examiner, pour chaque marché local en cause, la validité spécifique des éléments de preuve rassemblés.
a) Sur les marchés de la CUB de Bordeaux et des districts de Rouen et Châteauroux
225. Il résulte des éléments analysés dans les paragraphes 32 à 36 qu'en 1994 et 1995, que les entreprises Kéolis et Connex ont échangé des informations lors des appels d'offres des villes de Bordeaux, Rouen et Châteauroux et ont organisé un partage de ces marchés sur la base du maintien des gestionnaires sortants.
226. Les entreprises en cause ont soutenu qu'aucun élément tiré de ces documents et des résultats des appels d'offres dans ces villes ne démontrent qu'elles avaient un comportement anticoncurrentiel. Le commissaire du Gouvernement considère qu'il n'est pas démontré que ces entreprises se sont entendues pour ne pas se faire concurrence à Châteauroux, le seul élément étant que la société CGEA n'a pas présenté d'offre.
227. Aux paragraphes 143 à 157, il a été montré que les entreprises ont clairement manifesté leur intention de se partager les marchés de ces trois villes. L'examen des conditions d'attribution des marchés de Rouen et Châteauroux renforce la gravité de l'indice.
228. En effet, depuis 1991, la gestion du transport dans l'agglomération rouennaise est assurée par une filiale de CGEA qui, comme la CGFTE à Bordeaux, a le pouvoir de décider de l'attribution des lignes sous-traitées, la collectivité publique ne faisant qu'entériner juridiquement la proposition du gestionnaire.
229. Dans ces conditions, l'expression "CGEA dénoue le dossier de Rouen" s'explique par le souci de continuer à répartir les lignes entre les sociétés déjà titulaires à savoir la Satar, filiale commune CGEA-VIA, et CNA, filiale de VIA-GTI. Contrairement à ce qu'avance la société Connex, cette expression est d'autant plus juste que c'est la TCAR, filiale de la CGFTE, qui signe les conventions de sous-traitance, arrivées à expiration en 1994, 1995 et postérieurement, en faveur principalement de la filiale de VIA-GTI comme l'attestent les éléments présentés au paragraphe 30. L'importance des lignes qui lui ont été sous-traitées - 36 au total en 1999 - montre la réalité du partage opéré entre Bordeaux et Rouen.
230. Il a été également constaté au paragraphe 31 que la CGEA n'a déposé aucune proposition pour la gestion des transports de l'agglomération de Châteauroux bien qu'elle ait, comme l'indique le cabinet Confluence, choisi pour analyser les candidatures, "une large expérience de la gestion des réseaux de transport urbain dans les agglomérations de province puisqu'elle intervient à cet effet dans près de 40 cas".
231. La société Connex fait remarquer que ces documents n'évoquent rien de plus que les légitimes préoccupations de sa filiale Citram au sujet du renouvellement de la convention d'affrètement ou de la sous-traitance de certaines lignes comme la ligne 93 qu'elle a obtenue du fait qu'elle était moins et mieux disante.
232. Elle souligne par ailleurs que le marché de Rouen, conclu en 1991 au bénéfice d'une des ses filiales, ne pouvait, par définition, servir de monnaie d'échange pour des lignes sous-traitées en 1994 et ce d'autant que la sous-traitance devait être autorisée par la collectivité. Elle explique son désistement sur Châteauroux par l'importance des investissements immobiliers à réaliser, puisqu'elle ne possédait pas de garage à proximité.
233. La société Kéolis fait remarquer qu'elle a déposé pour la ville de Bordeaux une offre réellement offensive et, sur certains aspects, mieux disante que celle du gestionnaire sortant qui, pourtant, tirait avantage de son expérience du réseau. Le coût de cette offre - de l'ordre de 700 000 euro - suffit à démontrer qu'elle n'était pas une offre de couverture. Une telle offre aurait, du reste, été impossible à formuler dans le cadre d'une délégation de service public où la collectivité a toute liberté de choisir l'offre la mieux disante. Elle avance qu'à Rouen le déséquilibre entre le montant des contrats sous-traités à sa filiale, le CNA, à peine plus élevé que le coût de l'appel d'offres sur Bordeaux et celui très conséquent obtenu par la Satar, filiale commune de VIA-GTI et de CGEA, suffit à exclure toute pratique d'échange.
234. S'agissant des conditions d'attribution du marché de la CUB de Bordeaux, les entreprises ne sont pas fondées à soutenir que le concessionnaire du réseau bénéficiait a priori d'un avantage concurrentiel.
235. Dans son analyse du projet de consultation, le cabinet Confluence estime que la gestion du concessionnaire sortant n'est pas performante : "Un tel appel à la fraîcheur de l'oil neuf (y compris pour la CGFTE exploitant actuel qui aurait à faire réfléchir les spécialistes de ses services centraux) nous paraît d'autant plus souhaitable pour le réseau de la CUB que l'évolution de ses résultats n'est pas spécialement performante : il nous semble en effet, qu'un réseau dont la fréquentation en 1993 se situe à peine au niveau qu'elle était en 1987, avec une offre qui a cependant augmenté de 10 % environ, mérite mieux que le statu quo retenu à ce stade dans les projets de documents de consultation".
236. La société VIA-GTI est parfaitement au courant de cette situation puisque dans la note interne rédigée par son directeur régional le 25 octobre 1994, soit trois mois avant la date du rapport du cabinet Confluence, elle considère que "la CGFTE n'est pas dans une situation très confortable sur cette consultation pour les raisons suivantes : le résultat actuel critiqué aussi bien au niveau de sa qualité que de son coût (350 MF par an)".
237. Par ailleurs, le règlement de l'appel d'offres énonçait de manière détaillée les critères d'appréciation des propositions des entreprises, relatifs à la maîtrise des coûts d'exploitation, aux garanties offertes en matière de politique sociale, à la qualité du service et à son suivi, aux objectifs d'évolution de la fréquentation et aux moyens mis en œuvre pour les atteindre. Ces différents éléments, ainsi que d'autres, ont d'ailleurs fait l'objet de nombreux échanges entre la commission de délégation et les candidats tout au long de la négociation. Des questionnaires adressés aux candidats leur ont permis notamment de chiffrer finement leurs propositions sur le contenu et le niveau des prix au kilomètre et sur la qualité de la gestion.
