CJCE, 5e ch., 21 mars 2002, n° C-451/99
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Cura Anlagen GmbH
Défendeur :
Auto Service Leasing GmbH
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. von Bahr
Avocat général :
M. Jacobs
Juges :
MM. Edward, La Pergola, Wathelet, Timmermans
Avocats :
Mes Asenbauer, Wägenbaur, Asenbauer
LA COUR (cinquième chambre),
1 Par ordonnance du 10 novembre 1999, parvenue au greffe de la Cour le 26 novembre suivant, le Handelsgericht Wien a posé, en vertu de l'article 234 CE, une question préjudicielle relative à l'interprétation des articles 49 CE à 55 CE ainsi que de l'article 28 CE.
2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant Cura Anlagen GmbH (ci-après "Cura Anlagen"), établie en Autriche, à Auto Service Leasing GmbH (ci-après "ASL"), société établie en Allemagne et ne disposant pas d'établissement en Autriche, au sujet de l'exécution d'un contrat de leasing de véhicule automobile conclu par ces deux sociétés.
Le cadre juridique
3 En vertu de l'article 79 du Kraftfahrgesetz 1967 (loi autrichienne sur les véhicules automobiles, ci-après le "KFG"), l'utilisation en Autriche d'un véhicule muni de plaques d'immatriculation étrangères et n'ayant pas de lieu de stationnement permanent en Autriche n'est autorisée que pour une durée d'un an au maximum.
4 L'article 82, paragraphe 8, du KFG précise qu'un véhicule muni de plaques d'immatriculation étrangères qui est introduit en Autriche par une personne morale établie dans cet État membre peut y être utilisé pendant trois jours au maximum. Passé ce délai, les plaques d'immatriculation étrangères doivent être retirées et remises à l'autorité compétente et, si le véhicule continue d'être utilisé en Autriche, il doit y être immatriculé conformément à l'article 37 du KFG.
5 L'immatriculation d'un véhicule en Autriche est subordonnée au respect des conditions suivantes:
- la personne morale au nom de laquelle le véhicule doit être immatriculé doit en être le détenteur légal et avoir son siège en Autriche ou y disposer au moins d'un établissement principal (article 37, paragraphe 2, du KFG);
- le véhicule doit être couvert par un contrat d'assurance responsabilité civile obligatoire conclu avec un assureur agréé en Autriche [articles 37, paragraphe 2, sous b), 59 et 61 du KFG];
- le véhicule doit avoir fait l'objet d'une expertise relative à la sécurité routière et fonctionnelle, établissant que le véhicule n'est pas source de nuisances excessives [articles 37, paragraphe 2, sous h), et 57 a du KFG];
- une taxe à la consommation doit avoir été acquittée [articles 37, paragraphe 2, sous d), du KFG et 1er, points 3 et 5, sous f), du Normverbrauchsabgabegesetz (loi autrichienne instituant une taxe à la consommation, ci-après le "NoVAG")].
6 S'agissant de cette dernière condition, il ressort en effet des articles 1er et 2 du NoVAG, sous réserve des exceptions visées à l'article 3 de la même loi, qu'une taxe à la consommation doit être versée pour tout véhicule fourni à titre onéreux, donné en leasing sur la base d'un contrat commercial ou immatriculé pour la première fois en Autriche.
7 Conformément à l'article 5 du NoVAG, le montant de la taxe correspond à un pourcentage du prix payé pour le véhicule, s'il est fourni neuf, ou de sa valeur normale, TVA exclue, dans les autres cas. En vertu de l'article 6, paragraphe 2, du NoVAG, ce pourcentage varie en fonction du type de carburant et de la consommation du véhicule. Le montant de la taxe ne peut dépasser 16 % de la valeur du véhicule, en application de l'article 6, paragraphe 3, du NoVAG.
Le litige au principal et la question préjudicielle
8 En février 1999, ASL et Cura Anlagen ont conclu un contrat de leasing aux termes duquel ASL a donné à bail à Cura Anlagen, pour une durée de trente-six mois, un véhicule de tourisme (en l'occurrence, une voiture de marque Audi, modèle A3), immatriculé en Allemagne, moyennant le versement par cette dernière d'une somme fixe mensuelle, incluant le coût de l'assurance obligatoire, majorée d'un montant supplémentaire par tranche de 1 000 km parcourus par le véhicule au-delà d'une certaine distance.
