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Décisions

CJCE, 6e ch., 5 juin 1997, n° C-56/96

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

VT4 Ltd

Défendeur :

Vlaamse Gemeenschap

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mancini

Avocat général :

M. Lenz

Juges :

MM. Murray, Kakouris, Kapteyn, Ragnemalm

Avocats :

Mes Vandermeersch, Brewaeys, Stuyck, Neels, Herbert

CJCE n° C-56/96

5 juin 1997

LA COUR,

1 Par arrêt du 14 février 1996, parvenu à la Cour le 26 février suivant, le Raad van State van België a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 2 de la directive 89-552-CEE du Conseil, du 3 octobre 1989, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle (JO L 298, p. 23, ci-après la "directive").

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un recours en annulation introduit par VT4 Ltd (ci-après "VT4") contre l'arrêté du 16 janvier 1995 du ministre de la Culture et des Affaires bruxelloises flamand (ci-après l'"arrêté") refusant à VT4 l'accès de son programme de télévision au réseau de télédistribution.

3 L'article 2 de la directive, qui figure dans le chapitre II intitulé "Dispositions générales", prévoit:

"1. Chaque État veille à ce que toutes les émissions de radiodiffusion télévisuelle transmises:

- par des organismes de radiodiffusion télévisuelle relevant de sa compétence

ou

- ...

respectent le droit applicable aux émissions destinées au public dans cet État membre.

2. Les États membres assurent la liberté de réception et n'entravent pas la retransmission sur leur territoire d'émissions de radiodiffusion télévisuelle en provenance d'autres États membres pour des raisons qui relèvent des domaines coordonnés par la présente directive. ..."

4 Il ressort du dossier au principal que, dans la Communauté flamande, en vertu de deux décrets de l'Exécutif flamand du 28 janvier 1987 relatif, notamment, à l'agrément des organismes privés de télévision (Belgisch Staatsblad du 19 mars 1987) et du 12 juin 1991 portant réglementation de la publicité et du sponsoring à la radio et à la télévision (Belgisch Staatsblad du 14 août 1991, ci-après les "décrets de l'Exécutif flamand"), la Vlaamse Televisie Maatschappij NV (ci-après "VTM") détient le monopole tant de la télévision commerciale que de la publicité télévisée.

5 Selon l'article 10, paragraphe 1, 2°, du décret de l'Exécutif flamand du 4 mai 1994 relatif aux réseaux de radio et télédistribution et à l'autorisation requise pour l'établissement et l'exploitation de ces réseaux et relatif à la promotion de la diffusion et la production des programmes de télévision (Belgisch Staatsblad du 4 juin 1994, ci-après le "décret sur le câble"), les câblodistributeurs doivent transmettre simultanément et dans leur intégralité les programmes de VTM, seule société privée agréée par l'Exécutif flamand.

6 L'article 10, paragraphe 2, du décret sur le câble dispose:

"Sans préjudice des dispositions du paragraphe 1, le câblodistributeur peut retransmettre les programmes suivants sur son réseau de radio ou de télédistribution:

...

4° les programmes de radiodiffusion sonore et télévisuelle des organismes de radiodiffusion autorisés par le gouvernement d'un État membre de l'Union européenne autre que la Belgique et pour autant que l'organisme de radiodiffusion concerné soit soumis, dans cet État membre, au contrôle exercé sur les organismes de radiodiffusion s'adressant au public de cet État membre et que ce contrôle ait effectivement trait au respect du droit européen, notamment en ce qui concerne le droit d'auteur et les droits voisins et les engagements internationaux de l'Union européenne, et pour autant que l'organisme de radiodiffusion concerné et les programmes qu'il diffuse ne mettent pas en cause l'ordre public, les bonnes moeurs et la sécurité publique dans la Communauté flamande;

..."

7 VT4, établie à Londres, est une société constituée selon le droit anglais, dont l'activité principale est la transmission de programmes de radio ou de télévision. La société de droit luxembourgeois Scandinavian Broadcasting Systems SA (SBS) est l'unique actionnaire de VT4. Les autorités britanniques ont accordé à cette dernière une "non-domestic satellite licence".