238. Dans ces conditions, le fait que la proposition de VIA-GTI, telle qu'elle a été analysée par la commission du 10 mai 1995 était non seulement plus chère mais moins bien placée sur tous les critères essentiels de choix précisés par la collectivité - à savoir limitation des risques de dérapage social, réduction d'effectifs plus faible, surcoûts moins importants en cas de renouvellement du matériel, programme d'études et d'enquête sur le suivi du réseau plus consistant, engagement sur un niveau plus élevé de recettes, meilleures informations fournies à la CUB, ne peut être finalement analysé que comme une offre de couverture de la part de VIA-GTI, déposée sans réelle volonté d'aboutir conformément à l'accord entre les deux entreprises.
239. Cette offre a trompé l'autorité organisatrice sur la réalité de la concurrence entre les candidats et a concrétisé en réalité les engagements concertés passés entre eux.
240. Cependant, si le résultat des appels d'offres sur les marchés de Rouen et Châteauroux peut être considéré comme un effet de l'entente nouée entre les deux entreprises sur le marché de la CUB de Bordeaux, aucune pièce du dossier ne démontre de manière indiscutable qu'elles ont échangé des informations à l'occasion des appels d'offres lancés par la TCAR à Rouen et par le SIVU de Châteauroux.
241. Il résulte de ce qui précède que la partie du grief n° 1 relative à l'entente entre Kéolis et Connex sur le transport dans les districts de Rouen et Châteauroux n'est pas établie.
b) Sur le marché du transport urbain de Toulon
242. La note décrite aux paragraphes 42 à 45 rappelle un certain nombre de faits qui se sont déroulés au moment où était en cours la procédure de choix du nouveau délégataire à savoir que "GTI ne s'est pas présenté contre CGEA pour le dossier du réseau urbain de Toulon" ce qui a fait réagir le SITCAT qui a parlé de "collusion entre GTI et Sodetrav".
243. La société Kéolis estime que l'entente à Toulon et dans le Var n'est nullement établie. Le seul élément avancé par le rapporteur est une note du 18 juillet 1997, postérieure de deux ans au choix du délégataire par la collectivité publique, qui ne démontre ni l'accord de la direction générale de VIA-GTI ni des échanges d'information avec la CGEA. Pour la société Connex, les informations révélées par cette note s'inscrivent dans le cadre de la sous-traitance dont bénéficiait la Sodetrav pour plusieurs lignes urbaines. Les deux entreprises font également valoir qu'une entente entre la RMTT et la Sodetrav sur la sous- traitance de certaines lignes urbaines était impossible du fait qu'elle était décidée par le SITCAT lui-même et non par la RMTT.
244. La société Connex ajoute qu'il y a eu une réelle concurrence entre RMTT et Sodetrav, notamment sur les lignes scolaires et périscolaires de la ville de Toulon. Sur les premières, en 1997, la RMTT reprend des circuits détenus précédemment par la Sodetrav alors que celle-ci reprend en 1998 un lot relatif à des contrats périscolaires détenus par la société Transvar, filiale de CGEA.
245. Le commissaire du Gouvernement considère aussi que le fait que VIA-GTI n'ait pas déposé d'offre à Toulon ne suffit pas à établir à lui seul l'entente reprochée. 246. La note du directeur de la Sodetrav montre en réalité, qu'à partir de 1996, l'attribution de plusieurs lignes sous-traitées ou affrétées dans le périmètre de transport de l'agglomération toulonnaise a fait l'objet d'une vive concurrence à partir du moment où les relations entre les deux groupes se sont temporairement dégradées à la suite de l'intervention de l'autorité organisatrice qui estimait trop élevé le coût de certaines lignes sous-traitées.
247. Dans ces conditions, la seule mention qui y figure, selon laquelle GTI ne s'est pas présenté volontairement contre la CGEA à Toulon, est un indice matériel qui ne suffit pas, à défaut d'autres éléments concordants, à établir la preuve que les deux entreprises se sont concertées pour se partager le marché du réseau de transport urbain de Toulon et des lignes attribuées à l'intérieur de celui-ci.
248. En conséquence, cette partie du grief imputée aux sociétés Kéolis et Connex n'est pas établie.
249. Le grief n° 2 porte sur des échanges d'informations, entre les sociétés VIA-GTI (Kéolis) et Transdev, préalables à la remise des offres pour des marchés particuliers : il convient également d'examiner, pour chaque marché local en cause, la validité spécifique des éléments de preuve rassemblés.
c) Sur les marchés du transport urbain de Bar-le-Duc et d'Epernay
250. La note analysée aux paragraphes 57 et 58 confirme le souci de Transdev d'avoir une monnaie d'échange pour conserver la ville d'Epernay face à VIA-GTI qui exploite déjà les lignes périurbaines et gère les transports urbains de Bar-le-Duc.
251. Il a été montré aux paragraphes 164 à 169 que cette monnaie d'échange a été efficacement utilisée, les entreprises ayant coordonné leur attitude au moment de la négociation des marchés de transport dans ces deux villes.
252. L'expression "nous avons besoin de monnaie d'échange" utilisée par le directeur du développement de Transdev à l'intention de son directeur général signifie clairement que dans ce partage entre les deux groupes chacun apporte sa part et s'efforce de se mettre en bonne position pour négocier.
253. La société Kéolis allègue qu'en dehors de cette note aucun élément matériel ne permet de démontrer un accord de volonté entre les deux groupes. La société Bus-Est ne s'est pas elle-même désistée du marché mais c'est la collectivité publique qui a écarté sa candidature. De plus, VIA-GTI n'a pas de responsabilité dans cette société, certes sa filiale, mais qui est gérée par la SOGIP, filiale du groupe Piot.
254. La société Transdev rejette toute participation à l'entente du fait qu'elle n'avait ni influence capitalistique, ni responsabilité opérationnelle dans la SAEM Distransport qui a elle-même établi son offre sur la ville d'Epernay. Par ailleurs, elle allègue que son désistement sur Bar-le-Duc est motivé par des raisons strictement économiques. La société, n'ayant pas de dépôt dans cette ville, aurait été obligée de faire entretenir ses véhicules à Troyes, siège de sa filiale la plus proche, située à 100 km de là. Par contre, c'est elle qui sur Epernay a fait l'offre la plus compétitive et l'a emporté après une réelle compétition.
255. Cette note, en elle-même, n'apporte pas la preuve formelle de l'accord de volonté entre les deux sociétés. Elle est cependant un élément matériel clair d'un projet de partage préalable des marchés qui s'est finalement réalisé comme en témoigne l'attitude convergente des protagonistes sur les deux marchés considérés.
