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Décisions

CA Paris, 1re ch. B, 12 juillet 1978, n° 6442

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Fiacre

Défendeur :

Maupin

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mangin

Avocat général :

M. Franck

Conseillers :

M. Vaissette, Mme Novel

Avoués :

SCP Castel & Garoby, Me Teytaud

Avocats :

Mes Jouanneau, Nicolas

TGI Paris, 1re ch., 2e sect., du 11 févr…

11 février 1977

Fait et procédure

Au cours du mois de janvier 1975, Robert Fiacre a acquis d'Armand Maurin, pour le prix de 60 000 F, une statuette chinoise considérée comme d'époque T'Ang.

Le vendeur a fourni à l'acheteur pour justifier de l'authenticité de cette pièce :

1°) le résultat graphique d'un test de thermoluminescence accompagné d'une lettre du laboratoire du CNRS de Gif-sur-Yvette, du 1er avril 1974, affirmant que l'échantillon soumis à l'analyse était très luminescent,

2°) une lettre par laquelle Armand Maurin certifiait que l'échantillon correspondait à un prélèvement pratiqué sur la statuette, objet de la vente,

3°) une lettre du 14 janvier 1975 de Guy Portier, expert près de la Cour d'appel de Paris, qui affirmait que le résultat du test de thermoluminescence confirmait qu'il s'agissait d'une statuette de l'époque T'Ang.

Robert Fiacre prétendant que cette statuette ne serait pas authentique, a assigné, le 8 mars 1976, Armand Maurin en nullité de la vente, en restitution du prix de 60 000 F avec intérêts de droit, et en payement d'une somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts.

Armand Maurin a formé une demande reconventionnelle en payement de la somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts pour remboursement de frais irrépétibles et procédure abusive et vexatoire.

Le Tribunal de grande instance de Paris, le 11 février 1977, a rejeté les demandes principa1e et reconventionnelle et a condamné Robert Fiacre aux dépens.

Celui-ci a relevé appel de ce jugement et fait valoir

- que l'authenticité de la statuette était garantie par les résu1tat du test de thermoluminescence et par l'attestation de l'expert Guy Portier qui se référait à ce test,

- que les tests pratiqués par le Laboratoire d'Oxford ont démontré que le test de thermoluminescence produit par Armand Maurin n'était pas probant, la statuette ayant probablement été fortement irradiée,

- que la lettre de Melle Lalou, qui a procédé à Gif-sur-Yvette au test de thermoluminescence, établit qu'elle avait indiqué à Armand Maurin les limites de ce test et que ce dernier n'avait pas précisé que la statuette aurait été irradiée,

- que la lettre de "Sotheby France" produite pour établir l'existence de l'estimation de la statuette par Julian Thompson, expert de "Sotheby Londres" ne correspondait pas à l'avis de l'expert qui était donné sous réserve du résultat du test de thermoluminescence,

- qu'ainsi, il est établi que 1a statuette n'est pas authentique,

- que la vente doit en conséquence être annulée pour erreur sur la substance et également à raison des manouvres dolosives d'Armand Maurin.

Armand Maurin a relevé appel incident du jugement et forme une demande additionnelle élevant à 50 000 F les dommages-intérêts sollicités à raison des imputations diffamatoires à son égard de Robert Fiacre.

Il soutient que ce dernier a acquis la statuette en toute connaissance de cause, au vu de l'avis de l'expert Portier et des résultats d'un test de thermoluminescence, et qu'il ne rapporte pas la preuve qui lui incombe du défaut d'authenticité de la statuette litigieuse,

- que s'il avait un doute, il lui appartenait de s'abstenir d'acquérir.

