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Décisions

CJCE, 6e ch., 17 juillet 1997, n° C-190/95

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

ARO Lease BV

Défendeur :

Inspecteur van de Belastingdienst Grote Ondernemingen te Amsterdam

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mancini

Avocat général :

M. Fennelly.

Juges :

MM. Murray, Kakouris, Kapteyn, Hirsch

CJCE n° C-190/95

17 juillet 1997

LA COUR,

1 Par ordonnance du 7 juin 1995, parvenue à la Cour le 19 juin suivant, le Gerechtshof te Amsterdam a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 9, paragraphe 1, de la sixième directive 77-388-CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la "sixième directive").

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant la société ARO Lease BV (ci-après "ARO"), établie à Bois-le-Duc (Pays-Bas), aux autorités fiscales néerlandaises à propos du paiement de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la "TVA") au titre de prestations qu'elle a effectuées en Belgique.

3 Il ressort du dossier de l'affaire au principal que ARO est une société de leasing, qui a pour activité principale de donner en location, en sa qualité de bailleur, des voitures particulières à ses clients en vertu de contrats de crédit-bail (leasing). 6 000 voitures particulières environ aux Pays-Bas et 800 environ en Belgique ont fait l'objet de ce type de contrats pendant la période pertinente. De ces derniers, 90 % ont été conclus avec des entreprises et le reste avec des particuliers. Les contrats litigieux ont été conclus pour une période de trois à quatre ans et ont été établis dans les bureaux de ARO à Bois-le-Duc. ARO ne dispose pas de bureau en Belgique.

4 Les clients de ARO en Belgique prennent contact avec elle par des intermédiaires indépendants établis dans cet État, qui perçoivent en contrepartie une commission. Les clients belges recherchent en général eux-mêmes la voiture de leur choix auprès d'un concessionnaire établi en Belgique. Ce dernier délivre ensuite la voiture à ARO qui en acquitte le prix. ARO loue alors la voiture au client en vertu d'un contrat de leasing. Les voitures sont immatriculées en Belgique. Les intermédiaires en Belgique n'interviennent pas dans l'exécution des contrats. Ceux-ci prévoient notamment que l'entretien de la voiture ainsi que la taxe de circulation due en Belgique sont à la charge du client. Les réparations et l'assistance résultant de dommages causés à la voiture sont en revanche à la charge de ARO qui a conclu une assurance couvrant ces risques en sa qualité de propriétaire de la voiture.

5 À la fin de la période convenue du leasing, ARO indique au client le prix auquel la voiture peut lui être vendue. Si la vente du véhicule n'est pas immédiatement possible, il est temporairement entreposé, pour le compte et aux risques de ARO, chez un négociant en Belgique, dans la mesure où ARO ne dispose d'aucun lieu d'entreposage en Belgique.

6 S'agissant de la TVA due en vertu de la location de voitures particulières en Belgique dans le cadre de contrats de leasing, ARO l'a toujours acquittée aux Pays-Bas, en vertu de l'article 6, paragraphe 1, de la loi néerlandaise de 1968 sur le chiffres d'affaires, portant transposition de l'article 9, paragraphe 1, de la sixième directive. Cette dernière disposition prévoit:

"Le lieu d'une prestation de services est réputé se situer à l'endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable à partir duquel la prestation de services est rendue ou, à défaut d'un tel siège ou d'un tel établissement stable, au lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle."

7 L'administration fiscale belge estime toutefois que, depuis le mois de janvier 1993, la seule présence en Belgique d'un parc de voitures qui sont la propriété de ARO a pour conséquence que cette dernière dispose d'un établissement stable en Belgique à partir duquel elle loue des voitures dans le cadre de contrats de leasing. ARO serait donc redevable, en ce qui concerne les services litigieux, de la TVA en Belgique, ce qu'elle ne conteste d'ailleurs pas. En revanche, l'administration fiscale néerlandaise considère que le lieu de la prestation est situé aux Pays-Bas en vertu de l'article 9, paragraphe 1, de la sixième directive, car ARO, ne disposant en Belgique ni de personnel ni de moyens techniques pour conclure les contrats de leasing, n'y dispose pas d'un établissement stable.

8 Le litige entre ARO et l'administration fiscale néerlandaise porte sur la TVA, d'un montant de 389 753 HFL, qu'elle a acquittée pour le mois de novembre 1993 et dont ARO a demandé le remboursement.

9 Le Gerechtshof te Amsterdam, saisi du litige, considère que le lieu des prestations de services litigieuses est déterminé par la règle énoncée à l'article 9, paragraphe 1, de la sixième directive. Cette juridiction se demande si les prestations de services en cause sont effectuées à partir d'un établissement stable en Belgique, au sens de cette disposition. Ayant des doutes quant à l'interprétation de l'article 9, paragraphe 1, de la sixième directive, le Gerechtshof te Amsterdam a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

"L'article 9, paragraphe 1, de la sixième directive 77-388-CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, doit-il être interprété en ce sens qu'un assujetti qui est établi aux Pays-Bas et qui, en tant que tel, met à la disposition de tiers, en vertu de contrats de leasing opérationnel, 6 800 voitures particulières environ, dont quelque 800 sont achetées et mises à disposition en Belgique de la façon et dans les circonstances exposées" dans l'ordonnance de renvoi, "effectue ces dernières prestations de services à partir d'un établissement stable établi en Belgique?"