256. Le premier élément de ce comportement est le désistement inexplicable de Transdev sur Bar-le-Duc, qui intervient le 26 décembre 1994, soit un mois après la note manuscrite du directeur général demandant d'activer le dossier. Les explications fournies pour le justifier, à savoir l'éloignement du dépôt de Troyes et de Montier-en-Der des Courriers de l'Aube, filiale de Transdev, ne sauraient être retenues dès lors qu'un mois auparavant, lorsque le dossier est évoqué à la direction générale, ces difficultés n'étaient même pas envisagées.
257. Elles ne l'ont d'ailleurs pas été parce que, contrairement à ce qu'elle avance, la société Transdev pouvait intervenir dans la région non seulement à partir de Troyes mais aussi d'Epernay, marché qu'elle avait auparavant conquis sans avoir pourtant aucun local sur place. Ce désistement a été d'autant plus efficace qu'il a laissé la filiale de VIA-GTI seule sur le réseau urbain de Bar-le-Duc.
258. En retour la société Transdev a bénéficié des effets escomptés sur le marché d'Epernay. Contrairement à ce qu'elle affirme, elle jouait un rôle important dans la SAEM Distransport, bien au-delà de sa participation minoritaire au capital. La création de cette société en mars 1992 par sept associés dont la société Transcet, représentée par son directeur général, et la Caisse des dépôts et consignations, représentée par son directeur régional, a permis à la collectivité publique de confier la gestion de son réseau à un groupe bénéficiant d'une grande expérience de ce type de rapprochement.
259. On voit d'ailleurs mal comment la ville et le district qui, en tant que collectivités publiques, sont tenus par la loi de détenir la majorité du capital dans une société d'économie mixte, auraient pu jouer un rôle déterminant dans l'élaboration d'une offre présentée dans le cadre d'une procédure organisée par elles.
260. Le rapport de la commission de délégation de service public du 20 février 1995 montre, de plus, combien la proposition de Distransport était portée par Transdev et par la Caisse des dépôts et consignations. Aussi bien la convention d'assistance technique proposée par Transdev que sa proposition de partenariat à long terme ou enfin l'engagement de la Caisse de participer à des investissements pour desservir des lignes dans des quartiers difficiles ont été des éléments très fortement mis en valeur dans la proposition de Distransport et finalement décisifs quant au choix de la collectivité. Le rapport d'activité de Distransport pour 1993 montre bien l'étendue de cette mission d'assistance technique de Transcet qui englobe la réponse aux appels d'offres du district et de la ville d'Epernay.
261. Sur le marché d'Épernay, il convient de s'interroger sur l'attitude de Bus-Est, de laquelle VIA-GTI détient 50 % du capital et qui est dirigée par M. Denis A, membre important de la direction générale du groupe, chargé de toutes les filiales agissant dans le grand Est de la France : elle peut être considérée comme une caractéristique supplémentaire d'un comportement anticoncurrentiel.
262. En effet, les conditions dans lesquelles la société Bus-Est a omis de présenter ses attestations fiscales et ses références sur les autres réseaux qu'elle gère en tant que filiale de GTI dans la région font douter de son intention d'avoir le marché s'agissant d'une entreprise avertie puisqu'elle avait l'habitude de présenter systématiquement sa candidature pour tous les appels d'offres des réseaux urbains de petites et moyennes villes dans cette partie est du territoire.
263. Si effectivement le directeur de la filiale Bus-Est près de Nancy a été surpris par le rejet de sa candidature et a menacé de saisir le tribunal administratif, la direction générale du groupe a rapidement pris position par écrit, en acceptant les raisons avancées par le district d'Epernay pour rejeter la candidature de Bus-Est, et en assurant cette dernière qu'il n'y aurait pas de recours.
264. Ecrite le 2 février 1995, sans même examiner au fond les raisons du refus opposé par la collectivité, alors que VIA-GTI sait depuis le 15 janvier que, en tant que seul offreur pour la gestion du réseau de Bar-le-Duc, ce marché ne pouvait plus lui échapper, cette lettre ne confirme pas le constat d'un simple oubli fortuit mais conforte au contraire l'hypothèse d'une candidature présentée, sans réelle volonté d'aboutir, comme la monnaie d'échange destinée à faciliter la négociation avec Transdev. De fait, à cette date, la négociation a produit ses effets : VIA-GTI a obtenu le marché de Bar-le-Duc sans concurrence et la société Distransport, contrôlée par Transdev, est sûre de conserver le marché d'Epernay, la proposition du seul candidat resté en lice, la société CGFTE, s'étant révélée moins intéressante à la fois en terme de desserte des lignes que de coût, comme l'atteste le rapport de la commission de délégation.
265. En conséquence, il apparaît que les éléments ci-dessus évoqués constituent des indices précis, graves et concordants d'une entente entre les deux groupes pour se répartir les marchés de Bar-Le-Duc et d'Epernay.
d) Sur le réseau urbain des villes de Laval et de Chalon-sur-Saône
266. Les notes de Transdev sur l'action à mener à propos de l'appel d'offres de Laval, telles qu'analysées aux paragraphes 64 et 65 démontrent que cette entreprise envisageait de laisser à Laval, le champ libre, à VIA-GTI, avec une contrepartie identique attendue du concurrent sur la ville de Chalon-sur-Saône.
267. Il a été montré aux paragraphes 170 à 174 que les explications fournies par les entreprises, relatives, pour Transdev, à son changement de stratégie commerciale à Laval et, pour Kéolis, à son désistement à Chalon-sur-Saône, sont contredites par les éléments de faits contenus dans les notes du 22 mai et 3 juin 1996.
268. Le 22 mai, M. O a constaté que l'appel d'offres de Laval constituait une excellente opportunité et organisé ses équipes pour finaliser son offre et la déposer avant le 20 juin. La directive qu'il a donnée à cet égard est précise : "Merci de finaliser l'organisation de l'équipe - Note détaillée sur le rôle de chacun et le programme de travail". La lecture de la deuxième note, du 3 juin, confirme le sens de la démarche souhaitée par la direction générale. En tant que responsable de l'équipe, M. N a rencontré le secrétaire général du SITAL et le directeur de l'aménagement urbain de la ville de Laval et a jugé, d'après les informations recueillies, que le jeu de la concurrence restait ouvert. Il a posé des questions très précises sur le marché, preuve de son souci de finaliser dans de bonnes conditions l'offre de Transdev sur ce marché qu'il considérait d'ailleurs comme faisant partie de ceux qui présentaient les meilleures opportunités.