- qu'en réalité, Robert Fiacre a voulu accumuler les preuves irréfutables de l'authenticité de la statuette dans un domaine ou une part de doute demeure et où les avis sont divergents et ce en vue d'une opération spéculative ultérieure,

- que sa demande de dommages-intérêts est bien fondée, Robert Fiacre ayant manifestement voulu le faire passer aux yeux de personnes averties comme un faussaire, puisqu'il écrivait à l'expert Guy Portier, le 16 septembre 1977, et à Melle Lalou, le 11 octobre 1977, que le docteur Maurin s'était livré à une manipulation malhonnête et qu'il aurait fortement irradié la statuette pour qu'elle donne une forte thermoluminescence au test dont elle allait être l'objet.

En appel, le Conseiller de la mise en état :

1°) a procédé à l'audition de Melle Avizou, auteur d'une attestation de Sotheby France, du 18 mai 1976, produite Armand Maurin en première instance et ainsi libellée : " Je vous confirme par cette lettre que notre expert Julian Thompson a bien estimé la grande statuette de femme assise vous appartenant à 10 000 £ le 9 avril 1974 "

Melle Avizou a déclaré: "le docteur Maurin est venu me voir le 18 mai 1976. Il m'a dit qu'il avait besoin d'un service urgent ; qu'il fallait que je lui remette une lettre indiquant l'estimation de l'expert Thompson. Je me suis reportée à la lettre de notre expert et j'ai vu que l'estimation était faite sous réserve du test d'authenticité.

" J'ai fait observer au Docteur Maurin qu'il y avait cette réserve. Il m'a répondu que le test avait été fait, qu'il était positif et que par conséquent je pouvais lui faire la lettre qu'il me demandait. Je lui ai fait confiance et lui ai donné cette lettre mais en prenant soin de faire référence à la date de la lettre de notre expert Thompson ... "

2°) a fait verser aux débats par " Sotheby France " l'estimation de l'expert Thompson du 9 avril 1974 qui faisait partie de l'estimation de toute la collection d'Armand Maurin et qui était ainsi formulée : " Grande statuette de dame assise (si la preuve est bonne) ... 10 000 F"

Armand Maurin ayant précisé lors de l'audition en qualité de témoin de l'expert Guy Portier, que la formule si la preuve est bonne, voulait bien dire, comme l'avait indiqué Melle Avizou, si l'épreuve de thermoluminescence était favorable,

3°) a entendu l'expert Guy Portier qui a notamment indiqué: "Après examen de cette statuette, le test de thermoluminescence étant favorable et étant donné l'aspect ancien de la statuette, j'ai confirmé au Dr Maurin qu'elle était d'époque T'Ang dans une lettre du 14 janvier 1975.

" la statuette est de type T'Ang, mais elle aurait, pu être faite à des époques différentes, l'examen favorable de thermo1umiunescence qui a permis de la situer à une époque ancienne, a confirmé qu'elle était bien d'époque T'Ang, ceci à " mon avis ". "

Ceci exposé,

LA COUR, qui se réfère pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, au jugement déféré et aux conclusions figurant au dossier,

Considérant qu'il résulte des éléments de la cause et notamment du fait que Robert Fiacre a exigé de son vendeur des documents attestant l'authenticité de l'objet acquis, que le caractère de statuette d'époque T'Ang constituait une qualité substantielle sans laquelle l'appelant n'aurait pas acheté ;

Considérant que pour établir sans doute possible l'authenticité de la statuette, comme l'exigeait Robert Fiacre, Armand Maurin a produit le test positif de thermoluminescence établi par Claude Lalou (Laboratoire de Gif-sur-Yvette) et une attestation de l'expert Guy Portier ; qu'il s'ensuit que c'est au vu de ces preuves de l'authenticité de l'objet que Robert Fiacre l'a acquis et que sans leur production par Armand Maurin, la vente ne serait pas intervenue.

