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Décisions

CJCE, 26 février 1975, n° 67-74

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Bonsignore

Défendeur :

Oberstadtdirektor der Stadt Köln

CJCE n° 67-74

26 février 1975

LA COUR,

1. Attendu que, par ordonnance du 30 juillet 1974, parvenue au greffe de la Cour le 14 septembre suivant, le Tribunal administratif de Cologne a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, deux questions relatives à l'interprétation de l'article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive du Conseil n° 64-221, du 25 février 1964, pour la coordination des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique (JO, p. 850) ;

2. Que ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un recours intenté par un ressortissant italien, demeurant dans la République fédérale d'Allemagne, à l'encontre d'une décision d'expulsion prise à son égard, par l'autorité compétente en matière de police des étrangers, à la suite d'une condamnation encourue par lui pour infraction à la loi sur les armes et homicide par imprudence ;

Qu'il résulte de l'ordonnance de renvoi que le requérant au principal, entré illégalement en possession d'une arme à feu, avait, par suite d'une manipulation imprudente de celle-ci, causé accidentellement la mort de son frère ;

Que, de ce fait, la juridiction répressive compétente l'a condamné à une amende pour infraction à la législation sur les armes ;

Qu'elle a également retenu sa culpabilité en ce qui concerne l'homicide par imprudence, sans cependant lui infliger de ce chef une sanction quelconque, estimant qu'une peine aurait été dénuée de sens en raison des circonstances, compte tenu notamment de la souffrance morale résultant, pour l'auteur, des conséquences de son imprudence ;

3. Que postérieurement à la condamnation pénale, l'autorité compétente en matière de police des étrangers a ordonné l'expulsion de l'intéressé sur base de la loi sur les étrangers, du 28 avril 1965 (Bundesgesetzblatt, teil I, p. 353), en connexion avec la loi relative à l'entrée et au séjour de ressortissants des Etats membres de la Communauté économique européenne, du 22 juillet 1969 (Bundesgesetzblatt, teil I, p. 927), prise pour l'application, dans la République fédérale d'Allemagne, de la directive n° 64-221 ;

4. Que, saisi du recours contre cette décision, le Tribunal administratif a estimé qu'en raison des circonstances particulières de l'espèce, l'expulsion ne saurait être justifiée par des motifs de " prévention spéciale " fondés sur les faits qui avaient donné lieu à la condamnation pénale ou sur le comportement, actuel et prévisible, du requérant au principal ;

Que, selon le tribunal, la seule raison pouvant éventuellement justifier la mesure prise pourrait consister dans des motifs de " prévention générale ", mis en avant tant par l'autorité compétente en matière de police des étrangers que par le Ministère public, et tirés de l'effet de dissuasion que devrait avoir, dans les milieux d'immigrés, en présence d'une recrudescence de la violence dans les grands centres urbains, l'expulsion d'un étranger trouvé en possession illégale d'une arme ;

Que le tribunal administratif, appelé à faire application de dispositions législatives - notamment du paragraphe 12 de la loi du 22 juillet 1969 - prises pour l'exécution d'une directive de la Communauté, estime nécessaire d'obtenir de la Cour une interprétation des dispositions correspondantes de cette directive, en vue d'assurer à la loi nationale une application conforme aux exigences du droit communautaire ;

Que, dans ces conditions, le tribunal administratif a soumis à la Cour deux questions ainsi libellées :

L'article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive du Conseil n° 64-221, du 25 février 1964, pour la coordination des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique doit-il être interprété en ce sens qu'il fait obstacle à l'expulsion d'un ressortissant d'un Etat membre de la CEE par les autorités nationales d'un autre Etat membre décidée en vue de dissuader d'autres étrangers de commettre un délit identique ou semblable à celui qui est reproché à l'expulsé ou d'autres infractions contre la sécurité et l'ordre publics, c'est-à-dire motivée par des raisons de prévention générale ?

Cette même disposition signifie-t-elle qu'un ressortissant d'un Etat membre de la CEE ne peut être expulsé que s'il existe des indices probants permettant de penser que cet étranger, ressortissant d'un Etat membre de la Communauté, condamné du chef d'un délit, commettra une nouvelle infraction ou qu'il portera atteinte, d'une autre manière, à la sécurité et à l'ordre publics d'un Etat membre de la CEE, c'est-à-dire pour des raisons de prévention spéciale ?

5. Attendu qu'aux termes de l'article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive n° 64-221, " les mesures d'ordre public ou de sécurité publique doivent être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l'individu qui en fait l'objet " et que " la seule existence de condamnations pénales ne peut automatiquement motiver ces mesures " ;

Que ces dispositions doivent être interprétées à la lumière des objectifs de la directive, qui vise notamment à coordonner les mesures justifiées par la sauvegarde de l'ordre public et de la sécurité publique envisagée par les articles 48 et 56 du traité, afin de concilier l'application de ces mesures avec le principe fondamental de la libre circulation des personnes dans la Communauté et l'élimination de toute discrimination, dans le domaine d'application du traité, entre les nationaux et les ressortissants des autres Etats membres ;

6. Que, dans cette perspective, l'article 3 de la directive fait reconnaître que ne sauraient être retenues, à l'égard des ressortissants des Etats membres de la Communauté, en ce qui concerne les mesures visant à la sauvegarde de l'ordre public et de la sécurité publique, des justifications détachées du cas individuel, ainsi qu'il ressort notamment de l'exigence formulée par le paragraphe 1, aux termes duquel c'est " exclusivement " le " comportement personnel " de ceux qui en font l'objet qui doit être déterminant ;

Que, les dérogations aux règles relatives à la libre circulation des personnes constituant des exceptions à interpréter strictement, la notion de " comportement personnel " exprime l'exigence qu'une mesure d'expulsion ne peut viser que des menaces à l'ordre public et à la sécurité publique qui pourraient être le fait de l'individu qui en est l'objet ;

7. Qu'il y a donc lieu de répondre aux questions posées que l'article 3, paragraphe 1 et 2, de la directive n° 64-221 fait obstacle à l'expulsion d'un ressortissant d'un Etat membre si cette expulsion est décidée dans un but de dissuasion à l'égard d'autres étrangers, c'est-à-dire si elle est fondée, selon les termes de la juridiction nationale, sur des motifs de " prévention générale " ;

8. Attendu que les frais exposés par le Gouvernement de la République italienne et la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement ;

Que la procédure revêtant à l'égard des parties au principal le caractère d'un incident soulevé au cours du litige pendant devant le Tribunal administratif de Cologne, il appartient à celui-ci de statuer sur les dépens ;

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunal administratif de Cologne par ordonnance du 30 juillet 1974,

Dit pour droit :

L'article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive du Conseil n° 64-221, du 25 février 1964, pour la coordination des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique, fait obstacle à l'expulsion d'un ressortissant d'un Etat membre si celle-ci est décidée dans un but de dissuasion à l'égard d'autres étrangers.