9 Il était convenu que Cura Anlagen, qui devait prendre possession du véhicule auprès d'ASL à Munich, l'utiliserait principalement en Autriche. Il était également convenu que, pendant la durée du contrat, le véhicule demeurerait immatriculé au nom d'ASL et resterait donc muni de ses plaques d'immatriculation allemandes.
10 Après avoir, en février 1999, introduit son véhicule en Autriche, Cura Anlagen n'a pu l'y utiliser conformément aux clauses du contrat en raison des dispositions du KFG interdisant la circulation en Autriche d'un véhicule muni de plaques étrangères au-delà de trois jours.
11 Cura Anlagen a alors introduit un recours devant le Handelsgericht Wien visant à ce qu'ASL soit consente à l'immatriculation en Autriche, au nom de Cura Anlagen, du véhicule donné en location et acquitte à cette occasion la taxe à la consommation de 2 460 EUR due à ce titre, soit fasse immatriculer en Autriche à son propre nom et pour son compte ledit véhicule. À titre subsidiaire, Cura Anlagen a demandé la résolution du contrat de leasing.
12 ASL a conclu au rejet de ce recours. Elle a fait valoir que les dispositions combinées des articles 37, 79 et 82, paragraphe 8, du KFG rendaient le leasing de véhicules transfrontalier à ce point difficile qu'il lui était pratiquement impossible de fournir cette prestation en Autriche, de sorte que ces dispositions devaient être écartées comme étant contraires à la libre prestation des services et, subsidiairement, à la libre circulation des marchandises.
13 C'est dans ces conditions que le Handelsgericht Wien a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
"Les articles 49 CE et suivants (ou 28 CE) doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à l'application des dispositions légales d'un État membre A qui interdisent à une entreprise établie sur son territoire d'y utiliser plus de trois jours ou plus d'une année un véhicule donné en leasing (location) par une entreprise de leasing établie dans un État membre B où il est immatriculé au nom de ladite entreprise de leasing sans disposer pour ce véhicule d'une deuxième immatriculation dans l'État membre A?"
Sur l'objet et la recevabilité de la question préjudicielle
14 À titre liminaire, le Gouvernement autrichien fait valoir que la demande de décision préjudicielle est irrecevable à trois titres.
15 Il soutient, tout d'abord, que la question posée, en tant qu'elle concerne l'interprétation de l'article 28 CE, relatif à la libre circulation des marchandises, n'est pas pertinente pour la solution du litige au principal.
16 Selon une jurisprudence constante, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d'apprécier, au regard des particularités de l'affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu'il pose à la Cour. Néanmoins, la Cour a estimé ne pas pouvoir statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale lorsqu'il apparaît de manière manifeste que l'interprétation ou l'appréciation de la validité d'une règle communautaire, demandées par la juridiction nationale, n'ont aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait ou de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, notamment, arrêt du 13 juillet 2000, Idéal tourisme, C-36-99, Rec. p. I-6049, point 20, et jurisprudence citée).
17 À cet égard, il convient de relever que, par sa question, la juridiction de renvoi vise principalement à savoir si la législation autrichienne entraîne des restrictions aux échanges intracommunautaires et, le cas échéant, si celles-ci peuvent être justifiées. À cette fin, elle interroge la Cour sur la compatibilité d'une législation telle que celle en cause au principal avec soit les articles 49 CE à 55 CE, soit les articles 28 CE à 31 CE, selon que le leasing de véhicules constitue une prestation de services ou une livraison de marchandises.
18 Or, il y a lieu de préciser que le leasing constitue un service au sens de l'article 50 CE. Il consiste en effet en une prestation économique fournie contre rémunération. Le fait que cette activité implique la remise de marchandises par le bailleur au locataire, en l'occurrence un véhicule dans l'affaire au principal, ne saurait infirmer cette qualification dans la mesure où la fourniture ne porte pas tant sur les marchandises elles-mêmes que sur leur utilisation par le locataire, lesdites marchandises demeurant la propriété du bailleur.
19 D'ailleurs, la Cour a déjà jugé que la location de véhicules en leasing constitue une prestation de services au sens de l'article 9 de la sixième directive 77-388-CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la "sixième directive TVA"), ces services consistant principalement en la négociation, l'établissement, la signature et la gestion des contrats et en la mise à la disposition matérielle des clients des véhicules convenus, lesquels restent la propriété de la société de leasing (arrêt du 17 juillet 1997, ARO Lease, C-190-95, Rec. p. I-4383, points 11 et 18).
20 Il s'ensuit que la question préjudicielle doit être considérée comme ayant pour seul objet l'interprétation des articles 49 CE à 55 CE.