8 Les programmes de VT4 sont destinés au public flamand. Ils sont soit enregistrés, soit sous-titrés en néerlandais. Le signal télévisuel est envoyé vers le satellite à partir du territoire du Royaume-Uni. A Nossegem (qui est une localité flamande en Belgique), VT4 dispose de ce qu'elle appelle une "filiale", laquelle entretient des contacts avec des annonceurs publicitaires et des sociétés de production. C'est également dans cette localité que sont centralisées les informations destinées aux journaux télévisés.

9 Par l'arrêté, le ministre de la Culture et des Affaires bruxelloises flamand a refusé l'accès du programme de télévision de VT4 au réseau de télédistribution. Cette décision est principalement fondée sur deux arguments. D'abord, VT4 ne relèverait pas du champ d'application de l'article 10, paragraphe 1, 2°, du décret sur le câble parce qu'elle n'est pas agréée en tant qu'organisme privé de télévision qui s'adresse à l'ensemble de la Communauté flamande. VTM est en effet le seul organisme agréé. Ensuite, VT4 ne pourrait pas être considérée comme un organisme de télédiffusion agréé par un autre État membre puisqu'il s'agit, en fait, d'un organisme flamand qui s'est établi dans un autre État membre afin de se soustraire à l'application de la législation de la Communauté flamande. Même à supposer que VT4 soit un émetteur britannique, cela ne suffirait pas encore à remplir les conditions énoncées à l'article 10, paragraphe 2, 4°, du décret sur le câble et, notamment, celle relative au fait qu'un contrôle effectif doit être exercé quant au respect du droit communautaire.

10 Le 24 janvier 1995, le Raad van State van België a suspendu l'arrêté à la demande de VT4. Il a estimé que le moyen d'annulation pris de la violation de l'article 2, paragraphe 2, de la directive était suffisamment sérieux et que la condition d'un préjudice grave était remplie. Dès lors, VT4 a pu, à partir du 1er février 1995, distribuer son programme sur le réseau de télédistribution en Flandre et à Bruxelles. Par arrêt du 2 mars 1995, le Raad van State van België a ensuite confirmé la suspension qu'il avait antérieurement ordonnée, en sorte que le programme de VT4 pouvait continuer à être diffusé sur le réseau aussi longtemps que le Raad van State van België n'avait pas statué au principal.

11 Il a été fait état, au cours des débats devant la juridiction de renvoi, de la proposition que la Commission a adoptée le 22 mars 1995 en vue de la modification de la directive (JO C 185, p. 4) et qu'elle a présentée au Conseil et au Parlement européen le 31 mai 1995 en même temps que le rapport sur l'application de la directive [COM(95)86déf.95/0074 (COD)]. La question s'est posée de savoir dans quelle mesure ces textes, ainsi que les résultats provisoires des négociations qui se sont ensuivies au sein du Conseil, pouvaient avoir une incidence sur l'appréciation de la légalité de l'arrêté.

12 C'est dans ces conditions que la juridiction de renvoi a décidé, avant de se prononcer au fond, de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question suivante:

"Pour l'interprétation de la disposition de l'article 2 de la directive 89-552-CEE du Conseil, du 3 octobre 1989, qui concerne le champ d'application personnel de ladite directive, peut-on, à la date de la décision attaquée, tenir compte du rapport et de la proposition de la Commission, du 31 mai 1995, cités ci-dessus, et du texte précité adopté provisoirement par le Conseil des ministres le 20 novembre 1995 ? Dans l'affirmative, quel est le sens recouvrant partiellement ces différents textes qui s'impose aux fins de cette interprétation ?"

13 Il ressort du dossier au principal que, par cette question, posée avant le prononcé de l'arrêt du 10 septembre 1996, Commission/Royaume-Uni (C-222-94, Rec. p. I-4025), la juridiction de renvoi demande, en substance, les critères pour déterminer les organismes de radiodiffusion télévisuelle qui relèvent de la compétence d'un État membre au sens de l'article 2, paragraphe 1, de la directive.

14 Il convient de relever que la Cour, dans l'arrêt Commission/Royaume-Uni, précité, a examiné l'interprétation à donner à la notion de "compétence" dans l'expression "organismes de radiodiffusion télévisuelle relevant de [la] compétence [d'un État membre]" figurant à l'article 2, paragraphe 1, premier tiret, de la directive.

15 Ainsi que la Cour l'a constaté au point 26 de l'arrêt Commission/Royaume-Uni, précité, la directive ne comporte pas de définition expresse des termes "organismes de radiodiffusion télévisuelle relevant de sa compétence".