Or, considérant d'une part que le test de thermoluminescence effectué à Gif-sur-Yvette par Claude Lalou, apparaît sans valeur probante compte tenu des deux analyses pratiquées par les laboratoires d'Oxford dont la compétence a été reconnue par Claude Lalou dans une attestation du 17 octobre 1977 qui indiquait notamment : " ... je dois vous signaler. que c'est à titre purement amical que j'ai effectué ces mesures pour le docteur Maurin , après lui avoir expliqué quelles étaient les limites de la thermoluminescence, limites qui étaient certes connues, mais beaucoup moins précises en 1974 que maintenant, les études, spécialement celles du laboratoire d'Oxford ayant beaucoup progressé ces dernières années. ; que ces deux analyses dont les conclusions ne sont pas contradictoires puisque les échantillons testés provenaient de deux parties différentes de l'objet, ont démontré en effet d'une part que l'un de ces échantillons concernait de l'argile qui n'avait pas été porté à 500°, s'agissant de celui prélevé à la base du cou de la statuette dont la tête avait été recollée à une époque indéterminée et que l'autre ne permettait pas une datation parce qu'il aurait été exposé à quelque traitement inhabituel. Cela pourrait être un traitement quelconque de consolidation et d'imprégnation pendant à la conservation bien que nous suspections qu'il est plus probable que l'objet a été fortement irradié " ;

Que, d'autre part, l'avis de Guy Portier était fondé sur le résultat positif du test de thermoluminescence ;

Qu'en effet, cet expert indiquait " ce modèle est " assez " rare et l'examen favorable de thermoluminescence confirme quelle est d'époque T'ang " et qu'il a précisé, lorsqu'il a été entendu comme témoin, que la statuette, de type T'ang, aurait pu être faite à des époques différentes et que c'était l'examen favorable de thermoluminescence qui permettait de situer à une époque ancienne et confirmait qu'elle était d'époque T'ang ;

Qu'ainsi, c'est bien le test de thermoluminescence, produit par Armand Maurin qui a déterminé l'avis de l'expert sur l'authenticité de la statuette, opinion qu'il n'aurait pas émise sans ce test ;

Considérant qu'Armand Maupin était parfaitement conscient de ce fait; qu'en effet, le 18 mai 1976, alors qu'il était assigné en nullité le la vente et que dès le 28 juillet 1975, Robert Fiacre lui avait écrit " Je suis très surpris que vous ayez refusé cette contre-expertise de thermoluminescence étant donné la discordance entre votre résultat de Gif-sur-Yvette et mon résultat négatif d'Oxford... Tout repose donc sur l'épreuve de thermoluminescence, il a par une œuvre qui a été dénoncée par l'auteur de l'attestation, Sylvie Avizou, obtenu de celle-ci une lettre confirmant l'estimation de l'expert Julian Thompson, mais omettant l'indication que cette estimation était faite sous réserve du résultat positif du test de thermoluminescence ;

Considérant qu'en définitive, Robert Fiacre établit que, contrairement à l'accord des parties, les documents que devait produire Armand Maurin pour justifier de l'authenticité de sa statuette, sur la

foi desquels l'acquéreur a donné son consentement, ne font pas la preuve de cette authenticité ;

Que son consentement ayant été ainsi donné par erreur, il est fondé à demander la nullité de cette vente et la restitution du prix,

Considérant qu'il n'est pas établi qu'au moment de la vente, Armand Maurin ait été de mauvaise foi ; que l'attestation de Sotheby France n'a été sollicitée que postérieurement ;

Qu'il s'en suit que la demande de dommages-intérêt de Robert Fiacre n'est pas fondée ;

Considérant que le bien fondé de l'appel entraîne nécessairement le rejet de la demande reconventionnelle en dommages-intérêts de Armand Maurin ;

Par ces motifs, Réformant le jugement rendu le 11 février 1972 par le Tribunal de grande instance de Paris, 1re chambre 2e section, déclare nulle la vente de la statuette chinoise intervenue en janvier 1975. Condamne Armand Maupin à restituer à Robert Fiacre le prix de vente : 60 000 F ; Condamne Robert Fiacre à restituer à Armand Maupin la statuette litigieuse ; Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires ; Condamne Armand Maupin aux dépens de première instance et d'appel ; dit que Me Teytaud, avoué, pourra recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens d'appel dont il aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.