21 Le Gouvernement autrichien affirme ensuite que le litige au principal concerne l'interprétation et l'exécution d'un contrat de droit privé qui ne présente aucun rapport avec la question préjudicielle.
22 À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l'article 234 CE, lorsqu'une question d'interprétation du traité ou des actes dérivés pris par les institutions de la Communauté est soulevée devant une juridiction nationale d'un État membre, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question (voir, notamment, arrêt du 9 février 1995, Leclerc-Siplec, C-412-93, Rec. p. I-179, point 9).
23 Dans le cadre de cette procédure de renvoi, le juge national, qui est seul à avoir une connaissance directe des faits de l'affaire, est le mieux placé pour apprécier, au regard des particularités de celle-ci, la nécessité d'une décision préjudicielle pour rendre son jugement (voir, notamment, arrêt Leclerc-Siplec, précité, point 10).
24 De surcroît, ainsi que le souligne M. l'Avocat général au point 23 de ses conclusions, il est important pour une juridiction nationale qui est appelée à ordonner l'exécution ou l'annulation d'un contrat de savoir si les dispositions nationales qui semblent s'opposer à cette exécution sont compatibles ou non avec le droit communautaire. La question apparaît donc pertinente.
25 Le Gouvernement autrichien conteste enfin le caractère réel du litige au principal qui, selon lui, serait dans une très large mesure construit.
26 À cet égard, la Cour a jugé qu'il lui appartenait, en vue de vérifier sa propre compétence, d'examiner les conditions dans lesquelles elle était saisie par le juge national. En effet, l'esprit de collaboration qui doit présider au fonctionnement du renvoi préjudiciel implique que, de son côté, le juge national ait égard à la fonction confiée à la Cour, qui est de contribuer à l'administration de la justice dans les États membres et non de formuler des opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques (arrêts du 3 février 1983, Robards, 149-82, Rec. p. 171, point 19, et du 16 juillet 1992, Meilicke, C-83-91, Rec. p. I-4871, point 25).
27 En l'espèce, à supposer même que certains éléments du dossier puissent donner à penser que la situation à l'origine de la procédure au principal a été construite en vue d'obtenir de la Cour une décision sur une question de droit communautaire d'intérêt général, on ne saurait nier l'existence d'un véritable contrat dont l'exécution ou l'annulation dépendent incontestablement d'une question de droit communautaire.
28 Il résulte des considérations qui précèdent que la question préjudicielle est recevable.
Sur le fond
29 Selon une jurisprudence constante, l'article 49 CE s'oppose à l'application de toute réglementation nationale qui, sans justification objective, entrave la possibilité pour un prestataire de services d'exercer effectivement cette liberté (voir, notamment, arrêt du 5 octobre 1994, Commission/France, C-381-93, Rec. p. I-5145, point 16).
30 L'article 49 CE s'oppose également à l'application de toute réglementation nationale ayant pour effet de rendre la prestation de services entre États membres plus difficile que la prestation de services purement interne à un État membre (arrêt Commission/France, précité, point 17).
31 Toutefois, l'article 46 CE, applicable en la matière en vertu de l'article 55 CE, admet les restrictions justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique, étant précisé que les mesures prises en vertu de cet article ne peuvent pas être disproportionnées par rapport à l'objectif visé. En effet, en tant qu'exception à un principe fondamental du traité, l'article 46 CE doit être interprété de façon que ses effets soient limités à ce qui est nécessaire pour la protection des intérêts qu'il vise à garantir (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 1988, Bond van Adverteerders e.a., 352-85, Rec. p. 2085, point 36).
32 En outre, il est de jurisprudence constante que les entraves à la libre prestation des services qui découlent de mesures nationales indistinctement applicables ne peuvent être acceptées que si ces mesures sont justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général et si elles respectent le principe de proportionnalité, c'est-à-dire sont aptes à garantir la réalisation de l'objectif qu'elles poursuivent et ne vont pas au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour qu'il soit atteint (voir, en ce sens, notamment, arrêts du 30 novembre 1995, Gebhard, C-55-94, Rec. p. I-4165, point 37, et du 21 octobre 1999, Zenatti, C-67-98, Rec. p. I-7289, point 29).
33 Il y a donc lieu de vérifier si une législation telle que celle en cause au principal constitue une entrave à la libre prestation des services et si, le cas échéant, une telle entrave peut être admise au titre des mesures dérogatoires expressément prévues par le traité ou justifiée conformément à la jurisprudence de la Cour, par des raisons impérieuses d'intérêt général.