16 Après avoir analysé le texte de l'article 2, paragraphe 1, de la directive, la Cour en a déduit, au point 40, que la notion de compétence d'un État membre, utilisée au premier tiret de cette disposition, doit être entendue comme englobant nécessairement une compétence ratione personae à l'égard des organismes de radiodiffusion télévisuelle.

17 La Cour a ajouté, au point 42 de l'arrêt Commission/Royaume-Uni, précité, qu'une compétence ratione personae d'un État membre à l'égard d'un organisme de radiodiffusion télévisuelle ne peut être fondée que sur son rattachement à l'ordre juridique de cet État, ce qui recouvre en substance la notion d'établissement au sens de l'article 59, premier alinéa, du traité CE, dont les termes présupposent que le prestataire et le destinataire d'un service sont "établis" dans deux États membres différents.

18 Il s'ensuit, dès lors, que l'article 2, paragraphe 1, de la directive doit être interprété en ce sens qu'un organisme de radiodiffusion télévisuelle relève de la compétence de l'État membre dans lequel il est établi.

19 Lorsqu'il existe plusieurs établissements d'un même organisme de radiodiffusion télévisuelle, l'État membre compétent est celui dans lequel cet organisme a le centre de ses activités. Il appartient donc à la juridiction de renvoi de déterminer, en application de ce critère, quel est l'État membre compétent pour contrôler les activités de VT4, en tenant notamment compte du lieu où sont prises les décisions concernant la politique de programmation et l'assemblage final des programmes à diffuser (voir arrêt Commission/Royaume-Uni, précité, point 58).

20 Selon la Vlaamse Gemeenschap, pour que les dispositions relatives à la libre prestation de services s'appliquent, il ne suffit pas que le prestataire soit établi dans un autre État membre, mais il faut encore, ainsi qu'il résulterait de l'arrêt du 30 novembre 1995, Gebhard (C-55-94, Rec. p. I-4165), que ce prestataire ne soit pas également établi dans l'État membre d'accueil.

21 Cette argumentation méconnaît que l'activité d'un organisme de radiodiffusion télévisuelle, qui consiste à fournir d'une manière durable des prestations de services à partir de l'État membre dans lequel il est établi au sens de l'article 2, paragraphe 1, de la directive, n'implique pas, en tant que telle, la poursuite sur le territoire de l'État membre d'accueil d'une activité dont il convient d'apprécier le caractère temporaire ou non, comme cela a été le cas dans l'arrêt Commission/Royaume-Uni, précité.

22 Il importe de relever également que le seul fait que toutes les émissions et tous les messages publicitaires sont exclusivement destinés au public flamand ne permet pas, comme le prétend VTM, de démontrer que VT4 ne puisse pas être considérée comme étant établie au Royaume-Uni. En effet, le traité n'interdit pas à une entreprise d'exercer la liberté de prestation de services lorsqu'elle n'offre pas de services dans l'État membre dans lequel elle est établie.

23 Il résulte de ce qui précède que l'article 2, paragraphe 1, de la directive doit être interprété en ce sens qu'un organisme de radiodiffusion télévisuelle relève de la compétence de l'État membre dans lequel il est établi. Lorsqu'un organisme de radiodiffusion télévisuelle est établi dans plus d'un État membre, la compétence dont il relève revient à l'État membre sur le territoire duquel l'organisme de radiodiffusion a le centre de ses activités, notamment là où sont prises les décisions concernant la politique de programmation et l'assemblage final des programmes à diffuser.

Sur les dépens :

24 Les frais exposés par les Gouvernements allemand et français, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

statuant sur la question à elle soumise par le Raad van State van België, par arrêt du 14 février 1996, dit pour droit:

L'article 2, paragraphe 1, de la directive 89-552-CEE, du 3 octobre 1989, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle, doit être interprété en ce sens qu'un organisme de radiodiffusion télévisuelle relève de la compétence de l'État membre dans lequel il est établi. Lorsqu'un organisme de radiodiffusion télévisuelle est établi dans plus d'un État membre, la compétence dont il relève revient à l'État membre sur le territoire duquel l'organisme de radiodiffusion a le centre de ses activités, notamment là où sont prises les décisions concernant la politique de programmation et l'assemblage final des programmes à diffuser.