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CCE, 25 novembre 1981, n° 82-124

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Telos

CCE n° 82-124

25 novembre 1981

LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, et notamment son article 85, vu le règlement n° 17 du Conseil du 6 février 1962 (1), et notamment son article 15 paragraphe 1 sous b), vu la lettre de la Commission du 21 novembre 1979 à Telos SA relative à une demande formelle de renseignements au titre de l'article 11 paragraphe 3 du règlement no 17 et la réponse de Telos SA du 7 février 1980, vu la décision d'ouverture de la procédure de la Commission du 18 novembre 1980, après avoir entendu l'entreprise intéressée conformément aux dispositions de l'article 19 du règlement n° 17 et à celles du règlement n° 99-63-CEE de la Commission (2), vu l'avis du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes recueilli, conformément à l'article 10 du règlement n° 17, le 17 juin 1981, considérant ce qui suit:

I. Les faits

1. Telos SA (ci-après dénommée Telos) est depuis janvier 1972 concessionnaire exclusif pour la France des appareils photographiques et accessoires fabriqués par l'entreprise Victor Hasselblad AB à Goeteborg, Suède (ci-après dénommée Victor Hasselblad).

2. Le 6 juillet 1978, le revendeur de matériel photographique Camera Care Limited (ci-après dénommé Camera Care), ayant son siège à Belfast (Irlande du Nord), a porté plainte auprès de la Commission, conformément à l'article 3 du règlement n° 17, contre Victor Hasselblad et son concessionnaire exclusif pour le Royaume-Uni, l'entreprise Hasselblad (GB) Limited [ci-après dénommée Hasselblad (GB)].

3. Sur la base des faits révélés dans la plainte de Camera Care, la Commission a pu établir que Victor Hasselblad, de concert avec Hasselblad (GB), a empêché que des exportations aient lieu vers le Royaume-Uni à partir d'autres États membres de la Communauté économique européenne, en particulier de France, en 1978.

4. Afin de pouvoir examiner cette affaire en pleine connaissance de cause, la Commission a adressé à Telos le 21 novembre 1979 une demande formelle de renseignements au titre de l'article 11 du règlement n° 17.

5. La demande de renseignements précisait que la Commission agissait à la suite d'une plainte déposée par Camera Care contre Victor Hasselblad et Hasselblad (GB), et que le comportement de ce dernier était susceptible de constituer une infraction aux règles de concurrence du traité CEE.

6. La question suivante y est notamment posée:

". . .

3. Vous avez écrit à Camera Care Ltd (lettre du 11 septembre 1978) ce qui suit: "Le contrat que nous avons conclu avec Hasselblad Suède nous oblige à confirmer que nous ne pouvons pas commercer avec vous (1)."

De quelle clause résulte cette obligation et qui vous a interdit d'exporter des caméras de Hasselblad vers la Grande-Bretagne? "

7. Telos a envoyé le 7 février 1980 une lettre rédigée en allemand à la Commission qui contient le passage suivant:

" . . .

3. Nous n'avons aucun arrangement contractuel de quelque nature que ce soit qui nous interdit d'exporter du matériel à destination de clients dans la Communauté économique européenne ou dans d'autres pays. En principe, nous ne faisons pas de distinction entre clients français et clients étrangers, aussi longtemps que nos factures sont payées (2).

. . . "

D'autre part, Telos a expliqué qu'elle n'a rompu ses relations avec Camera Care que

" parce que Camera Care, contrairement à ce qui avait été convenu, n'a pas vendu le matériel livré dans des pays arabes, mais en Grande-Bretagne, et parce qu'elle voulait en plus que des pièces de rechange lui soient livrées . . . " (3).

La référence au contrat avec Victor Hasselblad a été seulement un prétexte pour mettre fin aux relations commerciales.