34 Il convient de relever, d'une part, que la législation autrichienne en cause au principal non seulement interdit l'utilisation sur le territoire autrichien, par une entreprise qui y est établie, d'un véhicule immatriculé dans un autre État membre au-delà d'un certain délai, mais subordonne en outre la possibilité d'immatriculer ce véhicule en Autriche, afin d'échapper à cette interdiction, au respect de plusieurs conditions qu'elle énumère.
35 Il y a lieu de rappeler, d'autre part, que le litige au principal ne concerne que la situation créée par un contrat de leasing d'une durée de trois ans, qui a été conclu par une société ayant son siège en Autriche avec une société ayant son siège dans un autre État membre et qui concerne un véhicule destiné à être essentiellement utilisé en Autriche. Ne sont donc pas en cause les contrats de location simple conclus pour de courtes périodes, telle la prise en location auprès d'une société établie dans un autre État membre d'un véhicule de remplacement.
36 Dès lors, il y a lieu de considérer que, par sa question, la juridiction de renvoi demande en substance si les dispositions du traité relatives à la libre prestation des services (articles 49 CE à 55 CE) s'opposent à la législation d'un État membre, telle la législation en cause au principal, qui oblige une entreprise établie dans cet État membre, qui prend en leasing un véhicule immatriculé dans un autre État membre, à l'immatriculer dans le premier État membre pour pouvoir l'y utiliser au-delà d'un certain délai. Elle vise également à savoir si les mêmes dispositions du traité s'opposent à la législation d'un État membre, telle la législation en cause au principal, qui oblige une entreprise établie dans cet État membre, qui prend en leasing un véhicule immatriculé dans un autre État membre, à l'immatriculer dans le premier État membre en lui imposant un certain nombre de conditions.
Sur l'obligation d'immatriculation
37 Il est constant que l'obligation d'immatriculer dans l'État membre où ils sont utilisés les véhicules pris en leasing auprès d'une entreprise établie dans un autre État membre a pour effet de rendre plus difficiles les activités de leasing transfrontalières.
38 Partant, il convient d'examiner si la restriction découlant de cette obligation peut être justifiée.
39 À cette fin, il importe de relever que le Gouvernement finlandais a mis l'accent sur le lien existant entre l'obligation d'immatriculation et le paiement des taxes instaurées par la législation de l'État membre sur le territoire duquel le véhicule est utilisé. Il a fait valoir à cet égard que l'immatriculation est nécessaire à la mise en œuvre de la taxation des véhicules, laquelle suit le principe généralement retenu dans la fiscalité indirecte harmonisée, selon lequel les marchandises sont normalement imposées dans l'État membre dans lequel elles sont consommées, ce qui implique en l'occurrence que les véhicules doivent être imposés dans l'État dans lequel ils sont réellement utilisés. Il a ajouté que le contrôle fiscal serait fragilisé s'il ne pouvait être exigé que chaque véhicule imposable en principe au titre de son utilisation sur le territoire de l'État considéré y soit immatriculé.
40 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, à l'exception des véhicules en situation spécifique d'importation temporaire à l'intérieur de la Communauté et des véhicules à moteur destinés exclusivement au transport de marchandises par route et ayant un poids total en charge autorisé égal ou supérieur à douze tonnes, qui ne sont pas en cause dans l'affaire au principal, la taxation des véhicules automobiles n'a pas été harmonisée et diffère considérablement d'un État membre à l'autre. Les États membres sont donc libres d'exercer leur compétence fiscale en ce domaine, à condition de l'exercer dans le respect du droit communautaire. Il leur est loisible de répartir entre eux cette compétence fiscale sur la base de critères tels que le territoire sur lequel un véhicule est réellement utilisé ou la résidence du conducteur, qui sont diverses composantes du principe de territorialité, et de conclure entre eux des accords assurant qu'un véhicule ne fasse l'objet d'une taxation indirecte que dans un des États signataires.
41 À cet égard, l'immatriculation apparaît comme le corollaire naturel de l'exercice de cette compétence fiscale. Elle facilite les contrôles tant pour l'État d'immatriculation que pour les autres États membres pour lesquels l'immatriculation dans un État membre constitue la preuve du paiement dans cet État des taxes sur les véhicules automoteurs.
42 Par conséquent, dans une situation telle que celle au principal, à savoir lorsqu'un véhicule pris en leasing auprès d'une société établie dans un État membre est réellement utilisé sur le réseau routier d'un autre État membre, ce dernier peut prévoir l'obligation pour ce véhicule d'être immatriculé sur son territoire.