10 Par cette question, la juridiction nationale demande en substance si l'article 9, paragraphe 1, de la sixième directive doit être interprété en ce sens qu'une société de leasing, établie dans un État membre, effectue ses prestations de services à partir d'un établissement stable situé dans un autre État membre lorsque, dans ce dernier État, elle loue à des clients y établis des voitures particulières en vertu de contrats de leasing, que ses clients ont pris contact avec elle par des intermédiaires indépendants établis dans ce même État, qu'ils ont eux-mêmes recherché les voitures de leur choix auprès de concessionnaires établis dans cet État, qu'elle a acquis les voitures dans cet État dans lequel elles sont immatriculées et les a louées à ses clients par des contrats de leasing établis et signés à son siège, que les clients supportent les frais d'entretien et paient dans cet État la taxe de circulation, mais qu'elle n'y dispose ni de bureau ni de lieu d'entreposage des voitures.

11 Il y a lieu de constater à titre liminaire que la location de véhicules en leasing constitue une prestation de services au sens de l'article 9 de la sixième directive.

12 Aux fins de la réponse à la question posée, il convient d'abord de relever que, conformément au quatrième considérant de la dixième directive 84-386-CEE du Conseil, du 31 juillet 1984, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, modifiant la directive 77-388-CEE - Application de la taxe sur la valeur ajoutée aux locations de biens meubles corporels (JO L 208, p. 58, ci-après la "dixième directive"), "... en ce qui concerne la location de moyens de transport, il convient, pour des raisons de contrôle, d'appliquer strictement ledit article 9, paragraphe 1, en localisant ces prestations de service au lieu du prestataire".

13 Ainsi, il résulte de l'article 9, paragraphe 2, sous e), de la sixième directive, tel que modifié par la dixième directive, que "tout moyen de transport" est expressément exclu de la règle dérogatoire selon laquelle, pour ce qui est de la "location de biens meubles corporels", le lieu des prestations de services est "l'endroit où le preneur a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable...". Les moyens de transport sont donc régis par la règle générale figurant à l'article 9, paragraphe 1, de la sixième directive.

14 Par ailleurs, la Cour a relevé à cet égard que, étant donné que les moyens de transport peuvent franchir facilement les frontières, il est difficile, sinon impossible, de déterminer le lieu de leur utilisation, et qu'il est ainsi nécessaire de prévoir dans chaque cas un critère praticable pour la perception de la TVA. En conséquence, la sixième directive a consacré, pour la location de tous les moyens de transport, le rattachement non pas au lieu de l'utilisation du bien donné en location, mais, pour des raisons de simplification et conformément au principe général, à l'endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique (arrêt du 15 mars 1989, Hamann, 51-88, Rec. p. 767, points 17 et 18).

15 Il y a lieu de rappeler ensuite que, pour ce qui est de la règle générale de l'article 9, paragraphe 1, de la sixième directive, la Cour a jugé que l'endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique apparaît comme un point de rattachement prioritaire, en ce sens que la prise en considération d'un autre établissement à partir duquel la prestation de services est rendue ne présente un intérêt que dans le cas où le rattachement au siège ne conduit pas à une solution rationnelle du point de vue fiscal ou crée un conflit avec un autre État membre. Il résulte du contexte des notions utilisées par l'article 9 et du but de cette disposition que le rattachement d'une prestation de services à un établissement autre que le siège n'entre en ligne de compte que si cet établissement présente une consistance minimale, par la réunion permanente des moyens humains et techniques nécessaires à des prestations de services déterminées (arrêt du 4 juillet 1985, Berkholz, 168-84, Rec. p. 2251, points 17 et 18).

16 Par conséquent, pour qu'un établissement puisse utilement être considéré, par dérogation au critère prioritaire du siège, comme lieu des prestations de services d'un assujetti, il est nécessaire qu'il présente un degré suffisant de permanence et une structure apte, du point de vue de l'équipement humain et technique, à rendre possibles, de manière autonome, les prestations de services considérées.

17 Dans ces conditions, il convient d'examiner si les éléments factuels exposés par la juridiction de renvoi sont suffisants pour pouvoir considérer qu'une société de leasing dispose, dans un État membre, d'un établissement stable.

18 Il convient de relever à cet égard que les prestations de services de location de véhicules en leasing consistent principalement en la négociation, l'établissement, la signature et la gestion des contrats et en la mise à la disposition matérielle des clients des véhicules convenus, lesquels restent la propriété de la société de leasing.

19 Par conséquent, lorsqu'une société de leasing ne dispose dans un État membre ni de personnel propre ni d'une structure présentant un degré suffisant de permanence, dans le cadre de laquelle des contrats puissent être établis ou des décisions administratives de gestion puissent être prises, structure qui soit donc apte à rendre possibles, de manière autonome, les prestations de services en question, elle ne peut être considérée comme disposant d'un établissement stable dans cet État.