269. Dans ces conditions, la thèse défendue par Transdev d'un changement de stratégie de l'entreprise, qui s'expliquerait par la découverte soudaine du bon bilan du gestionnaire sortant à Laval, ne peut pas être retenue. La mention manuscrite portée par M. O pour le directeur général du groupe, à quelques jours de la date limite de présentation des offres et au moment même où, par lettre du 13 juin, VIA-GTI se désiste sur Chalon, montre à l'évidence que la décision prise par Transdev de ne pas présenter d'offre à Laval alors que tout concourait dans ce sens a été l'un des termes de l'échange conclu entre les deux entreprises. C'est du reste ce mot "échange" qui est porté de la main de M. O sur la note du 3 juin et non-changement de stratégie ou de priorité ou encore choix nouveau que les dirigeants auraient dû normalement utiliser pour expliquer à des collaborateurs qui travaillent depuis plusieurs semaines sur le dossier la décision prise de ne pas présenter d'offre à Laval.
270. Cette interprétation est confortée par le comportement réciproque de la société VIA-GTI qui ne fournit aucune raison valable à son désistement sur Chalon. En effet, la raison évoquée pourrait être retenue si, de manière inattendue et sans information préalable, la collectivité avait décidé d'étendre le périmètre du réseau à 18 communes supplémentaires en sus des 8 communes concernées par l'ancienne convention. Or, tel n'est pas le cas puisqu'en lisant l'appel à candidatures, les entreprises ont pu juger, dès le 27 mars 1996, de l'extension de ce périmètre et ont eu, d'une part, jusqu'au 3 mai pour présenter un dossier de candidature et, d'autre part, jusqu'au 17 juin pour préciser leurs offres. Il est donc curieux, dans ces conditions, qu'une entreprise implantée localement dans la région se soit désistée pour ce motif alors que la présentation d'une offre suivie de l'engagement de négociation avec l'autorité organisatrice lui aurait permis de mesurer de manière précise les exigences économiques et financières réelles de ce contrat y compris celles pouvant résulter de son extension à 18 communes supplémentaires. Cette société ne peut, non plus, se défendre en invoquant la période de vacances pour justifier son désistement sur le 2e appel d'offres lancé en juillet 1996 alors que, depuis le 15 mai au moins, date d'acceptation de sa candidature par le SITUC, elle avait eu le loisir de s'informer des conditions du marché pour compléter les informations données par la collectivité à tous les candidats.
271. Le désistement de VIA-GTI sur les deux appels d'offres successifs de Chalon-sur-Saône est le résultat d'un accord qui s'est effectivement conclu en application de la note du directeur de la société Transdev.
272. Il en résulte que ces entreprises se sont mises d'accord pour se partager la gestion de ces deux réseaux de transport à Laval et Chalon-sur-Saône.
e) Sur le réseau du transport urbain des villes de Saint-Claude et d'Oyonnax
273. Les éléments analysés aux paragraphes 69 à 72 montrent que les deux entreprises ont négocié un pacte de non-agression entre leurs filiales intervenant dans la région, particulièrement sur le marché des villes de Saint-Claude et d'Oyonnax.
274. La société Transdev avance que l'expression "pacte de non-agression" entérinait simplement une situation géographique correspondant aux bassins d'implantation des entreprises : Mont Jura et VIA à Saint-Claude, Bustour et donc Transdev à Oyonnax. Bustour n'a pas répondu sur Saint-Claude parce que ses chances de l'emporter face à Mont Jura étaient très limitées en l'absence de partenaire local indispensable pour pouvoir répondre aux exigences de la ville de Saint-Claude qui souhaitait mettre en place des synergies fortes entre transport urbain et interurbain.
275. Elle estime, par ailleurs, qu'une vraie concurrence a joué sur Oyonnax, sa filiale qui gérait les transports scolaires du district ayant un intérêt particulier à devenir en 1997 délégataire du réseau urbain. Or, malgré une offre qui représentait un effort financier considérable de sa part, le district urbain d'Oyonnax a préféré retenir la proposition moins disante du groupe Urbest/VIA-GTI, ce qui a conduit à une aggravation rapide de la situation financière de la filiale Gonnet Bustour et contraint Transdev à céder ses activités dans l'Ain.
276. La société VIA-GTI explique que l'accord évoqué dans la note du comité directeur sur Oyonnax visait une harmonisation technique du réseau urbain qu'elle aspirait à gérer avec les lignes scolaires que la filiale de Transdev exploitait. Elle fait aussi observer que l'entreprise mise en cause est la société Mont Jura qui assure la direction d'Urbest et ne fait pas partie du groupe VIA-GTI. Avec 34 % des parts, elle est par ailleurs minoritaire dans le capital de la société Urbest.
277. Il est apparu que les notes des 17 et 18 janvier 1996 analysées aux paragraphes 175 à 178 n'illustrent pas, contrairement à ce qu'indiquent les entreprises, une simple situation de fait recouvrant leurs zones traditionnelles d'influence dans la région mais une action réelle et concertée pour se répartir les marchés de ces deux villes.
278. En effet, au moment de présenter une candidature sur le transport urbain de la ville de Saint-Claude, la filiale demande au groupe si elle doit déposer une offre compte tenu précisément du "pacte de non-agression" existant entre les deux groupes. La décision négative, transmise par la direction régionale de Grenoble et conditionnée par l'échange avec la filiale concurrente de VIA-GTI, est appliquée par la filiale qui s'abstient de présenter la candidature du groupe au nouvel appel d'offres lancé en décembre 1995 par la ville de Saint-Claude.
279. L'examen des conditions d'attribution du marché de la ville d'Oyonnax pourrait laisser supposer que la concurrence a normalement joué entre les entreprises si les notes du comité de direction de VIA-GTI de décembre 1997 ne montraient qu'au moment où leurs filiales déposent leurs candidatures à Oyonnax, les entreprises au plan national se mettent d'accord pour une répartition géographique des marchés dans les départements du Jura, du Doubs et de l'Ain.
280. L'explication donnée à cet égard par le directeur général de VIA-GTI, selon laquelle cet accord portait sur une harmonisation du réseau urbain que VIA aspirait à gérer et du réseau scolaire que la filiale de Transdev exploitait déjà, ne peut être retenue dès lors qu'aucune justification technique n'a été fournie dans les propositions que ces entreprises ont été amenées à faire et, qu'en toute hypothèse, la mention "Rééquilibrage avec Mont Jura" évoque un partage concerté du marché et non un accord technique destiné à faciliter l'exploitation du réseau par le futur délégataire.