43 Au vu des considérations qui précèdent, il n'y a pas lieu d'analyser les autres justifications invoquées par les Gouvernements autrichien, belge, danois et finlandais, ainsi que par la Commission, notamment au titre de l'ordre public et de la sécurité routière.
44 Il convient toutefois d'apprécier si le délai dont dispose l'utilisateur du véhicule pour immatriculer celui-ci en Autriche est susceptible d'être justifié.
45 À cet égard, il suffit, afin de donner à la juridiction de renvoi une réponse utile pour la solution du litige pendant devant elle, d'examiner si le délai de trois jours, applicable aux véhicules introduits en Autriche par une personne morale résidant dans cet État membre, est justifié, ce délai étant le seul en cause dans la situation au principal.
46 Même en l'absence de réglementation communautaire en la matière et dans les cas où, comme dans l'affaire au principal, l'obligation d'immatriculation peut être considérée comme compatible avec les articles 49 CE à 55 CE, les États membres ne peuvent édicter un délai d'une telle brièveté qu'il rend impossible ou excessivement difficile le respect des obligations imposées, eu égard aux formalités qui doivent être accomplies.
47 Dans l'affaire au principal, le délai de trois jours prévu par la législation autrichienne apparaît exagérément court et va manifestement au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi par cette législation. Par conséquent, il constitue, dans cette mesure, une entrave non justifiée à la libre prestation des services, telle que prévue aux articles 49 CE à 55 CE.
Sur l'obligation liée à la résidence ou à l'établissement de l'entreprise de leasing, sauf à accepter l'immatriculation du véhicule au nom du locataire
48 L'article 37, paragraphe 2, du KFG impose à une entreprise de leasing ayant son siège dans un autre État membre, telle ASL, soit d'avoir un établissement principal en Autriche, soit de consentir à autoriser le locataire à immatriculer le véhicule à son nom en Autriche, ce qui limite ses droits en tant que propriétaire du véhicule.
49 Le Gouvernement autrichien soutient qu'il est souvent nécessaire, en cas d'infraction à la circulation routière, d'exiger de la personne au nom de laquelle le véhicule est immatriculé de fournir des informations sur l'identité du conducteur à un moment déterminé. Or, il serait difficile d'obtenir de telles informations si la personne en cause était établie dans un autre État membre.
50 À cet égard, cette obligation apparaît disproportionnée par rapport à l'objectif invoqué par le Gouvernement autrichien.
51 En effet, ainsi que le suggère la Commission, il suffirait, sans faire obstacle à la libre prestation des services de leasing, que le véhicule donné en leasing puisse être immatriculé dans l'État membre sur le territoire duquel il circule, en l'occurrence l'Autriche, au nom de l'entreprise de leasing avec indication des coordonnées du locataire qui, résidant par définition en Autriche, serait responsable, le cas échéant conjointement avec l'entreprise de leasing, du respect de toutes les obligations découlant de l'immatriculation et de l'utilisation du véhicule.
52 Pareille responsabilisation du locataire permettrait d'ailleurs d'atteindre tout autant l'objectif recherché par le Gouvernement autrichien, tel que décrit au point 49 du présent arrêt, si le véhicule restait immatriculé dans l'État membre d'établissement de l'entreprise de leasing.
Sur l'obligation liée à l'assurance
53 Il résulte des articles 37, paragraphe 2, sous b), 59 et 61 du KFG que, pour pouvoir être immatriculé en Autriche, le véhicule donné en leasing à une personne qui est établie en Autriche et qui l'utilise dans cet État doit être assuré auprès d'un assureur autorisé à y exercer son activité.
54 Une telle disposition, en restreignant le libre choix d'un assureur, entrave la liberté des entreprises de leasing automobile établies dans un autre État membre d'offrir leurs services à des clients établis ou résidant en Autriche. Elle peut notamment contraindre des entreprises de leasing automobile liées par des accords préférentiels avec des assureurs établis en dehors de l'Autriche à conclure des contrats moins avantageux.
55 La justification éventuelle de cette restriction doit être appréciée à la lumière des directives communautaires qui régissent la fourniture de services d'assurance, en particulier d'assurance de véhicules automoteurs [voir, en dernier lieu, la directive 2000-26-CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 mai 2000, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs et modifiant les directives 73-239-CEE et 88-357-CEE du Conseil (Quatrième directive sur l'assurance automobile), JO L 181, p. 65], étant entendu que le respect de l'obligation d'assurer tout véhicule utilisé sur la voie publique est contrôlé et garanti par les autorités de l'État membre dans lequel il est immatriculé.