8. Au cours d'une vérification effectuée le 30 juin 1980 chez Telos et Hasselblad (GB) au titre de l'article 14 du règlement n° 17, les agents de la Commission ont trouvé des documents qui révèlent ce qui suit:

9. Le 18 juin 1974, Victor Hasselblad avait envoyé une lettre à Telos, dans laquelle il se plaint de manière générale des " importations pirates " en provenance de France. Il indiquait que, pour sa part, il faisait le maximum pour protéger les territoires de vente des concessionnaires exclusifs contre de telles importations. Il invitait Telos à rechercher les revendeurs qui effectuent ces exportations et à lui faire part de ses remarques.

10. Par lettre du 8 juillet 1974 adressée à Victor Hasselblad, Telos lui promet de surveiller ces " importations pirates ".

11. Le 5 juillet 1978, Hasselblad (GB) a téléphoné à Telos pour lui faire savoir que Camera Care a vendu sur le marché anglais une lentille Hasselblad que Victor Hasselblad avait livrée à Telos en avril 1978. En outre, il lui a fait part des problèmes que lui posent les importations parallèles en général. Telos s'est déclaré disposée à examiner cette affaire et à fournir à Hasselblad (GB) toute information utile à la découverte du revendeur qui a exporté la lentille.

12. À ce moment, Hasselblad (GB), de toute évidence, ignorait encore que Telos avait vendu cette lentille à Camera Care, et supposait qu'un détaillant français en était le fournisseur. C'est pourquoi il n'a pas interdit directement à Telos d'exporter, mais la priait simplement de s'occuper de l'affaire. Pourtant, Telos savait bien qu'elle était elle-même le fournisseur de cette lentille et que Hasselblad (GB) voulait en fait interdire les importations parallèles de tous produits Hasselblad.

13. Dans sa lettre du 6 septembre 1978 à Telos, Hasselblad (GB) a demandé une nouvelle fois de lui fournir tout renseignement sur l'exportation à destination de Camera Care qui aurait été effectuée par un détaillant approvisionné par Telos. Cette lettre montre, elle aussi, que Hasselblad (GB) entendait empêcher toute exportation parallèle à destination de son territoire contractuel.

14. Une lettre de Telos à Camera Care, du 11 septembre 1978, est conforme totalement aux demandes de Victor Hasselblad et Hasselblad (GB). Elle contient le passage suivant

" Nous avons reçu une lettre de Hasselblad (GB) nous informant qu'ils ont découvert que la lentille trouvée en Angleterre a été vendue par vous à un de ses clients. Vous devez bien réaliser que cette situation est totalement votre fait et intolérable (4). "

15. Le 24 novembre 1978, Victor Hasselblad, après concertation avec Hasselblad (GB), se met en rapport avec Telos à propos des exportations vers le Royaume-Uni, puisque, l'erreur étant dissipée, il est clair désormais que ce n'est pas un détaillant français mais Telos elle-même qui a livré à Camera Care. Une lettre que Victor Hasselblad adresse le 24 novembre 1978 à Hasselblad (GB) rend compte de son intervention à l'égard de Telos. Il a indiqué, en particulier, qu'il vient de se mettre en contact par téléphone avec Telos au sujet des exportations vers la Grande-Bretagne. Telos lui a dit qu'elle avait écrit à Camera Care pour l'inviter à ne plus entrer dans ses bureaux, puisqu'elle n'est pas en mesure de vendre à des revendeurs étrangers. Telos aurait aussi donné des instructions en ce sens à ses employés.

II. Appréciation juridique

16. Aux termes de l'article 15 paragraphe 1 sous b) du règlement n° 17, la Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises des amendes de cent à cinq mille Écus lorsque, de propos délibéré ou par négligence, elles fournissent un renseignement inexact en réponse à une demande faite en application de l'article 11.

17. En cas de renseignements inexacts, il est - contrairement aux allégations de Telos - sans importance, pour l'application de l'article 15 paragraphe 1 sous b), de savoir s'ils ont été donnés à la suite d'une " simple " demande de renseignements au titre de l'article 11 paragraphe 1 ou d'une demande faite par voie de décision au sens de l'article 11 paragraphe 5.