20 Par ailleurs, il ressort tant de la lettre que de la finalité de l'article 9, paragraphes 1 et 2, sous e), de la sixième directive ainsi que de l'arrêt Hamann, précité, que la mise à la disposition matérielle des clients de véhicules dans le cadre de contrats de leasing, pas plus que le lieu d'utilisation de ceux-ci, ne saurait être considérée comme un critère sûr, simple et praticable, répondant à l'esprit de la sixième directive, qui puisse fonder l'existence d'un établissement stable.

21 Cette conclusion ne saurait être infirmée par l'existence d'autres éléments et opérations, tels que ceux accomplis en Belgique, subsidiaires et complémentaires des prestations de services de leasing. En effet, le fait que les clients recherchent eux-mêmes les véhicules de leur choix auprès de concessionnaires belges n'a aucun lien avec l'établissement du prestataire de services. Les intermédiaires indépendants qui mettent en contact les clients intéressés avec ARO ne sauraient être considérés comme des moyens humains permanents, au sens de la jurisprudence précitée. Enfin, la circonstance que les véhicules au principal sont immatriculés en Belgique, où est également due la taxe de circulation de ceux-ci, est liée au lieu de leur utilisation, élément qui, conformément à la jurisprudence précitée, n'est pas pertinent aux fins de l'application de la règle de l'article 9, paragraphe 1, de la sixième directive.

22 Par conséquent, il ne peut pas être considéré que, dans des circonstances telles que celles de l'affaire au principal, les prestations de services sont effectuées à partir d'un établissement stable.

23 La Commission ainsi que le gouvernement danois font toutefois valoir que, aux fins de l'application, aux moyens de transport, de l'article 9, paragraphe 1, de la sixième directive, il convient de tenir compte de la réalité économique et de considérer comme lieu des prestations l'endroit de l'exercice effectif de l'activité économique considérée.

24 Il y a lieu de souligner à cet égard que l'idée de l'exercice effectif d'une activité économique a été présente dans l'esprit du législateur communautaire, ainsi qu'il ressort de l'économie de l'article 9 de la sixième directive et est indiqué par la règle de l'article 9, paragraphe 2, sous c), de celle-ci, qui s'écarte du principe général de l'article 9, paragraphe 1, selon laquelle le lieu des prestations de certains services est l'endroit où ces prestations sont matériellement exécutées.

25 Cette idée a été également présente lors de la formulation actuelle de la règle générale contenue dans l'article 9, paragraphe 1, ainsi que des dispositions particulières et expresses concernant les moyens de transport, ci-dessus exposées.

26 Par conséquent, l'interprétation soutenue par la Commission et par le gouvernement danois irait à l'encontre de la volonté du législateur qui, en matière de moyens de transport, a opté, en tenant compte de la réalité économique, pour l'introduction, dans le principe général de l'article 9, paragraphe 1, d'un critère sûr, simple et praticable, à savoir celui du siège de l'activité économique ou d'un établissement stable.

27 Sur la base des considérations qui précèdent, il y a donc lieu de répondre à la question posée que l'article 9, paragraphe 1, de la sixième directive doit être interprété en ce sens qu'une société de leasing, établie dans un État membre, n'effectue pas ses prestations de services à partir d'un établissement stable situé dans un autre État membre lorsque, dans ce dernier État, elle loue à des clients y établis des voitures particulières en vertu de contrats de leasing, que ses clients ont pris contact avec elle par des intermédiaires indépendants établis dans ce même État, qu'ils ont eux-mêmes recherché les voitures de leur choix auprès de concessionnaires établis dans cet État, qu'elle a acquis les voitures dans cet État dans lequel elles sont immatriculées et les a louées à ses clients par des contrats de leasing établis et signés à son siège, que les clients supportent les frais d'entretien et paient dans cet État la taxe de circulation, mais qu'elle n'y dispose ni de bureau ni de lieu d'entreposage des voitures.

Sur les dépens :

28 Les frais exposés par les gouvernements néerlandais, belge, danois, allemand et français, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

(sixième chambre),

statuant sur la question à elle soumise par le Gerechtshof te Amsterdam, par ordonnance du 7 juin 1995, dit pour droit:

L'article 9, paragraphe 1, de la sixième directive 77-388-CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, doit être interprété en ce sens qu'une société de leasing, établie dans un État membre, n'effectue pas ses prestations de services à partir d'un établissement stable situé dans un autre État membre lorsque, dans ce dernier État, elle loue à des clients y établis des voitures particulières en vertu de contrats de leasing, que ses clients ont pris contact avec elle par des intermédiaires indépendants établis dans ce même État, qu'ils ont eux-mêmes recherché les voitures de leur choix auprès de concessionnaires établis dans cet État, qu'elle a acquis les voitures dans cet État dans lequel elles sont immatriculées et les a louées à ses clients par des contrats de leasing établis et signés à son siège, que les clients supportent les frais d'entretien et paient dans cet État la taxe de circulation, mais qu'elle n'y dispose ni de bureau ni de lieu d'entreposage des voitures.