56 Ainsi que la Commission l'a observé, l'appréciation de la légalité, au regard du droit communautaire, de l'obligation liée à l'assurance dépend du sens qu'a, dans la législation nationale en cause au principal, l'expression "assureur agréé". Si, par ces termes, il faut comprendre que l'assureur doit avoir son principal établissement en Autriche et disposer d'un "agrément officiel" dans cet État, en tant qu'État membre d'origine, au sens des directives sur l'assurance non-vie [voir, en particulier, les articles 4 et 5 de la directive 92-49-CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie et modifiant les directives 73-239-CEE et 88-357-CEE (troisième directive "assurance non vie"), JO L 228, p. l], force est de constater que la restriction va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi. Toutefois, tel ne serait pas le cas si l'expression "assureur agréé" signifie que l'assureur doit répondre aux conditions fixées par ces directives pour offrir ses services dans un autre État membre que celui dans lequel il est établi.
Sur l'obligation de contrôle technique
57 Il ressort des termes des articles 37, paragraphe 2, sous h), et 57 a du KFG que l'immatriculation d'un véhicule est subordonnée aux résultats d'une expertise relative à la sécurité routière et fonctionnelle, laquelle doit établir qu'il n'est pas source de nuisances excessives.
58 Dans le cas du leasing automobile transfrontalier, cette disposition impose qu'un véhicule destiné à être donné en leasing en Autriche et qui a déjà satisfait aux contrôles techniques et environnementaux en vigueur dans un autre État membre soit soumis à des contrôles supplémentaires en Autriche. Cette obligation rend moins attrayante la fourniture à partir d'un autre État membre de services de leasing automobile en Autriche et entrave, en conséquence, la libre prestation des services.
59 Il convient en outre de rappeler que, si la sécurité routière constitue une raison impérieuse d'intérêt général susceptible de justifier l'entrave en cause (arrêt du 5 octobre 1994, Van Schaik, C-55-93, Rec. p. I-4837, point 19), les États membres doivent, dans le cadre de la vérification de la sécurité routière et fonctionnelle ainsi que de la qualité écologique des véhicules, respecter les dispositions communautaires pertinentes.
60 À cet égard, il convient d'abord de relever que l'article 3, paragraphe 1, de la directive 96-96-CE du Conseil, du 20 décembre 1996, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au contrôle technique des véhicules à moteur et de leurs remorques (JO 1997, L 46, p. 1), prévoit que les États membres prennent les mesures qu'ils estiment nécessaires pour qu'il puisse être prouvé que le véhicule a passé avec succès un contrôle technique respectant au moins les dispositions de ladite directive. Ces mesures sont communiquées aux autres États membres et à la Commission. L'article 3, paragraphe 2, de la directive 96-96 précise que chaque État membre reconnaît la preuve délivrée dans un autre État membre et établissant qu'un véhicule à moteur immatriculé sur le territoire de ce dernier ainsi que sa remorque ou semi-remorque ont passé avec succès un contrôle technique respectant au moins les dispositions de ladite directive, au même titre que s'il avait lui-même délivré cette preuve.
61 L'article 5 de la directive 96-96 permet toutefois aux États membres d'imposer des contrôles plus larges, plus fréquents ou plus sévères que les contrôles minimaux prévus à l'article 1er, lu en combinaison, notamment, avec l'annexe II de la même directive.
62 Ainsi, lorsqu'un véhicule a été soumis au contrôle technique dans un État membre, le principe d'équivalence et de reconnaissance mutuelle, consacré par l'article 3, paragraphe 2, de la directive 96-96, exige que tous les autres États membres reconnaissent le certificat délivré à cette occasion, sans que cela les empêche d'exiger des tests supplémentaires aux fins de l'immatriculation sur leur territoire, pour autant que ces tests ne sont pas déjà couverts par ledit certificat.
63 Par ailleurs, il résulte de l'arrêt du 12 juin 1986, Schloh (50-85, Rec. p. 1855, points 13 à 16), qui concerne la libre circulation des marchandises, que le fait qu'un véhicule a été utilisé sur la voie publique depuis le dernier contrôle technique peut justifier que, lors de son immatriculation dans un autre État membre, il soit vérifié, à des fins de protection de la santé et de la vie des personnes, qu'il n'a pas été accidenté et qu'il se trouve en bon état d'entretien, à condition qu'un contrôle similaire soit exigé des véhicules d'origine nationale présentés à l'immatriculation dans les mêmes circonstances.