18. Telos a fourni à la Commission une réponse inexacte à la deuxième partie de la question (" . . . qui vous a interdit . . . ") en disant qu'il n'y a aucun arrangement qui lui interdise d'exporter et qu'elle ne fait pas de distinction entre clients français et clients étrangers. La réponse de Telos fait croire à la Commission qu'aucune mesure quelle qu'elle soit n'a été imposée par Victor Hasselblad et/ou par Hasselblad (GB) à Telos pour qu'elle mette fin à ses exportations vers la Grande Bretagne et que Telos aurait été totalement libre dans ses ventes à Camera Care, de même qu'au moment où elle a rompu ses relations d'affaires avec elle.

19. Telos était toujours tenue par l'obligation prononcée en 1974 par Victor Hasselblad de protéger les marchés des concessionnaires exclusifs contre les importations parallèles. Cette obligation adressée à Telos est assimilable à une interdiction d'exporter. Telos s'est d'ailleurs conformée à cette interdiction en assortissant ses ventes de produits Hasselblad à Camera Care d'une obligation de ne pas vendre le matériel en question dans le territoire de vente de Hasselblad (GB) (c'est-à-dire le Royaume-Uni). Telos aurait dû répondre à la question de la Commission relative à d'éventuelles interdictions d'exporter que Victor Hasselblad lui avait imposé, en juin 1974, l'obligation de protéger le territoire de vente des concessionnaires exclusifs, c'est-à-dire de ne pas exporter elle-même vers ces territoires et de ne pas permettre des exportations de revendeurs fournis pas Telos.

20. Mais les renseignements sont également inexacts parce qu'ils ne font pas mention des autres démarches effectuées par Hasselblad (GB) et Victor Hasselblad pour empêcher les exportations vers le Royaume-Uni, qui sont aussi assimilables à une interdiction.

21. Est inexact tout renseignement qui donne de la situation sur laquelle porte la question une image déformée qui s'écarte considérablement de la réalité sur des points importants. Lorsque le renseignement est faux ou à tel point incomplet que la réponse dans son ensemble est de nature à induire la Commission en erreur sur la situation véritable, il y a donc " réponse inexacte " au sens de l'article 15 paragraphe 1 sous b).

22. En réalité, l'entretien téléphonique du 5 juillet 1978, la lettre de Hasselblad (GB), mais surtout l'intervention du fabricant Victor Hasselblad au milieu de novembre 1978 ont renouvelé l'interdiction d'exporter les produits Hasselblad vers le territoire d'un autre concessionnaire exclusif, déjà existant dès 1974, et ont fait comprendre à Telos que les deux sociétés considéraient de manière générale les exportations parallèles vers la Grande-Bretagne comme un problème grave et comme préjudiciable à la distribution. Cela valait également pour les exportations effectuées par des détaillants totalement autonomes.

23. Il faut tenir compte du fait que, dans son intervention, Hasselblad (GB) croyait erronément qu'un détaillant français approvisionné par Telos avait effectué les exportations litigieuses. C'est pourquoi il demandait à Telos de vérifier l'affaire (" to look into the matter "). Il était donc clair pour Telos que le désir de Hasselblad (GB) de faire cesser les exportations de détaillants - autonomes - vers la Grande-Bretagne, visait en premier lieu les concessionnaires exclusifs, d'autant plus qu'elle savait que Victor Hasselblad exigeait la protection des marchés nationaux et qu'elle avait promis de surveiller les cas de ce genre.

24. Au moment de l'intervention de Victor Hasselblad en novembre 1978, ce dernier voulait donc vérifier une nouvelle fois les bonnes dispositions de Telos de ne pas effectuer dans le futur des exportations vers le territoire d'un concessionnaire exclusif.

25. Les mesures prises par Victor Hasselblad et Hasselblad (GB) avaient donc pour objet et ont eu pour effet d'empêcher que des importations aient lieu à destination de la Grande-Bretagne. Telos a d'ailleurs " correctement " compris cette intervention et mis fin à ses exportations à destination de Camera Care en invoquant la lettre de Hasselblad (GB) et ses relations contractuelles avec Victor Hasselblad. 26. Telos a, au contraire, dissimulé aussi à la Commission les interdictions imposées par Victor Hasselblad et Hasselblad (GB) et elle lui a fait croire que personne ne lui avait interdit d'exporter vers la Grande-Bretagne et qu'elle avait librement rompu ses relations avec Camera Care. En ajoutant immédiatement qu'elle ne faisait pas de distinction entre clients français et clients étrangers, Telos avait cherché à renforcer cette impression. En outre, elle a donné par là une indication fausse parce qu'en réalité elle a fait une distinction entre un client dans son territoire et un client dans le territoire d'un autre concessionnaire exclusif.