281. Il est, à cet égard, curieux de constater que, si la commission de délégation de service public de la ville d'Oyonnax, après avoir analysé les offres déposées par la CGFTE, Transdev et Urbest, a choisi la proposition de cette dernière qui était qualitativement et financièrement la meilleure, dans leurs propositions, Gonnet et Bus-Est ont donné le même nom au réseau : Duobus. Cette similitude d'appellation, notée d'ailleurs avec étonnement par la commission, n'est pas le fruit du hasard. Elle démontre que les entreprises connaissaient le contenu de leurs propositions respectives.
282. Enfin, la société VIA-GTI est d'autant moins fondée à arguer de l'autonomie de ses filiales Urbest et Mont Jura que, d'une part, elle présente elle-même dans son organigramme la société Urbest comme faisant partie de son secteur urbain, les réseaux exploités par elle étant considérés comme ceux du groupe et que, d'autre part, Mont Jura, dont la situation est évoquée dans les réunions du comité directeur, est dirigée par le même gérant que celui de la société Cars Jura Sud, filiale de VIA-GTI, qui assure le transport en commun à Saint- Claude. Il peut donc être considéré, qu'à cette période, VIA-GTI dirige en fait la société Mont Jura.
283. Il résulte de ce qui précède que les sociétés Transdev et VIA-GTI se sont concertées pour se partager les marchés à l'occasion du renouvellement des conventions d'exploitation du transport urbain des villes de Saint-Claude et d'Oyonnax.
f) Sur le réseau urbain de la ville de Sens
284. La note du directeur général de VIA-GTI du 6 avril 1997 figurant au paragraphe 78, rédigée au moment où se déroulent les négociations entre les entreprises qui avaient déposé une offre et la collectivité publique, montre un échange d'informations entre VIA-GTI et Transdev à propos du marché de Sens. Le caractère anticoncurrentiel de cet échange peut en outre être déduit du contenu de la réunion interne du groupe VIA-GTI du 2 juin, décrit au paragraphe 79, ainsi que l'entretien des deux directeurs généraux le 18 avril décrit au paragraphe 24.
285. Ces éléments analysés aux paragraphes 158 à 163 ne laissent planer aucun doute sur le caractère anticoncurrentiel du rôle joué par les entreprises au plan national et décliné lors de l'appel d'offres de la ville de Sens.
286. Il doit, en l'espèce, être considéré que c'est volontairement que la société VIA-GTI, alors qu'elle avait déposé au départ l'offre la moins disante et qui donc, comme l'a indiqué son directeur général le 18 avril 1997, avait le plus de chances de l'emporter, s'est abstenue de formuler des réponses détaillées sur les points en cause pour permettre à la filiale de Transdev de conserver le marché conformément aux indications contenues dans les notes analysées ci-avant. Ce comportement est un élément supplémentaire démontrant que ces entreprises ont échangé des informations en vue de simuler une concurrence sur le marché de Sens, conformément aux accords passés entre elles.
287. Contrairement à ce qu'indique la société Transdev, la société VIA-GTI est intervenue pour faire une offre de couverture.
288. Certes, en matière de délégation de service public, le caractère prévisible d'une offre de couverture déposée par un concurrent est difficile à appréhender dans la mesure où, d'une part, la collectivité apprécie les propositions en fonction de nombreux critères à la fois quantitatifs et qualitatifs et, d'autre part, du fait que, jusqu'à la date de réunion de la commission qui opère le choix définitif, les entreprises ont la possibilité d'améliorer leur offre en faisant de nouvelles propositions.
289. Mais la société VIA-GTI, malgré de nombreux contacts noués avec l'autorité organisatrice, n'a pas eu une réelle volonté de compléter son offre sur des points qu'elle savait pourtant décisifs pour la collectivité comme le nombre de dessertes, la situation et le coût du parc de véhicules.
290. Il résulte de ce qui précède, que les sociétés Kéolis et Connex, sur le marché du transport urbain de la CUB de Bordeaux, et les sociétés Kéolis et Transdev sur les marchés du transport urbain de Bar-le-Duc, Epernay, Laval, Chalon, Saint-Claude, Oyonnax et Sens, ont mis en œuvre des ententes locales qui, dans le prolongement de leur entente nationale, ont trompé les autorités organisatrices de transport sur la réalité de la concurrence.
3. SUR L'IMPUTABILITÉ DES PRATIQUES
291. Le commissaire du Gouvernement estime que la concertation entre les trois principaux acteurs du transport public en France n'a pu être organisée qu'avec la participation active de leurs filiales qui ont elles-mêmes contribué à fausser le jeu de la concurrence en présentant des offres inspirées des accords passés par leur maison-mère. Elles auraient donc dû également recevoir notification des mêmes griefs.
292. La société Connex pour sa part considère que les griefs auraient dû être notifiés, d'une part, à la société CGFTE pour le transport urbain et, d'autre part, à la société CFTI, sa filiale, pour le transport interurbain. En effet, la politique de soumission n'était pas décidée au niveau du groupe mais au sein de ces deux filiales qui étaient autonomes.
293. Une notification des griefs aux filiales locales qui ont répondu aux appels d'offres en fonction des accords passés au niveau des groupes aurait pu être pertinente s'il avait été démontré que les filiales étaient commercialement autonomes, avaient eu l'initiative de choisir les marchés sur lesquels présenter des candidatures et la liberté de fixer le contenu de leurs propositions.
294. Or, aucune pièce du dossier ne montre que les filiales disposaient d'une autonomie de décision en la matière. Au contraire, les pièces rassemblées à propos des nombreux marchés étudiés démontrent que les directions générales contrôlaient étroitement le maintien ou le retour à la ligne de conduite commune du "chacun chez soi" adoptée par ces mêmes directions. Le juge ayant autorisé les opérations de visite et de saisie a lui-même estimé, au vu des pièces qui lui étaient fournies, que les filiales locales du groupe CGEA, VIA-GTI et Transdev ne disposaient pas d'une réelle autonomie de décision.