64 Il s'ensuit que, dans une situation telle que celle en cause au principal, lorsqu'un véhicule pris en leasing auprès d'une société établie dans un premier État membre a déjà été soumis au contrôle technique dans cet État membre, les autorités d'un second État membre ne peuvent imposer, à l'occasion de son immatriculation dans cet État, un contrôle supplémentaire qu'aux fins de vérifier que ce véhicule satisfait aux conditions imposées aux véhicules immatriculés dans cet État qui ne sont pas couvertes par les contrôles du premier État membre et/ou que l'état du véhicule ne s'est pas détérioré depuis qu'il a été contrôlé dans le premier État membre, s'il a été entre-temps utilisé sur la voie publique, à condition qu'un contrôle similaire soit imposé lorsqu'un véhicule précédemment contrôlé dans le second État membre est présenté à l'immatriculation dans cet État.
Sur l'obligation liée à la taxe à la consommation
65 ASL fait valoir que, en interdisant l'utilisation de véhicules munis de plaques d'immatriculation étrangères, la république d'Autriche ne cherche pas à sauvegarder des intérêts tenant à la sécurité routière et à la couverture d'assurance, mais poursuit en réalité un but fiscal. La taxe à la consommation serait une augmentation déguisée du taux de TVA, contraire à l'article 12, paragraphe 3, de la sixième directive TVA, qui autorise uniquement un taux normal et deux taux réduits. La taxe à la consommation en cause au principal aurait été introduite en vue de compenser la suppression du taux majoré de 32 % qui s'appliquait jusqu'au 31 décembre 1991, en particulier à la vente et à la location de véhicules automobiles. De surcroît, cette taxe serait un pourcentage de la valeur du véhicule.
66 Selon le Gouvernement autrichien, la taxe litigieuse aurait pour objectif de garantir un comportement respectueux de l'environnement dans le cadre de l'achat ou de la prise en leasing de voitures particulières. Le taux de la taxe étant fixé en fonction de la consommation du véhicule, l'achat ou la prise en leasing d'un véhicule ayant une consommation élevée entraînerait une taxation plus élevée que l'achat ou la prise en leasing d'un véhicule ayant une faible consommation.
67 Pour la Commission, l'article 49 CE s'oppose au prélèvement d'une telle taxe si elle est perçue dans son intégralité. À l'instar d'ASL, elle souligne que la taxe en cause est perçue au même taux quelle que soit la durée d'utilisation ou d'immatriculation du véhicule en Autriche, alors que l'amortissement de la taxe pour une entreprise de leasing automobile varie beaucoup en fonction de cette durée. Dès lors, un régime au prorata, c'est-à-dire une fixation du montant de la taxe en fonction de la durée effective du contrat de leasing, conviendrait mieux au regard du principe de proportionnalité.
68 À cet égard, on ne saurait mettre en doute qu'une taxe à la consommation telle que celle en cause au principal puisse avoir pour finalité d'intérêt général de décourager l'achat ou la possession de véhicules à forte consommation de carburant.
69 Toutefois, une telle taxe est contraire au principe de proportionnalité dans la mesure où l'objectif qu'elle poursuit pourrait être atteint par l'instauration d'une taxe proportionnelle à la durée de l'immatriculation du véhicule dans l'État où il est utilisé, ce qui permettrait de ne pas opérer de discrimination quant à l'amortissement de la taxe au détriment des entreprises de leasing automobile établies dans d'autres États membres.
70 Par ailleurs, la relation entre ladite taxe et la sixième directive TVA n'a aucune incidence sur la question de la compatibilité de la législation autrichienne avec les dispositions communautaires relatives à la libre prestation des services.