27. Les renseignements inexacts ont eu de graves conséquences pour la poursuite de la procédure du fait qu'ils donnaient faussement l'impression à la Commission qu'aucune influence n'avait été exercée sur Telos. Ce sont les contrôles effectués en juin 1980 chez Telos et Hasselblad (GB) qui ont fait découvrir à la Commission la situation véritable et lui ont donné la possibilité d'engager une procédure contre Victor Hasselblad et ses concessionnaires exclusifs, sur la base de l'article 85 paragraphe 1 du traité.

28. Telos a donné ces renseignements inexacts de propos délibéré. Telos avait compris les mesures que lui imposaient Hasselblad (GB) et Victor Hasselblad comme une interdiction d'exporter ainsi que comme une obligation de surveiller les exportations de ses revendeurs. Elle a compris que la demande de renseignements de la Commission visait à élucider en général la question des interdictions d'exporter et en particulier celle du boycottage des livraisons à destination de Camera Care. En donnant à la Commission une réponse plus large que celle demandée et en indiquant qu'elle ne distingue pas entre clients français et étrangers, Telos a en fait sciemment induit en erreur la Commission.

29. Il s'agissait de la dissimulation d'une infraction grave aux principes fondamentaux d'un marché commun. Par la formulation de sa réponse, Telos a voulu détourner l'attention de l'existence d'une infraction grave, et plus particulièrement d'un arrangement de ne pas exporter. La réponse fausse a sensiblement retardé la procédure et, s'il n'y avait pas eu de contrôle auprès des entreprises, il est très probable que la lumière n'aurait pas encore pu être faite sur le comportement des entreprises Victor Hasselblad et Hasselblad (GB) à l'égard de Telos. Compte tenu de ces éléments, une amende de 5 000 Écus semble appropriée,

A arrêté la présente décision:

Article premier

Une amende de 5 000 (cinq mille) Écus, soit 30 880,45 F français (trente mille huit cent quatre-vingts F français et quarante-cinq centimes), est infligée à la société Telos SA pour avoir fourni de propos délibéré un renseignement inexact en réponse à une demande de renseignements de la Commission des Communautés européennes.

L'amende est payable dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision au compte n° 5 770 006 5 de la Commission des Communautés européennes auprès de la banque Société générale à Paris.

Article 2

La présente décision forme titre exécutoire au sens de l'article 192 du traité instituant la Communauté économique européenne.

Article 3

La société Telos, 72-76, rue Paul Vaillant-Couturier, F - 92300 Levallois-Perret, est destinataire de la présente décision.

(1) JO n° 13 du 21. 2. 1962, p. 204-62.

(2) JO n° 127 du 20. 8. 1963, p. 2268-63.

(1) Texte anglais original: " Considering our contract with Hasselblad Sveden, we are obliged to confirm that we cannot do any business with you. "

(2) Texte allemand original: " 3. Wir haben keinerlei vertragliche Abmachung, die es uns untersagt, Material an Kunden aus der EWG oder sonstigen Laendern zu exportieren. Wir unterscheiden grundsaetzlich nicht zwischen franzoesischen und auslaendischen Kunden, solange unsere Rechnungen bezahlt werden. "

(3) Texte allemand original: " weil Camera Care die gelieferten Waren nicht abredegemaess in arabische Laender sondern in Grossbritannien verkauft habe und weil Camera Care zusaetzlich auch Ersatzteile geliefert haben wollte . . . "

(4) Texte anglais original: " We received a letter from Hasselblad (GB) Limited, in which they inform us, that they found out that the lens turned up in England was sold by you to one of their customers. . . As you can well imagine, this is an intolerable situation caused entirely by you . . . "