295. Par ailleurs, les sociétés CGFTE et CFTI sont complètement contrôlées par la société CGEA qui détient respectivement 100 % et 97,47 % de leur capital. Ces sociétés ont les mêmes dirigeants et les mêmes locaux. Dans le dossier figurent de nombreux documents attestant sans conteste que la comptabilisation et le suivi des contrats de transport sont assurés par la société-mère. En effet, si les filiales locales ou nationales assurent l'exploitation des réseaux de transport dont elles sont attributaires, la société-mère définit et fait appliquer la politique de soumission aux appels d'offres, comme l'attestent aussi bien les demandes d'information des filiales locales toutes adressées à la maison mère que la participation des dirigeants de la CGEA aux réunions de concertation avec les dirigeants des autres groupes. L'organisation interne du groupe en 1996 montre que les directeurs généraux définissent la stratégie du transport urbain comme du transport interurbain et que les directeurs régionaux dépendent d'eux.
296. Les délégations de signature aux directeurs régionaux de la CGFTE pour signer les appels d'offres sont accordées par M. B... en tant que directeur général de la CGFTE et de la CFTI agissant en réalité en qualité de directeur transport urbain et interurbain de la CGEA. C'est d'ailleurs en cette qualité que, selon les pièces mêmes fournies par la société, il convoque au siège de la maison mère les directeurs régionaux pour examiner l'organisation du siège social, les comptes et le plan d'action du groupe. En 1998, M. Y est à la fois directeur général de CGEA et président du conseil d'administration de CGFTE et CFTI.
297. Il ressort de la jurisprudence, tant communautaire que nationale, qu'à l'intérieur d'un groupe de sociétés, les pratiques, lorsqu'elles sont mises en œuvre par une société filiale, ne sont imputables à cette filiale, que pour autant qu'elle dispose d'une autonomie de décision par rapport à la société-mère. Au cas contraire, les pratiques doivent être imputées à la maison-mère.
298. En l'absence d'autonomie des filiales par rapport à la maison-mère, les pratiques mises en œuvre par les filiales locales et nationales des entreprises en cause qui ne pouvaient s'affranchir du contrôle hiérarchique de leur siège doivent donc être imputées à leur maison-mère, en l'espèce les sociétés Kéolis, Connex et Transdev.
4. SUR L'AFFECTATION DU COMMERCE INTRACOMMUNAUTAIRE
299. Les entreprises contestent l'application de l'article 81 du traité CE au motif qu'aucun élément de fait et de droit ne démontre une affectation réelle du commerce entre les Etats membres. La société Transdev souligne que les marchés en cause sont des marchés exclusivement locaux qui ne font pas l'objet d'une publication obligatoire au JOCE et que sur les marchés communautaires il n'est pas démontré que la part des entreprises en cause dépasse 5 %. Les sociétés Kéolis et CGEA Connex considèrent que les marchés français n'intéressent pas, sinon de manière marginale, les opérateurs européens. Elles estiment qu'en toute hypothèse, les marchés objets des griefs sont des marchés purement locaux représentant à peine 0,28 % du chiffre d'affaires du transport urbain, non susceptibles d'affecter sensiblement le commerce entre Etats membres.
300. Il convient de souligner que, dans le présent dossier, quatre appels d'offres ont fait l'objet d'une publication au JOCE.
301. Les articles 81 et 82 du traité CE s'appliquent aux accords horizontaux et verticaux et aux pratiques abusives qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres.
302. Les cartels nationaux sont, par définition, susceptibles d'affecter le commerce intracommunautaire. Ainsi que l'énonce le paragraphe 78 de la communication de la Commission comportant lignes directrices relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité, "Les ententes horizontales couvrant l'ensemble d'un Etat membre sont normalement susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres. (...) les juridictions communautaires considèrent souvent que l'entente qui s'étend à l'ensemble du territoire d'un Etat membre a, par sa nature même, pour effet de consolider des cloisonnements de caractère national, entravant ainsi l'interpénétration économique voulue par le traité".
303. L'envergure des opérateurs impliqués dans l'entente est prise en compte dans l'appréciation du caractère sensible de cette affectation : "(...) En principe, ces accords peuvent également, par leur nature même, affecter sensiblement le commerce entre États membres, compte tenu de la couverture de marché requise pour assurer l'efficacité de ces ententes" (paragraphe 79 de la communication).
304. S'agissant d'accords qui sont, par leur nature même, susceptibles d'affecter le commerce intra communautaire, "il existe une présomption positive que cette affectation est sensible, dès lors que le chiffre d'affaires réalisé par les parties avec les produits concernés par l'accord (...) excède 40 millions d'euro. (...)" (paragraphe 53 de la communication).
305. En l'espèce, le cartel couvre l'ensemble du territoire national et est mis en œuvre par des sociétés d'envergure internationale. Les sociétés Kéolis, Connex et Transdev sont en effet implantées dans de nombreux pays européens et répondent à de nombreux appels d'offres lancés dans les autres Etats membres. En France, au moins une de ces entreprises a déposé une offre dans 79 % des marchés ouverts entre 1996 et 1998.
306. Les pratiques en cause ont porté sur des appels d'offres où des sociétés d'autres pays étaient candidates. Elles étaient donc, par leur nature même, susceptibles d'affecter les courants d'échange entre les pays membres. A l'époque des faits, les courants d'échange entre les Etats membres relatifs au secteur du transport public de voyageurs commençaient en effet à se développer, facilités par des règles de dévolution et de gestion des marchés similaires en Europe et par l'attitude des autorités organisatrices du transport public en Europe, cherchant à faire jouer la concurrence européenne dans leurs appels d'offres.
307. Des sociétés d'autres pays européens se sont présentées sur certains des marchés français concernés par le cartel. Une société anglaise, la société Southern Vectis a ainsi répondu aux appels d'offres des villes de Sens, Epernay, Laval, Châteauroux mais aussi du Puy et d'Agen suscitant la réaction de Transdev : "... dans ce dernier site, la démarche de Southern Vectis proposant un quadruplement des recettes a failli nous être fatale". Une autre société anglaise a déposé en 1998 une candidature pour le réseau urbain de la ville de Lyon.
308. Dans son bilan commercial 1998, la direction du développement de Transdev jugeait ainsi la situation à Perpignan : "Le changement notable en 1998 concerne Perpignan où GTI a perdu sa délégation (historique) au profit du consortium espagnol Trapessa/Gruppobus que l'on devrait retrouver sur d'autres sites français". De fait, ce consortium a répondu dans cette période aux appels d'offres de Pau, Dunkerque, Montbéliard, Brive, Moulins, Beauvais et Chalon-sur-Saône.
309. Le caractère sensible de l'affectation du commerce entre Etats membres provient de la taille importante du marché sur lequel interviennent les entreprises, qui reconnaissent avoir réalisé en 1998 dans le transport urbain en France un chiffre d'affaires de 800 millions d'euro, soit un seuil bien supérieur au seuil de 40 millions d'euro cité plus haut.