71 Au vu de ce qui précède, il convient de répondre à la question posée par le Handelsgericht Wien que les dispositions du traité relatives à la libre prestation des services (articles 49 CE à 55 CE) s'opposent à la législation d'un État membre, telle la législation en cause au principal, qui oblige une entreprise établie dans cet État membre, qui prend en leasing un véhicule immatriculé dans un autre État membre, à l'immatriculer dans le premier État membre pour pouvoir l'y utiliser au-delà d'un délai d'une telle brièveté, en l'occurrence un délai de trois jours, qu'il rend impossible ou excessivement difficile le respect des obligations imposées. Les mêmes dispositions du traité s'opposent à la législation d'un État membre, telle la législation en cause au principal, qui oblige une entreprise établie dans cet État membre, qui prend en leasing un véhicule immatriculé dans un autre État membre, à l'immatriculer dans le premier État membre en lui imposant une ou plusieurs des conditions suivantes:
- l'obligation de résidence ou d'établissement dans l'État membre d'utilisation pour la personne au nom de laquelle le véhicule y est immatriculé, en tant qu'elle contraint l'entreprise de leasing soit à avoir un établissement principal dans ledit État membre, soit à accepter l'immatriculation du véhicule sous le nom du locataire et la limitation de ses droits sur le véhicule en découlant;
- l'obligation d'assurance du véhicule auprès d'un assureur agréé dans l'État membre d'utilisation, dans l'hypothèse où cette obligation implique que l'assureur doit avoir son principal établissement dans cet État membre, en tant qu'État d'origine au sens des directives sur l'assurance non-vie, et y disposer d'un "agrément officiel";
- l'obligation de contrôle technique, lorsque le véhicule a déjà fait l'objet d'un contrôle technique dans l'État membre d'établissement de la société de leasing, sauf si cette obligation vise à vérifier que le véhicule satisfait aux conditions imposées aux véhicules immatriculés dans l'État membre d'utilisation qui ne sont pas couvertes par les contrôles effectués dans l'État membre d'établissement de la société de leasing et/ou que l'état du véhicule ne s'est pas détérioré depuis qu'il a été contrôlé dans ce dernier État membre, s'il a été entre-temps utilisé sur la voie publique, à condition qu'un contrôle similaire soit imposé lorsqu'un véhicule précédemment contrôlé dans l'État membre d'utilisation est présenté à l'immatriculation dans cet État;
- l'acquittement, dans l'État membre d'utilisation, d'une taxe à la consommation dont le montant n'est pas proportionnel à la durée de l'immatriculation du véhicule dans ledit État.
Sur les dépens
72 Les frais exposés par les Gouvernements autrichien, belge, danois et finlandais, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre),
Statuant sur la question à elle soumise par le Handelsgericht Wien, par ordonnance du 10 novembre 1999, dit pour droit:
Les dispositions du traité CE relatives à la libre prestation des services (articles 49 CE à 55 CE) s'opposent à la législation d'un État membre, telle la législation en cause au principal, qui oblige une entreprise établie dans cet État membre, qui prend en leasing un véhicule immatriculé dans un autre État membre, à l'immatriculer dans le premier État membre pour pouvoir l'y utiliser au-delà d'un délai d'une telle brièveté, en l'occurrence un délai de trois jours, qu'il rend impossible ou excessivement difficile le respect des obligations imposées. Les mêmes dispositions du traité s'opposent à la législation d'un État membre, telle la législation en cause au principal, qui oblige une entreprise établie dans cet État membre, qui prend en leasing un véhicule immatriculé dans un autre État membre, à l'immatriculer dans le premier État membre en lui imposant une ou plusieurs des conditions suivantes:
- l'obligation de résidence ou d'établissement dans l'État membre d'utilisation pour la personne au nom de laquelle le véhicule y est immatriculé, en tant qu'elle contraint l'entreprise de leasing soit à avoir un établissement principal dans ledit État membre, soit à accepter l'immatriculation du véhicule sous le nom du locataire et la limitation de ses droits sur le véhicule en découlant;
- l'obligation d'assurance du véhicule auprès d'un assureur agréé dans l'État membre d'utilisation, dans l'hypothèse où cette obligation implique que l'assureur doit avoir son principal établissement dans cet État membre, en tant qu'État d'origine au sens des directives sur l'assurance non-vie, et y disposer d'un "agrément officiel";
- l'obligation de contrôle technique, lorsque le véhicule a déjà fait l'objet d'un contrôle technique dans l'État membre d'établissement de la société de leasing, sauf si cette obligation vise à vérifier que le véhicule satisfait aux conditions imposées aux véhicules immatriculés dans l'État membre d'utilisation qui ne sont pas couvertes par les contrôles effectués dans l'État membre d'établissement de la société de leasing et/ou que l'état du véhicule ne s'est pas détérioré depuis qu'il a été contrôlé dans ce dernier État membre, s'il a été entre-temps utilisé sur la voie publique, à condition qu'un contrôle similaire soit imposé lorsqu'un véhicule précédemment contrôlé dans l'État membre d'utilisation est présenté à l'immatriculation dans cet État;
- l'acquittement, dans l'État membre d'utilisation, d'une taxe à la consommation dont le montant n'est pas proportionnel à la durée de l'immatriculation du véhicule dans ledit État.