310. Il faut ajouter que le cartel a eu, par la reconduction systématique des gestionnaires sortants, pour effet de figer le cloisonnement du marché français, en décourageant les autres entreprises européennes de présenter leurs candidatures aux appels d'offres concernés
311. Il résulte de ce qui précède que les pratiques en cause sont susceptibles d'avoir affecté sensiblement le commerce intracommunautaire et peuvent donc être qualifiées au regard de l'article 81 du traité CE.
III. Sur les sanctions
312. Les infractions retenues ci-dessus ont été commises antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-4 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques. Par conséquent, les dispositions introduites par cette loi dans l'article L. 464-2 du Code de commerce, en ce qu'elles prévoient des sanctions plus sévères que celles qui étaient en vigueur antérieurement, ne leur sont pas applicables.
313. Aux termes de l'article L. 464-2 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 15 mai 2001 : "Le Conseil de la concurrence peut (...).infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos".
A. LA GRAVITÉ DES PRATIQUES
314. Afin d'apprécier la gravité des pratiques, il y a lieu de tenir compte en premier lieu de ce que la constitution de ce cartel a eu pour objet et pour effet de faire échec au déroulement normal des procédures de dévolution des marchés de transport public organisées par la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la concurrence et à la transparence de la vie économique. Compte tenu du très petit nombre d'entreprises aptes à présenter des offres crédibles pour la gestion de ces services, la limitation de la concurrence a, dans de nombreux cas, supprimé toute réelle possibilité de choix pour les collectivités publiques. Comme l'a rappelé la Cour d'appel de Paris dans un arrêt du 30 avril 2002 (SNC Jean François), la gravité de telles pratiques réside : "dans la tromperie commise au détriment des collectivités publiques quant à l'existence et à l'intensité de la concurrence sur le marché, au nombre d'offres réellement concurrentes soumises à l'appréciation des collectivités".
315. Par ailleurs, il convient de relever la dimension nationale de cette concertation qui a visé un grand nombre de marchés de transport public urbain et qui a été mise en œuvre par des dirigeants nationaux de groupes importants qui ne pouvaient ignorer les nouvelles règles mises en place par la loi du 29 janvier 1993 précitée. La société Transdev a même déclaré que les dossiers des villes importantes étaient validés par l'actionnaire de référence, la Caisse des dépôts et consignations, en la personne du président de C3D (§ 28).
316. La loi du 29 janvier 1993 a consacré le principe de mise en concurrence pour l'attribution des délégations de service public. La procédure mise en place permet aux entreprises candidates de préciser leurs propositions techniques et financières dans un dialogue avec la commission de délégation avant que l'assemblée délibérante de l'autorité organisatrice ne prenne la décision finale d'attribution du marché au vu des éléments du dossier.
317. Les propositions financières des entreprises, notamment au regard des recettes commerciales, ne sont pas le seul élément pris en compte. Il a été cependant constaté, en pratique, que les collectivités les retiennent prioritairement dans leurs délibérations. Les entreprises qui participent aux réunions avec la commission de délégation de service public connaissent exactement les demandes des collectivités et connaissent, finalement, de manière précise les critères susceptibles d'influencer le choix final de la collectivité.
318. S'il convient à cet égard de remarquer que ces critères de choix ne sont pas différents de ceux entrant en compte généralement pour l'attribution des marchés publics, les échanges d'informations entre les entreprises candidates n'ont pas seulement porté sur les prix mais sur les éléments des dossiers présentés et les conditions de la négociation avec les commissions de délégation de service public ou même avec les autorités organisatrices elles-mêmes.
319. Or, si chaque entreprise peut elle-même décider d'être candidate et, après avoir étudié le dossier, décider finalement de ne pas présenter une offre, notamment compte tenu du coût de sa préparation, elle peut également être tentée de s'assurer que les autres entreprises susceptibles de présenter des offres, notamment si elle est le gestionnaire sortant, ne vont pas présenter des propositions offensives. Le partage des marchés, sur la base du maintien du gestionnaire sortant, suppose, dans ces conditions, des décisions communes très précises des entreprises pour coordonner leur politique de soumission.
320. Dans ce contexte, les pratiques en cause sont particulièrement graves. Commises par des entreprises de renommée nationale et internationale, elles n'ont pas été, en outre, de nature à favoriser, de la part d'entreprises plus modestes et de leurs filiales locales, un comportement conforme aux règles de la nouvelle procédure de mise en concurrence.
B. SUR LE DOMMAGE À L'ÉCONOMIE
321. Dès lors qu'elle se déroule dans des conditions concurrentielles normales, la procédure de délégation de service public permet d'abaisser le montant des subventions versées aux entreprises par les autorités organisatrices. Elle incite les gestionnaires des réseaux, en vue d'accroître les recettes commerciales, à proposer des solutions innovantes pour la gestion des transports finalement bénéfiques aux usagers.
322. La concertation mise en œuvre par les entreprises en cause est de nature à favoriser la moindre performance des transports publics et a accru pour les collectivités publiques le coût de leurs obligations en la matière. Elle a, en outre, favorisé le cloisonnement du marché national et empêché l'arrivée d'un plus grand nombre d'entreprises européennes.
323. Au vu des tableaux présentés au paragraphe 20 ci-avant, les collectivités organisatrices se sont engagées à verser chaque année 612 000 F. pour les seuls marchés du transport urbain dont le montant a pu être exactement chiffré dans le rapport d'enquête. Mais l'importance du dommage doit aussi être mesuré en fonction de la durée des conventions qui, pour les réseaux urbains, sont signées pour une période allant selon les cas de 5 à 10 ans. Il doit, enfin, tenir compte du chiffre d'affaires global réalisé en France par ces trois entreprises dans le transport public de voyageurs, qui est d'environ 3 Mds d'euro en 2003. Il est à noter que l'importance du dommage à l'économie causé par le cartel est proportionnel à ce chiffre d'affaire et, par conséquent, beaucoup plus que proportionnel au chiffre d'affaire réalisé par les entreprises têtes de groupe, seules poursuivies en l'espèce.
C. SUR LES SANCTIONS PÉCUNIAIRES
324. La cartellisation d'un oligopole et l'apparition, en conséquence, d'une rente de monopole financée, en l'espèce, par les fonds publics des collectivités territoriales, sont constitutives d'une pratique parmi les plus graves de celles dont a à connaître le droit de la concurrence. Cette gravité est encore accrue lorsque la pratique est mise en œuvre par des groupes parmi les plus renommés des groupes français, en raison de leur malheureuse valeur d'exemple. Elle légitime qu'une sanction exemplaire soit infligée aux entreprises en cause pour la commission des faits dénoncés au grief n°3 (marchés urbains seuls). Cependant, les ententes spécifiques démontrées sur quelques marchés locaux (griefs n°1 et 2, marchés urbains seuls) n'étant que l'aboutissement de la cartellisation de l'oligopole, il n'y a pas lieu de les sanctionner spécifiquement. Bien que pivot matériel de l'entente, il n'y a pas lieu non plus de traiter Kéolis différemment des deux autres entreprises car il ressort du dossier que les trois entreprises ont entendu prendre des parts de responsabilité égales dans le fonctionnement du cartel.
325. Le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par la société Kéolis au titre du dernier exercice connu, 2003, s'est élevé à 78 millions d'euro. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, le montant de la sanction pécuniaire infligée à cette société est de 3 900 000 euro.
326. Le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par la société Connex au titre du dernier exercice connu, 2003, s'est élevé à 101 millions d'euro. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, le montant de la sanction pécuniaire infligée à cette société est de 5 050 000 euro.
327. Le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par la société Transdev au titre du dernier exercice connu, 2003, s'est élevé à 60 millions d'euro. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, le montant de la sanction pécuniaire infligée à cette société est de 3 000 000 euro.
328. Afin de mettre en garde les collectivités territoriales et d'attirer leur attention sur la nécessité d'être vigilantes lorsqu'elles retiennent les offres des groupes en état de répondre à leurs appels, il y a lieu d'enjoindre aux trois entreprises en cause de publier dans la "Gazette des communes, des départements et des régions" et dans le quotidien "Les Echos", à frais communs et à proportion des sanctions pécuniaires infligées, les visas de cette décision, les paragraphes n° 329 à n° 336 et le dispositif de la décision, dans un délai n'excédant pas quatre mois au-delà de la notification de la décision.
329. Le Conseil de la concurrence a sanctionné des pratiques mises en œuvre entre 1994 et 1999 sur le marché du transport public urbain de voyageurs par les entreprises Kéolis, Connex et Transdev. Ces sociétés se sont concertées à un niveau national pour se répartir les marchés lancés par les collectivités publiques durant cette période.
330. Il a été constaté tout d'abord que les dirigeants de ces groupes de transport de dimension nationale et internationale se sont rencontrés à plusieurs reprises pour coordonner leur politique de soumission et s'échanger des informations sur leur stratégie et les propositions qu'elles-mêmes ou leurs filiales ont présentées aux autorités organisatrices pour être choisies comme gestionnaire des réseaux de transport.
331. De nombreux indices graves, précis et concordants ont permis d'établir que les
entreprises en cause se sont non seulement mises explicitement d'accord pour ne pas se faire concurrence sur la base du maintien du gestionnaire sortant, mais ont activement fait fonctionner le cartel en surveillant l'attribution des marchés dans au moins 27 villes réparties sur l'ensemble du territoire sous la menace de représailles à l'encontre des entreprises susceptibles de troubler leur jeu anticoncurrentiel.
332. Il a été démontré que ce jeu anticoncurrentiel explicite a conduit les entreprises à imposer leur prix aux collectivités territoriales qui ont été de ce fait amenées à supporter dans le cadre de la concession de leurs réseaux de transport, des charges plus élevées que celles qui auraient résulté d'un fonctionnement concurrentiel de ces marchés.
333. Le Conseil a également démontré que la concertation nationale organisée par ces groupes qui surveillaient étroitement l'activité de leurs filiales a eu des applications locales caractérisées sur les marchés du transport public de Bordeaux, Bar-le-Duc, Epernay, Laval, Chalon-sur-Saône, Saint-Claude, Oyonnax et Sens. Dans ces villes, à l'occasion des appels d'offres, les entreprises se sont mises d'accord soit pour ne pas présenter d'offre ou pour se désister, soit pour présenter des offres qui ne gênent pas le titulaire du marché. Elles ont ainsi trompé ces collectivités sur la réalité de la concurrence qui s'est exercée aussi bien pour l'attribution de la gestion déléguée du réseau proprement dit que pour l'attribution par le gestionnaire aux autres entreprises de lignes sous-traitées ou affrétées dépendant directement de ce réseau.
334. L'organisation de ce cartel national, qui a comporté des applications sur les marchés locaux de transport public urbain de voyageurs, a été considérée par le Conseil comme contraire aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et de l'article 81 du Traité CE.
335. En effet, le Conseil a constaté d'une part que certaines entreprises d'autres pays européens étaient intéressées à concourir à ces marchés de transport public urbain lesquels ne sont pas différents d'un pays européen à l'autre, d'autre part que les entreprises en cause, implantées dans les autres pays de l'Union, détenaient, à l'époque des faits, 60 % des réseaux urbains de transport exploités en France.
336. Dans ces conditions, il a considéré que le commerce intracommunautaire avait été sensiblement affecté par la position de ces entreprises sur le marché français et aussi que le cloisonnement du marché national, favorisé par le cartel, a découragé les autres entreprises européennes de présenter des candidatures à ces appels d'offres.
DÉCISION
Article 1er : Il est établi que les sociétés Kéolis, Connex et Transdev ont enfreint les dispositions de l'article L. 420 1 du Code de commerce et de l'article 81 du Traité CE.
Article 2 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :
* à la société Kéolis une sanction de 3 900 000 euro ;
* à la société Connex une sanction de 5 050 000 euro ;
* à la société Transdev une sanction de 3 000 000 euro.
Article 3 : Les sociétés Kéolis, Connex et Transdev feront publier les visas, les paragraphes 329 à 336 de la présente décision et des articles 1er et 2 du dispositif de celle-ci, à frais communs et à proportion des sanctions pécuniaires, dans une édition de "la Gazette des communes, des départements et des régions" et dans une édition de "Les Echos". Cette publication sera précédée de la mention : "Décision n° 05-D-38 du 5 juillet 2005 du Conseil de la concurrence relative à des pratiques mises en œuvre par les sociétés Kéolis, Connex et Transdev sur le marché du transport public de voyageurs".
Article 4 : Les sociétés Kéolis, Connex et Transdev adresseront, sous pli recommandé, au bureau de la procédure du Conseil de la concurrence, copie des publications prévues à l'article 3, dès leur parution et au plus tard le 2 décembre 2005.